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Message par Patlotch Mer 30 Jan - 18:28


le temps m'a manqué pour reprendre les sujets du précédent forum sur la poésie, dont on retrouve certains considérations dans mes Notes poétiques sur plusieurs sites, qui depuis 2003 ont accompagné comme chez la plupart des écrivains, poètes, musiciens et autres "artistes", leur œuvres. C'est autant ces œuvres que leur propres écrits poétiques - journaux, mémoires, essais, correspondances...-, qui ont forgé mon approche de la question du rapport entre art et poétique, avec la conviction que la seconde émane du premier, non l'inverse


l'amour des mots, de la vie, de l'autre, de l'outre, etc.

l'occasion m'est donnée de la faire par une série de 10 émissions de France-Culture

L'amour des mots - Marina Tsvetaieva et Boris Pasternak :
une correspondance russe (1/10)


POÉTIQUE, la mienne et d'autres 838_tsvetaieva3
Marina Tsvetaieva, by Fine Art Images@Heritage images
et Boris Pasternak en 1956@TASS Crédits : Getty

1. Marina Tsvetaieva - Boris Pasternak : 1922-1936
2. 1922 : Prague - Berlin
3. 1923 : La vie ment inimitablement

le peu que j'en ai écouté est exceptionnel. J'y reviendrai


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Message par Patlotch Ven 1 Fév - 10:04


au fait, avant d'en baver en tous sens et non sens,
avez vous lu Aragon ?

une étude passionnante, j'y reviendrai


« Pour ma part, je pratique très peu la distinction des genres,
je confonds volontiers la prose et le vers,
je mêle l'écrit et le rêvé, l'observation médicale et la petite chanson,
enfin je rends autant que je peux l'activité académique impossible...
Au moins, je me plais à le penser. »

Dans les années soixante, Aragon cherche une écriture qui s'affranchisse de ses propres contraintes scripturales et génériques. Il invente une langue des multiples1 mue par une force de malléabilité. Le texte ne s'en tient plus aux frontières des discours et des espaces de parole mais fonctionne par vagues d'expansions successives vers d'autres genres littéraires, d'autres champs de pensée et d'autres formes d'expression : critique d'art, poésie, théorie, peinture, sculpture s'imposent comme autant de disciplines qui prêtent au roman certaines de leurs modalités et le font évoluer.

Comme Aragon en témoigne dans « La Suite dans les idées », la rencontre des arts modifie les procédés et les techniques, conduisant à de nouvelles poétiques. Le roman se réinvente avec l'émergence de nouveaux concepts créés par effet de collision avec d'autres langages. En effet, toute discipline se définit par l'adoption de conventions ; le détournement ou l'absorption de codes inédits relèverait dès lors d'une démarche d'innutrition (au sens que lui donne Du Bellay) qui modifie la pratique.


introduction et plan
Comme l'explique H. Scepi dans Les Genres de travers, une oeuvre se lit comme une « force de déplacement, voire d'éclatement, de la convention 2 ». L'intégration de nouveaux enjeux provenant de l'assimilation de concepts empruntés à une autre discipline conduit au remaniement de la discipline initiale : « Quand les avancées d'une théorie pénètrent un autre champ de la connaissance, preuve est faite de l'élasticité de cette théorie ou du produit de la théorie qui devient hybride, c'est-à-dire un mixte de plusieurs champs disciplinaires. »

Chez le dernier Aragon, le roman s'impose comme l'espace d'un partage. Art (littérature, musique, peinture), genre littéraire (essai, roman, poésie, théâtre), type de texte (théorie, critique d'art) ou période (surréalisme, réalisme socialiste) sont amenés à se rencontrer, engendrant un bouleversement de l'écriture.

Cette capacité à unir les opposés semble provenir de la plasticité même du regard de l'écrivain : à la fois poète, romancier, critique d'art, journaliste, essayiste et théoricien, Aragon mêle les activités. L'alchimie de ses statuts lui permet d'appréhender les espaces de parole de manière décloisonnée : « Pour ma part, je pratique très peu la distinction des genres, je confonds volontiers la prose et le vers, je mêle l'écrit et le rêvé, l'observation médicale et la petite chanson, enfin je rends autant que je peux l'activité académique impossible... Au moins, je me plais à le penser. »

Ce regard ouvert s'incarne dans une mixité des voix et une porosité des écrits qui répondent indistinctement à la
notion de « parole » : « Je ne trouve qu'infime les distinctions qu'on fait entre les genres littéraires, poésie, roman, philosophie, maxime, tout m'est également parole »

Avec les derniers romans Aragon semble mettre en pratique cet idéal en érigeant une nouvelle langue du roman, définie par sa faculté à absorber et à se transformer, répondant à ce que l'on pourrait nommer une « transsubstantiation ».

L'hybridation disciplinaire s'instaurerait dès lors comme le moteur et le signe d'une ductilité de l'écriture : en contact avec d'autres langages, le roman se modifie en profondeur suivant une dynamique de sculpture évolutive de la forme que nous appelons « plasticité ».

La complexité, la pluralité de sens, de perspectives et de formes que prend la notion de plasticité chez Aragon exige d'en définir les contours et de s'en tenir à quelques pistes de réflexion qui s'organisent autour des trois définitions suivantes :

−• Plastique s'entend au sens « graphique » ; l'adjectif désigne une oeuvre palpable et visuelle qui renvoie aux beaux-arts et se concentre sur l'objet esthétique comme fruit du travail de la matière. Chez Aragon, l'étude des arts plastiques déclenche la rédaction d'articles critiques et entraîne la confrontation des moyens d'expression du peintre et de l'écrivain.
−• Plastique est synonyme de « façonnement de la matière ». Le texte s'envisage comme une substance malléable pouvant être soumise à l'influence d'une autre forme ; la notion intègre celle de « réseaux de connexions » et permet de penser le concept de transdisciplinarité.
−• Plastique renvoie enfin à la matière elle-même, l'objet-livre. Le texte apparaît dans une perspective morphologique, comme un corps organique et capable de mutations.

Cette plasticité du livre s'exprime de manière métaphorique tout au long de la dernière période aragonienne par le biais d'un personnage sans cesse dédoublé. Il me semble que ces trois acceptions se répondent et travaillent ensemble, formant une réelle poétique, représentative de l'écriture aragonienne, que nous étudierons en suivant trois axes : nous verrons dans un premier temps que le texte assume et met en scène sa propre malléabilité par le biais du protagoniste, nous observerons ensuite plus longuement de quelle manière la référence à la peinture permet au texte d'affirmer sa dimension organique et graphique, et enfin nous nous intéresserons à la dernière création d'Aragon : les Murs de la rue de Varenne qui apparaissent comme la version plastique et silencieuse de la mise en texte.

POÉTIQUE, la mienne et d'autres 9k=

1 Nous envisageons le terme « langue » chez Aragon comme un terme générique qui regroupe parole et langage. La langue du roman s'approprie l'oralité et la liberté de la parole qui se rapporte à la notion minimale de « mot » quand la notion de langage relève d'un système qui lui impose lois et codes. Le roman brasse, accole et fond les langages et les paroles. La transdisciplinarité se joue ainsi à l'échelle du verbe : le partage des espaces s'organise sur une transversalité des modes du dire. 2 H. Scepi, Les Genres de travers, littérature et transgénéricité, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 7
3 Astrid Guillaume, « L'Interthéoricité : sémiotique de la transférogenèse, plasticité, élasticité, hybridité des
théories »,

4 L. Aragon, « Reconstituer le crime », Les Lettres Françaises n° 1367, semaine du 6 janvier 1971, Écrits sur l'art moderne,
Flammarion, 2011, p. 550.
5 L. Aragon, Projet d'histoire littéraire contemporaine, [1923], dirigé par Marc Dachy, Gallimard, 1994, p. 146.

I° LA MÉTAMORPHOSE DU PERSONNAGE COMME SIGNE DE LA MALLÉABILITÉ DU TEXTE

II° ÉCRITURE ET PEINTURE, DEUX FORCES EN PRÉSENCE
LA NOTION DE SIGNE, CARREFOUR ENTRE L'ÉCRIRE ET LE PEINDRE

III° DE L'IMAGE PLASTIQUE À LA CRÉATION DES MURS : ULTIME MUTATION DE L'ÉCRIRE VERS LE PEINDRE

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Message par Invité Ven 22 Mar - 4:04


dans ce sujet pour les propos de Senghor sur la poésie, le rythme et les accents, en français et en wolof, dans la vidéo à 6:27


« Et pour le reste, que le poème tourne bien ou mal sur l’huile de ses gonds,
fous t’en Depestre, fous t’en et laisse dire Aragon ! »


Une journée consacrée à Aimé Césaire : contre Aragon, la poésie
Clément Solym ActuaLitté 21.03.2019

Ce 18 avril, onze ans après la disparition d’Aimé Césaire, France Ô va diffuser une programmation spécifique, entièrement consacrée à l’écrivain. Avec entre autres découvertes, le documentaire inédit, Césaire contre Aragon — qui retrace l’origine de la dispute entre les deux hommes. Et le point de rupture, sans retour possible, que leur polémique a pu atteindre.

POÉTIQUE, la mienne et d'autres Cesaire-france-o
Nous sommes en 1955, à Paris : le Martiniquais Aimé Césaire écrit une lettre-poème à l’haïtien René Depestre, une attaque frontale contre Louis Aragon. Les trois hommes de lettres se retrouvent au cœur d’une des controverses — et à travers eux la France, les Antilles et l’Afrique — poétiques les plus fécondes de l’après-guerre, dont les enjeux auront vite fait de déborder les seuls cercles littéraires.

Paris, 1955. Le poète martiniquais, Aimé Césaire, écrit une lettre-poème au poète Haïtien, René Depestre. Cette dernière qui s’avère en réalité être une attaque frontale contre le poète français Louis Aragon entrera dans l’Histoire. C’est par cette lettre-poème que Césaire, Depestre, Aragon — et à travers eux la France, les Antilles et l’Afrique— vont se retrouver au cœur d’une des plus fécondes controverses poétiques de l’après-guerre. Elle débordera les cercles littéraires pour inaugurer l’un de ces renversements politiques qui bouleverseront le XX siècle français…


« Et pour le reste, que le poème tourne bien ou mal sur l’huile de ses gonds, fous t’en Depestre, fous t’en et laisse dire Aragon ! », écrivit Aimé Césaire.

Comment Louis Aragon et Aimé Césaire, deux des plus grands poètes du XXe siècle, en sont-ils venus à s’opposer ? L’un adhère au Parti communiste en 1930, l’autre en 1935. Césaire démissionne du PCF en 1956, à cause notamment des révélations du rapport Khrouchtchev, mais Aragon garde le silence et restera au parti jusqu’à sa mort.

Cependant, l’opposition des deux hommes n’est pas seulement un différend politique sur fond de déstalinisation. La rupture entre eux est plus ancienne, plus profonde, et s’ancre dans un contexte historique de décolonisation qui a pris la forme d’une tentative de colonisation culturelle de l’un par l’autre.

De plus, Césaire trouve cocasse de recevoir une leçon de prolétariat de la part d’un bourgeois français, lui qui passe la majeure partie de son temps à régler des problèmes de santé publique ou d’assainissement de l’eau, aussi bien comme député de la Martinique que comme maire de Fort-de-France.

Mais, plus profondément, Césaire n’accepte pas cette mise sous tutelle de l’imaginaire antillais sous le joug culturel français, fût-il communiste.

Les archives d'Aimé Césaire

Ce documentaire, écrit par Patrick Chamoiseau, et réalisé par Guy Deslauriers, sera diffusé le 18 avril à 21 h 55.


Toute une journée de reportage et d’hommages sera, en cette journée, consacrée à Aimé Cesaire, à commencer par un documentaire reprenant le discours devant l’Assemblée nationale.  
avec l'étude de Anne Douaire-Banny, « Sans rimes, toute une saison, loin des mares » Enjeux d'un débat sur la poésie nationale, on comprend qu'il ne s'agit nullement d'une querelle directe entre Césaire et Aragon, mais d'une controverse pour ainsi dire interne entre intellectuels-poètes antillais se réclamant par ailleurs du marxisme

on peut considérer que les propos de Césaire, voire de Senghor, dans la vidéo à partir 11:00, sur leur formation marxiste ou socialiste de base et l'engagement pour leur communauté colonisée préfigure les débats actuels entre marxisme et décolonialisme, mais il faut bien noter l'universalisme humaniste, auquel tendra de plus en plus leur pensée de la Négritude, est d'une certaine façon tension au dépassement racialiste davantage que certaines positions dites décoloniales aujourd'hui

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Message par Invité Mer 27 Mar - 10:37


sciences de l'univers et poésie

Patlotch a écrit:pour moi qui suis d'une part de formation mathématique et scientifique, et devenu poète sans passer par sa captation par la littérature, et d'autre part matérialiste quant à ma vision des choses, le lien entre poésie et sciences, y compris des mathématiques et de la logique, ressort d'une évidence davantage que le lien entre philosophie et poésie, toujours contradictoire malgré les tentatives de mixages, telle que celle de Yves Bonnefoy. Dans ce contexte, les considérations d'un véritable chercheur astrophysicien, et poète, ça ne se refuse pas


Quelle est sa relation avec l’écriture et l’écriture poétique ? D’où provient cette ambivalence qui le caractérise ? Comment a-t-il privilégié l’intuition comme treuil intellectuel dans ses recherches scientifiques ? Comment sonde-t-il ce qui est invisible dans l'univers et qui nous échappent ?

POÉTIQUE, la mienne et d'autres 838_vangogh-starry_night
Exemple de lien entre la cosmologie et l'art que Jean-Pierre Luminet recherche
et affectionne avec l’œuvre Nuit étoilée à Saint-Rémy-de-Provence de Vincent Van Gogh en 1889.
Qui pourrait nier que l’espace infini est ontologiquement poétique ? Certainement pas notre invité du jour, qui depuis son plus jeune âge, alterne recherche scientifique et écrits poétiques. Astrophysicien, écrivain, poète, essayiste, on lui doit le premier calcul de l’image d’un trou noir, il a également décrit les « crêpes stellaires », ou l’aplatissement des étoiles au voisinage des trous noirs. Des trous noirs auxquels il a consacré l’essentiel de sa carrière, ainsi qu’aux problématiques de topologie de l’univers : il a formulé, avec quelques prestigieux collègues, la théorie de l’univers chiffonné, qui nous renverrait des images fantômes de lointaines galaxies : Jean-Pierre Luminet est notre invité.

Jean-Pierre Luminet est directeur de recherche CNRS entre l’Observatoire de Meudon et le Laboratoire d’Astrophysique de Marseille, auteur de nombreux ouvrages : L’Univers en 100 questions chez Tallandier, De l’infini, aux éditions DUNOD et côté fiction, Uluh Beg, l’astronome de Samarcande aux éditions JC Lattès, sans oublier son blog sur futurasciences « Lumnesciences ».

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Message par Invité Sam 15 Juin - 8:47

d'hier, complété

BADIOU, ARAGON,
L'AMOUR, LA POÉSIE ET L'AMOUR DE LA RÉVOLUTION DU PARTI
des années 30 aux Gilets Jaunes

Patlotch a écrit:reçu de Maison TrioletAragon (sic)
@trioletaragon a écrit:Vous l'attendiez, la conférence d'Alain Badiou "Louis Aragon, épopée communiste et lyrisme amoureux" donnée le mois dernier est enfin en ligne !


"Le philosophe Alain Badiou, professeur émérite à l’École normale supérieure a consacré de nombreuses pages à l’amour comme au communisme. Homme de concepts sensible aux lettres, il a écrit sur Mallarmé comme sur Beckett mais ne s’était pourtant pas encore pleinement confronté à Louis Aragon.

Dans une conférence attendue, à l'Espace Niemeyer le 16 mai 2019 il nous propose sa lecture de cette œuvre majeure du XXe siècle : épopée communiste et lyrisme amoureux."

ça commence à 4:00. Après écoute j'ai "ReTweeté" avec deux commentaires
@Patlotch a écrit:1) analyse juste, Aragon tel qu'il fut, que Badiou lit magnifiquement

Laissons les riens,
cons et gauchistes
unir le "Stalinien"
et le "Maoïste"


"Le thème de la Révolution est une commande du Temps.
Le thème de la glorification de la Révolution est une commande du Parti"

Tsvetaeva

2) approbation du communisme ni d'Aragon ni de Badiou. Du point de vue poétique, je dirais la même chose si le poète était (un) croyant, et c'est bien le problème. Le rapport entre la poésie et le concept de révolution a changé. D'où Tsvetaeva, traduite par Elsa... Comprenne qui pourra

ce qui a changé dans le rapport poésie/révolution, je pense que partant de son "Idée" du communisme, Badiou ne peut pas le comprendre plus qu'Aragon ne le pouvait en son temps, ce qui représente tout de même un certain décalage du philosophe. Pour le reste, sur la poésie, Badiou homme de l'art est plus pertinent, et c'est ce qui fait de son choix de poèmes tout l'intérêt*, ainsi que sa lecture, magnifique de saisie du rythme, du sens et du son mêlés, et qu'il explique assez bien en peu de mots

* certains pourraient tomber de bas avec les extraits de Front rouge, un choix provocateur, malicieux mais judicieux de Badiou, en référence au mouvement des Gilets Jaunes en France, avec des faits étonnamment évocateurs (lire le poème ci-dessous). Mais là encore, il se met le doigt dans l'œil comme Aragon à l'époque dans son adresse aux "Camarades" et au "Prolétariat". Comme dirait l'autre, "C'est beau comme de l'Aragon" bien qu'il ne pensât pas à celui-ci. C'est dit comme si, aujourd'hui, les communisateurs ou lundimatin avaient dans leurs rangs un vrai poète et non seulement des littérateurs ; on le saurait et cela fait la différence quand il s'agit d'être en prise sur son temps

comprenne qui pourra


Wikipédia a écrit:Front rouge est un poème écrit par Louis Aragon en 1931, publié d'abord seul dans la revue Littérature de la Révolution mondiale, puis dans le recueil Persécuté persécuteur.

Le numéro de Littérature de la Révolution mondiale est saisi par la police et Aragon inculpé d'incitation à la désobéissance et de provocation au meurtre. André Breton rédige alors le tract L'Affaire Aragon pour défendre son ami. L'Humanité désavoue cependant le poème d'Aragon. Les communistes dans leur ensemble restent peu sensibles au surréalisme. André Breton écrit alors le texte Misère de la poésie, pour revendiquer l'autonomie de la poésie. Cependant, Aragon ne se reconnaît pas dans le texte de Breton et signifie sa rupture avec lui dans L'Humanité du 10 mars 1932.

Pliez les réverbères comme des fétus de pailles
Faites valser les kiosques les bancs les fontaines Wallace
Descendez les flics
Camarades
descendez les flics
Plus loin plus loin vers l’ouest où dorment
les enfants riches et les putains de première classe
Dépasse la Madeleine Prolétariat
Que ta fureur balaye l’Élysée
Tu as bien droit au Bois de Boulogne en semaine
Un jour tu feras sauter l’Arc de triomphe
Prolétariat connais ta force
connais ta force et déchaîne-la
II prépare son jour il attend son heure sa minute la seconde
où le coup porté sera mortel et la balle à ce point sûre
que tous les médecins social-fascistes
Penchés sur le corps de la victime
Auront beau promener leur doigts chercheurs sous la chemise de dentelle
ausculter avec les appareils de précision son cœur déjà pourrissant
ils ne trouveront pas le remède habituel
et tomberont aux mains des émeutiers qui les colleront au mur
Feu sur Léon Blum
Feu sur Boncour Frossard Déat
Feu sur les ours savants de la social-démocratie
Feu feu j’entends passer
la mort qui se jette sur Garchery Feu vous dis-je
Sous la conduite du parti communiste
SFIC
Vous attendez le feu sous la gâchette
Que ce ne soit plus moi qui vous crie
Feu
Mais Lénine
Le Lénine du juste moment

c'est tellement bien écrit, rythmé, chanté, qu'on en oublierait qu'à cette époque Aragon mettait encore la poésie au service de la révolution, c'est-à-dire du parti (c'est pourquoi j'ai cité Tsvetaeva)  en quoi Debord n'ira pas beaucoup plus loin, et quand on sait que Badiou, après avoir décrit les limites du mouvement des Gilets Jaunes, écrit le 10 mars, dans Leçons du mouvement des « gilets jaunes »
Pour assumer tout cela, seule une organisation ressuscitée sur des bases nouvelles peut rallier, en quelque sorte au futur, une partie des classes moyennes en déroute. Il est alors possible, comme l’écrit Marx, que [la classe moyenne] agisse révolutionnairement, par crainte de tomber dans le Prolétariat : ils défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels; ils abandonnent leur propre point de vue pour se placer à celui du prolétariat
dans un texte publié par Lignes en mai, Badiou regrettait l'absence de « direction incarnée » : un « Lénine du juste moment » ?

on doit ajouter que ce Badiou-là aurait sans doute été désapprouvé par l'Aragon des années 60, et particulièrement celui qui refusait d'être un "écrivain engagé", auquel rien de sa conférence ne fait allusion... Au fond, quoi d'étonnant à ce que le philosophe platonicien de l'Idée communiste soit resté lui scotché au gauchisme esthétique ?


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Message par Invité Dim 16 Juin - 20:13


LA RIME ET LES RYTHMES, BORDEL !
Patlotch a écrit:Badiou a raison de souligner le grand art qu'avait Aragon de la coupe des vers, et d'y mêler la prose, et réciproquement. Il le lit d'ailleurs très bien, en homme qui connaît son théâtre

j'ai tant travaillé à partir des inventions d'Aragon sur la coupe y compris des mots à la rime et son trapèze à l'enjambement, que je ne saurais revenir en arrière, quoiqu'enfin Verlaine et sa fluidité... C'est pourquoi je ne coupe (presque) jamais sans m'assurer que le vers suivant s'enchaîne sans un "pied" (une syllabe) de plus, qu'on le lise en vers ou en prose, si bien qu'on pourrait le redécouper autrement... Cela favorise une lecture polyrythmique et "musicale", j'ai expliqué ça, techniquement, quelque part, à propos de Verlaine, de "préférer l'impair", en relation avec mes cogitations de jazzeur impénitent

exemple aujourd'hui dans BALADE AU TEMPS PRÉSENT

alors, hymne à la joie
à portée de l'hymen
et
quand s'ouvre la porte
à
la vue de la vulve, hourra
des pas queurette s'offre
un
bourgeon sans bourgeois
sous les sabots crottés, Amen



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Message par Invité Ven 21 Juin - 9:16

Patlotch a écrit:1. OUTRE-RÉALISME, UNE POÉTIQUE ?
2. OUTRE-RÉALISME, RÉALISME, MATÉRIALISME...

2. OUTRE-RÉALISME, RÉALISME, MATÉRIALISME...
Patlotch a écrit:le rapport de chacun.e au réel s'est exponentiellement complexifié et diversifié depuis le 19e siècle où n'en rendaient compte que livres et journaux, dans la première partie du 20e siècle avec l'apparition du téléphone, de la radio et de la télévision, puis dans le dernier tiers et surtout depuis le début de ce siècle avec Internet, les journaux en ligne, les réseaux sociaux. Chacun.e se crée un réseau de sources d'information qui construisent la base de sa représentation du monde, du réel. Cela vaut aussi pour tous ceux qui fonctionnent en cercles d'affinités idéologiques sur la base d'un choix sélectif d'informations correspondant à ce qu'ils entendent démontrer, en boucle syllogistique où ils trouvent forcément confirmé ce qu'ils avaient d'abord posé en prémisses

il est excessivement difficile de prétendre avoir une vision totale du monde et cela dépend de sa grille de compréhension, et d'analyse pour qui se la propose

la conséquence se fait sentir tant dans les sciences humaines, les théories critiques que dans les arts et particulièrement la poésie. Pour le dire simplement, il n'est pas aisé d'être "matérialiste", c'est-à-dire de considérer en gros que le monde existe en dehors de l'idée qu'on s'en fait, et suivre Marx en transformant le monde pour le comprendre ne saurait se faire qu'à l'échelle du point de vue qu'on en a, qu'on s'en donne. Alors, comment l'élargir et distancier le facteur personnel d'observation ?

l'outre-réalisme chercherait par conséquent à démultiplier les points de vue et à les présenter sans souci de cohérence dans une unité simple, il n'évacuerait rien de gênant à des fins de démonstration, rejoignant l'éthique qui est celle de tout artiste véritable, qui ne veut rien démontrer. On voit comment certains artistes, en adoptant un point de vue systématique, s'éloignent du réel qu'ils veulent représenter. Je pense au pointillisme de Seurat, à l'hyperréalisme en général...

20 juin 2019
1. OUTRE-RÉALISME, UNE POÉTIQUE ?
Patlotch a écrit:l'outre-réalisme est-il un concept poétique, une école dont je serais le fondateur ? Écartons cette dernière hypothèse, tout ce qui suit une invention assassine ce dont elle procède, c'est le sort des avant-gardes artistiques, théoriques... et je ne me vois à l'avant de rien ni personne : je m'en fous. L'outre-réalisme est aussi flou que le surréalisme notamment. S'il en fut des définitions elles furent d'emblée disputées par leurs têtes de file, et l'on y range des productions brouillées d'incompatibilités dans la démarche comme le résultat

l'outre-réalisme ne serait chez moi que la résultante d'œuvrages divers, depuis la fin des années 1980, desquels émergerait une constante qui donnerait une improbable unité à ses formes successives : une quête de la réalité, l'expression de ma vérité comme fil conducteur éthique de mon rapport au réel défardé. En rendrait plus particulièrement compte les "romans" que j'ai insérer, les premiers de 2012, dans L'OUTRE-RÉEL, cycle romanesque et poétique, microcosmique et musical, mélancomique et théorique. LE ROMAN D'ILYA, allégorie de la réalité, 2017 est à cet égard explicite

on peut y ajouter le refus de l'esthétisme, qui n'est pas le culte de la laideur en soi, contre la beauté sans laquelle il n'y a pas, à mon sens, d'œuvre d'art qui tienne dans le regard d'un public, puisque la beauté est justement l'appréciation subjective du beau qui ressort de l'œuvre d'art aussi bien que d'objets qui n'en sont pas (un paysage, une voiture, un chien, une femme, ses jambes...)

en résumé, non, l'outre-réalisme n'est pas une poétique conceptuelle, mais le produit d'une démarche artistique, d'une praxis. C'est un mot pour nommer ce que je fais, pas une invite à y caser d'autres œuvres. Aussi liés à une histoire en succession  de genres et styles qu'ils soient, les artistes authentiques, petits ou grands, ne valent que par leur irréductible singularité, et c'est à ça qu'on les reconnaît. Le reste est, précisément, "littérature", et autres cases pour historiens et critiques d'art. Il est assuré que tout ce qu'ils y versent ne relève pas de l'art, et c'est pourquoi d'emblée il y a maldonne et imposture


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Message par Invité Sam 22 Juin - 10:47


QU'EST AUJOURD'HUI LA POÉSIE ?

Patlotch a écrit:un texte que j'ai trouvé pas mal, rencontrant ma conception de la poésie ou d'autres de mes points de vue théoriques. Un de ses intérêts est d'échapper largement (encore que, voir mes remarques), à la fausse et vieille problématique d'une "poétique révolutionnaire" ou à sa critique, comme chez Jacques Guigou dans son récent ouvrage Poétiques révolutionnaires et poésie, comme aux platitudes de Zones subversives dans Poésie et révolution, car il faut quant même connaître un peu la poésie ou savoir la lire pour en parler avec quelque pertinence, c'est-à-dire aussi de l'intérieur si ce n'est en poète, et pas seulement en amateur de révolution prolétarienne ou autre, faisant de son contenu (révolutionnaire) sans considération de ses formes le critère de son appréciation positive (gauchisme esthétique) : « Aucune perspective révolutionnaire ne vient aiguiller la poésie. Les artistes sombrent alors dans la bouillie postmoderne. » Tous dans le même sac, aucun n'y échapperait, et quand on n'y connaît rien, qu'on n'a manifestement rien lu, on appelle la norme, finalement pas loin de Jdanov. On tremble pour les poètes le jour où ces révolutionnaires là auront quelque poids sur les choses de la vie

fait écho aussi à mon concept poétique d'OUTRE-RÉEL l'affirmation « Un imaginaire révolutionnaire conséquent passe nécessairement par une revalorisation du « fantastique réel de la vie. »

voir dans l'original les mots en italique. Je souligne en gras des passages que je partage plus particulièrement
I.
La poésie n’est pas un genre littéraire, mais un phénomène historique général. L’humanité, produit de la nature mais distanciée d’elle par la conscience et l’histoire, existe par un mouvement contradictoire et réciproque de détermination et de liberté vis-à-vis du cosmos.
Cette relation, des êtres entre eux et avec le monde, la solidarité matérielle de leurs existences, est le substrat réel de la poésie. La sentence de Novalis : « L’homme existe poétiquement sur cette terre » n’indique pas autre chose.

La poésie s’étend à toutes les pratiques humaines, non comme décoration ou substance tangible mais comme condition. Sur le plan subjectif, elle est la somme de toutes nos impressions sensibles et de leur agrandissement imaginaire. Objectivement, elle est la transformation incessante des formes et du contenu de notre vie*. Comme mouvement total de ces deux parties, elle est le jeu fondamental entre la nature et la culture, la perméabilité du réel à nos conceptions et nos actes, en même temps que notre propre porosité à celui-ci.

* on reconnaît un sens de la formule réciproque d'Henri Meschonnic : « Contre toutes les poétisations, je dis qu’il y a un poème seulement si une forme de vie transforme une forme de langage et si réciproquement une forme de langage transforme une forme de vie. » Manifeste pour un parti du rythme août/novembre 1999

Ce mouvement concret de transformation est perçu individuellement autant qu’il est vécu généralement ; le côté imagé du langage, qui existe dans toutes les cultures du monde, son fonctionnement d’associations et d’analogies témoigne encore de cette contradiction. La fonction historique du langage est l’appréhension d’un réel protéiforme, de la capture de son mouvement sous des termes définis : mais sa classification efficace s’arrête toujours aux portes de l’expérience, qui la déborde, et du devenir, qui modifie sans cesse le réel qui en est l’objet.

Toute pratique poétique est en fait communication authentique, au sens premier de mise en commun, production pour l’usage de tous. Elle est l’expression de l’imbrication intime du singulier et du global, parole de l’être pris dans le courant des choses. Comprise ainsi, l’injonction de Lautréamont : « La poésie doit être faite par tous », connue pour avoir eu quelques effets sur les avant-gardes, est un appel à la prise de conscience collective de cette qualité essentielle.

L’éphémère, la mortalité de toutes choses vivantes ainsi que leur indétermination finale est un aspect essentiel de la vie, et donc de la poésie, comme conscience de la génération et destruction dans la nature, génération et destruction consciente dans la culture. Un moment est unique parce qu’il ne reviendra pas et Khayyam dit que « les tulipes fanées ne refleurissent jamais ». Le temps vécu librement devient par là le cadre et la partition de la vie humaine.

L’enfance, moment premier de la formation de l’être, de sa sensibilité et de son imagination est aussi l’expérience la plus spontanée et la plus intense des vertus du jeu comme pratique de construction subjective et objective. Il prouve alors son caractère de mode d’action organique, liant la production du temps vécu et l’emploi du lien concret entre les choses. L’enfance est la vie condensée, y compris par sa mort à l’âge adulte. Elle est la matrice de toutes les réalisations et de toutes les activités supérieures, le terrain du jeu comme activité primordiale.

II.
Le monde et la conscience humaine sont avant tout sensibles l’un à l’autre. C’est en ce sens que l’on doit comprendre la phrase de Pythagore : « Tout se répercute. »

La vérité du matérialisme dialectique ne se situe pas simplement dans sa méthode, ni dans son « déterminisme » par ailleurs souvent exagéré et contrefait, mais dans la reconnaissance du fait vital comme totalité, ainsi que de l’histoire comme la transformation conjointe du monde et de l’humanité par elle-même.

Un des enseignements les plus importants de la poésie que la théorie critique a pu reprendre à son compte, est que la conscience se forme sur le terrain de la vie. En positif, une telle affirmation laisse entrevoir l’étendue des changements possibles. En négatif, elle permet de comprendre l’aliénation pour mieux tenter de s’en extraire.

Le conditionnement, le façonnement d’un rapport au monde et d’une conduite selon l’intérêt du pouvoir est lui-même un usage de cette vérité concrète : une domination historique ne s’impose pas par la logique ou des arguments de salons, elle s’impose sur le terrain de la vie, par la force, puis les formes : un pouvoir qui la contraint et une idéologie qui la dirige. En émane alors un imaginaire qui la prolonge.

L’appropriation des moyens de produire le monde est le secret historique du pouvoir : la transformation concrète du réel délimite en même temps le vécu et ses sensations dans la vie courante. Pour ceux qui s’y bornent, un pan du monde restera interdit. Néanmoins cette stratégie a été jusque là à double tranchant, car toute expérience authentique ouvre une porte imprévue, dans laquelle finissent par s’engouffrer toutes les subversions.

En ce qui concerne notre époque, et contrairement à ce que beaucoup croient, la poésie n’a pas disparu. Elle est même une matière première de la production marchande, malmenée au même titre que les autres, et dont la dissimulation est essentielle.

La poésie, valeur d’usage du vécu dans son ensemble, est niée dans la production par le travail forcé du salariat, et restituée de façon falsifiée dans la consommation, pour l’entretien de ce cycle. Les fragments d’une vie débitée en morceaux, et produits en série, dont l’unité pratique ne sera jamais retrouvée, sont une composante essentielle de l’adhésion subjective au capitalisme. Mais la jouissance de cette restitution parcellaire a un fondement réel, qu’il s’agit de lui faire retrouver consciemment dans son intégralité.

Cette capacité de falsification de la marchandise, que les marxistes nommaient « fantasmagorie » est en fait la qualité formelle de la marchandise, son goût spécifique, aujourd’hui devenu universel. Le capitalisme se confondant idéologiquement avec le réel, ses formes se retrouvent partout, et avec elles, la sensibilité qu’elles produisent. Elle remplace l’intensité vécue, absolument qualitative de la poésie, par la saturation quantitative des capacités de perception humaines.

III.
L’expression pratique de la poésie tient dans ce simple fait que tout est forme, autant que contenu. L’apparence, comprise comme manifestation externe de l’intériorité, est ce par quoi le monde nous frappe d’abord.

Une telle qualité d’attention au réel, souvent considérée à tort comme esthétisante ou superficielle dans les milieux politisés, permet de saisir les traits dominants de l’aliénation d’une époque, en même temps que d’envisager leur dépassement. On trouve dans la littérature des exemples de ce qui a justement manqué à la théorie critique, comme le soulignait Engels dans une citation célèbre : Kafka a compris et donné à voir l’aliénation politique du droit et sa manifestation bureaucratique, Jarry a mis à nu le pouvoir politique des États modernes.

S’engouffrant dans la brèche ouverte par l’art moderne, la théorie critique a décrit avec Benjamin le lien étroit entre formes et histoire. Que ce lien concerne non seulement le mode de perception mais aussi de production du monde est sa principale qualité. Benjamin pût ainsi écrire dès 1936 que l’humanité « se donne en spectacle à elle-même » et qu’« elle s’est suffisamment aliénée à elle-même pour vivre sa propre destruction comme une jouissance de tout premier ordre ». Ce qui n’a cessé de se confirmer, et de s’aggraver depuis lors.

La théorie du spectacle, systématisée ensuite par les situationnistes, correspond à la forme historique du capitalisme du siècle dernier, aujourd’hui concrétisée et dépassée par la société présente. Les principes – et parfois le détail – de cette critique sont encore valables aujourd’hui, mais le jeu historique se poursuit, et avec lui, l’évolution de la domination marchande. La virtualisation idéologique du réel est devenue, avec le développement des forces productives, participative ; et ce qui était le monopole de quelques uns à paraître s’est mué en simulation généralisée. Dans le même temps, la pénétration technique et idéologique du réel, et la concentration effective du capital se sont considérablement accentuées.

Comme l’avaient pressenti les situationnistes, une telle société a trouvé dans la cybernétique la voie de son accomplissement : la théorie de l’information est en fait la ré-évaluation du cosmos par le prisme de la transmission médiatique à distance. Au lieu de l’identité de la forme et du contenu, la cybernétique théorise la dissociation du signal et du code. Elle poursuit et produit techniquement le rationalisme, et en ce sens elle est parfaitement cohérente avec l’aliénation économique.

La cybernétique déporte la dégradation capitaliste du réel sur l’ensemble du cosmos, ce qu’avait déjà esquissé le rationalisme du XVIIIe siècle. Ainsi selon elle, les êtres sont des machines, la pensée du calcul, la musique du signal, le langage un code, la communication une transmission unilatérale.


La fonction idéologique de l’information et de sa théorie correspond historiquement au renouvellement pour le capitalisme de la prétention à la totalité. L’information, avant d’être un outil d’ingénierie ou un « mode de gouvernement » est la redéfinition du réel comme intelligible, quantitatif, transparent et transactionnel. L’information est effectivement l’inverse de la poésie, par son aspect immatériel et anhistorique, mais elle s’y substitue par son caractère unitaire et formel.

L’avènement pratique de l’information produit une intensification de l’emprise du capital sur la société. Dans la vie quotidienne, les conséquences de celles-ci s’ajoutent à la réification déjà avancée du spectacle, aujourd’hui vécue positivement, jusque dans la revendication enthousiaste d’une déshumanisation intégrale, d’une conformité robotique à la logique marchande.

IV.
Au sein des dispositifs informatiques, le lien organique entre les choses est restitué symboliquement par l’interface avec la distance froide de l’écran, sous une forme intelligible et technique, réifiée et bureaucratique. Chaque dispositif isolé trahit le projet cybernétique dans son intégralité, qui n’est rien d’autre que l’édification d’un cosmos conforme au rationalisme marchand.

La démocratisation des moyens de production spectaculaires, permise par l’informatique, a considérablement accru la virtualisation du réel, et avec elle, toutes les dégradations subjectives : les spectateurs sont devenus citoyens cybernétiques quand ils se sont saisis des moyens de la réalisation de la vie apparente. On leur a en fait délégué ce qui était le propre des stars, et ils ont hérité par là de tous leurs travers.

Ce qui était déjà présent abstraitement dans la poursuite d’un rôle a aujourd’hui une consistance technique inégalée. La fusion existentielle avec la marchandise fait donc d’eux des gens sans âges, qui prolongent une « adolescence » consumériste éternelle. En même temps que la disparition de l’enfance, on constate un penchant généralisé à la régression. L’insatisfaction produite par le fait de perdre sa vie à la virtualiser rend impossible ce qui était déjà improbable il y a un siècle, à savoir l’expérience de l’amour.

La dégradation la plus notable de la formation subjective est la disparition du goût, accompagnée du relativisme idéologique le plus total. C’est en fait le symptôme le plus fort de l’amnésie spectaculaire : au moment même où le fonctionnalisme concentrationnaire a tout détruit, et tout banalisé, la possibilité même d’un jugement sur la qualité a été idéologiquement interdit.

La cybernétisation du capitalisme marque également un nouveau cap dans son esthétisation. Comme d’autres trouvailles de l’art moderne, la revendication du « dépassement de l’art » a été récupérée, et même mise en pratique par le capitalisme lui-même. Mais, incapable de produire l’intensité poétique qui a fait le cœur de l’art moderne, il se contente d’un futurisme spéculatif, au sein duquel circulent toutes les autres tendances.
Il promet par là l’avènement d’un royaume cybernéticien, et avec lui une fusion heureuse de l’humain et de la machine, qui ne viendra jamais.

V.
La conscience révolutionnaire est intimement liée à la conscience poétique [là, attention de ne pas mettre la poésie au service de la révolution...] : le terme même indique le mouvement cosmique, le dynamisme vivant, donc la fugacité de la vie.

La conscience poétique est la ligne de front révolutionnaire réelle [c'est fait, la poésie contiendrait le message révolutionnaire vrai] : elle distingue ceux qui savent pourquoi ils veulent changer le monde, des contestataires radicaux qui accompagnent malgré tout ses évolutions présentes, ou qui nourrissent encore l’illusion de l’humaniser. [il y aurait une élite poétique consciente qui deviendrait l'avant-garde réelle...]

L’art a été, pendant sa période moderne, le terrain des expérimentations poétiques les plus ambitieuses : sa première phase au XIXe a montré toute l’étendue de la libre production des conduites individuelles, l’ivresse de Rimbaud, Van Gogh et son chapeau chandelier peignant le vent dans la nuit, Hokusai parcourant le Japon pour dessiner et changeant de nom au gré des villes. Sa seconde phase au XXe, a conservé cet élément et l’a étendu grâce aux avant-gardes à l’échelle objective et collective. Ces groupes ont esquissé autant de civilisations potentielles, permises par un usage humain des avancées techniques industrielles.

La première phase de l’art moderne a trouvé ses limites dans son admiration univoque de la nature, la seconde, elle, a globalement fétichisé la technique industrielle, au détriment du dynamisme vivant. Il s’agit à présent de produire un dépassement de ces deux tendances, en conservant l’échelle de transformation des avant-gardes, augmentée d’une conscience accrue de la solidarité matérielle. La cybernétique, en récupérant le fétichisme technique et la volonté de transformation globale soumise au rationalisme marchand, procède d’un dépassement inverse.

Un des enjeux majeurs de la lutte révolutionnaire de ce siècle est de briser la dépossession de notre imaginaire [ce n'est rien d'autre que la question de la subjectivation révolutionnaire, qui ne peut aller sans sa dimension poétique mais ne s'y réduit pas], car l’imaginaire, disait André Breton, « est ce qui tend à devenir réel », mais il est aussi, selon Humpty Dumpty : « une mémoire qui anticipe. » Il s’agit de retrouver des ambitions dont le fondement soit irrécupérable, de renouer avec une capacité d’élaboration et de projection dans l’avenir.

Un des principaux freins à l’élaboration d’un mouvement révolutionnaire actuel est la disposition subjective à la soumission et à la séparation, ainsi que le prolongement volontaire de cette soumission par l’entretien de désirs falsifiés. Mais ces désirs et cette falsification, tous deux réels, prennent appui sur des velléités authentiques, et la récupération intègre malgré elle un désir d’intensité qualitative qu’il s’agit de révéler.

Les plus démunis de nos contemporains ont coutume de considérer le monde réel comme étant celui de la banalité de leur vie quotidienne colonisée, et le monde virtuel des simulations cybernétiques comme l’espace de leur réalisation : il s’agit de renverser ce paradoxe. Un imaginaire révolutionnaire conséquent passe nécessairement par une revalorisation du « fantastique réel de la vie », un dévoilement de sa plasticité fondamentale et de tous les possibles de sa transformation.

C’est cet imaginaire qui permettra de concevoir la transformation de la technologie marchande issue du rationalisme, en technique organique, production d’une civilisation jouant de façon réciproque, et mutuellement vertueuse avec la nature. Cette civilisation pourra avoir comme versant unitaire une conscience de la commune vitalité, tout en libérant les moyens de production pour une multiplicité de redéfinitions du sens de la vie, et autant de formations collectives. De là, la vie pourra être consciemment vécue comme une aventure, avec tout ce que cela implique de migration ou de sédentarité, de rencontres, de conflictualités ouvertes et de divisions historiques.

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Message par Invité Dim 23 Juin - 6:20


POÉSIE ET PHILOSOPHIE
quelques mots
Patlotch a écrit:je ne vais pas faire un cours d'histoire de leurs rapports, de Platon à Hegel et à la tendance philosophique de la poésie savante à la fin du siècle dernier. Meschonnic et Bonnefoy, en tant que poètes et penseurs, ont réglé pour moi de problème, les deux sont complémentaires à certaines conditions. Deleuze et Gattary sont plus handicapés, parce qu'ils se situent sur le terrain de la philosophie, sans pratique poétique

la poésie pense, évidemment, et nul poète penseur de son temps ne saurait éviter d'inclure sa pensée raisonnée dans ce qui est expression de percepts et affects sans concepts. La philosophie même est une matière de la poésie autant que l'inverse

une différence est dans la notion de praxis. Le philosophe généralement n'en a pas d'autre que la pensée conceptuelle, et s'il a une praxis, c'est une pratique théorique, le métier de philosophe, comme généralement les "travailleurs intellectuels". Qu'il le veuille ou non, son expression entérine toujours la séparation des mots et des choses, du langage et de la vie, de la théorie et de la pratique. Les ayant séparées par métier, il cherche à les réunir par la pertinence de ses démonstrations, mais ne peut malgré lui que rester sur le terrain de la spéculation. Il a beau feinter, il n'est pas crédible, parce que pas légitime

il n'y a que les philosophes poètes, artistes, scientifiques, menuisiers... pour échapper au travers de la conceptualisation descendante qui, comme le critiquait Marx, interprète le monde sans le transformer

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Message par Invité Mer 3 Juil - 17:41


NOTE EN COULISSE

Patlotch a écrit:depuis que j'ai repris la poésie, ici en juin, j'écris dans les creux de ce qui est désormais mon activité principale, la guitare. Je le fais en furtif, sans plus me poser de questions de formes, utilisant celle du sonku entre sonnet et haïku, sept vers de métriques variables, des plus traditionnelles aux plus libres, toujours attaché à l'intrication des sons, du sens et des rythmes

les séries de sept dans une journée offrent un cadre élargi à ces formes courtes auxquelles il est plaisant, dans la faible contrainte stimulant la liberté, de trouver une unité, des échos entre petits poèmes. Je les travaille peu, cherchant peut-être plus que jamais la simplicité, l'effacement de ce qui alourdirait la virtuosité, ce jeu au trapèze volant dans mon cirque romanesque, où le gadin ne craint pas les gradins

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Message par Invité Sam 6 Juil - 21:39

Patlotch a écrit:je hais les vacances comme on disait "je hais les dimanches". De quoi désennuyer quelques jours, une émission que j'avais ratée il y a dix ans

Aragon est le poète, écrivain... qui m'a le plus influencé sur la forme, ne serait-ce que parce qu'il absorbait celles des autres comme une éponge, et je m'en sens à la fois proche et très loin, comme s'il était d'une autre époque. Je ne pourrais pourtant absolument pas avoir au communisme, je ne dis pas seulement au parti, le même rapport de dépendance et de foi que lui*. C'est sans doute parce qu'il était pris dans une période ou fort peu faisaient la différence, Althusser non plus, cet autre Louis qu'Aragon n'aimait pas, ni qu'on l'appelât Louis
* voir BADIOU, ARAGON,  L'AMOUR, LA POÉSIE ET L'AMOUR DE LA RÉVOLUTION DU PARTI

les Aragoniens sont une drôle de ? famille, dont j'ai rencontré il y a une trentaine d'années quelques spécimens. Les gens me semblent un peu bizarres, qui se consacrent autant à un auteur, mais je reconnais qu'ils peuvent être passionnants
Il y a cinquante ans, 1969
Louis Aragon (1897-1982)

06/07/2019
Un documentaire de Catherine Pont-Humbert et Dominique Costa.
Rediffusion du 25 avril 2009

Louis Aragon est l'auteur d'une oeuvre gigantesque, variée, à la durée exceptionnelle, entourée de controverses. Cette œuvre dessine les contours d'un monument littéraire, guère comparable à Victor Hugo.

POÉTIQUE, la mienne et d'autres 838_gettyimages-542269390
Louis Aragon devant sa maison à Moulin de Villeneuve, offerte à Elsa Triolet
Crédits : William Karel / Sygma - Getty
L'œuvre de Louis Aragon est impressionnante. Son ampleur, sa variété, sa durée exceptionnelle dessinent les contours d'un monument littéraire. De plus, elle émane de l'un des derniers "grands écrivains" dont la France est si friande. Et pourtant l'œuvre d'Aragon est encore souvent réduite à la simplification d'une légende. En effet il existe un "mythe Aragon" qui vient recouvrir les textes comme un voile et en fausser la lecture. Ce mythe, qui s'est élaboré du vivant du poète et s'est perpétué bien après sa mort, repose essentiellement sur deux facettes de l'œuvre et de la biographie. D'une part le couple formé par Elsa Triolet et Louis Aragon, sensé incarner l'amour parfait, et d'autre part la dimension politique, l'engagement de l'homme et de son œuvre.

À ÉCOUTER AUSSI
Louis Aragon en 4 épisodes : Aragon ou le mentir-vrai, Poète avant tout, Compagnonnage communiste, L'Art du roman

L'amour et la politique, Elsa et le communisme, l'élaboration légendaire a fini par former des entrelacs d'une telle complexité que les biographes se font rares. C'est pourquoi nous avons choisi d'entrer dans le "laboratoire" d'une biographie en cours de rédaction, pour tenter de démêler quelques fils de cet écheveau, pour voir ce que le recul du temps permet de révéler, ce que les documents soulèvent comme interrogations, doutes, bref vérifier s'il y a un Aragon "nouveau".



Pour aller plus loin
Maison Elsa Triolet - Louis Aragon, site du Moulin de Villeneuve. C'est la maison qu’Aragon a achetée pour Elsa Triolet en 1951, à Saint-Arnoult-en-Yvelines.

Elsa la rose, un court-métrage d’Agnès Varda (réalisé en 1966) sur l'histoire d'amour de Louis Aragon et Elsa Triolet, avec Michel Piccoli comme récitant.

Dossiers Aragon en ligne sur le site de l’Erita : équipe de Recherche Interdisciplinaire sur Louis Aragon et Elsa Triolet.

Asphyxies : texte en prose publié dans la revue Littérature, nouvelle série, n°2, avril 1922, repris dans le recueil Le Libertinage (1924) : en ligne sur le site des archives internationales Dada, géré par l’université de l’Iowa.

Corinne Grenouillet : Le monde noir américain dans la vie et l'œuvre d'Aragon (1920-1945), article paru dans la revue Présence Africaine, n° 187-188, 2013.

Avec Olivier Barbarant, Professeur en Khâgne au Lycée Lacanal, responsable de l'édition en deux volumes de la poésie d'Aragon dans la collection "la Pléiade" ; Nathalie Piegay, enseignante à l'Université Paris VII, auteur notamment de Aragon et la chanson et Josyane Savigneau, journaliste et biographe. Documentation : Annelise Signoret.

BIBLIOGRAPHIE
Aragon
Philippe Forest
Gallimard, 2015

Le Paris d'Aragon
Olivier Barbarant
Alexandrines, 2016
Oeuvres poétiques complètes (2 volumes)
Oeuvres poétiques complètes (2 volumes)
Louis Aragon
Gallimard / Bibliothèque de la Pléiade

Oeuvres romanesques complètes - Tome II - Aragon
Louis Aragon et Daniel Bougnoux
Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2000

INTERVENANTS
Olivier Barbarant
Poète, spécialiste d'Aragon, Inspecteur général du groupe Lettres à l'éducation Nationale.
Nathalie Piegay
Josyane Savigneau
écrivaine et journaliste

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Message par Invité Jeu 11 Juil - 14:41


SI L'ON VOUS DEMANDE SI LE POÈTE PATLOTCH AIME LES GENS,
DITES QUE C'EST UNE QUESTION À LA CON
Patlotch a écrit:ce matin dans la série de France Culture Les Masterclasses, « grands entretiens de référence sur la création culturelle. Littérature, cinéma, arts de la scène, arts plastiques, architecture : 40 personnalités du monde des arts de la pensée nous font entrer dans les arcanes de leur création », le romancier-chirurgien-dentiste Alaa Al Aswany, qui a dit un tas de choses intéressantes sur la création romanesque, a établi une différence entre le romancier et le poète :

le romancier aimerait les gens, il saurait les écouter, écrire pour leur plaisir mais sans vouloir répondre à leurs attentes

le poète aurait, en général, « un problème de communication avec les autres »

si j'ausculte mon cas sans chirurgie dentaire excessive, c'est peut-être assez vrai. Je ne me verrais pas du tout romancier à la manière qu'il a décrite comme "verticale-horizontale", écrire un chapitre puis relire et corriger les précédents, sauf à la fin, car on risquerait de mauvaises corrections... Il a insisté sur le fait qu'un bon romancier devait savoir créer des personnages puis les laisser vivre leur vie en la traduisant dans le roman. Ça je crois l'avoir plutôt bien réussi dans ma série de L'OUTRE-RÉEL III et IV, mais quant à corriger, jamais de la vie, je ne l'ai pas même fait d'un épisode quotidien à l'autre, parce que c'était mon principe d'imprévisation. C'est important, que ce soit de vrais romans de romancier ?

quant à avoir un problème de communication avec les autres, ça peut m'arriver, mais encore faut-il que j'aies envie d'essayer. Avec la plupart des gens, ça m'a passé. À la question de l'analyse transactionnelle Que dites-vous après avoir dit Bonjour ?, ma réponse serait Rien ! sauf si l'on me répond quelque chose qui me donne envie d'aller plus loin

alors, j'aime les gens, ou pas ? Mais c'est que ça ne veut rien dire, ma chère lectorate, "aimer les gens" en général, la preuve les gens s'en foutent, sauf peut-être les lecteurs de romans qui concluent : « On sent que ce romancier aime les gens ! », moi j'appelle pas ça de bons lecteurs, qui mélangent tout. Peut-être qu'au fond Hugo ou Aragon aimaient les gens comme ça, en romanciers, poètes et hommes politiques à la fois : la belle affaire, pour "les gens". Mais Baudelaire, Verlaine, Rimbaud... Laissez-moi rire !


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Message par Invité Jeu 8 Aoû - 12:29


TROUBLES DANS LE VERS
Patlotch a écrit:s'est inscrite au forum, d'après son adresse i-mail, une professeure à l'Université libre de Bruxelles (U.L.B.) où elle enseigne à la fois aux futurs psychologues et orthophonistes

la lectorate attend impatiemment ses interventions. En effet, elle est auteure, entre autres, en 1994 de Une batterie d'évaluation du langage écrit et de ses troubles (en collaboration), et en 2004 de Dysphasie et développement de la sensibilité à la rime et au phonème

je vais enfin savoir à quoi rime mon trouble poétique


affraid


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Message par Invité Dim 13 Oct - 14:16


POÉTIQUE, la mienne et d'autres F-bdf-5069402ae0314
1980/2011
Sous prétexte de parler de tous les prix littéraires qu’il a reçus, Bernhard se livre, dans ces textes inédits, à ce qu’il fait le mieux : exercer sa détestation. Jurés, organisateurs, notables allemands ou autrichiens, personne n’est épargné par l’humour vengeur d’un auteur hypersensible à la médiocrité. Irrésistiblement méchant et drôle, Bernhard excelle aussi dans l’art de la miniature. Chaque récit est un joyau, et se lit comme une courte nouvelle. Derrière une apparente désinvolture, Bernhard interroge la nature de l’industrie littéraire et la vanité des distinctions honorifiques. Tout cela, dans un style acéré et ironique à la fois – du grand art. Terminé en 1980, ce petit volume, resté pour des raisons obscures inédit du vivant de l’auteur, associe neuf récits de remises de prix et les discours de réception correspondants, poétiques et violents. On comprendrait presque pourquoi un certain ministre autrichien, à l’audition d’un de ces discours assassins, s’est retenu de justesse de frapper Bernhard...
Patlotch a écrit:je suis plutôt un inconditionnel de Thomas Bernhard, mais je me demande si ce livre n'est pas de trop, bien qu'il soit très conscient de la contradiction : « Pendant toutes ces années, j'ai été trop faible pour dire non. Tout cela était dégoûtant, mais c'était moi-même qui me dégoûtais le plus. Je détestais ceux qui octroyaient les prix, mais j'acceptais leur argent. » À l'occasion du trentenaire de sa mort, France Culture en donne des extraits lus par Laurent Poitrenaux (Avignon 2019), dont je ne supporte pas la diction de théâtreux au demeurant en rien musicale (pour lire Bernhardt, c'est un comble), assez loin de ce que "j'entends" à la lecture du romancier, ni la sienne, par exemple ici


à mon goût ces textes sont du point de vue stylistique d'un moindre intérêt que ses romans. Un lecteur dit que pour apprécier ce livre « délicieusement iconoclaste et subversif [...] il est inutile d'avoir déjà lu un de ses romans, même si cela aide sans doute à mieux comprendre le personnage. », ce qui est digne de quelqu'un qui regarde le doigt (l'auteur) quand on lui montre la lune (le roman)

les doutes sur sa vocation littéraire conduisent un temps Thomas Bernhard à devenir chauffeur de poids lourd. S'il exigera de son éditeur allemand de ne plus distribuer aucun de ses écrits dans le pays, c'est aussi parce que ne sortant pas de chez lui, appréciant aussi peu que moi les voyages à l'étranger *, il faisait mine d'ignorer qu'aucun pays n'est meilleur que l'autre, mais qu'on est mieux placé pour détester le sien. Les critiques qui se focalisent sur sa haine de l'Autriche l'ont-ils bien lu ? Comme si la France devaient être épargnée... Si ses romans n'étaient que ça, quelle en serait la portée universelle ?

*  « [...] les voyages autour du monde, une fois qu'on les regarde de plus près, ne valent pas beaucoup plus qu'une promenage au Prater.» [À Vienne, le Prater est une sorte de parc d'attractions], Les Mange-pas-cher, trad. Claude Porcell, p.99, Gallimard/nrf, 2005

quoi qu'il en soit je suis persuadé que, comme beaucoup d'écrivains des siècles précédents, il se serait volontiers passé de tout intermédiaire si Internet avait existé
« Il n’y a rien à célébrer, rien à condamner, rien à dénoncer,
mais il y a beaucoup de choses dérisoires […].
L’État est une structure condamnée à l’échec permanent,
le peuple une structure perpétuellement condamnée à l’infamie et à l’indigence d’esprit.  »

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Message par Invité Lun 27 Avr - 8:59

27 avril
au secours, l'art au service de la révolution revient
la "poésie communiste" tue les deux : la poésie et le communisme
il fallait qu'à la simple incompréhension du rapport entre poésie et réel, du fonctionnement profond et quasi définitoire de la poésie, caricaturé dans le gauchisme esthétique ignorant qu'il reprend le réalisme socialiste à l'honneur sous Staline, il fallait qu'à ce qu'on peut admettre comme incompréhension, méconnaissance de ce qu'est la poésie, quelqu'un en rajoute. C'est fait, et l'on ne s'étonnera pas que ce soit le fumeux 'communisateur' Carbure
Carbure a écrit:@carbureblog, 25 avril
Marre de partager des vidéos de violences policières, d'exhiber le travail des porcs qui pourraient se reconnaître et en être fiers et du coup à la place je vais partager un peu de poésie communiste, si ces mots peuvent avoir un sens, ici et maintenant
doléance

le "poète" en question n'est pas tant en cause, car seules les traductions, et non les originaux, sont communiquées, ce qui est toujours problématique en la matière, mais la posture de lecture, et l'usage proposé par ces "camarades" dans la diffusion de ces poèmes. Néanmoins, je me demande où est la poésie là-dedans, le son, le rythme, et du coup ce qui participe aussi du sens en poésie, pas seulement par celui des mots, justement

ironie du sort, Carbure régresse en deçà de la critique par Aragon même, et bien d'autres, communistes ou pas, de la poésie dite "engagée", ici dite en présentation "militante". N'en déplaise, même le si conspué Hourra l'Oural était infiniment plus écrit, du point de vue poétique

j'ai souvent dit que cette question du rapport entre art et communisme était une des plus difficiles à saisir pour qui n'en a pas une connaissance et une pratique (de l'art comme praxis), mais aussi une des plus fécondes pour penser le renversement révolutionnaire de la créativité humaine une fois débarrassée de l'emprise de la valeur. Malheureusement, la posture gauchiste, assez vulgaire chez Carbure pour un prétendu théoricien de la communisation (ni Astarian ni RS, ni Dauvé ne sont jamais tombés dans ce travers), continue à faire des ravages idéologiques

m'enfin, ce que j'en dis, n'est-ce pas...
22 avril
au secours, Marina Tsvetaïeva, reviens !
de l'art "engagé", le gauchisme esthétique dans toute sa splendeur, poésie qui est à l'ultragauche aujourd'hui ce qu'était le réalisme socialiste au temps de Staline, au service de la révolution et du parti
Prada-Meinhof a écrit:@Prada_Meinhof 21 avril 2020
copie entre autres à @outsidadgitator @joshuaclov3r @commune_mag @CommuneEditions @prolewave @AgitationsToto @carbureblog @Prolapsarian @MuteMagazine @proteanmag @endnotesjournal

"Ce blog est issu d’un projet de traduction collective des œuvres du poète de langue anglaise, Sean Bonney (1969-2019), dont la cosmogonie personnelle s’illuminait d’un communisme qui est aussi le nôtre."

doléance

Aujourd’hui on a annulé les oiseaux charognards
et nous sommes amoureux et nous dormons en paix.
Il y a des flics dans nos oreillers.
Essaye de dire que leurs assassins bossent pour nous.

*

Nos maisons sont bondées si étroitement
Qu’elles ne sont plus des maisons. Va comprendre.
Ça nos lits ça nos restes de bouffe
Nous mangeons de la même bouche. Nous n’avons plus
L’usage de nos os. Nous sommes désespérés nous sommes fabuleux
nous sommes Possiblement morts.
                                              4 heures du mat. Dors baise défonce-toi
et ce monstre dans le ciel qui relève nos coordonnées.

Des fantômes marchent à midi. Tout un chacun une arme.


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Message par Invité Dim 10 Mai - 6:50

8 mai, complété
CONTREPOINT "POÉTIQUE"
avec cette nuit les messages reprenant le thème de l'art de la fugue*, autrement dit un contrepoint, je mets en évidence l'unité contrapunctique de mes diverses approches, théorique, poésique, musicale... Voilà ce que j'entends par poétique générale, forme et contenu ensemble en mouvement

* L'ART DE LA FUGUE avec Thomas Mann, FUGUE EN SI SOL, sonnet, AVEC LE TEMPS..., passage de témoin...

il n'est pas un hasard que je sois tombé sous le charme intellectuel du Docteur Faustus de Thomas Mann, roman dont les enchevêtrements des temps, de type musicaux, et les entrelacs polyphoniques construisent, en une harmonie mouvante, comme une fugue et contrepoint, transposant la vie de Nietzsche en celle d'un compositeur sombrant dans la folie, avec de passionnantes et savantes considérations sur la musique et son histoire jusqu'à la deuxième guerre mondiale. Je me plais à penser que mes diverses approches fonctionnent, en mode léger, sur une modèle semblable. C'est à ce titre un roman beaucoup mieux "philosophique" que La recherche de Proust. Or il n'y a de tous les arts que la musique pour y parvenir. Proust (1871-1922) certes « place la musique au-dessus de tous les arts, au-dessus même de la littérature » (Marcel Proust et la musique), mais ses références sont moins modernes et sa connaissance musicologique moindre que celles de Thomas Mann (1875-1955), très au fait, par Schöenberg et Adorno, des derniers développements contemporains. Sans doute aussi une différence de générations, ou de longévité...

c'est à se demander si le concept de fugue et contrepoint ne serait pas supérieur, méthodologiquement, à celui de dialectique

mais, un temps pour chaque chose, il en est un où enrichi d'un atterrissage forcé sur le dur sol du réel, il faut remettre sur le métier de créer pour reprendre son vol où le temps suspendu nous attend

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Message par Invité Ven 26 Juin - 12:07

une excellente étude qui expose une poétique avec laquelle je me sens en phase (on n'est pas loi d'Édouard Glissant, Maryse Condé et Toni Morrison). Nombre de références déjà croisées, une bibliographie comme je les aime : on est chez nous !
Cosmo-poétique du refuge
Dénètem Touam Bona, Terrestres, 15 janvier 2019

Ce texte a initialement été publié dans le numéro 12 de la revue Z, qui l’a aimablement mis à notre disposition. Il s’agit ici d’une version légèrement remaniée par l’auteur.

Le marronnage se déploie sur près de quatre siècles dans les Amériques et les archipels de l'océan Indien. A Haïti, le monde afro-diasporique s'est construit contre la propriété privée et la quête du profit. De la colonie à notre société de contrôle, la sécession marronne ne demande qu'à être réinventée.

« Nous sommes la semence de la Terre
La vie en perpétuel devenir. »

Octavia E. Butler, La Parabole du semeur

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Extrait du roman graphique Angola Janga, de Marcelo D’Salete, Traduction de Dominique Nédellec, Editions ça et là. Marcelo D’Salete, auteur brésilien, a mené onze ans de recherches afin de raconter la “petite Angola”, le plus grand quilombos du Brésil, créé à la fin du XVIe siècle et détruit cent ans plus tard. Ce lieu de refuge pour esclaves marron.nes rassembla pendant des décennies jusqu’à 30 000 habitant.es.
« À São Tomé, les esclaves se révoltent, se réfugient dans les montagnes d’où ils opèrent de véritables raids sur les plantations quelques années après la mise en place de ce régime de culture1. ». Nous sommes en 1555, au large des côtes africaines, dans un des nombreux archipels portugais de l’océan Atlantique, lors d’une des premières insurrections marronnes d’envergure. Le marronnage sera désormais indissociable du système proto-industriel de la plantation dont l’île de Sao Tomé fut le principal laboratoire africain avant son transfert et son perfectionnement au Brésil. Tout comme l’esclavage colonial, le marronnage commence sur les terres africaines : il est d’emblée transatlantique. Mais c’est bien sûr dans les Amériques – devenues le cœur du système esclavagiste – que cette forme de vie et de résistance connaîtra son plus grand essor, jusqu’à devenir la matrice de véritables sociétés marronnes.

Le marronnage – le phénomène général de la fuite des esclaves – peut être occasionnel ou définitif, individuel ou collectif, discret ou violent ; il peut alimenter un banditisme (cow-boys noirs du Far West, cangaceiros du Brésil, pirates noirs des Caraïbes, etc.) ou accélérer une révolution (Haïti, Cuba) ; il peut recourir à l’anonymat des villes ou à l’ombre des forêts. Inutile donc de chercher une définition précise car, profondément polyphonique, la notion de « marronnage »2 renvoie à une multitude d’expériences sociales et politiques, se déployant sur près de quatre siècles, sur des territoires aussi vastes et variés que ceux des Amériques ou des archipels de l’océan Indien. L’essentiel est de comprendre que sur l’ensemble de ces territoires, la mémoire des neg mawons (Antilles francophones), des quilombolas (Brésil), des palenqueros (Amérique latine) continue à irriguer les luttes contemporaines à travers des pratiques culturelles (maloya, capoeira, cultes « afro-diasporiques », etc.) qui, parce qu’elles réactivent la vision des vaincu.es ‒ leur version de l’histoire et donc de la « réalité » ‒, subvertissent l’ordre dominant. Si, dans mon travail, je privilégie la « sécession marronne » ‒ et par « sécession » j’entends ici le retranchement sylvestre de subalternes, quels qu’ils soient, sous la forme de communautés furtives ‒, c’est parce que le marronnage y apparaît pleinement comme matrice de formes de vie inouïes.

Situées dans des zones tropicales, les plantations sont souvent entourées de bois denses et inextricables, de marais et mangroves labyrinthiques, de mornes (collines) escarpés à la végétation touffue, de caatingas [arbrisseaux épineux, ndlr] arides et agressives ; et toutes ces étendues hostiles – à la pénétration de la ci-vi-li-sa-tion – constituent autant d’espaces de disparition. La « Forêt » ‒ l’ensemble des lignes et éléments qui recouvrent l’homme d’un treillis végétal ‒ offre donc aux marrons un refuge, une citadelle, un lieu de vie privilégié.

La racine latine de « forêt », « foras » (« en dehors »), nous indique que les espaces sylvestres ont toujours constitué un « dehors » pour la « civilisation » : le dehors de la « sauvagerie »3 ‒ de la « zone de non-droit », dirait-on aujourd’hui. Si l’on veut riposter à l’offensive globalisée des conquistadores sans visage (les multinationales de l’extractivisme, de la marchandisation du vivant, etc.), il nous faut, sous la conduite des chamans, des n’ganga, des fundi madjini et autres maîtres de l’invisible, redécouvrir dans la forêt notre propre puissance : celle du vivant qui s’y manifeste, mais aussi de communautés et de peuples qui se dressent dans leurs replis forestiers (marrons et Amérindiens des Amériques, zapatistes, ZAD, « jungle » de Calais, etc.).

POÉTIQUE, la mienne et d'autres MARON_04
Extrait du roman graphique Angola Janga, de Marcelo D’Salete, Traduction de Dominique Nédellec, Editions ça et là

« BABYLON SYSTEM IS THE VAMPIRE »
« L’expression “pays en dehors”, par laquelle on désigne le monde rural haïtien, exprime une exclusion séculaire. Toute la paysannerie, la majorité de la population haïtienne, s’est organisée en poche de résistance face à un État vampire ; elle s’est donc organisée avec sa religion, sa culture, son mode de vie propre. […] La société est marronne car depuis sa constitution l’État haïtien incarne la nouvelle figure du maître. »4 Il serait bien trop long de revenir sur le détail et les enjeux de la Révolution haïtienne qui donne naissance en 1804 à la première république noire. Certes, elle est dans son principe anti-esclavagiste, mais la réalité est plus complexe car, dès le départ, les leaders officiels de cette insurrection ont tendance pour toute une série de raisons à reproduire le modèle qu’ils étaient censés abattre. La Révolution haïtienne ne renverse le système esclavagiste que pour inaugurer une république noire qui se comportera vis-à-vis de sa propre population comme un État colonial : les « grandons » (grands propriétaires terriens) et l’armée constitueront pour la masse des cultivateurs et cultivatrices « bossales » (« né.es en Afrique ») autant de forces d’occupation et d’exploitation. Il est nécessaire de préciser qu’au moment de la Révolution, les deux tiers de la population de l’île sont des « nègres bossales » perçu.es par les « libres de couleur » (les « créoles » nés sur place) comme des « sauvages africain.es ». Or la nouvelle élite créole qui prend les rênes du pouvoir, après l’indépendance, n’aspire qu’à reproduire la « civilisation », le mode de vie et de développement occidental.

Un des intérêts de cette territorialité paradoxale du « pays en dehors », c’est de rappeler que le marronnage est un type de résistance qui peut être activé et se penser au-delà même du contexte esclavagiste. La sécession marronne est la première forme d’anarchisme afro-diasporique : elle déjoue autant les prises du capital que celles de l’État.

« Le grand man (chef) ne possède à peu près aucun pouvoir temporel. (…) Pour tout ce qui concerne la vie matérielle, chacun a le droit absolu, on pourrait même dire le devoir, d’agir comme bon lui semble, dans la mesure où il ne lèse personne. (…) On ne pratiquait chez eux aucune forme de commerce, cette activité étant manifestement liée pour eux à l’idée d’exploitation d’autrui. »5 Africains de Guyane, Jean Hurault, éd. Mouton, 1970, p. 20-22. Comme le souligne Jean Hurault, les Bonis (un des peuples bushinengués de Guyane) ont mis au point une série de mécanismes prévenant l’accumulation du pouvoir et de la richesse. Il s’agit pour la communauté marronne de conjurer le risque de la formation en son sein d’un pouvoir séparée d’elle-même : la domination d’un appareil étatique6. L’expérience du marronnage a modelé l’ensemble de la culture bushinenguée, ce qui explique les interdits pesant traditionnellement sur le commerce ou l’emploi d’autrui (ce n’est plus le cas à présent) et le caractère sacré, comme dans le rastafarisme, de l’autonomie de la personne.

Quand en 1940, en Jamaïque, au sommet d’une montagne boisée, Leonard Percival Howell fonde la première communauté rastafarie qu’il baptise « le Pinnacle »7, il reprend en fait le geste des « maroons » (Noir.es marron.nes jamaïcain.es). À travers la recherche d’une autosuffisance alimentaire et la mise en commun des terres et des moyens de production, Howell rejoue la quête marronne d’un « dehors » de la société coloniale. « Babylon system is the vampire », nous rappelle Bob Marley. Dans la lecture marxiste, libertaire et panafricaniste de la Bible qu’opère le rastafarisme, Babylon figure tout système de prédation, d’exploitation, d’aliénation. L’esclavage colonial ne représentant qu’une des modalités du capitalisme et de l’État, Babylon se perpétue sous de nouvelles formes comme les multinationales, le consumérisme, le star-system, etc. Pourquoi cette référence au vampire ? Parce que ce que le vampire chasse, c’est l’homme. Or le système esclavagiste est un système de chasse à l’homme. Et le maître ‒ c’est-à-dire, selon Karl Marx, le « capital », dont le premier serviteur est l’État ‒ s’apparente au « vampire qui ne s’anime qu’en suçant le travail vivant, et sa vie est d’autant plus allègre qu’il en pompe davantage »8.

L’ORGANISATION RYTHMIQUE DU « COUMBITE » S’OPPOSE À TOUTES LES HIÉRARCHIES
Dans les mornes d’Haïti, c’est à travers le rythme que se transmet et se réinvente la tradition des sociétés de travail africaines, au fur et à mesure que les ancien.nes esclaves s’approprient des lopins de terre pour garantir une liberté conquise de haute lutte contre les troupes napoléoniennes, mais aussi, après la Révolution, contre les tentatives des nouvelles élites créoles de rétablir le régime disciplinaire des grandes plantations (instauration du travail forcé par le biais de lois criminalisant, comme en Occident, le « vagabondage »). Reprenant à leur compte les pratiques d’alliance développées au sein des communautés marronnes, ces groupements de paysans reposent sur des principes de réciprocité et d’égalité : on cultive la terre du prochain qui, à son tour, cultivera la vôtre. Le travail n’est pas payé mais échangé. Dans le cas de l’« escouade » haïtienne, huit cultivateurs travaillent ensemble toute l’année sur les terres respectives de chacun des membres ; chaque « compère » bénéficiant du travail de tous les autres un jour par semaine. C’est un système extrêmement égalitaire : celui qui commande l’escouade est le propriétaire du champ. La rotation des champs entraîne donc la rotation du « commandement ».


« ‒ Alignez ! criaient les chefs d’escouade.

Le Simidor [le maître tambour, ndlr] Antoine passait en travers de ses épaules la bandoulière du tambour. Bienaimé prenait sa place de commandement devant la rangée de ses hommes. Le Simidor préludait un bref battement, puis le rythme crépitait sous ses doigts. D’un élan unanime, ils levaient les houes haut en l’air. Un éclair de lumière en frappait le fer : ils brandissaient, une seconde, un arc de soleil.

La voix du Simidor montait rauque et forte :

‒ A tè…

D’un seul coup les houes s’abattaient avec un choc sourd, attaquant le pelage de la terre. (…) Les hommes avançaient en ligne. Ils sentaient dans leurs bras le chant d’Antoine, les pulsations précipitées du tambour comme un sang plus ardent. (…) Une circulation rythmique s’établissait entre le cœur battant du tambour et les mouvements des hommes : le rythme était comme un flux puissant qui les pénétrait jusqu’au profond de leurs artères et nourrissait leurs muscles d’une vigueur renouvelée. »

Gouverneurs de la rosée, Jacques Roumain, éd. Le Temps des cerises, 1944, p. 17-19.

En assurant la synchronie des gestes, la cadence régulière des efforts, l’alignement chorégraphique des corps, le rythme produit la communauté fraternelle des « compè » (« paysan.nes », « compères »). Cette tradition du travail dansé et chanté a pris dans le sud des États-Unis la forme des work songs, la matrice du blues. Travailler ensemble, c’est épouser une pulsation collective, vibrer à l’unisson, communier en un même chant. « Cette société refuse les structures sociales dès qu’elles peuvent déboucher sur des structures de pouvoir (…). Elle a trouvé dans le rythme l’outil idéal pour faire émerger des modes spontanés et immédiats d’organisation lui permettant de maîtriser aussi bien la production matérielle que le sacré. »9 Dans le monde rural haïtien, le rythme représente un principe d’organisation sociale à part entière qui, par le biais de pratiques telles que le coumbite (société de travail), s’oppose à toute hiérarchie.

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Extrait du roman graphique Angola Janga, de Marcelo D’Salete, Traduction de Dominique Nédellec, Editions ça et là

LE VODOU, UNE ÉCOLOGIE POLITIQUE
Aujourd’hui, le puissant hululement du lambi (conque marine) ‒ ancien signal de ralliement des marron.nes – résonne encore parfois, d’une vallée à l’autre, sur les pentes abruptes des montagnes d’Haïti. Avec la rhapsodie des chants de travail, la palpitation des tambours, le martèlement des houes, il fait du monde paysan un paysage musical et mystique. La nuit venue, les sociétés de l’« avant-jour » (sociétés de travail) se transforment parfois en confréries vodoues ; au labeur diurne succède alors la transe nocturne. Des coumbites aux cérémonies mystiques, c’est une même rythmique qui se propage, et avec elle une même cosmovision afro-diasporique : une conception du monde qui s’oppose, point par point, aux valeurs du système capitaliste (propriété privée, quête du profit, etc.). La dispersion aléatoire de l’habitat, la mobilité extrême des cultivateurs, le rapport cosmique à la terre, toute une série d’éléments font de la culture paysanne haïtienne une formidable riposte au système de la plantation. Loin de se réduire à des pratiques de « magie noire » ou à des superstitions, le vodou met en oeuvre une spiritualité (j’ai enlevé « religion » qui n’est pas approprié vu l’absence de dogmes, la plasticité des rituels, etc.) et un rapport au monde singulier, la matrice d’une agriculture cosmique : hériter d’un champ, c’est en effet hériter des lwas (esprits vodous) qui l’habitent, les seuls vrais possesseurs de la terre. Le vodou constitue une écologie politique, car il institue un rapport d’alliance entre les communautés qui cultivent et le milieu de vie dont elles ont le devoir de prendre soin, par le dialogue avec les plantes et les éléments.

Passage optionnel pour étayer davantage l’idée d’une écologie intégrée aux cosmologies des peuples autochtones et communautés coutumières des Suds : L’institution du « lakou » ou « demanbré » est l’une des expressions les plus puissantes de l’écologie marronne d’Haïti : il s’agit d’une portion de terre familiale qu’on ne peut vendre, diviser, démembrer, transformer en propriété parce qu’elle est liée aux « lwa heritaj » – les ancêtres et divinités tutélaires de la famille. L’ancrage de la famille paysanne dans une territorialité ancestrale constitue, à Haïti, le plus puissant outil d’auto-défense 10 contre les processus d’enclosure, de privatisation, d’accaparement capitaliste des terres. L’écologie intégrée du vodou se manifeste également dans les luttes contemporaines de certains collectifs haïtiens visant à créer ou à réactiver des « forêts sacrées » : réarmer la « nature » en la réenchantant11…


La nanm [âme, force cosmique, ndlr] des plantes est conçue de façon plus personnelle que celle des autres objets. Les “docteurs-feuilles” [guérisseurs, ndlr] profitent du moment où ils les croient engourdies par le sommeil pour s’en approcher et les cueillir tout doucement afin de ne pas effaroucher leur nanm. En les arrachant, ils murmurent : “Lève-toi, lève-toi, va guérir un malade. Je sais que tu dors, mais j’ai besoin de toi.” Ils ont soin de déposer au pied de la tige quelques sous qui représentent le salaire offert à l’âme pour l’effort qui lui sera demandé. (…) Le bûcheron qui s’apprête à abattre un arbre frappera le tronc du revers de sa hache afin d’avertir l’âme qui l’habite et lui donner le temps de s’en aller. (…) À côté de la “grande âme de la terre” (gâ nâm tè), chaque champ est animé par un esprit qui, agissant sur les plantes, en assure la fertilité. L’âme de la terre n’est pas immatérielle. Le cultivateur qui, en plein midi, travaille son champ peut sentir sa présence comme une brise sur son visage et voir son ombre se profiler derrière lui.

Le Vaudou haïtien,
Alfred Métraux, éd. Gallimard, 1977, p. 137.

Dans Gouverneurs de la rosée, en 1944, l’écrivain communiste haïtien Jacques Roumain met en lumière la portée utopique des sociétés de travail haïtiennes dont il rêva, un temps, de généraliser le modèle politique et social à l’ensemble de son pays : « Nous [les paysans, ndlr] ne savons pas encore que nous sommes une force, une seule force (…). Un jour, quand nous aurons compris cette vérité, nous nous lèverons d’un point à l’autre du pays et nous ferons l’assemblée générale des gouverneurs de la rosée, le grand coumbite des travailleurs de la terre pour défricher la misère et planter la vie nouvelle. »12 Le « gouverneur de la rosée », c’est le « maître de l’arrosage » (« mèt lawouze »), celui qui est chargé dans la communauté paysanne de la distribution de l’eau et de la répartition entre les paysan.nes des travaux d’irrigation. Ce personnage incarne un idéal de justice, d’équité, de solidarité et de vie harmonieuse avec la nature. Parce qu’elle suppose une organisation autonome et égalitaire, à l’opposé du régime disciplinaire de la plantation, la rythmique mystique du coumbite aura contribué à la genèse d’une Haïti marronne : le « péyi an déyo » (« pays en dehors »).

LA LIBÉRATION DE L’ESCLAVE EXIGE SON « DÉ-CHAÎNEMENT »
Les « nègres » sont des « migrants nus », nous rappelle le penseur martiniquais Édouard Glissant : des hommes, des femmes, des enfants dénudés et réduits à la « vie nue » – strictement biologique – du ventre du bateau négrier. Pourtant, il semble que, dès l’embarquement, quelque chose d’inscrit dans les corps ait résisté à la mise à nu, au raturage de la mémoire, à la zombification, à toute cette sorcellerie esclavagiste qui s’acharne à transformer des humains en bétail de plantation. En effet, ce ne sont pas des corps nus que décrivent les documents de l’époque, mais des corps-hiéroglyphes, des corps parcourus de motifs indélébiles. Une description parmi d’autres : « Congo portant des marques du pays formant une croix sur chaque sein. » Ces scarifications sont les seules traces visibles que les déporté.es subsaharien.nes conservent de leur terre natale : une cartographie existentielle gravée à même la peau. Le corps scarifié est corps-mémoire : surface où se déploie l’écriture d’un peuple, le récit singulier d’une vie, la généalogie d’un clan. Dans les sillons, les crevasses, le relief accidenté de sa chair, le « nègre » trouvera toujours l’assurance de son humanité : d’où il vient et quelle est son histoire.

Mais à cette écriture à vif se juxtapose un marquage invisible, plus intime, opérant à la jonction de l’esprit et de la chair : le tatouage rythmique des corps afro-diasporiques. La mémoire du corps n’est pas statique, elle est motrice, dynamique, ne s’actualise que dans des gestes, des postures, dans toute une série de pratiques corporelles telles que la danse ou la musique. Les rythmes de l’Atlantique noir se confondent souvent avec la répétition même du mythe : son actualisation rituelle. Ce dont témoignent les cérémonies du candomblé, du vodou ou de la santeria où chaque « divinité a ses motifs joués par les tambours, répétés indéfiniment et qui constituent comme une sorte de leitmotiv wagnérien de cette mystique africaine » 13 Roger Bastide voit dans le rythme la source d’un véritable « mysticisme africain ». À cette mystique « afro » qui s’enracine dans les résonances du corps, il oppose la mystique chrétienne qui suppose, à l’inverse, l’extinction de ce dernier. À travers le tatouage rythmique de leurs corps, c’est donc toute une cosmovision que les migrant.es nu.es ont apportée avec eux dans la cale du négrier. Et les résistances noires se déploieront précisément à partir de la réactivation créatrice de cette mémoire, à partir de la pensée incarnée qu’est le rythme. La libération de l’esclave exige la réappropriation de son corps : son « dé-chaînement »

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Marcelo D’Salete / extrait du roman graphique “Angola Janga”

LES MÉTAMORPHOSES DE LA TRANSE
À l’origine, tout rythme est rythme d’une course : martèlement des pieds sur le sol, martèlement du cœur sous la poitrine, martèlement des mains sur la peau tendue. C’est d’abord au moyen du rythme que le « nègre » trace une ligne de fuite. Propulseur de rêves, le phrasé rythmique opère des distorsions à même les corps et l’espace-temps. Dans la transe, le possédé est le cheval des dieux. En terre d’esclavage, ce théâtre de l’invisible ne peut être que subversif : le temps d’une cérémonie, la condition d’esclave est suspendue, niée, renversée, « abolie ». Traversant le cycle des métamorphoses mystiques, le « nègre » passe ainsi de l’esclavage à l’épiphanie des dieux : « Le visage se métamorphose ; le corps tout entier devient le simulacre du dieu. »14 Or de quoi une divinité pourrait-elle avoir peur ? « Ce qu’ils firent en premier lieu, ce fut entrer dans les cœurs et les têtes de leurs fils, insufflant dans leurs gorges les cris de guerre de leurs ancêtres, les Ochossi les plus assourdissants, les Changô les plus irrésistibles, chacun ne ressentant ni peur ni douleur, tous combattant comme le vent qui fait ployer les herbes. »15 C’est ainsi que l’écrivain brésilien João Ubaldo Ribeiro décrit la montée en puissance des quilombolas, les marron.nes du Brésil.

La transe est une technique d’intensification des flux : le corps n’est plus collection d’organes mais onde vibratoire. La métamorphose advient à travers les pulsations rythmiques d’un érotisme sacré. Le corps possédé est corps carnavalesque, utopique, où s’opère la subversion de l’identité, de l’état civil, de la machine binaire des genres. Des métamorphoses de la transe aux transformations carnavalesques, on retrouve les mêmes phénomènes d’inversion des rôles, de renversement des hiérarchies, de parodie des conformismes et des pouvoirs. La transe implique d’emblée une « trans-sexualité », car les lwas chevauchent les ounsi (initiés) indépendamment de leur sexe 16.

Chevauchée par Ogun, le dieu yoruba de la guerre, la plus frêle des jeunes filles brandira en l’air une machette en guise d’épée, affectera un langage de soudard, réclamera haut et fort du rhum et courra après les jupons de l’assemblée. Monté par Erzulie Freda, l’équivalent vodou de Vénus, le plus athlétique des hommes se maquillera avec application, délaissera le pantalon au profit de la robe, et, balançant les hanches, jetant des œillades langoureuses, déambulera parmi les mâles en quête d’un baiser ou d’une caresse. Parce qu’ils transgressent quotidiennement l’ordre social hétéronormé « consacré » par l’Église (une des matrices de l’ordre colonial), parce que leur mode de vie même suppose déjà une sorte de métamorphose, travestis et homosexuels occupent une place privilégiée dans le vodou17.

LA SOCIÉTÉ SECRÈTE, L’ALLIANCE NOCTURNE DU MARRONNAGE ET DU VODOU

La commission, informée que des rassemblements dangereux, connus sous le nom de Vaudou, continuent malgré les défenses qui avaient été faites par les autorités constituées ; Considérant que cette danse semble avoir pour but de rappeler des idées dangereuses sous un gouvernement républicain (…). La commission a arrêté et arrête ce qui suit : Art. 1. Les rassemblements connus sous le nom de Danse du Vaudou sont sévèrement défendus.
Extrait du Bulletin officiel de Saint-Domingue (1797)18

C’est dans l’appel aux dieux de « Guinée » 19‒ mobilisation d’une mémoire africaine composite ‒ que les résistances populaires afro-américaines puisent leur fougue et leur puissance. Expérience spirituelle où le corps devient lieu d’initiation et de konesans, la transe fournit le modèle général du dé-chaînement de l’esclave. Le déclenchement des révoltes correspond toujours au déchaînement des puissances cosmiques. En témoigne l’événement fondateur de la Révolution haïtienne, « Bois-Caïman », la cérémonie vodoue où fut scellée dans le sang, en 1791, la conjuration des esclaves et des marron.nes insurgé.es. L’abolitionnisme des Jacobins noirs fut à la fois mouvement révolutionnaire et accomplissement de la Révolution française20 dans sa pleine radicalité ; et cela bien avant le décret d’abolition de Victor Schoelcher (1848) dont la célébration tend à exclure les afro-descendant.es de leur propre libération.

Ce qui distingue radicalement la Révolution haïtienne des Révolutions française et américaine, c’est précisément la façon dont elle est travaillée en profondeur par une spiritualité politique afro-diasporique. À la fin du XVIIIe siècle, c’est au cours des réunions nocturnes des « calendas » et « vaudous » que se diffuse la subversion, que s’organisent des réseaux de dissident.es, que se nouent des solidarités et des engagements secrets. Le marronnage est précisément le secret comme « sécrétion », comme forme de vie, comme mode opératoire. Il commence dans le recours à la nuit quand, profitant de l’ombre, les esclaves s’esquivent des « habitations » (plantations et cases) pour communier dans des danses, des prières, des serments cachés. Les familles mystiques (les initié.es des cultes afrodescendants sont considéré.es comme des fils et filles des dieux) qui naissent à l’occasion de ces réunions nocturnes constituent autant de microcosmes clandestins : des sociétés parallèles qui, subrepticement, ne cessent de travailler, d’infiltrer, de subvertir l’ordre esclavagiste. Quelle que soit la forme de dissidence envisagée, le secret y joue toujours un rôle créateur et dynamique : pratique du secret (mots de passe, chiffrements, itinéraires chantés, etc.), expérience du secret (souvent une expérience du sacré, le secret constituant un savoir interdit), communauté du secret (celle des conjuré.es que le secret lie). Dans le contexte esclavagiste, cultes et sociétés secrètes constituent des formes privilégiées de résistance populaire ; elles servent en effet de ciment unificateur aux esclaves et marron.nes. « Les sociétés secrètes ont constitué à travers l’histoire d’Haïti une expression de la résistance populaire face à la tyrannie et au désordre de l’État. Apparues durant la période coloniale, resurgissant au début du XIXe siècle (…), elles continuaient l’esprit du marronnage et s’inscrivaient dans l’imaginaire du vodou. »21 C’est dans la société secrète que se perçoit le mieux, à Haïti, l’alliance nocturne du marronnage et du vodou.

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Extrait du roman graphique Angola Janga, de Marcelo D’Salete, Traduction de Dominique Nédellec, Editions ça et là

LA DISSIDENCE PROCÈDE TOUJOURS D’UNE RUPTURE DU CONTINUUM TEMPOREL
Des confréries secrètes vodoues aux bandes marronnes furtives, c’est un même mode mineur d’« exi-stance », une même stance poétique, une même puissance opaque qui se déploie : la nuit, on complote, on danse, on rêve, on prie, on écrit, on débat, on sacrifie. À l’image des afro-descendant.es, des artisan.nes et prolétaires d’Europe ont eux aussi recouru à l’opacité de la nuit et au chiffrement des chuchotis : « La Société des fondeurs de fer, créée en 1810, se serait réunie durant les nuits noires, sur les sommets, les landes et les friches des régions montagneuses des Midlands. (…) Les prestations de serment et les cérémonies d’initiation destinées à frapper les esprits étaient probablement assez répandues. »22 La dissidence procède toujours d’une rupture du continuum temporel. Rupture du récit des vainqueurs – cette fable qui rend les subalternes hideux à leurs propres yeux –, mais aussi rupture de la succession aliénante du travail et du repos, comme l’explique Jacques Rancière dans son essai consacré à la genèse du mouvement ouvrier : « Tout commence à la tombée de la nuit quand, dans les années 1830, un certain nombre de prolétaires décident de briser le cercle qui place le sommeil réparateur entre les jours du salaire. »23

L’histoire des révoltes amérindiennes présente des similitudes avec celle des révoltes afro-américaines. Dans les sociétés autochtones, la conquête espagnole provoqua un traumatisme collectif inouï : la mort des dieux, la chute et la brisure du Soleil (un « effondrement » qui préfigure celui du monde globalisé contemporain). Aussi, les grandes révoltes amérindiennes débutaient-elles toujours par la résurrection des divinités et l’abjuration de la foi chrétienne. C’est ainsi qu’en 1541 éclate dans le nord du Mexique, sur les terres des nomades chichimèques, une des plus terribles rébellions indigènes qu’ait connues l’Empire espagnol : la « guerre de Mixton ». Elle avait pour leaders des sorciers « sauvages » qui « annonçaient la venue de “Tlatol”, accompagné de tous les ancêtres ressuscités »24. De la même façon, c’est en ressuscitant Ogun, Changô, Legba et en composant de nouvelles divinités que les afro-descendant.es donnèrent un esprit à leurs combats. La ligne de fuite du marron se conjugue avec la ligne d’« au-delà » du sorcier : un au-delà du visible qui est aussi un au-delà de la réalité coloniale, une projection d’un monde à la fois passé et à venir, ce qu’Édouard Glissant appelle une « vision prophétique du passé » : « À l’intérieur de cette contestation globale qu’est le marronnage, le quimboiseur [devin-guérisseur, ndlr] est en quelque sorte l’idéologue, le prêtre, l’inspiré. C’est en principe le dépositaire d’une grande idée, celle du maintien de l’Afrique, et, par voie de conséquence, d’un grand espoir, celui du retour à l’Afrique. »25

LE CONTINUUM DES RÉSISTANCES
« L’idéalisation de l’esclave révolté, voire révolutionnaire, tendait à privilégier le combat des hommes aux dépens de celui des femmes et à sous-estimer les formes de lutte et de résistance moins manifestes grâce auxquelles l’immense majorité des esclaves avaient survécu et une minorité d’entre eux, dont de nombreuses femmes, s’étaient libérés. (…) La résistance discrète ou “subtile” était plus efficace à long terme que la révolte violente, laquelle, à quelques exceptions près, conduisait irrémédiablement à la répression massive, sanglante et exemplaire. »26 Aussi, pour dépasser le syndrome de Spartacus ‒ cette manie de voir dans l’esclave mâle rebelle le modèle ultime du combat contre l’esclavage ‒, nous faut-il concevoir les résistances afro-descendantes comme un continuum qui va du ralentissement du travail à la sécession marronne, en passant par les révoltes à mains nues et les suicides sur les bateaux négriers. Il n’y a donc pas à opposer des « nègres.ses » qui seraient resté.es docilement sur les plantations à d’autres, les « nègres.ses marron.nes », qui auraient été héroïques. À moins d’exclure, par exemple, les résistances « subtiles » développées par les femmes noires : la richesse des modes de transmission de la mémoire, la maîtrise de la pharmacopée et des cosmologies associées27, le pouvoir d’influence et de nuisance de la « Cocotte » (la favorite) sur le maître, l’infanticide en tant que geste d’amour paradoxal (magnifiquement dépeint dans l’incandescent Beloved de Toni Morrisson28), etc. Pour comprendre comment il trace une ligne de fuite depuis le « dedans » même du système esclavagiste, le marronnage doit être pensé comme un processus continuel de libération. En effet, c’est par le biais de pratiques culturelles telles que les communions mystiques et festives des macumbas [équivalent brésilien du vodou, ndlr], les joutes verbales des veillées de contes, les variations créatrices des parlers créoles et des negro speeches que les esclaves conquièrent des espaces de liberté au sein même de la plantation. La communauté marronne n’est que l’aboutissement ultime de ces processus de subjectivation, de ces arts de soi au moyen desquels – par l’improvisation, la variation continue des rythmes, du phrasé corporel et vocal – l’esclavagisé.e échappe à la néantisation propre à la condition d’esclave, et advient à l’être, c’est-à-dire redevient, pour lui-même et les autres, sujets d’actions et de créations.

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Extrait du roman graphique Angola Janga, de Marcelo D’Salete, Traduction de Dominique Nédellec, Editions ça et là

LES NEG MAWONS, L’ART DE LA MÉTAMORPHOSE ET DE LA DISSOLUTION DE SOI
À la rupture du continuum temporel, à travers le breakbeat des rythmes afro-diasporiques, correspond une diffraction de l’espace en une multitudes de spatialités inédites (espace-temps du culte, du conte, de la danse martiale, etc.). Mais avec la sécession marronne le combat contre le système esclavagiste entre dans une phase stratégique29 qui déplace et pérennise le théâtre des opérations. Forme collective de la fugue, la « sécession » est résistance « territoriale » : elle fait corps avec un territoire labyrinthique dont les méandres et accidents constituent autant d’alliés naturels pour les rebelles. Le Marron ne fuit pas, il s’esquive, se dérobe, s’évanouit ; et à travers son repli, il se métamorphose et se crée un « dehors » : le Quilombo, le Palenque, le Mocambo, le « péyi an déyo »…

Mais comment ce qui au départ n’est qu’une fuite (même si elle est collective) – un recul face à l’adversité – peut-il donc devenir une forme de lutte remarquable ? La « fuite » des esclaves n’apparaît comme une lâcheté, comme un phénomène passif que si l’on a une conception réductrice de la résistance, que si l’on confond résistance et affrontement, que si l’on en reste à une vision virile et héroïque du combat. De même que la bataille n’est qu’une modalité particulière de la guerre, le face-à-face n’est qu’une modalité particulière de la résistance. La guérilla – la tactique privilégiée des nomades, des marron.nes, de toutes les bandes et minorités en rupture de ban – se présente ainsi comme une « non-bataille » où la ruse, la tromperie, le travestissement, le camouflage, les fuites et attaques surprises se rient de la morale des puissant.es.

À la fin du XIXe siècle, dans le sertão30brésilien, une insurrection millénariste débouche sur la création de Canudos, la « Troie de torchis ». Cette expérience spirituelle et politique s’inscrit dans la continuité des quilombolas dont elle reprend les tactiques de guérilla : « La nature tout entière protège le sertanejo. Elle le taille comme Antée – indomptable. (…) Les caatingas sont un allié fidèle du sertanejo révolté. (…) Elles s’arment pour le combat ; elles agressent. Alors qu’elles s’entrelacent pour l’étranger et se font impénétrables, elles s’ouvrent en de multiples sentiers pour le matuto [le « broussard », ndlr] qui naquit et grandit dans la région. (…) Les soldats s’éparpillent, courent au hasard, dans un labyrinthe de branches. Ils tombent, pris dans les nœuds coulants des quipas [cactées] rampants ; ou s’arrêtent, les jambes immobilisées par des tentacules de fer. »31 Dans Hautes terres, Euclides da Cunha peint avec maestria cette « tactique étourdissante de la fuite » qui modela des formes de vie furtives, ainsi que les paysages torsadés et confus dans lesquels ces dernières s’enchâssaient. Se fondre dans la nature, une des tactiques de base de L’Art de la guerre (Sun Tzu), c’est en épouser le cycle des mutations. Les neg mawons sont des nègres et négresses ninjas qui maîtrisent parfaitement cet art de la métamorphose et de la dissolution de soi. Par leurs gestes et mouvements virtuoses, par leur dislocation rythmique, leurs corps s’épurent, s’effacent, se virtualisent dans le suspens d’une blue note indocile. À l’instar des marron.nes, les insurgé.es de Canudos font corps avec le territoire déployé dans leur repli.

« Cet établissement était très fort ; un marais étendu l’environnait de toutes parts et en formait une île. On ne pouvait y arriver que par des sentiers couverts d’eau, connus seulement des rebelles. »32 Qu’elle épouse la rectitude d’une ligne géométrique ou le serpentement d’une rivière, qu’elle soit fixe ou mouvante, qu’elle ait la matérialité d’une muraille ou la spiritualité d’un relais de forces invisibles (esprits et ancêtres protecteurs séjournant dans les pierres, les animaux, les rivières), une frontière opère l’inscription spatiale d’une collectivité humaine dans un territoire donné. Parce qu’elle instaure et délimite un territoire, une hétérotopie qui court-circuite l’ordre esclavagiste, la sécession marronne produit nécessairement des frontières. Mais celles-ci ne se maintiennent que dans leur propre effacement. La frontière marronne doit en effet marquer, coder le territoire de la communauté sans laisser de traces « visibles », sans laisser prise au repérage de l’appareil de capture colonial. Voilà pourquoi le système défensif des communautés marronnes se présente d’emblée comme un système de camouflage. La sécession marronne est paradoxale car, loin d’inaugurer la naissance officielle d’un nouvel État, elle consacre l’entrée en clandestinité d’une communauté d’indociles. Il s’agit non seulement de combattre l’État esclavagiste mais d’en conjurer le principe même. Que le maître ne puisse jamais faire retour au sein de la société marronne.

LE « DEHORS » EST EN COURS D’ABOLITION
MÉMENTO

Contempler des images de la Terre illuminée la nuit
Observer les synapses phosphorescentes qui s’agitent à sa surface
Et nous enveloppent à notre insu
Comprendre que nous vivons sous un dôme invisible
Faire le deuil de la transgression en tant que geste ultime et héroïque de résistance
Faire le deuil de la pleine lumière virile de l’affrontement
La visibilité est un piège (Foucault)
Cultiver l’ombre des forêts
Prolonger la brume des marais
Ruisseler le long des lignes de faille des cirques et montagnes acérés
Le « dehors » est en cours d’abolition


« Là, tu as le grillage et les barbelés, je coupe, je coupe et j’entre. Le scanner se lève pour contrôler le camion. Je regarde s’il y a la police. J’ouvre le camion, je grimpe dedans. Si personne me voit et qu’il n’y a pas de chien, c’est bon. C’est lui le dernier contrôle, le chien. Si le chien ne sent pas mon odeur, je pars pour l’Angleterre. » 33 C’est ainsi qu’un jeune réfugié éthiopien décrit ses tentatives pour embarquer dans un ferry, depuis Calais. Le nègre marron et le molosse forment un couple indissociable, autant dans l’imaginaire que dans la réalité des sociétés esclavagistes. À l’ère de la cybernétique, le flair et les crocs du limier ont pris les traits d’une frontière mobile et réticulaire34 qui ne se confond plus avec les limites territoriales de l’État-nation. Les frontières sont devenues « smart » (« intelligentes »), de véritables microprocesseurs qui ne cessent de déborder les bordures des nations, de proliférer au sein même de leur dedans au point de transformer en checkpoint le moindre point d’accès à un lieu public ou privé, et en suspect tout élément humain composant un flux. Pour séparer le bon grain de l’ivraie, on a fini par étendre à l’ensemble des humains des procédés dont ne relevaient jusqu’ici que les bipèdes « clandestins » : l’enregistrement des empreintes, l’inquisition biométrique, la détection des « personnes à risque ».

La « smart border »35 est devenue un élément central du système de prédation capitaliste et de la nouvelle gouvernementalité algorithmique : elle joue un rôle essentiel dans la production, par toute une série de dispositifs (un appareil juridique, des institutions transnationales comme Frontex, des camps et centres d’internement, etc.), d’une humanité corvéable et jetable à volonté, sous la figure du « migrant », objet désormais d’une chasse à l’homme perpétuelle le maintenant hors du droit, dans une condition d’apatride et de paria proche de celle de l’esclave. Les reportages consacrés aux marchés d’esclaves en Libye recouvrent du voile du sensationnel ce qui, loin d’être une exception, est devenu la norme : la déshumanisation des « infiltrés »36 à travers des procédures de triage. En décembre 2013, la désinfection au karcher de migrants nus sur l’île de Lampedusa avait suscité des réactions indignées dans les médias internationaux : cela ne pouvait manquer d’évoquer le fonctionnement des camps de concentration nazis. Que le monde ne voie plus rien de sacré dans la nudité d’un être humain (Hannah Arendt), voilà le scandale à la source de tous les autres : les trafics d’organes, l’enfermement d’enfants en centres de rétention (séparés parfois des parents), l’expulsion de réfugiés vers des pays aux régimes autocratiques où ils risquent torture et exécution, etc.

« Le pouvoir spatial de la société de contrôle ne se caractérise plus par l’opposition entre un dedans et un dehors, mais par une gestion différentielle de la perméabilité des lieux. Dès lors, le geste de la transgression n’a plus aucun sens politique. (…) Il n’y a plus de dehors à viser, sortir d’une bulle c’est entrer dans une autre », analyse avec pertinence le philosophe Olivier Razac37. Avec l’abolition en cours du droit d’asile à l’échelle internationale et l’accélération de la sixième extinction de masse des espèces vivantes, c’est la possibilité même du refuge qui, désormais, se dérobe à nous. Quête et production d’un « dehors » de la société esclavagiste, le marronnage ne demande qu’à être réinventé, car il met en œuvre l’utopie en acte du « refuge » dans un monde régi par la chasse à l’homme et le pillage du vivant, duquel nous ne sommes toujours pas sorti.es. La sécession marronne relève donc d’une « cosmo-poétique » (des grecs « kosmos », le « monde » dans la beauté de son ordonnancement, et « poiêsis », la « production » d’une œuvre) : elle est « production d’un monde », création d’un « dehors » qui aura valeur de refuge et d’utopie concrète pour tous ceux et celles resté.es en captivité. Les quilombos représentent en effet « un constant appel, un stimulant, un étendard pour les esclaves noirs » 38.

Il faut insister sur ce fait : le refuge ne préexiste pas à la fugue qui le produit, le « sécrète » et le « chiffre ». L’art de la fugue, dont l’expérience historique du marronnage ne représente qu’une des modalités, est « sub-version » d’un « dedans » (que ce soit la colonie ou notre société de contrôle), aussi fermé et sans issue puisse-t-il nous paraître. La fugue n’est pas transgression illusoire vers un dehors transcendant, mais sécrétion d’une version souterraine ‒ clandestine et hérétique – de la réalité. Car fuguer, ce n’est pas être mis en fuite, c’est au contraire faire fuir le réel, y opérer des variations sans fin pour déjouer toute saisie. Un texte de 2016 contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo, à Bure, dans le département français de la Meuse, enjoint justement à jouer au caméléon, à brouiller les procédures d’identification et de profilage : « Une stratégie de résistance générale et collective peut consister à se rendre indiscernables. (…) Les tactiques et les rôles que nous jouons doivent (…) se transformer au gré des circonstances, des rapports de force (…). Émeutier d’un champ un jour, citoyen légaliste qui demande des comptes le lendemain, danseur fou le surlendemain. »39 Usant de subterfuges, le fugueur se produit comme simulacre, se fait transfuges…

En ces temps sombres où prolifèrent les dispositifs de contrôle, les résistances se doivent d’être furtives plutôt que frontales. Attaquer en terrain découvert, c’est offrir une prise aux multiples pouvoirs qui nous assujettissent et s’exposer à être capturé, discrédité, criminalisé. Il s’agit de résister en mode mineur, car être majeur, mature, responsable, c’est forcément se rendre quand la police, les services secrets, les agences de sécurité nous convoquent pour répondre de nos vies furtives.

Le marronnage relève donc moins de la conquête du pouvoir que de la soustraction à ce dernier. Les tactiques « furtives » sont des tactiques de dé-prise : elles opposent le vide à toute prise. C’est cette puissance corrosive du marronnage vis-à-vis des appareils de capture et des simulacres qu’ils produisent que j’appelle « fugue ». Et par ce mot, j’entends une forme de vie et de résistance qui, loin du face-à-face lumineux de la révolte héroïque, opère dans l’ombre un retrait, une dissolution de soi continuelle. La fugue est ascèse :art paradoxal de la défaite – un « dé-faire » qui s’applique autant aux instances de domination qu’à leur réverbération au plus profond de nous.

Quel sens aurait une vie marronne aujourd’hui ?… Celui, je crois, d’une vie buissonnière qui ne cesserait de se dérober à l’amour du pouvoir et au devenir-fasciste 40 qu’il implique.


Notes
1. ↟ De l’esclavage au salariat. Économie historique du salariat bridé, Yann Moulier Boutang, éd. PUF, 1998, p. 133.
2. ↟ Le terme français « marronnage », centré sur l’individu qui fuit – le « nègre marron » –, ne peut rendre compte de la dimension territoriale de ce type de résistance. À la différence des toponymes « quilombo » et « palenque ».
3. ↟ La racine latine de « sauvage », « silva », signifie « forêt ». Le sauvage est d’abord un homme de la forêt.
4. ↟ Citation de Gary Victor interviewé par Détètem Touam Bona, dans « “Écrire” Haïti… », Africultures, 24/05/2004 (africultures.com).
5. ↟ Africains de Guyane, Jean Hurault, éd. Mouton, 1970, p. 20-22.
6. ↟ La Société contre l’État, Pierre Clastres, éd. De Minuit, 1974
7. ↟ Cf. Le Pinnacle, le paradis perdu des Rastas, Hélène Lee, éd. Afromundi, 2018.
8. ↟ Le Capital, Karl Marx, 1867
9. ↟ Créoles ‒ Bossales. Conflit en Haïti, Gérard Barthélemy, éd. Ibis Rouge, 2000, p. 156.
10. ↟ Au-delà des corps subalternes, on peut étendre les tactiques d’auto-défense qu’analyse Elsa Dorlin, dans Se défendre, aux territoires de résistance institués par les pratiques populaires d’enchantement : cultes, rites agraires, etc.
11. ↟ Cf. Le savant et le politique où Max Weber définit la modernité comme un processus de « désenchantement du monde » : une rationalisation techno-scientifique de la nature.
12. ↟ Gouverneurs de la rosée, op. cit., p. 72.
13. ↟ Images du Nordeste mystique en noir et blanc, Roger Bastide, éd. Actes Sud-Babel, 1995, p. 53.
14. ↟ Le Candomblé de Bahia, Roger Bastide, éd. Plon, 2001, p. 220.
15. ↟ Vive le peuple brésilien, João Ubaldo Ribeiro, éd. Le Serpent à plumes, 1999, p. 381.
16. ↟ La remise en question de la naturalisation du dualisme des genres, des rôles sexuels ne se limite pas au temps de la cérémonie. Ces pratiques spirituelles ne sont pas structurées autour d’un ordre moral.
17. ↟ Voir l’excellent documentaire Des hommes et des dieux, Anne Lescot et Laurence Magloire, prod. Collectif 2004 Images (52 min.).
18. ↟ Les Marrons de la liberté, Jean Fouchard, éd. Henri Deschamps, 1988, p. 360.
19. ↟ Un des termes génériques qui désignent l’Afrique en tant que terre des ancêtres, rapport fantasmé à une origine perdue, comme « Angola » ou « Congo ».
20. ↟ Voir L’Armée indigène. La défaite de Napoléon en Haïti, de l’historien canadien Jean-Pierre Le Glaunec, éd. Lux, 2014.
21. ↟ Misère, religion et politique en Haïti. Diabolisation et mal politique, André Corten, éd. Karthala, 2001, p. 62.
22. ↟ La Formation de la classe ouvrière anglaise, Edward P. Thompson, éd. Gallimard-Seuil, 1988, p. 459.
23. ↟ La Nuit des prolétaires, Jacques Rancière, éd. Fayard, 1997, quatrième de couverture.
24. ↟ La Vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la conquête espagnole (1530-1570), Nathan Wachtel, éd. Gallimard, 1999, p. 279.
25. ↟ Le Discours antillais, Édouard Glissant, éd. Gallimard, 1997, p. 181.
26. ↟ Plus jamais esclaves ! De l’insoumission à la révolte, le grand récit d’une émancipation (1492-1838), Aline Helg, éd. La Découverte, 2016, p. 23.
27. ↟ Moi, Tituba sorcière…, Maryse Condé, éd. Gallimard, 1988, ou Rosalie l’infâme, Évelyne Trouillot, Dapper, 2003
28. ↟ Beloved, Toni Morrison, éd. Babelio, 2004 (trad. de l’américain, première parution 1987
29. ↟ Je reprends ici la distinction établie par Michel de Certeau entre « stratégie » qui suppose un lieu propre (un territoire) d’où conduire des actions, et « tactiques » qui renvoie à des actions, des usages, des ruses qui ne peuvent s’appuyer sur aucun lieu, si ce n’est le corps lui-même. Cf. L’invention du quotidien, M. de Certeau.
30. ↟ Du portugais signifiant « arrière-pays » ou « fin fond », le sertão désigne une région du Nordeste brésilien caractérisée par un climat aride et une végétation composée de cactées et broussailles épineuses.
31. ↟ Euclides da Cunha couvrira cette épopée en tant que correspondant de guerre, de novembre 1896 à l’écrasement de la révolte en octobre 1897. Une année entière, sous la conduite du chef mystique Antônio Conselheiro (« le Conseiller »), les Sertanejos ‒ des paysans pauvres, d’anciens esclaves, des Amérindiens, des déserteurs, avec leurs familles ‒ vont défier l’« ordre et le progrès » (devise) de la jeune République brésilienne, et lui imposer de lourdes pertes militaires. Hautes terres. La guerre de Canudos, Euclides da Cunha, trad. Jorge Coli et Antoine Seel, Métailié, 1997.
32. ↟ Capitaine au Suriname. Une campagne de cinq ans contre les nègres révoltés, John Gabriel Stedman, Sylvie Messinger, 1989 (trad. de l’anglais, première parution 1799), p. 62.
33. ↟ L’Héroïque Lande. La frontière brûle, film de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, prod. Shellac, 2018 (3 h 40). Fresque poétique et politique consacrée à la Jungle de Calais.
34. ↟ Un archipel de checkpoints de plus en plus interconnectés, par le biais notamment de bases de données mutualisées entre États, agences de sécurité, transporteurs, etc.
35. ↟ Il s’agit d’anticiper l’événement. Dans le domaine des politiques migratoires : stopper le migrant dans son pays même (visa, traitement des données des transporteurs, externalisation des frontières de l’Union européenne, etc.).
36. ↟ Terme israélien désignant à l’origine les Palestiniens travaillant en Israël après 1948, étendu depuis aux réfugiés africains.
37. ↟ « Utopies banales », Olivier Razac, sur son blog Une philosophie plébéienne, 29/08/2013 (philoplebe.lautre.net).
38. ↟ La Commune des Palmares, Benjamin Péret, éd. Syllepse, 1999 (original en 1956), p. 75. Le poète surréaliste y compare le quilombo de la zone des Palmares (dans le Nordeste brésilien) – qui, au XVIIe siècle, tint en échec pendant près de soixante-dix ans les expéditions militaires hollandaises et portugaises – à des expériences libertaires comme celle de la Commune de Paris.
39. ↟ « La Meuse : ses vaches, ses éoliennes, ses flics », anonyme, sur le site Plus Bure sera leur chute…, 8/08/2016 (vmc.camp).
40. ↟ cf. « Introduction à la vie non-fasciste », Foucault, in Dits et écrits T3, Gallimard.

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Message par Invité Dim 26 Juil - 10:51


MA POÉTIQUE À L'ŒUVRE
avec le Projet poétique global  LA VIE ENVERS, associant poèmes écrits et dits, dessins, peintures et collages, musique et film vidéo, je m'engage dans la réalisation concrète d'un projet scénique avorté en 1986, la mise en musique de poèmes choisis d'Octavia Paz dans Liberté sur parole, 1950, par mon quartette d'alors, Chabada, guitare 7 cordes, 2 saxoxophones-clarinettes-flûte, et percussions

en le plaçant dans l'esprit de la visée du Livre de Mallarmé : « tout, au monde, existe pour aboutir à un livre... comme pur ensemble groupé dans quelque circonstance fulgurante, des relations entre tout. » (Stéphane Mallarmé, Divagations, 1897), je réalise mon rêve d'une représentation totalisante où la poétique englobe la vision philosophique et critique du monde, dépassant le rationalisme étroit et les prophétismes hasardeux annonçant l'avenir, comme les idéologies révolutionnaires dans le sillage réducteur d'un marxisme idéaliste édulcorant Marx, dont la critique est achevée puisque ces idéologies ne peuvent que se répéter dans leur foi religieuse, le réel étant chargé de prouver la "théorie" : la poésie elle n'a rien à prouver, son rapport entre le réel et les autres est performatif, ou elle n'est pas la poésie

c'est parce que ma poétique plastique et de poèmes incluait dès les années 80 ces dimensions, de façon intuitive et non comme "art engagé", que je peux aujourd'hui intégrer ces œuvrages du passé à mon projet actuel  

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Message par Invité Jeu 30 Juil - 10:57


PEUT-ON FAIRE DE LA MUSIQUE SANS EN PARLER ?
ici, musique vaut pour tout art, à commencer par la poésie, la peinture... Je recopie ci-dessous l'introduction à Comment parler de musique ? premier chapitre du livre

POÉTIQUE, la mienne et d'autres 135234_couverture_Hres_0

, et premières phrases de la Leçon inaugurale de Karol Beffa au Collège de France en 2012, chroniqué ici sous le titre ENTRE MUSICOLOGIE ET POÉTIQUE. Je donnerai ultérieurement d'autres extraits en photos

rien d'étonnant qu'il se réfère à Francis Ponge, auteur du Parti pris des choses, et Henri Matisse, que j'ai maintes fois cités dans le même ordre d'idées concernant la poiesis contre le logos, que ce soit en art mais aussi en théorie "révolutionnaire" puisque toute activité de transformation sociale relevant d'une praxis, elle ne saurait d'abord procéder d'un "discours sur"

À en croire Francis Ponge, il y aurait « une certaine sottise de Socrate ». Le philosophe athénien interroge les poètes sur leur art et il s'étonne de recevoir des réponses bancales, lacunaires. Or, l'auteur du Parti pris des choses nous le rappelle : ce que les poètes ont à dire, ils l'expriment avant tout dans et par leur art. Croire qu'ils puissent emprunter un autre space d'expression que celui de leur art procéderait d'une démarche quelque peu étrange, - une « sottise », nous dit Ponge.

Derrière cette boutade, on lit en filigrane la défiance ancienne du logos envers la poiesis, du discours à l'égard de la création - comme si « art avec conscience » ne nous promettait que « ruine de l'art ». La remarque de Ponge rejoint le conseil que donne Matisse à ses jeunes étudiants : « Vous voulez faire de la penture ? Avant tout il vous faut vous couper la langue, parce que votre décision voue enlève le droit de vous exprimer autrement qu'avec des pinceaux. »*

* Henri Matisse, Écrits et propos sur l'art, Paris, Hermann, 1972, p. 190

pour l'auteur, c'est un peu plus compliqué, preuve en est que s'il admet que « le créateur n'est peut-être pas le mieux placé pour tenter l'exégèse de l'art dans lequel il s'exprime », il n'en débouche pas moins sur sa réponse propre à la question qu'il pose : « Comment parler de musique ?... Pourtant, ne soyons pas naïfs ! Ne croyons pas que le simple fait d'utiliser la forme interrogative nous garantisse contre le danger de réponses hâtives »

Karol Beffa, Parler, composer, jouer, Introduction, p. 13 à 15

(à suivre)


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Message par Invité Mar 17 Nov - 8:34


LA FAIM DU MONDE

« Tu commences tout, tu finis rien. »
mon père
Patlotch a écrit:j'ai dit mon admiration pour l'œuvre fantasmée et irréalisable de Stéphane Mallarmé, Le Livre, dont Lacan disait qu'il était le fantasme poétique par excellence*
« C’est bien là que peut se situer le fantasme qui est proprement le fantasme poétique par excellence, celui qui obsédait Mallarmé : du Livre absolu. », LXIV La logique du fantasme 1966 – 1967 Leçon du 23 Novembre 1966

Le Livre aurait du constituer l'aboutissement de toute l'œuvre de Stéphane Mallarmé. Il y a travaillé toute sa vie, mais n'en a livré que des ébauches. "Un livre ne commence ni ne finit; tout au plus fait-il semblant" disait-il. Et aussi : "Le monde existe pour aboutir à un livre". Quel livre ? [...]
Le "Livre" de Mallarmé, Œuvre par excellence, anticipe l'"œuvre en mouvement" - un monde qui ne cesse de se renouveler aux yeux du lecteur

POÉTIQUE, la mienne et d'autres Coup_de_des_premier_etat
Premier état du manuscrit, 1897, source : L'air de rien

une autre œuvre me fascine, Étant donnés…, de Marcel Duchamp, installation élaborée en secret entre 1946 et 1966 à New York, « approximation démontable » qui ne fut révélée au public qu'en 1969, après sa mort en 1968

POÉTIQUE, la mienne et d'autres 0fe258209c61a26ba0deb0751691b5d2
Étant donnés : 1° la chute d'eau 2° le gaz d'éclairage…
Philadelphia Museum of Art


POÉTIQUE, la mienne et d'autres 0146

POÉTIQUE, la mienne et d'autres Courbet-origine-du-monde-1866-1
L'Origine du monde, Gustave Courbet, 1866

mon avortement réitératif, depuis 1986, d'au moins trois projets associant musique, arts visuels et arts de la scène, me donne à penser que plus que l'incapacité de les réaliser, ce qui m'empêche de le faire est de l'ordre du fantasme d'une réalisation effective, mais secrète, et qui ne serait dévoilée qu'à la toute fin de ma vie, ou après

c'est alors comme si tout ce que j'ai commis dans l'ordre du poétique - poèmes, peintures, musiques... - n'était que des notes préliminaires en vue de la réalisation de cette œuvre. C'est ainsi qu'il faut comprendre la reprise de poèmes et œuvrages plastiques dans LA VIE ENVERS, projet artistique global, et le fait que j'ai cessé de dire où en était son avancement

mais cet inaboutissement ainsi assumé se double de la contradiction qu'il y aurait à vouloir présenter comme fixe, arrêtée, une œuvre dont je revendique qu'elle soit improvisation libre en temps réel, puisque la reproduction en serait la contradiction dans les termes. Une telle œuvre ne saurait en effet exister deux fois à l'identique, et cela vaut pour sa production comme pour sa présentation à un public au-delà d'une première et dernière fois, tel en son principe un concert de jazz. Ce que détruit bien évidemment l'enregistrement audio et vidéo et la publication sur Internet (youtube ou autre)

cet inachèvement intrinsèque et définitoire est bien ce que nous observons dans les deux œuvres citées de Mallarmé et Duchamp, celui-ci ayant été tout-à-fait conséquent en ne la présentant pas de son vivant, et, pour ainsi dire, n'approuvant pas qu'elle devienne une pièce de musée, bouclant la boucle de la provocation initiale de Fontaine, 1917 : le statut d'œuvre d'art n'est dû qu'à son exposition comme telle, car, pour Duchamp, « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux. »  : « Supposez que le plus grand artiste du monde soit dans un désert ou sur une terre sans habitants : il n'y aurait pas d'art, parce qu'il n'y aurait personne pour le regarder. Une œuvre d'art doit être regardée pour être reconnue comme telle. Donc, le regardeur, le spectateur est aussi important que l'artiste dans le phénomène art. » La mise en scène de Étant donnés... insiste sur cet aspect en imposant au spectateur la place d'un voyeur

POÉTIQUE, la mienne et d'autres Duchampetantdonne

grande cohérence encore, dans son épitaphe, puisqu'en exigeant que cette œuvre, connue seulement de son épouse et de son exécuteur testamentaire, ne soit révélée qu'après sa mort - que par définition il ne peut connaître -, il meurt en immortel
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Message par Invité Mer 13 Jan - 9:04


Que faire de notre temps bouleversé par la pandémie ? Selon l’historien, sociologue et chercheur à l’EPHE Jean-Miguel Pire, il faut commencer par réhabiliter la notion d’otium, ce loisir studieux et fécond, temps désintéressé et consacré à la quête de sens et de beauté.

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crédits Getty
Dans son ouvrage Otium. Art, éducation, démocratie paru en février 2020 chez Actes Sud, l'historien, sociologue et chercheur à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, Jean-Miguel Pire se penche sur une notion aussi riche qu'oubliée : l'otium. Au micro de Marie Sorbier, il définit ce concept difficilement traduisible et explore sa résonnance avec les temps répétés de confinement.

L'otium, explique l'historien, est une forme de loisir inventée en Grèce antique, la skholè, qui a été popularisée sous l'Empire romain sous le nom d'otium. Si ce terme latin n'a pas d'équivalent direct en français, il décrit selon Jean-Miguel Pire un loisir fécond, studieux, au temps que l'on consacre à s'améliorer soi-même, à progresser pour accéder à une cohérence et à une compréhension du monde plus grandes.

Il s'agit de donner un sens à l'existence, en laissant libre cours à sa curiosité, au seul plaisir de connaître et de comprendre.              

La caractéristique première de l'otium est le temps accordé à la vie de la conscience. Activité de pensée et d'imagination, de rêve et de conception, ce temps se caractérise également par une complète absence de contraintes.

Cette activité doit être menée sans la limite des intérêts, des croyances et des préjugés. L'otium est fondamentalement désintéressé. Il est fécond, mais pas utile. Il n'est pas réductible à une utilité matérielle extérieure : son propre accomplissement est déjà un but en soi.              

Ainsi, explique Jean-Miguel Pire, l'otium revêt une dimension existentielle, en ce qu'il désigne les conditions idéales pour déployer le meilleur de nos facultés et édifier notre jugement. Développée dans la Grèce antique en même temps que la philosophie et la démocratie, la notion d'otium renvoie à une forme de loisir inséparable de la quête de sagesse autant que de l'organisation politique démocratique.

Il y aurait deux types de conditions à remplir pour s'adonner à l'otium :

- Les conditions matérielles : l'accès au loisir fécond n'est possible que dans la mesure où les tâches vitales et les besoins essentiels sont accomplis.  [c'est bien le moins, ce qui fait de l'opium un privilège de classe]
- Les conditions mentales : le désir et la disponibilité personnels, l'effort qu'il faut accomplir pour atteindre la fécondité de l'otium. [parmi ceux qui en ont les moyens, une infime minorité atteint ces conditions, j'en suis]

Le terme de "loisir" nous égare un peu, car il renvoie au plaisir*, alors que les Grecs et les Romains l'associent à une ascèse, à une quête exigeante qui nécessite une discipline, un examen de soi et une tempérance des passions. C'est une quête contraignante dans laquelle on ne peut se livrer sans un engagement personnel très fort.              

* pour la critique situationniste, et notamment Vaneigem, les loisirs étaient un plaisir frelaté, une consumation de soi dans la consommation libérée par le capitalisme contemporain

Dans son livre Otium. Art, éducation, démocratie, Jean-Miguel Pire oppose étymologiquement l'otium au négoce. Une manière de dire que l'utilitarisme dominant aujourd'hui a dénigré ce temps de loisir au point de nous le faire considérer comme futile ?

Pourquoi cette forme de loisir a été aussi peu valorisée dans l'histoire, c'est ce que tente de comprendre Jean-Miguel Pire à travers une lecture étymologique. Une des dernières traces de l'otium dans notre vocabulaire se trouve au cœur du terme "négoce" : formé par les termes latin nec otium, qui signifie la négation de l'otium. Ainsi, le négoce, le marché, est formé dans son étymologie-même par la nécessité d'éliminer cette forme de loisir.

La montée des valeurs du marché (utilité, performance, rapidité, rentabilité) correspond bien au déclin des valeurs de l'otium (lenteur, désintéressement, quête de sens. Le constat sémantique est que plus on a de négoce, moins on a d'otium.              

Pour se développer, le marché n'a pas besoin d'otium. Au contraire, il considère le temps du loisir fécond comme un simple temps de cerveau disponible qui peut être vendu à des annonceurs. Le concept d'otium permet ainsi de comprendre que quelque chose de futile est au fond central pour lutter contre les excès de la marchandisation du monde.


Comment alors concrétiser et appliquer dans la pratique cette notion d'otium ?

Dans un monde qui semble de plus en plus absurde, l'aspect pratique de l'otium est notre obligation d'être des protagonistes de l'élaboration du sens et des valeurs. Chacun à son rôle à jouer, et c'est peut-être là le message des Grecs : chaque citoyen est parti-prenante de l'élaboration du bien commun. Nous avons tous, dans notre singularité, notre créativité et nos rêveries, quelque chose à apporter à cette grande élaboration du bien commun.              

Pour Jean-Miguel Pire, l'otium est non seulement nécessaire dans un monde plongé dans l'absurde, mais aussi un désir qui peut naître dès l'enfance grâce à l'éducation.

L'Education nationale peut jouer un rôle important dans le développement d'un esprit et d'un désir d'otium. Une politique concrète serait d'accorder beaucoup plus d'importance à l'éducation artistique et culturelle. C'est la meilleure nourriture de l'otium parce que l'art n'est jamais assimilable à un intérêt, à une utilité, à une conception. L'art est la nourriture d'un esprit en train d'essayer d'inventer le sens.              

[quant à réaliser cette idée en masse par la démocratie politique et l'Éducation Nationale de l'État, l'auteur se met le doigt dans l'œil]



Dernière édition par Florage le Lun 18 Jan - 6:40, édité 1 fois

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Message par Invité Ven 15 Jan - 18:46


UN MARX QUI N'EN CACHE PAS UN AUTRE

« Karl Marx avait déjà noté dans 'Le capital' que la littérature devenait une marchandise internationale. »
William Marx
la poésie ne relève du champ de la littérature qu'à travers l'édition et la vente. La poétique, relayant l'ancienne philosophie de l'esthétique, est critique de ce champ comme constitué de fait par la valeur marchande, de l'éditeur à l'imprimeur et au commerce des livres, mais aussi l'écrivain dont la vie en dépend par la vente de sa force de travail, la création littéraire

William Marx éclaire cette question en nous parlant de la "littérature invisible", celle qui n'est pas publiée et se transmet sans ces intermédiaires. Pour la vision courante, et donc idéologique, de la littérature, ses auteur.e.s ne seraient pas des écrivains

ma production de poèmes et de "romans" relève en quelque sorte de ce champ invisible, puisque je refuse leur publication par ces intermédiaires du marché capitaliste. Ils ne sont pas une marchandise. Mes lieux de publication (ce forum, mes sites) ressortent donc des "bibliothèques invisibles" dont parle William Marx
"La littérature n'existe réellement que dans notre esprit"
France Culture, avec William Marx, 14 janvier 2021

Qu’est-ce que la littérature ? William Marx, titulaire de la chaire de littératures comparées au Collège de France, est au micro de Marie Sorbier avant d'initier sa prochaine session académique intitulée "Les bibliothèques invisibles".

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Pour faire d'Alexandrie la capitale culturelle du monde, le roi Ptolémée fonda en 288 av. J.C. la Bibliothèque d'Alexandrie,
une des sept merveilles de la civilisation antique.
Crédits : Universal History Archive - Getty

Alors que débutera le 19 janvier un nouveau cycle académique au Collège de France intitulé "Les bibliothèques invisibles", dirigé par le nouveau titulaire de la chaire de littératures comparées William Marx, l'historien et philologue revient au micro de Marie Sorbier sur l'importance des bibliothèques mentales.

Qu'est-ce que la littérature comparée ?
La littérature comparée est une discipline née au début du 19ème siècle, que William Marx définit comme une étude des littératures qui ne se préoccupe pas des frontières linguistiques, culturelles et nationales.

Il s'agit d'étudier l'ensemble des textes qui ont été écrits, dans toutes les langues et toutes les cultures, afin d'en tirer des enseignements sur la littérature elle-même. Le professeur revendique une démarche résolument ouverte à l'ensemble des cultures et des époques. Une entreprise ambitieuse qui ne va pas sans péril.

Dans notre temps mondialisé, ce questionnement de la littérature est d'autant plus important. La littérature est mondialisée : Karl Marx avait déjà noté dans Le capital que la littérature devenait une marchandise internationale. Il est donc temps, pour une institution comme le Collège de France, de réfléchir à ce que les textes font de notre rapport au monde.                            

La littérature comparée consiste ainsi à se confronter à des textes, idées et notions qui ne relèvent pas de ce que nous appelons communément la littérature. Pour William Marx, il s'agit de provoquer des chocs et des collisions mentales qui nous permettent de remettre en question non seulement nos conceptions littéraires, mais aussi notre conception de l'existence.

En nous ouvrant ces littératures mondiales, la littérature comparée est une manière de se confronter à des expériences de l'existence totalement différentes.

Les bibliothèques invisibles
Avec le prochain cycle académique qu'il dirigera au Collège de France, intitulé "Les bibliothèques invisibles", William Marx remet en question l'idée que la littérature n'est constituée que de textes publiés. Si la publication de textes est une activité institutionnalisée dans le fonctionnement de la littérature depuis (au moins) le XVIIIème siècle, la littérature ne l'a pas attendu pour se faire. William Marx cite à ce titre les textes qui étaient déclamés dans des salons littéraires sans jamais être publiés, mais aussi les traditions orales de nombreuses cultures. Par ailleurs, il existe quantité de textes recopiés qui ont fini par être perdus.

La publication représente un système commercial lié au monde de l'édition et des libraires. En évolution permanente, ce système est d'autant plus chamboulé par l'émergence des bibliothèques électroniques.

Parler de bibliothèques invisibles, c'est parler non seulement de tous les textes non publiés, mais aussi de l'image mentale que nous avons de ces textes. Ils n'existent pas seulement parce qu'ils sont dans des librairies ou dans des bibliothèques, mais surtout par l'actualisation qui en est faite dans l'esprit.                          
C'est le paysage mental que nous avons des textes constitutifs d'une culture que souhaite explorer William Marx. Il s'intéresse notamment aux textes perdus et inaccessibles : ceux qui n'ont jamais été publiés, ceux qui ont été censurés, et ceux que l'Histoire a simplement oubliés.

On sait par exemple qu'il y a des centaines et des centaines de tragédies grecques qui ont été perdues. Nous n'en avons conservé que 32, par trois auteurs seulement : pourquoi ces 32 ? Cela montre qu'un choix a été fait. Mais que peut-on savoir de cette bibliothèque invisible des tragédies perdues ?                        

Des bibliothèques invisibles, William Marx en perçoit aussi dans notre monde actuel, où les bibliothèques sont particulièrement difficiles d'accès. Ayant à l'esprit tous les étudiants, doctorants et chercheurs qui peinent aujourd'hui à y accéder, il voit en l'inaccessibilité des bibliothèques une nouvelle forme d'invisibilité.

Avec le confinement, les lecteurs eux-mêmes ont été invisibilisés. On n'entend pas les usagers des bibliothèques, on entend très peu les livres et ceux qui les lisent.                          

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Message par Invité Sam 3 Avr - 10:20

intéressante émission sur les rapports du rire et de la poésie. À mon sens il manque une distinction entre le rire et le sourire et la différence entre ce qui provoque l'un ou l'autre. Justes remarques, en vrac sur le rire et tragique, la complicité à distance entre le poète et le sourire du lecteur, sur les trois formes du fou, du clown et du satire (51:30) et ceci que je fais mien : « la poésie n'est peut-être qu'un immense jeu de mots... il n'y a qu'un écart dimensionnel entre faire une blague, une contrepèterie et le 'Sonnet en X' de Mallarmé par exemple. »
« L'homme d'humour est un homme qui rit malgré tout. »
Xavier Le Tellier

(si c'est vrai, j'en suis)


Poésie du rire et rire de la poésie
(59 MIN)
La Compagnie des poètes, Manou Farine, France Culture 2 avril 2021

Le rire est-il une solution imaginaire comme une autre ?

POÉTIQUE, la mienne et d'autres 838_nouvelles-chansons-du-chat-noir-p59
Illustration pour les Nouvelles Chansons du Chat noir de Mac Nab,
"Les Fœtus" (1892). Crédits : Henri Gerbault


Faire rire la poésie, faire rire avec la poésie, faire rire malgré la poésie...

Avec Hervé Le Tellier, prix Goncourt pour son roman L’anomalie, mais également auteur plein d’humour des Contes liquides (L’Attente) ou des Opossums célèbres (Castor astral) et Julien Schuh, maître de Conférence à l’Université Paris Nanterre, spécialiste d’Alfred Jarry et de la littérature fin de siècle (Alfred Jarry, le colin-maillard cérébral, Champion, 2014). Il est l’auteur de la section consacrée à la poésie dans L’empire du rire XIXe-XXIe siècle (CNRS, 2021),  ouvrage collectif coordonné par Alain Vaillant et Matthieu Letourneux qui se veut à la fois une histoire culturelle du rire, une description de ses formes et des techniques utilisées et une réflexion théorique sur ses usages dans l’espace social.    

L'homme d'humour est un homme qui rit malgré tout. Xavier Le Tellier

Pour aller plus loin :

Les Dingues du Nonsense de Robert Benayoun (Seuil, 1986)

Empailler le toréador, l'incongru dans la littérature française de Charles Nordier à Eric Chevillard de Pierre Jourde (José Corti, 1999)

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Message par Invité Dim 4 Avr - 13:05


de traverse ou mieux, de travers,
j'en mettrais partout, du Flaubert


« Tout ce que nous pouvons faire, c’est donc, à force d’habileté,
de serrer plus raide les cordes de la guitare tant de fois râclées et d’être surtout des virtuoses,
puisque la naïveté à notre époque est une chimère. »

quand on veut critiquer Flaubert, rien de tel que de le classer parmi les partisans de "l'art pour l'art", pont-aux-ânes des cons qui entendent par là "coupé de la société" si ce n'est du "réel". L'expression a revêtu dès son origine des significations différentes voire opposées. Entre affirmer avec Gautier, hostile à la poésie politique, que « la valeur intrinsèque de l'art est dépourvue de toute fonction didactique, morale ou utile. » et le « poème écrit pour le pur amour de la poésie » d'Edgar Poe, il y a un pas (source)

la confusion vient, me semble-t-il que de l'affirmation de Benjamin Constant « L'art pour l'art, et sans but ; tout but dénature l'art. » en 1804, on passe à l'idée que l'art se fait pour lui-même, que l'œuvre d'art est autonome, qu'un poème, un roman ou un tableau sont une fin en soi, de valeur intrinsèque et uniquement esthétique, ayant pour but "la beauté"

or s'il y a chez Flaubert une « religion de la beauté », elle présuppose une forme de réalisme y compris social, position qu'on retrouvera chez Aragon dans son tournant post-réalisme socialiste et son rejet du gauchisme esthétique, càd de l'art engagé des 68tards, paradoxalement peu anti-staliniens de ce point de vue (et l'on a vu qu'à l'extrême et ultra-gauche, ça continue)

si Flaubert rejetait "le réalisme" comme école, norme littéraire ou artistique*, toute son œuvre n'en relève pas moins**, de façon singulièrement opposée aux écoles (au réalisme de Zola, par exemple). Un réalisme qui, en tant que regard social, fait qu'il reste, de son temps, un de ceux qui a dit le moins de bêtises sur l'avenir. Certains passages de cette lettre pourraient avoir été écrit hier soir... tard

* à Camille Lemonnier, 3 juin 1878
« Loin de moi ceux qui se prétendent réalistes, naturalistes, impressionnistes. Tas de farceurs, moins de paroles et plus d'œuvres ! »
à Maupassant, 21 octobre 1879
« Ne me parlez pas du réalisme, du naturalisme, ou de l'expérimental ! J'en suis gorgé. Quelles vides inepties ! »

** lire Les écritures réalistes, in Flaubert lecteur, Philippe Dufour, 2009

C'était quoi alors cet "art pour l'art" (auquel Nietzsche aussi adhéra à sa manière) ? Un sorte d'hypersensibilité à toutes les formes d'injustice (Flaubert a toujours le mot "Justice" à la bouche), de facilité, de lâcheté, un refus de la démagogie (notamment d'évolution du monde à l'"américaine", déjà il s'en préoccupait, peut-être sous l'influence de Tocqueville), le choix de Voltaire contre Rousseau, de l'élitisme, dans un esprit de complet désintéressement (Flaubert ne vivait pas de sa plume, et sa vision de l'art est incompatible avec l'utilisation cuistre et superficielle qu'en font les bourgeois). Le tout dans une recherche intransigeante d'une totale exactitude formelle.

[...]

Aujourd'hui il n'y a plus "d'art pour l'art" bien sûr. Il n'y a plus chez les critiques que la recherche des "motivations socio-psychologiques", la volonté de se rincer l'oeil ou de compatir dans une débauche de bons sentiments, la recherche de messages politiques, et chez les auteurs l'abdication de tout élitisme, la passivité devant la bêtise et l'injustice, la volonté de plaire à tout prix, de se faire un nom, de ne pas "investir pour rien" etc. Bref rien qui relève d'aucune justesse de regard ni de ton, encore moins de l'élégance stylistique.

En tout cas cet "art pour l'art" avait quelque chose d'éthiquement irréprochable (c'était d'ailleurs son ambition, presque platonicienne) et constitue toujours une sorte de point abstrait de référence pour accéder à une lucidité supérieure, une sorte de point d'Archimède sur lequel on gagne à asseoir son jugement. Par exemple si l'on veut se faire une opinion sur la Commune de Paris. Quand Flaubert y voit un grand retour au Moyen-Age (et dans la bouche d'un Spinoziste post-révolutionnaire comme lui, ce n'était pas un compliment), la remarque interpelle, et donne à réfléchir...


"L'art pour l'art" de Flaubert, Frédéric Delorca, 9 août 2012

j'ai pour ma part, entre 2004 et des dernières années, beaucoup médité la question dans l'écriture de mes poèmes, dont certains ont comme thème explicite la politique, mais ce n'est pas pour autant qu'ils sont des poèmes par un sens politique, de même qu'on peut être une excellent poète matérialiste tout en étant croyant parce qu'à mon sens, un poète comme tel est toujours matérialiste par le fait que la forme est forme-contenu

du fait des thèmes de mes poèmes, je n'ai pas toujours réussi à me tenir à distance d'un art engagé, mais quand je suis tombé dans ce travers, je pense être sorti de la poésie



À Louise Colet.
[Croisset] Samedi, 5 heures [4 septembre 1852]

Ne nous lamentons sur rien ; se plaindre de tout ce qui nous afflige ou nous irrite, c’est se plaindre de la constitution même de l’existence. Nous sommes faits pour la peindre, nous autres, et rien de plus. Soyons religieux. Moi, tout ce qui m’arrive de fâcheux, en grand ou en petit, fait que je me resserre de plus en plus à mon éternel souci. Je m’y cramponne à deux mains et je ferme les deux yeux. À force d’appeler la Grâce, elle vient. Dieu a pitié des simples et le soleil brille toujours pour les cœurs vigoureux qui se placent au-dessus des montagnes.

Je tourne à une espèce de mysticisme esthétique (si les deux mots peuvent aller ensemble), et je voudrais qu’il fût plus fort. Quand aucun encouragement ne vous vient des autres, quand le monde extérieur vous dégoûte, vous alanguit, vous corrompt, vous abrutit, les gens honnêtes et délicats sont forcés de chercher en eux-mêmes quelque part un lieu plus propre pour y vivre. Si la société continue comme elle va, nous reverrons, je crois, des mystiques comme il y en a eu à toutes les époques sombres. Ne pouvant s’épancher, l’âme se concentrera. Le temps n’est pas loin où vont revenir les langueurs universelles, les croyances à la fin du monde, l’attente d’un messie. Mais, la base théologique manquant, où sera maintenant le point d’appui de cet enthousiasme qui s’ignore ? Les uns chercheront dans la chair, d’autres dans les vieilles religions, d’autres dans l’Art ; et l’humanité, comme la tribu juive dans le désert, va adorer toutes sortes d’idoles. Nous sommes, nous autres, venus un peu trop tôt ; dans vingt-cinq ans, le point d’intersection sera superbe aux mains d’un maître. Alors la prose (la prose surtout, forme plus jeune) pourra jouer une symphonie humanitaire formidable. Les livres comme le Satyricon et l’Âne d’or peuvent revenir, et ayant en débordements psychiques tout ce que ceux-là ont eu de débordements sensuels.

Voilà ce que tous les socialistes du monde n’ont pas voulu voir, avec leur éternelle prédication matérialiste. Ils ont nié la douleur, ils ont blasphémé les trois quarts de la poésie moderne, le sang du Christ qui se remue en nous. Rien ne l’extirpera, rien ne la tarira. Il ne s’agit pas de la dessécher, mais de lui faire des ruisseaux. Si le sentiment de l’insuffisance humaine, du néant de la vie venait à périr (ce qui serait la conséquence de leur hypothèse), nous serions plus bêtes que les oiseaux, qui au moins perchent sur les arbres. L’âme dort maintenant, ivre de paroles entendues ; mais elle aura un réveil frénétique où elle se livrera à des joies d’affranchi, car elle n’aura plus autour d’elle rien pour la gêner, ni gouvernement, ni religion, pas une formule quelconque. Les républicains de toute nuance me paraissent les pédagogues les plus sauvages du monde, eux qui rêvent des organisations, des législations, une société comme un couvent. Je crois, au contraire, que les règles de tout s’en vont, que les barrières se renversent, que la terre se nivelle. Cette grande confusion amènera peut-être la liberté. L’Art, qui devance toujours, a du moins suivi cette marche. Quelle est la poétique qui soit debout maintenant ? La plastique même devient de plus en plus presque impossible, avec nos langues circonscrites et précises et nos idées vagues, mêlées, insaisissables. Tout ce que nous pouvons faire, c’est donc, à force d’habileté, de serrer plus raide les cordes de la guitare tant de fois râclées et d’être surtout des virtuoses, puisque la naïveté à notre époque est une chimère. Avec cela le pittoresque s’en va presque du monde. La Poésie ne mourra pas cependant ; mais quelle sera celle des choses de l’avenir ? Je ne la vois guère. Qui sait ? La beauté deviendra peut-être un sentiment inutile à l’humanité et l’Art sera quelque chose qui tiendra le milieu entre l’algèbre et la musique.

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Message par Invité Mer 7 Avr - 7:47


L'ART EST EN SOI ENGAGEMENT
j'ai toujours soutenu que j'étais contre l'art engagé, au sens d'engagé pour autre chose que son propre rapport au réel, qui est un engagement en soi, non un art au service d'une cause, d'une idée... Aussi bien, je ne vois pas de contradiction avec la position qu'exprime ici Günther Anders

je ne crois pas non plus au « prétendu sérieux de l’art », l'art sérieux n'est que l'art d'artistes qui se prennent au sérieux, l'esprit de sérieux dans l'art. Ce qui n'empêche que l'art soit à prendre au sérieux
Günther Anders Entretien avec Fritz J. Raddatz, 1985
G.A. : Si je me souviens encore bien de En attendant Godot, c’est ce qu’il fait, effectivement. Car ses « héros » continuent à attendre la venue de Godot en dépit du fait que lui, faute d’exister, ne songe pas le moins du monde à réaliser leur rêve. Eux, qui attendent, sont donc incapables de vivre dans le nihilisme, incapables de ne pas espérer. Mais Beckett ne s’identifie pas avec ces personnages, ses personnages ; il ne tient pas pour vertu, et pas davantage pour preuve de l’existence de Godot, leur incapacité à ne pas attendre, donc à ne pas espérer. Comme je vois, tout comme lui, un manque dans cette incapacité — vous connaissez bien ma position par rapport à la manie d’espérance de Bloch, pour moi espérance est tout simplement synonyme de lâcheté — l’affinité entre Beckett et moi est effectivement incontestable.

F.J.R. : Est-ce-que cela n’est pas en contradiction avec votre affirmation que l’engagement est inhérent et essentiel à l’œuvre d’art ? Beckett n’est vraiment pas un écrivain engagé.

G.A. : Je ne choisirais pas une formule aussi catégorique. Je dirais qu’il n’y a rien de plus ridicule que l’idéal du non-engagement, et que cet idéal ridicule ne prévaut que dans le domaine de l’art. Aucun pasteur ne comprendrait qu’on dise de lui qu’il n’a pas d’engagement ou qu’il ne prend pas son engagement au sérieux. Aucun boulanger ne vous comprendrait si vous lui faisiez ce reproche : « Vous êtes un boulanger engagé, puisque vous faites vos petits pains pour nourrir les hommes et pour vous engraisser en nous rassasiant. » Il n’y a effectivement que l’art pour avoir rendu ainsi l’engagement ridicule.

F.J.R. : Pour vous, l’art a donc une fonction dans ce qui se passe au sein de la société ?

G.A. : Can’t help having it. [Je ne peux pas empêcher qu’elle en ait une.]

F.J.R. : Dans le même temps, vous ne cessez de paraphraser la formule d’Adorno selon laquelle, après Auschwitz, on ne peut plus écrire de poèmes, dans le sens : on ne « devrait » plus écrire de poèmes. Mais alors, si l’art est une valeur sociale, il n’a évidemment pas le droit de s’arrêter après Auschwitz. Je trouve cette formule d’Adorno totalement erronée.

G.A. : Moi pas. Je crois que le prétendu sérieux de l’art, au regard du sérieux de ce qui s’est passé, et de ce qui menace, n’est que frivolité. Il est des événements d’une telle importance que l’art ne peut y atteindre. Rien de plus inconvenant que la composition de Schönberg Un survivant de Varsovie ; et cela vaut malheureusement aussi pour le Sul ponte di Hiroshima que Nono a tiré de mon livre Der Mann auf der Brücke (L’homme sur le pont). Dans les deux cas, on fait de l’horreur de ce qui est arrivé, et de ce qui peut encore nous atteindre, un sujet de jouissance. Ce n’est pas sérieux. Adorno ne dit pas on ne doit pas, mais on ne peut pas.

F.J.R. : Vous-même, vous faites des poèmes.

G.A. : Je n’ai jamais fait de poème sur Hiroshima.

F.J.R. : Adorno n’a pas dit non plus : plus de poème sur Auschwitz. Il a dit : plus de poème 'après' Auschwitz.

G.A. : Je ne crois pas en avoir fait un seul après. Ma muse, même si ce ne fut pas instantané, est morte d’effroi. Depuis que je suis revenu en Europe, quasiment aucun poème n’a vu le jour.

F.J.R. : Mais vous ne pouvez pas vous en tirer comme ça, Günther Anders ! Vos fables aussi sont des poèmes. Ne vous accrochez pas au seul mot de « poème ». Vous venez vous-même de citer les travaux de Schönberg ou de Nono, comme autre forme d’art possible. Avec le mot « poème », Adorno ne pense pas au poème, mais à l’art.

G.A. : Je n’ai, je crois bien, écrit aucune fable à propos d’Hiroshima.

F.J.R. : Nous ne disons pas 'à propos' de. Nous disons 'après' Auschwitz. Il met une date. Il a dit : après qu’il est arrivé quelque chose d’aussi effroyable, l’art devient du batifolage. C’est ce que dit la phrase. Et je la trouve stupide ; car naturellement, la 'Todesfuge' de Celan est un poème important.

G.A. : Non, je ne le crois pas du tout. Je crois plutôt qu’on a voulu nous en persuader. Son poème a servi d’alibi aux Allemands, c’était un moyen de « surmonter » et d’« admettre » Auschwitz sous la forme d’une poésie d’avant-garde. Cette Todesfuge reproduite à des milliers d’exemplaires n’a jamais été comprise de quiconque. Même pas de Celan lui-même. Jamais ce poème n’a eu un « effet », jamais il n’a réellement déclenché angoisse et terreur. On ne peut pas le réciter. Et si on le récite quand même, il devient un objet décoratif proprement scandaleux. En cela, Adorno avait donc raison. Ce qu’il voulait dire, c’était : le sérieux de l’art prétendument « sérieux » est, en comparaison du sérieux de la situation dans laquelle nous sommes, c’est-à-dire une situation non seulement d’après catastrophe, mais aussi une situation de catastrophes finales à venir selon toute vraisemblance, ce sérieux, donc, est un sérieux frivole, un sérieux à ne pas prendre au sérieux.

F.J.R. : Donc, vous voulez un monde sans art ?

G.A. : C’est une mauvaise conclusion. Je parle en ce moment de morale et non d’art. Je dis que la notion de sérieux, appliquée à l’art, comparativement au sérieux de notre situation, n’est pas une notion à prendre au sérieux. Je n’ai rien dit sur le fait que l’art est fini ou devrait être fini ; dans le temps qui nous est éventuellement encore imparti, la question art ou non, et même : philosophie ou non, n’est sans doute pas pertinente. Vous voyez : je ne fais pas que jouer avec la pensée de la fin. Comme notre sort repose entre les mains de gens terriblement peu sérieux, je prends le danger terriblement au sérieux.

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Message par Invité Jeu 13 Mai - 19:08


LE MASSACRE DU PRINTEMPS

« leur bavardage sur la poésie détruit la poésie, ce sont les assassins de la poésie. »
Thomas Bernhard, Mes prix littéraires, extraits ici

à propos de


RIMBAUD COMMUNARD
Un programme poétique pour la Commune de Paris

Frédéric Thomas, lundimatin#287, 13 mai 2021
il serait vain de vouloir nier les "arguments" de Frédéric Thomas, "docteur en philosophie politique", auteur de Rimbaud Révolution (L'Echappée, 2019), ses "explications". La poésie ne s'explique pas, sauf pour et par ses professeurs, critiques, et historiens, qui en sont les assassins, car comme disait Thomas Bernhard dans Maîtres anciens : « Les historiens d'art sont les assassins de l'art. » Je n'ai que pitié et mépris, pour qui, de Rimbaud, ne retiendrait que "le Communard"

lisant la chute :

C’est le temps éclaté entre le soulèvement de la Commune de Paris, catalyseur de visions à peine entraperçues, et la mélancolie, parfois rageuse, du vaincu, immobilisé et enchaîné à la série de défaites, qu’ils donnent à voir. Sa poésie garde la promesse d’un changement radical comme un secret.

je me dis, quel malheur, avec de pareils souteneurs, Rimbaud ne serait pas resté l'Homme aux semelles de vent, surnom que lui donna Verlaine, mais l'homme aux semelles dedans

ainsi donc le docte Frédéric Thomas participe au « front esthétique »* qui se déploie de semaine en semaine, dès le début, dans lundi matin, tout juste bon à me faire décaler d'une nuit, blanche, "Je hais les dimanche"

* emprunté à Dietrich Hoss dans WALTER BENJAMIN RÉVOLUTIONNAIRE ET NOUS, lundimatin#283, 12 avril 2021

il n'y a pas eu n'y aura jamais de « programme poétique pour la Commune de Paris », au mieux, ou plutôt au pire, un programme révolutionnaire pour faire la révolution... et laissons-en le chapitre "poésie révolutionnaire" aux gauchistes esthétiques, héritiers de Staline

« Le réalisme socialiste, étant la méthode fondamentale de la littérature et de la critique littéraire soviétiques, exige de l'artiste une représentation véridique, historiquement concrète de la réalité dans son développement révolutionnaire. D'autre part, la véracité et le caractère historiquement concret de la représentation artistique du réel doivent se combiner à la tâche de la transformation et de l'éducation idéologiques des travailleurs dans l'esprit du socialisme. »

— Extrait des statuts de l'Union des écrivains soviétiques, 1934

si vous n'avez pas encore compris, ou si, ayant compris ou pas, vous n'êtes pas d'accord, relisez ce sujet depuis le début, en commençant par Marina Tsvetaieva

j'ai déjà évoqué Mes prix littéraires en octobre de je ne sais plus quelle année mais c'était un dimanche, ici
« Les lecteurs de poésie sont les véritables destructeurs de la poésie »
Comment ne pas être écœuré par ce spectacle une fois par an de dizaines, de centaines de lecteurs de poésie place Saint Sulpice à Paris, s’extasiant devant le moindre poète qui expose par là, lisant à voix basse comme à la messe le plus petit poème qu’ils ont déniché, reniflant le moindre poète et quêtant la moindre lecture de poésie, la moindre signature de poète. Ils assomment leurs enfants de leur bavassage sur la poésie, car ils emmènent toujours leurs enfants avec eux pour les initier à la poésie, leur religion à eux. Ils bavassent à leurs oreilles des poèmes ineptes écrits par des lecteurs de poésie tout aussi bavasseurs. Les lecteurs de poésie sont les véritables destructeurs de la poésie, dit Reger. Les lecteurs de poésie bavassent la poésie à mort. Mon Dieu, me dis-je souvent assis sur un banc de la place Saint Sulpice en voyant passer devant moi les troupeaux soumis des enfants emmenés par leurs parents lecteurs de poésie, spécialistes de poésie, quel dommage pour tous ces enfants à qui la poésie va être enlevée par justement ces spécialistes de poésie, à jamais enlevée, dit Reger.

Le printemps de la poésie et le marché de la poésie sont les véritables destructeurs de la poésie, les poètes du marché de la poésie et du printemps des poètes sont les destructeurs de la poésie, il faut les chasser des bibliothèques à coups de fouet, ne pas les laisser détruire la poésie, leur bavardage sur la poésie détruit la poésie, ce sont les assassins de la poésie. Il ne faut pas participer à cette destruction de la poésie par les lecteurs de poésie du marché de la poésie et du printemps des poètes, je déteste ces amateurs de poésie, dit Reger. Ecouter, voir un lecteur de poésie place Saint Sulpice donne mal au cœur, dit Reger, lorsque nous écoutons un lecteur de poésie parler de poésie, réciter un poème, lorsque nous le voyons simplement écouter un poète lisant un poème, nous voyons comment la poésie qu’il couvre de son bavassage est anéantie, le bavassage du lecteur de poésie réduit la poésie et l’anéantit. Des centaines, oui des milliers de lecteurs de poésie anéantissent la poésie par leur bavassage, dit-il. Les lecteurs de poésie et le marché de la poésie sont les véritables assassins de la poésie, et lorsque nous écoutons les lecteurs de poésie, nous participons à la destruction de la poésie, là où un lecteur de poésie apparaît, on détruit la poésie, voilà la vérité. Ainsi, dans ma vie, je n’ai détesté personne d’autre avec une haine plus profonde que les lecteurs de poésie, et je déteste plus encore le marché de la poésie place Saint Sulpice à Paris, dit Reger.

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Message par Invité Mer 19 Mai - 10:07

pas certain de l'intérêt dans ce contexte, si ce n'est deux citations de poètes, que je reprends. Pour l'essentiel, les préoccupations sont celles du "marché de la poésie", une problématique d'éditeurs : « La France est-elle ce pays où la poésie ne se vend pas // Sur le plan économique, un fait est pourtant indéniable : la poésie est un secteur qui se porte moins bien que les autres. »

Être poète en France : un si triste sort ?
Céline Leclère, France Culture, 18 mai
Philippe Jaccottet
"On parle beaucoup trop, on écrit trop aussi. Et cela produit une sorte d’arasement de la force de rayonnement de la poésie comme du roman. Plus les années passent, plus la prolifération des commentaires et des paroles, comme celle des images m’effraie et renforce mon désir de silence."

Christian Prigent
"Si la poésie consiste à mettre en vers plus ou moins cadencés des lieux communs de la protestation politique ou des clichés de l'expression sentimentale, il vaut mieux faire autre chose. Il y a la chanson pour cela."

"Ce qui pousse quelqu'un vers la poésie, ce n’est pas qu’il a quelque chose à dire sur le monde, c’est que le monde est une énigme pour lui et qu’il s’y aventure avec ses outils, à savoir son langage, pour dire de la façon la plus juste possible l'effet que le monde lui fait. Et cet effet comprend l'opacité, l'obscurité, l'ambivalence foncière de toute expérience affective, le fait que l’on ne comprend rien."
j'écris de la poésie depuis les années 80, de toutes sortes sur tous thèmes, sonnets par centaines, formes inventées, milliers de poèmes : pas une seconde je n'ai songé les vendre, je m'en fous, j'ai qq centaines de lecteurs réguliers, sans intermédiaires
un choix, un peu daté... POÈMES 1975-2016
(Parfois, ici, je suis POÈTE)

Dans LES BRAS DE PARIS
FRANÇAIS DE LA BAGUETTE
OÙ TOMBENT LES FILLES VERTES
DE L’EXIL

Dans L’ALCOOL DES POITRINES
JUSQU’AU DERNIER BOUTON
OÙ TON OR BLANC MONTE À LA TÊTE
FRAGILE

Dans LE JOURNAL MA DROGUE
MA VIGNE AUX PIEDS VIOLENTS
OÙ TOUT A L’ATOUT MAÎTRE
À LA LIGNE

Je VIOLE LES ÉCHOS ET PILLE LES ÉTOILES
AU TANGO LOIN
DES VIOLENTS Je me DONNE

LIVREDEL III Livre sans nom, Chapitre 2, 1990
Dans cette partie, carrée, les mots en CAPITALES sont empruntés aux titres du journal, chaque jour


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Message par Invité Sam 22 Mai - 13:54


QU'EST-CE QUE LA POÉTIQUE ?

dialectique de l'œuvre
je trouve cette définition de Wikipédia pas mal, du moins traduisant ce que je considère comme telle. Elle est sans doute un rappel utile pour éviter des contre-sens rapprochant la poétique exclusivement de la poésie, comme avec l'adjectif commun "c'est poétique"

mais quand Wikipédia écrit que « L'esthétique, discipline de la philosophie ayant pour objet les perceptions, les sens, le beau (dans la nature ou l'art), ou exclusivement ce qui se rapporte au concept de l'art. // Elle se substitue historiquement à la Poétique initiée par Aristote. », je pense que la poétique a repris historiquement le dessus ou devrait, en tant qu'elle émane de la fabrique des œuvres d'art par les artistes, et non de la pensée de philosophes n'ayant pas de praxis artistique

il y a toutefois une légère ambiguïté, dans la définition de Wikipédia, entre « idées qui ont propulsé la création d'une œuvre d'art » et « émanation créative spécifique des artistes ». La poétique émane des œuvres, au sens où Hugo posait la question : « Ne vaudrait-il pas toujours mieux faire des poétiques d'après une poésie, que de la poésie d'après une poétique ? », cité par Georges Mounin, Sept poètes et le langage, Gallimard, 1992

il faut donc retenir la dialectique de l'avant-pendant-après le chantier de l'œuvre, puisqu'un artiste expérimenté en tire une façon de poétique déterminant pour partie ses œuvres en cours, la production de celles-ci étant elle-même poétique en mouvement, donc en évolution et changement...
Une poétique (du grec poiesis, « créer ») est l'ensemble des idées qui ont propulsé la création d'une œuvre d'art ou d'un courant artistique. Elle est l'émanation créative spécifique des artistes, par opposition aux bases méthodologiques, technologiques et culturelles sur lesquelles les œuvres s'appuient pour exister. Elle est le principal objet d'étude des critiques d'art.

Étudier une poétique permet de relever la psychologie inhérente à une œuvre.

L'appréhension des poétiques a été historiquement exhibée par Aristote dans La Poétique, vers 335 av. J.-C.

Perspective
Alors que la poïétique décrit le processus de création, la poétique ressort de la création. Les oppositions dans la critique font qu'il y a souvent un amalgame entre les deux notions.

Une poétique est très différente d'un style. Sur le plan de la symbolique, une poétique contient des symboles souvent très nombreux, tandis qu'un style est simplement un symbole en lui-même.

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Message par Invité Lun 31 Mai - 19:46


UNE CONTRADICTION DANS LES TERMES

Conférence "Y a-t-il un art communiste ?"
Jacques Rancière, audio 1h 7mn, 10 avril 2019


POÉTIQUE, la mienne et d'autres 532cb7dcea3aafc40533675eafe2341f_expoxl
La notion d’art communiste est problématique. Car l’idée du communisme est celle d’une société abolissant la division et la hiérarchie entre les différentes formes de l’activité humaine. L’artiste communiste veut supprimer l’art comme réalité séparée, pour l’identifier directement à la construction des formes sensibles du monde nouveau. Mais l’art peut-il se supprimer sans faire œuvre de cette disparition ? Et ce communisme esthétique est-il compatible avec celui des stratèges de l’édification communiste ?
Rancière pose le problème dans sa généralité, le rapport entre les deux termes : l'art et le communisme. La question est toutefois limitée par le contexte dans lequel elle est posée, cf l'affiche

le collage des deux mots dans "artiste communiste" me semble déjà douteux, mélangeant des torchons et de serviettes : l'œuvre d'un artiste doit-elle dépendre de ses convictions politiques au point qu'on ne puisse pas les séparer ? C'est pourquoi je répondrai d'emblée, oui, « le communisme esthétique est compatible avec celui des stratèges de l’édification communiste » parce qu'il en est l'aberration spécifique au domaine de l'art, et en ce sens je m'opposerais à l'idée même d'un "communisme esthétique" comme je le fais à "l'art engagé" du "gauchisme esthétique"

mais comme je le craignais, Rancière ne s'est pas suffisamment extirpé du contexte de l'exposition pour que ses observations aient un intérêt plus général. Son exposé n'en est pas moins intéressant, du côté de l'utopie que portaient, du moins jusqu'à la fin des années 20, certaines réalisations artistiques

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Message par Invité Mer 16 Juin - 11:39


POÉTIQUE, la mienne et d'autres E3VO1GkXMAIF4RI

État de veille, 1943

DEMAIN

Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force
De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : Le matin est neuf, neuf est le soir.

Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille
À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.

Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.

1942


De juillet 1942 jusqu'à son arrestation, le 22 février 1944, Robert Desnos participe au réseau de résistance AGIR. Depuis Compiègne, il est déporté le 27 avril 1944 vers Flöha, via Auschwitz, Buchenwald et Flossenbürg. Épuisé par deux semaines d'une marche de la mort qui l'a amené fin avril 1945 à Theresienstadt, il meurt dans un Revier dantesque un mois après l'abandon du camp par les agents de la Sipo à l'Armée rouge, le dernier jour de la guerre. Reconnu peu avant sa mort par un étudiant tchèque mobilisé, son corps est rapatrié en octobre et enterré au cimetière du Montparnasse.

source

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Message par Invité Jeu 1 Juil - 16:52


"APRÈS COUP"

« et c'est souvent après coup que le poète découvre ce qu'il avait à dire »
il y a longtemps que je ne m'étais pas mis sous les yeux un ouvrage solide sur la poésie. J'en ai trouvé un en flânant hier dans Montreuil - ma première terrasse depuis l'hiver 2019-2020 -, réédition en poche d'une première publication en avril 2020
POÉTIQUE, la mienne et d'autres 9782072917554_4_75
publié le 13 mai 2021
recension
le choix des poètes et textes cités est à mon goût excellent, bien que j'eusse préféré des extraits d'Aragon plutôt que de Valéry, grand penseur mais petit poète. Qu'on en juge : Baudelaire, Mallarmé, Charles Cros, Claudel, Valéry, Alfred Jarry, Victor Segalen, Apollinaire, Reverdy, Mandelstam, Marina Tsvetaeva, Éluard, Breton, Artaud, Michaux, Francis Ponge, Robert Desnos, Michel Leiris, Raymond Queneau, Wysten H. Auden, Armand Robin, Aimé Césaire, Jacques Réda

de mon panthéon, il manque bien quelques-uns (Verlaine, Léon-Gontran Damas, Octavio Paz...) mais aller, aujourd'hui, chercher Reverdy, Artaud, Ponge, Desnos et Leiris, est la preuve qu'on n'est pas tombé sous le charme de la poésie philosophique du dernier tiers du siècle dernier. Et puis l'auteur termine sa présentation sur ces mots : « C'est au lecteur de prolonger l'exercice, je serais heureux que chacun complète à sa façon la table des matières. » En sont absents la Lettre du voyant et les Manifestes du surréalisme, parce que « trop connus et publiés cent fois »

avec une certaine auto-dérision vu son titre l'auteur cite en exergue Marina Tsvetaeva


« Poètes, poètes, plus encore que la gloire de votre vivant,
craignez les monuments posthumes et les anthologies. »

il y cite (illicite ?) aussi Virginia Woolf, dont personne n'a plus peur aujourd'hui, et qui citait là, dans le roman éponyme Orlando, de 1928, un "trans" avant la lettre, homme qui devint femme : « Sur la poésie elle-même, Orlando recueillit seulement qu'elle était plus difficile à vendre que la prose, et aussi plus longue à écrire, bien que les lignes fussent plus courtes. » Sur la première affirmation et bien que n'ayant été tenté par vendre ni l'une ni l'autre, c'est un lieu-commun, mais quant au temps passé à fabriquer quelques vers, j'en sais quelque chose
Gérard Macé est un poète, essayiste, critique, traducteur et photographe français né à Paris le 4 décembre 1946. Il a été surnommé « écrivain-colporteur » dans numéro spécial de Critique qui lui a été consacré en 20191.

Son œuvre mêle des genres littéraires divers et est relativement inclassable. Il est notamment un écrivain de la mémoire vivante et créatrice, entendue comme un processus où invention, souvenirs et rêverie se confondent.

je suis heureux de cette trouvaille, qui accompagne on ne peut mieux ma mutation créatrice et ma déconnexion de la pensée pure qui croit encore pouvoir dire le tout sur le tout, mais dont ne brille que le nombril dans le regard éteint de quelques présomptueux*

* je lis encore quelques textes de théorie communiste radicale, mais qui me paraissent de plus en plus mauvais voire creux par leurs fondements-mêmes, leurs non-dits, sur lesquels reposent pourtant leur démonstrations prétendues "théoriques"


POÉTIQUE, la mienne et d'autres Gmp15
Du goût de l’homme au goût de l’Afrique,
par Gérard Macé, écrivain, voyageur, photographe

je ne manquerai pas d'y revenir par quelques citations de l'auteur ou de ses poètes choisis


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Message par Invité Sam 3 Juil - 18:12


JE SUIS TOUJOURS EN FORMES

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« la forme de l’œuvre d’art est son seul contenu essentiel,
il n’y a pas de forme et de contenu distincts, ils constituent une unité absolue »

Stanislaw Ignacy Witkiewicz, 1919
« [La] forme se manifeste comme entièrement différente de la conception qu’en donne le formalisme. Elle est vivante, réelle [...] : forme du contenu auquel elle doit s’unir indissolublement [...]. [Le formalisme] procède d’une mauvaise (parce que fausse et unilatérale) notion de la forme elle-même. Il mutile, il tue la forme. Il supprime le problème vivant posé par toute œuvre, en le supposant résolu in abstracto . »

Henri Lefebvre, Contribution à l’esthétique, Paris, Economica, 2001, pp. 94-95 »
source Le formalisme contre les formes... vivantes, Romain Duval, Nouvelle revue d’esthétique 2012/2 (n° 10), pages 141 à 151
j'ai eu la chance, dans mes activités artistiques depuis les années 1980, en peinture, poésie et musique, d'apprendre par l'expérience plus que de comprendre par un apprentissage académique, que l'essence de l'art est d'inventer des contenus par la forme, ce que disaient déjà Hegel, Nietzsche, et tant d'artistes bien placés pour le savoir. Inventer des formes, c'est aussi inventer des techniques, que ce soit en peinture, poésie ou musique (ou encore la danse, le théâtre ou le cinéma, mais j'en suis ignorant). J'ai ainsi pu me placer dans la posture des artistes face à leur œuvre, indépendamment de la qualité de la mienne

cela a largement compensé le fait de ne pas être connu, donc reconnu, puisqu'en fait je l'ai très peu cherché, préférant être tranquille à distance de tout marché de l'art et de la poésie

il m'arrive la même chose avec la guitare, convaincu que je suis de proposer la plus formidable approche de l'improvisation sur 6 ou 8 cordes qu'il soit donné d'entendre, en raison des formes nouvelles, donc des techniques inédites, proposées. Je remercie par conséquent la centaine de personnes qui suivent très régulièrement mes CARNETS D'UN GUITAREUX. On y trouve tout ce qui est proposé ailleurs dans des méthodes, et beaucoup plus, parfois contre les méthodes. Ne risque pas de me contredire la stagnation académique et revival constatée dans la rubrique GUITAR TECHNIQUE du Jazz Guitar Technique. Des guitaristes sans doute meilleurs que moi, dont des professionnels, ânonnent à qui mieux mieux, en guise de conseils à des débutants, des solutions à leurs problèmes qui, assez souvent, n'en sont pas : des problèmes oui, des solutions non, le tout à l'opposé de toute éthique du jazz


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il en sera pour me penser d'un orgueil excessif, peu importe : « La condition préalable de la personnalité créatrice n’est pas seulement son acceptation, mais sa glorification réelle de lui-même. » Otto Rank, L'art et l'artiste, 1929. source

« Ils font l’admiration des non-initiés : les formalistes. Tout à l’opposée : la forme vivante. »
Paul Klee, Théorie de l’art moderne, 1971

"la forme vivante", càd nécessairement forme nouvelle, sans quoi, il n'y a à proprement parler par d'art, ni d'artistes, mais de l'imitation, et des faiseurs. De quoi faire un sacré ménage parmi ceux et celles doté.e.s du label

dans le genre "nouveau", sur le marché de l'art, ce double événement, récent :


'Le plasticien qui a vendu une sculpture invisible à 15.000 euros
est accusé de plagiat par un autre artiste'

"une idée absurde qui est en train d'accoucher d'un conflit encore plus absurde"

en somme, avant, et plagiant Duchamp, on pouvait faire et vendre comme art n'importe quoi, ou plutôt n'importe quelle marchandise. Maintenant on peut le faire avec rien, même pas du vent, juste de la com'

l'art du rien l'air de rien
l'envolée de la valeur
et l'avaleur volé


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Message par Troguble Dim 22 Aoû - 13:02


SUS À LA "PHILOSOPHIE FORTE" !
Patlotch a écrit:
POÉTIQUE, la mienne et d'autres PazUnPoete
retrouvé dans Journal extime, 6 avril 2015

page extraite du recueil Liberté sur parole d'Octavio Paz, 1960. « Tes songes sont trop clairs, il te faut bien plutôt une philosophie forte. » Cette phrase témoigne chez ce grand poète et penseur d'un aller-retour entre poésie et philosophie

à mon sens aujourd'hui, une philosophie trop forte est un handicap à la poésie dans la mesure où celle-ci émane des songes, d'un ressenti avant la pensée. Sa construction formelle n'est pas celle de la philosophie, ou de la théorie, rationnalisant la perception et l'intuition. Leurs rapports à la réalité sont différents, jusqu'à incompatibles. Contrairement à ce qu'affirme Paz plus haut, le savoir se distingue du rêve et le rêve de l'acte

cela explique qu'aujourd'hui, si je m'exprime sur la situation en Afghanistan, le sens pourra diverger entre ce que j'en exprimerais en poète et en penseur

dans l'écriture de poèmes sur des thèmes politiques j'ai été confronté à la pression de la "philosophie forte", autrement dit la théorie que je partageais alors, ou inversement que je combattais, et la pente était irrémédiablement à la perte de leur caractère poétique, que masquait l'habileté de la forme, rythmes et rimes, etc. Cela ressemblait à des poèmes, à mes poèmes, mais ce n'en était que l'Ersatz, le Canada Dry

ce n'est pas tant que le poète ne penserait pas, encore moins qu'il ne pourrait penser voire par ailleurs philosopher, théoriser. C'est qu'en tant que poète, ce n'est pas son job, mais je répète la quête de la réalité. Et trop penser, construire rationnellement une pensée, la vouloir "forte" et cohérente, conduit à perdre la réalité

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Message par Troguble Lun 6 Sep - 8:47


« Merd' ! V'là l'Hiver et ses dur'tés »

si, comme disait Hugo, c'est bien plutôt à partir des poèmes que l'on peut concevoir une poétique, alors ont leur place ici quelques œuvres qui n'ont pas eu la chance d'être même considérée comme da la poésie majeure, pour la raison véritable qu'elles n'accédaient pas au rang de la littérature, que pour le coup je qualifierais bien de "bourgeoise"

j'avais sur les quais de Paris trouvé la première édition des Soliloques du pauvre, de Jehan Rictus, illustrée par Steinlein, 1903


POÉTIQUE, la mienne et d'autres Les_soliloques_du_pauvre-1736222-264-432

on en trouve l'intégrale sur un site consacré à ce poète
Bienvenue sur ces pages qui souhaitent remettre en lumière l’œuvre et la personne de Jehan-Rictus (1867-1933), maître de l’argot et poète de premier plan. (Un poète quelque peu délaissé par l’histoire officielle de la littérature certes, mais il a toujours eu de nombreux aficionados, n'a jamais cessé d'être réédité, et il ne se passe de saison sans qu’une nouvelle entreprise théâtrale ne s’empare de ses textes.)

extrait de L'Hiver

POÉTIQUE, la mienne et d'autres 49427117

Et pis contemplons les Artisses,
Peint’s, poèt’s ou écrivains,
Car ceuss qui font des sujets trisses
Nag’nt dans la gloire et les bons vins !

Pour euss, les Pauvr’s, c’est eun’ bath chose,
Un filon, eun’ mine à boulots ;
Ça s’ met en dram’s, en vers, en prose,
Et ça fait fair’ de chouett’s tableaux !

Oui, j’ai r’marqué, mais j’ai p’têt’ tort,
Qu’ les ceuss qui s’ font « nos interprètes »
En geignant su’ not’ triste sort
S’arr’tir’nt tous après fortun’ faite !

Ainsi, t’nez, en littérature
Nous avons not’ Victor Hugo
Qui a tiré des mendigots
D’ quoi caser sa progéniture !

Oh ! c’lui-là, vrai, à lui l’ pompon !
Quand j’ pens’ que, malgré ses meillons,
Y s’ fit ballader les rognons
Du Bois d’ Boulogn’ au Panthéon

Dans l’ corbillard des « Misérables »
Enguirlandé d’ Beni-Bouff’-Tout
Et d’ vieux birb’s à barb’s vénérables...
J’ai idée qu’y s’a foutu d’ nous.

Et gn’a pas qu’ lui ; t’nez Jean Rich’pin
En plaignant les « Gueux » fit fortune.
F’ra rien chaud quand j’ bouffrai d’ son pain
Ou qu’y m’ laiss’ra l’ taper d’eun’ thune.

Ben pis Mirbeau et pis Zola
Y z’ont « plaint les Pauvres » dans des livres,
Aussi, c’ que ça les aide à vivre
De l’une à l’aute Saint-Nicolas !

Même qu’Émile avait eun’ bedaine
À décourager les cochons
Et qu’ lui, son ventre et ses nichons
N’ passaient pus par l’av’nue Trudaine.

Alorss, honteux, qu’a fait Zola ?
Pour continuer à plaindr’ not’ sort
Y s’a changé en harang-saur
Et déguisé en échalas*.

Ben en peintur’, gn’y a z’un troupeau
De peintr’s qui gagn’nt la forte somme
À nous peind’ pus tocs que nous sommes :
Les poux aussi viv’nt de not’ peau !

Allez ! tout c’ mond’ là s’ fait pas d’ bile,
C’est des bons typ’s, des rigolos,
Qui pinc’nt eun’ lyre à crocodiles
Faite ed’ nos trip’s et d’ nos boïaux !

L’en faut, des Pauvr’s, c’est nécessaire,
Afin qu’ tout un chacun s’exerce,
Car si y gn’ aurait pus d’ misère
Ça pourrait ben ruiner l’ Commerce.



Après la rencontre initiatique du poète Jehan-Rictus et l’adaptation de son recueil « Les Soliloques du Pauvre » publié en 2017 (Au Diable Vauvert / Rayon du Fond), jusqu’à la toute récente aventure engagée avec Georges Arnaud, auteur du « Schtilibem », le rappeur Vîrus continue d'effacer les dates de mort de ses pairs d'asphalte ; un travail de résonnance allant puiser son écho dans les tréfonds des bas-fonds, pour ré-alimenter patiemment l'édifice de cette étrange poésie brute, incandescente et esseulée de la littérature française.

Vîrus fait ressurgir de l'oubli la vitalité populaire d'auteurs et de poètes de rue, entremêlée à la sienne, jusqu’à ce que les voix se confondent, laissant parfois le spectateur à ses pronostics. Une sorte de frairie fraternelle qui se raconte au gré de rencontres plutôt nocturnes, aux détours d’un art plutôt malfamé.

* Titre tiré de l'album "Daily Operation" de Gang Starr - 1992


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Message par Troguble Mar 14 Sep - 13:23


Ah! ma bonne dame, s'il n'y avait de notre époque que l'esthétique pour "pisser petit"...



Claude Ber (pseudonyme de Marie-Louise, Paule, Clémence Issaurat-Deslaef), née à Nice le 13 juillet 19481, est une poétesse, essayiste et autrice dramatique française.

Lettre à Claude Ber à propos de filiation littéraire, de poésie féminine, de l’épique, et d’un lyrisme déniaisé qui pourrait prendre pour objet le soi tout autant qu’une poutre. Par l’écrivain JB Corteggiani.

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Claude Ber au festival Voix vives de Sète. (DR)

Tu m’écrivais, Claude : « Je ne crois pas avoir suivi grand monde. Même si je peux faire salut au passage, à Char, Michaux, Celan, Artaud, Dickinson et bien d’autres, je ne donne guère dans la filiation… »

En refermant « Mues » (1), ton dernier livre, je me dis : en effet. Le chercheur Dominique Viart distingue trois formes de littérature : la concertante (celle qui se plie à la mode de petits cercles), la consentante qui reprend les anciens moules, et la déconcertante qui s’aventure où les mots ne sont pas encore allés. La tienne s’aventure.

« Mues », qu’est-ce que c’est ? (Il faut bien que je l’explique aux lecteurs de cette correspondance privée.) Un livre qui entame sa gésine à l’occasion d’un atelier d’écriture dans un monastère, sur le thème « Obstacles et empêchements ». Un vaste déploiement, à récits croisés, vers et prose, dans lequel tu reviens sur les épreuves de ta vie, la mort de ton père résistant (un René qui en a cotoyé un autre, Char), l’expérience de la folie (de ta compagne), et d’autres que tu maintiens en lisière.

extraits

« À chaque décade fut détruit ce que j’avais construit, rendu inaccessible ce à quoi j’avais œuvré. Mort, folie, suicide et autres événements de moindre consistance, mais toujours ravageurs. »

On trouve encore, dans ce livre, des variations sur la racine indo-européenne « mu », qui donnera « mot » et « muet », des listes de morts, des cueillettes de mots (d’insectes, de pierres, de plantes), des fragments biffés, des cauchemars de Conakry, des évocations des peintures et des bas-reliefs religieux, des citations latines, des aphorismes, des déferlements, le fantôme de « l’aïeule immigrée qui récitait Dante », des fragments cybernétiques repêchés dans « la poubelle planétaire », une méditation sur « l’ampleur du désastre de notre espèce »… et surtout, nombreux, des souvenirs frais d’une enfance « partagée entre l’été alpin et l’hiver aux rivages méditerranéens ».

Et tout ça en fausse pagaille, articulé en sept séquences, tenu par « l’exacte guillotine du geste » et « la cadence rigoureuse de la pensée ».

Tu m’écrivais : « la question du paysage poétique aujourd’hui met aux prises une modernité qui tombe parfois dans une obscurité ou un charabia de clercs et une tradition lyrique qui se renouvelle peu. Le défi est, à mon sens, de conjuguer les deux ».

Le pari est réussi, qui tend le livre tout du long.

Tu m’écrivais : « Le je n’est pas le moi ni l’égo le sujet. Il est en écriture question du sujet, et qu’il prenne ensuite comme objet son moi ou une poutre, ça ne me paraît d’aucune importance, c’est ce placement de la voix qui importe et non de quoi qu’il cause ! »

Une poutre ou un jambon. J’aime beaucoup : « Ce lever de soleil virant à l’acrobatie. Un côté quincaille dans le jambon. » Quant au placement de la voix, disparu Nougaro et le torrent de cailloux qui roulait dans son accent, il reste en France deux poètes qui emportent : Serge Pey et toi.

La modernité : le fragment, les télescopages, le patchwork, l’impur. Et l’enchevêtrement de la langue au réel. « Je contemple les mots comme s’il allait en surgir une révélation (…) Que jaillisse l’eau claire des syllabes entrechoquées, les grêlons de paroles dégèleront au chaud des gencives et le sang du Graal retrouvé coulera à flot dans les veines. » Modernité ? On trouve ceci dans un poème de Dylan Thomas : « the syllabic blood », « the wordy shapes of women », « the dark-vowelled birds ». « Especially When the October Wind » a été publié en 1934.

Ce mot de « modernité » me casse les pieds. S’il s’agit d’inlassablement ressasser le soupçon qu’on a concernant la capacité de la langue à dire le soi et le monde, tu n’es heureusement pas très moderne. S’il s’agit de tracer, loin du ronron lyrique et de ses formes rabâchées (le vers libre standard, dirait Roubaud), une cartographie des images, émotions, souvenirs qui traversent, de les assembler dans une forme riche et savante sous l’apparent débraillé, d’allier l’impulsion et la tenue, tu es heureusement moderne. Et si on disait plutôt : inactuelle ? toujours neuve ? bande à part ?

Question de génération, j’ai eu, moi, la chance d’échapper à la terreur post-structuraliste et à ses anathèmes. Je crois aux pouvoirs du langage comme j’ai cru aux pouvoirs du cinéma. Je récuse entre autres choses le pénible héritage qui enjoint de farcir du poème dans le poème, à toutes les sauces. Pierre Mabille, dans un livre pétillant qui se boit comme un bon rosé frais, tourne plaisamment la chose :

« c’est fou le nombre de / poems qui / parlent de poésie / en poésie blanche / toutcouleur ou ton sur ton / c’est vrai ça / tourne ça / tourne en rond / mais moi je fais / tout pour éviter ça / je suis super malin ». (2)

Mais revenons à cet entre-deux qui est ta « résidence favorite ».

Tension 2 : entre le je et le nous. « A travers les tous-morts, le grande histoire vient se mêler aux minuscules histoires dont elle est faite, emportée avec elle dans une avalanche de corps, dont je ne sais s’ils chutent ou s’ils s’élèvent, grappes humaines dégringolées (…) »

Tu m’écrivais : « J’ai toujours résisté aux injonctions et aux attentes d’une poésie sinon féminine, du moins assignée à des sortes de ghettos littéraires, où aux femmes sont dévolus le corps, l’amour, l’éros voire la plainte, aux hommes le métaphysique et le collectif, dont l’épique. L’épique est aussi une façon de les contourner, voire de les déconstruire. » Et encore :

« L’idée qu’un grand poète puisse être une femme aura eu du mal à passer et n’est pas encore tout à fait passée aux yeux de certains papes du poème alors que les Akhmatova, Tsvetaïeva, Plath, Bachmann, ont été plus vite accueillies par le milieu poétique français, qui a eu longtemps tendance à parquer ses femelles dans les ghettos de la “poésie féminine” ».
C’est vrai mais les choses changent, Claude. Au dernier festival de Sète, Voix vives, les éditions Isabelle Sauvage – la plus remarquable des petites maisons françaises, qui publie deux ou trois pépites par an – présentaient sur leur stand une majorité de femmes : outre Christiane Veschambre et François-Louise Demorgny, les cadettes Claire Le Cam, Nathalie de Courson, Anna Milani. Dans « Lettre d’un frère à ses sœurs (moins une) », Le Cam, à travers un narrateur garçon et alcoolique, dézingue une famille à dégueuler. Dans « A bout », De Courson scrute les pesanteurs de la filiation (cinq enfants autour d’un père qui se défait). En trente mini-proses précises, Anna Milani invente, dans « Incantation pour nous toutes », un espace du dedans nervuré de rivières et traversé de fantômes. Chez ces trois-là (dont les livres figurent parmi les pépites susdites), pas d’(auto-)assignation au corps, à l’amour, à l’éros ou la plainte.

Et l’une des sensations de Sète, c’était une femme, Florentine Rey, qui offre dans ses performances toutes sortes de bonbons brefs : notations qui dérapent, illuminations (« cascade de coquelicots sur l’igloo »), métamorphoses express (« On se prend à grande vitesse / et on jouit comme des baies / dans une bouche gourmande »), commentaires politiques mordants et coups de griffe féministes : « Chérie / Ramasse les miettes / pendant que je m’occupe de ma carrière / comme ça dans quelques années / on pourra prendre une femme de ménage ». (3)

Tension 3 : le lapidaire et le déferlant.

Le lapidaire, c’est en partie ton héritage de Char. Par exemple : « Le bonheur se rabote à la camarde. L’histoire à sa répétitive barbarie. Les Ténèbres sont sans leçon. »

Le déferlant, alors ça c’est tout toi ! « Aux batailles des cimes labourées de cratères et déchiquetées en crénelures par l’ouragan, succédait l’accouplement avec la mer, que les rafales cabraient de soubresauts. »

Tu écris quelque part : « Le bref peut être verbeux là où l’abondance d’Homère ou de Dante ne le sont pas. »

Tension 4, entre l’abstrait et le concret. Char là encore, marieur de l’un de l’autre. Tu voudrais, toi, « téter le temps aux deux embouts », et goûter « la pulpe de l’être comme une figue ouverte dans la bouche ».

Tension 5 : où se mêlent la sauvage, qui « braye brut dans le soleil », et la lettrée nourrie de présocratiques, de Lucrèce, de Pascal, de Spinoza, de Wittgenstein, de Deleuze…

Tension 6 et dernière et parfois problématique : celle du corps et de l’esprit.

« Le poème plonge dans “l’atmosphère de la pensée” »
Tu m’écrivais : « J’ai souvent à l’esprit une remarque de Kierkegaard : en plongeant dans le langage, le poème plonge dans “l’atmosphère de la pensée”. Plus que la philosophie et surtout qu’une philosophie, c’est cette “atmosphère de la pensée” qui est présente au poème. » Et tu te moquais, dans cette même lettre, de ta « philosophicaillerie ».

Même si je comprends que la philosophie est partie soudée de ton esthétique, qu’elle est pour toi contiguë au poème tout comme la musique ou la peinture, que « saveur, savoir et sagesses puisent à la même racine du goûter des papilles », je t’avoue que j’ai du mal avec ça par exemple : « dans la conscience accrue et à cru du sans conscience et de l’au-delà d’elle la contenant ». J’entrave pas. Ces pensers-là, même en vers nouveaux, me restent un peu sur la panse. Je préfère de loin : « c’est corps vivant, son paquet d’organes secoué par le cri, le rire, le jouir, la douleur, qui s’ébat et se débat dans ses buissons, étranger à la gloriole de l’esprit ».

J’ai du mal aussi avec la substantivation à haute dose des verbes et surtout des adjectifs – depuis longtemps ancrée dans ta poétique. Parfois, c’est heureux (« Le matin sent la mûre et l’humide », « l’ouvert d’un vent doux »), parfois moins. Mais bon, les meilleurs auteurs ont leurs marottes. Hugo ne mégotait pas sur le vaste, le vague et le profond. Reverdy abusait de l’impersonnel (« on »). Breton était surréaliste dans la boursuflure. Céline a rabâché son style à partir de « Mort à crédit », avec son mitraillage de phrases nominales, de points d’exclamation et de suspension. Je te flagorne, tu vois bien.

Tu disais au public rassemblé du festival de Sète : ce livre est testamentaire. Et tu leur lisais cet extrait :
« – Couvre-toi, tu vas attraper la mort ! grondait la Marroune, qui enroulait son châle noir autour des petites épaules, enveloppant le corps entier dans sa nuit apaisante. Je n’ai pas attrapé la mort, c’est elle qui me rattrape. »

Testament poétique aussi ? Quels poètes viennent encore « de parole oratoire / et de présocratique » ? Avec qui partages-tu cette inquiétude ? : « Traversent-ils encor la rumeur du poème / le plaisir d’Epicure et l’ampleur de Lucrèce / leur saveur conjuguée de savoir et de sagesse ? » Comme la mélancolie n’est pas ton fort, tu reformules plus gaillardement : « L’esthétique d’époque pisse parfois petit, il faut s’y faire, c’est, de toute façon, un autre vent qui règle la voilure. » Tu veux parler de la mode des haïkus, must-write des ateliers d’écriture poétique ?

C’est une autre saveur en bouche qui me reste de la lecture de « Mues ». Celle de la célébration du temps présent par une pourcelle d’Epicure. « Demain déplie plus de linceuls que de nappes de fête, dites vous ? Parlez pour vous, je m’active au journalier. » Et ce qui me touche le plus, c’est que fringale vienne après famine :
« la folie / l’océan épongé à la serviette (…) depuis tout de tout je ramasse (…) Cela j’ai appris de la folie / le tout du tout ramasser / jusqu’au fin fond de la corbeille trouée / son sans fond y compris je ramasse ».

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