LUTTES POUR LE VIVANT
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LUTTES POUR LE VIVANT
Fabrice Nicolino : « Contre les pesticides, c’est maintenant ou jamais »
Entretien Reporterre 5 octobre 2018
L’Appel des coquelicots pour l’interdiction de tous les pesticides de synthèse a été lancé en septembre. En ce vendredi 5 octobre, à 18 h 30, se déroule un premier rassemblement devant les mairies. Fabrice Nicolino, un des initiateurs de l’appel, explique pourquoi il appelle à une mobilisation massive.
Rendez-vous ce soir, vendredi 5 octobre, à 18 h 30 devant votre mairie. Pourquoi ? Pour demander l’interdiction de tous les pesticides de synthèse. Et cela recommencera tous les premiers vendredis du mois, pendant deux ans. L’ambition est de réunir d’ici là cinq millions de personnes, afin de pousser le gouvernement à agir. Ce pari fou a été lancé le 12 septembre dernier par un Appel de la jeune association Nous voulons des coquelicots. Son président est Fabrice Nicolino, journaliste spécialiste des questions d’écologie et collaborateur de Reporterre. Il explique pourquoi il donne rendez-vous ce soir pour le premier rassemblement des coquelicots.
Reporterre — Tu es engagé en faveur des questions écologiques depuis bien longtemps. Qu’est-ce qui t’a fait choisir la cause des pesticides en particulier ?
Fabrice Nicolino — Les pesticides sont un poison universel qui s’est infiltré dans tout ce qui est vivant. Mon sentiment est que l’on assiste à un événement de nature apocalyptique. Je sais que c’est un mot qui est connoté et qu’on hésite à employer, mais c’est celui que j’ai envie d’employer parce que ce qui me frappe, c’est la rapidité extraordinaire de la disparition de toutes formes de vie. Une étude du Muséum national d’histoire naturelle et du CNRS montre qu’un tiers des oiseaux a disparu en quinze ans en France. Si l’on s’en tient aux études allemandes, qui semblent pouvoir s’appliquer aussi à la France, elles disent que 80 % des insectes volants ont disparu. Il s’agit de chaînes alimentaires qui sont rompues probablement à jamais.
Tout le monde le sait, enfin peut-être 80 ou 90 % de la population et, dans le même temps, on ne fait rien. On doit attendre je ne sais quoi, Godot peut-être, mais rien ne se produit : on est spectateurs d’une catastrophe totale et qui menace beaucoup d’espèces vivantes et aussi la santé des humains ! Il ne s’agit pas seulement des forêts de Birmanie ou des océans au large des Galapagos, il s’agit de la France, qui a changé de visage en l’espace de 50 ans. Il suffit de regarder les papillons : c’est extravagant, jadis, au temps de ma jeunesse, il y avait des papillons absolument partout, dans tous les prés. Il y avait des coquelicots et des bleuets, parce qu’il n’y avait pas encore le même niveau de pesticides. Si on n’agit pas maintenant, là où on est, contre les pesticides, on ne fera rien parce qu’il n’y aura plus rien à faire.
Et puis, en ce qui concerne les pesticides, il y a une base « objective » au soutien d’un Appel comme celui-ci. En l’espace de 25 ans, des millions de gens ont commencé à consommer des produits bios. En 2016, selon l’Agence bio, 91 % des Français avaient consommé au moins une fois un produit bio.
Donc je me suis dit que d’abord, c’est maintenant ou jamais, et ensuite, qu’il existe une base réelle dans la société pour soutenir l’appel à l’interdiction de tous les pesticides.
Pourquoi une mobilisation sous forme d’Appel ?
C’est tout le contraire d’une pétition. C’est un appel à l’action, à une action qui va durer deux ans et qui consiste à rassembler au moins 5 millions de personnes. C’est très ambitieux, on a conscience que cela n’a jamais été fait.
Cet appel va se concrétiser dès aujourd’hui 5 octobre avec des rassemblements partout en France devant les mairies. Il y aura au total 24 rendez-vous mensuels devant les mairies, le premier vendredi de chaque mois, à 18 h 30. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’avec des moyens dérisoires — on est une douzaine de bénévoles et on n’a pas un rond —, on a permis que des centaines de rassemblements se produisent le 5 octobre. Trois cents sont d’ores et déjà enregistrés dans le cadre du site. Mais compte tenu de ce que l’on entend, par-ci par-là, il y a énormément d’autres rassemblements qui n’y ont pas été enregistrés. On pense qu’il y aura au moins quatre cents rassemblements en France, ce qui est considérable. Ils seront peut-être modestes. Mais c’est la première fois, le premier mois. L’idée, depuis le départ, est que l’on sera de plus en plus nombreux pour être, le dernier mois de l’appel, en octobre 2020, des centaines de milliers de gens, voire des millions, devant les mairies.
Tu parles d’action. Le fait de se rassembler devant les mairies est-il suffisant ?
Pour l’instant personne n’a rien fait, donc c’est déjà quelque chose de rassembler des gens, de les sortir de chez eux, de les faire quitter leurs ordinateurs et Facebook. C’est déjà quelque chose de différent, une action concrète. Notre rêve est qu’une sorte de Téléthon anti-pesticides se mette en place et que les gens inventent des formes d’action adaptées à ce qu’ils sont, à l’endroit où ils vivent, à la nature de leur travail. Dessiner un coquelicot et le mettre à sa fenêtre est déjà une action concrète qui engage la personne. Notre idée est que, pour obtenir cinq millions de soutiens, il faut aller loin dans la société française, toucher des gens qui ne sont pas habitués faire quelque chose, à montrer leur opinion. Il faut trouver des moyens de toucher les gens partout, dans le moindre recoin de la société française.
Ensuite, il y a deux hypothèses. Soit on ne réussit pas, mais cela n’empêche pas d’y aller. Soit on réussit à avoir un très grand soutien populaire à cet appel — qui est radical parce qu’il demande l’interdiction d’une industrie — et on sera face à un cas de figure inédit. Dans un pays démocratique, un pouvoir peut-il considérer que face à une société civile qui dit quelque chose, il peut détourner le regard et passer à autre chose ? Je pense que non, que si on arrive à des millions de soutiens, cela créera une onde de choc, en France mais aussi en Europe et pourquoi pas dans le monde. Car je pense que cet appel concerne la totalité de la planète, même si on commence par la France.
Il faut montrer qu’une société vivante a le droit d’exiger un certain nombre de choses. C’est le grand enjeu de cet appel : si la société est vivante, elle saura se défendre et va nous rejoindre facilement. Et si par extraordinaire, elle ne nous rejoignait pas, que faudrait-il en conclure ? Que rien n’est possible. Si une société ne se défend pas contre des poisons qui vont jusque dans ses tréfonds, elle ne se défendra pas non plus contre le dérèglement climatique ou la disparition de la biodiversité. Elle va accepter toutes les conséquences de la crise écologique. Je plaide pour un sursaut de nature historique.
Les pesticides ont commencé il y a environ 70 ans en France. Il y a un début. Maintenant il faut voir si on est capable de décider collectivement de la date de fin des pesticides en France.
Si vous obtenez l’interdiction des pesticides, comment imaginez-vous la suite, notamment pour les agriculteurs ?
Je vais dire les choses avec simplicité. Notre Appel ne vise pas les agriculteurs. Je crois que le mot n’est même pas énoncé. Ce n’est pas le sujet de notre Appel. Notre Appel est une réaction d’autodéfense de la société qui est confrontée à un poison. Si la société est capable de se lever pour dire qu’elle ne veut plus de poison, elle saura trouver les voies pour se passer de pesticides et aider les paysans à se sortir du piège épouvantable que ces produits représentent pour eux.
Un très grand nombre d’agronomes ont établi que l’agriculture écologique, ou l’agroécologie sont les seules susceptibles de faire face à l’existence de 10 milliards d’êtres humains sur Terre d’ici quelques décennies. Là aussi, ce n’est pas une option.
Notre rôle est de dire que ce système des pesticides doit disparaître parce qu’il est mauvais pour tous. C’est un cri pour arrêter une machine infernale. On veut montrer la vitalité de la société française face à une menace globale qui est très grave.
Que pensez-vous de l’interdiction des néonicotinoïdes, entrée en vigueur le 1er septembre dernier ?
On fête une victoire parce que les néonicotinoïdes, qui ont tué une grande partie des abeilles, sont interdits au bout de 25 ans ? Ce n’est pas une victoire, c’est une énorme défaite.
Les pesticides sont un système qui fonctionne très bien avec des interdictions rituelles. Quand des pesticides sont interdits, d’autres prennent la suite. Pour les néonicotinoïdes, dès les premiers épandages de Gaucho sur les grandes cultures en 1992, les apiculteurs se sont rendu compte qu’il y avait une surmortalité délirante dans leurs ruchers. L’alerte a été donnée tout de suite. Et on est en 2018. Toutes les équipes politiques de droite et de gauche qui se sont succédé ont soutenu les néonicotinoïdes, ont refusé l’interdiction, permettant au passage à Bayer et BASF de rentabiliser leur poison. Il a donc fallu un quart de siècle pour obtenir leur interdiction mais il y a d’ores et déjà d’autres produits en circulation, ou qui seront bientôt en circulation. Par exemple il y a eu une alerte il y a six mois de la part de scientifiques de l’Inra [Institut national de la recherche agronomique], l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale], du CNRS [Centre national de la recherche scientifique], qui mettent en garde contre les fongicides SDHi, et qui craignent qu’ils expliquent, notamment, l’augmentation considérable d’encéphalopathies graves chez les enfants. Et pourtant, ils sont épandus sur 70 % des surfaces de blé tendre en France.
Donc, les pesticides, c’est un système, ça ne finit jamais. La bataille est perdue d’avance si on ne remet pas en cause le système dans sa globalité. Il y a toujours d’autres produits pour remplacer ceux qui sont interdits après avoir fait des désastres monumentaux. Ou on attaque le système des pesticides, ou on se condamne à des campagnes perpétuelles, perpétuellement perdues. Au Grenelle de l’environnement, il a été décidé de diminuer de 50 % l’usage des pesticides, cela a coûté des milliards d’euros et pourtant, la consommation de pesticides a augmenté de 20 %. C’est un système pratiquement indestructible, qui est enraciné dans l’appareil d’État, qui a le soutien du ministère de l’Agriculture, d’une partie de l’Inra, de la FNSEA [Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, principal syndicat d’agriculteurs].
Il faut changer d’état d’esprit. On s’est tellement pris de coups sur la gueule depuis des décennies, on est allé si loin dans la destruction des formes de vie qu’il n’est que temps de réagir et d’unir toutes les forces disponibles pour gagner, pour abattre ce système des pesticides par l’affirmation d’une société vivante.
Je m’adresse à chaque lecteur de Reporterre en disant : c’est maintenant. Il faut que l’on accepte de donner du temps et de l’énergie pour une cause supérieure. C’est un appel insistant à l’action collective. C’est fondamental. J’entends trop souvent des gens qui disent : « Mais, qu’est-ce qu’on peut faire ? » Je dis : « Passons à l’action. Arrêtons de nous plaindre. » Il faut une perspective concrète qui mobilise chacun. Chacun doit trouver sa force et sa manière de répondre à l’Appel des coquelicots.
Propos recueillis par Marie Astier
Dernière édition par Patlotch le Ven 15 Mar - 2:05, édité 1 fois
Re: LUTTES POUR LE VIVANT
Les Bishnoïs,
premiers écolos du monde et nouveaux guerriers de l’environnement
Franceinfo 04/10/2018
premiers écolos du monde et nouveaux guerriers de l’environnement
Franceinfo 04/10/2018
Les Bishnoïs sont pacifistes mais prêts à tout pour sauver la planète. Dans le désert du Rajasthan, au nord de l’Inde, une communauté d’un million de villageois vit depuis cinq siècles en adéquation totale avec la nature
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L’écologie est chez les Bishnoïs une véritable religion. Une variante de l’hindouisme selon laquelle toute vie sur Terre est sacrée : hommes, animaux et plantes ont la même valeur à leurs yeux. Les Bishnoïs récupèrent les bêtes blessées ou orphelines, les traitent comme leurs enfants, il arrive même que les femmes leur donnent le sein. Ils poursuivent inlassablement en justice les chasseurs qui s’attaquent aux espèces menacées et peuvent aller jusqu’à donner leurs vies pour lutter contre la déforestation.
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En 1730, 363 "martyrs" Bishnoïs avaient ainsi été décapités alors qu’ils s’étaient attachés aux arbres pour empêcher le Maharadjah de Jodhpur de raser une forêt. Aujourd’hui le combat des Bishnoïs est devenu une question de survie pour l’Inde. L’air des grandes villes y est presque irrespirable, certains fleuves sont devenus des égouts à ciel ouvert et la pollution y fait plus de deux millions de morts par an.
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Alors les Bishnoïs s’organisent. A 78 ans Rana Ram plante sans relâche des arbres au beau milieu du désert. Il en a déjà fait pousser 30 000, le record du monde, et tente de convaincre ses enfants et petits-enfants de prendre le relais. Khamu Ram, lui, fait le tour du sous-continent pour sensibiliser ses concitoyens à l’invasion du plastique, 6 millions de tonnes sont produites chaque année en Inde et non-recyclées. Les jeunes générations, elles, tentent d’utiliser les nouvelles technologies pour actualiser la philosophie écolo de leurs ancêtres. De tous côtés, ces nouveaux guerriers de l’environnement montent au front pour convertir à l’écologie l’ensemble des Indiens et le reste de la planète.
Re: LUTTES POUR LE VIVANT
« Par dessus tout, les peuples de Micronésie partagent une compréhension commune de notre unité avec la terre et de nos liens avec nos voisins. Nous sommes engagés envers nos îles, nos peuples, et notre héritage culturel. »1
Lagon sud des îles Chelbacheb, Patrimoine de l'Unesco
Patrick Colin
Voilà un peu plus d’un mois que la France apprenait le départ de son célèbre ministre de l’écologie, Nicolas Hulot, qui désignait l’inaction du gouvernement et son manque de pouvoir face à la catastrophe environnementale en cours comme source d’un grand malaise et motifs de sa démission2. Quelques jours après cette annonce, une nouvelle actualité faisait la une des journaux : l’appel de 200 personnalités à sauver la planète, face au « plus grand défi de l’histoire de l’humanité ».3 Peu de temps après, le plaidoyer de son signataire et co-auteur Aurélien Barrau pour une politique écologique radicale déferlait sur les réseaux sociaux4, dans des vidéos partagées des milliers de fois et récoltant des commentaires favorables à la quasi-unanimité, fait remarquable.
Le monde politique français est-il sur le point de se réveiller et de prendre les mesures nécessaires pour sauver ce qui reste à sauver ? Ce moment historique auquel nous assistons peut-être actuellement aura en tout cas déjà eu lieu ailleurs sur le globe. Aux antipodes de la torpeur politique française, à l’autre bout du monde, des mesures d’urgence ont déjà été prises par les gouvernements locaux.
Nul besoin d’être un grand État pour montrer la voie aux puissances mondiales : citées comme des exemples à suivre lors de la mise en œuvre des Accords de Paris5, la République des Palau et la République des Fidji font pourtant parte des plus petits pays au monde, tant sur le plan géographique qu’au niveau de leur impact sur le réchauffement climatique. Les deux républiques insulaires ne prennent un effet qu’une part minime dans le pourcentage mondial des émissions de gaz à effet de serre : 0,01 % pour Fidji, et même moins de 0,01 % pour les Palau6 ! À titre comparatif, la France émet 1,34 %, l’Allemagne 2,56 % et les États-Unis 17,89 % des gaz à effet de serre. Bien loin de l’hybris qui s’est emparé d’une grande parte du monde, les petits États insulaires feront parte des rares à pouvoir plaider non coupables face à la catastrophe écologique en cours… Mais ils seront pourtant les premiers à souffrir des effets du réchauffement climatique7 ! Certaines îles, comme nous l’avions évoqué ici avec l’atoll de Takuu, subissent déjà au quotidien les conséquences de la montée des eaux, et risquent de voir l’ensemble de leurs terres passer sous le niveau de la mer dans les prochaines années.
Des militants au sommet de Copenhague en 2009, venus supporter la délégation de Tuvalu,
https://www.liberation.fr/terre/2009/12/09/tuvalu-l-archipel-qui-fait-des-vagues_598320
Ces petits Etats insulaires, particulièrement vulnérables, se sont réunis en une organisation intergouvernementale, l’Alliance of Small Island States, qui réunit principalement des petites îles du Pacifique et des Caraïbes, et veut ainsi amplifier la voix des îles face aux grandes puissances, sans toutefois toujours y parvenir. On se rappelle par exemple de la conférence de Copenhague en 2009, au cours de laquelle l’État du Tuvalu, en Polynésie, avait marqué les esprits en exigeant un plafond global pour la hausse des températures de 1,5°C et un cadre légal contraignant pour remplir cet objectif. Si l’intervention est restée mémorable et source d’exemple pour d’autres États insulaires8, la majorité a finalement fixé le plafond des températures à 2°C, n’a validé aucun cadre législatif visant à réduire réellement les émissions de gaz à effet de serre, et ignoré les appels au secours de la délégation de Tuvalu.
Fort heureusement, les initiatives prises par les îles pour la sauvegarde de leurs environnements n’ont pas toutes été condamnées à l’échec, et certaines devraient inspirer les pays les plus puissants. À ce titre, les îles Palau font figure d’exemple. Casoar vous avait déjà parlé de la grande richesse culturelle de ces îles de Micronésie, mais cette destination est surtout connue par les touristes comme l’un des meilleurs sites de plongée au monde. L’île abrite en effet quelques 1300 espèces de poissons et 700 espèces de corail, l’une des plus grandes concentration de vie marine au monde. Ce paradis longtemps resté confidentiel se voit aujourd’hui être mis en danger par son succès-même : le nombre de visiteurs dans les Palau a augmenté de 70 % entre 2010 et 20169, et, bien que le tourisme constitue une source de revenue très importante pour les Palau, l’augmentation exponentielle du chiffre des visiteurs constitue un véritable danger pour l’île, surtout au regard du manque de conscience écologique de certains touristes. Les Palauan vivent en réalité avec une épée de Damocles suspendue au-dessus de leurs têtes, et les conséquences de la dégradation de l’environnement se font d’ailleurs déjà sentir. Les îles ont en effet subi deux cyclones en moins de deux ans, du jamais vu depuis vingt ans. Pire encore, étant directement liées au réchauffement de la planète, ces catastrophes naturelles risquent de devenir de plus en plus fréquentes10. Quant aux ressources naturelles dont se nourrissent majoritairement les habitants, elles sont elles aussi mises en danger par la pêche intensive et les pratiques illégales telles que la pêche à l’explosif.
Bien que le XXIème siècle soit véritablement le siècle de l’urgence écologique, l’Océanie a pris très au sérieux les menaces sur son environnement de fanon relativement précoce comparée à d’autres zones géographiques. Dès 1976 est ainsi signée la Convention sur la protection de la nature dans le Pacifique Sud, ou convention d’Apia, qui reconnaît le danger subit par certains écosystèmes et souhaite mettre en place des réserves naturelles. Palau poursuit avec un acte fort en 1979 et inscrit la protection de l’environnement au sein de sa Constitution, décrétant celle-ci comme responsabilité de l’État même11. En 1981 est ensuite créée la Commission de Protection de la Qualité de l’Environnement, qui permet d’articuler protection de l’écosystème et développement économique et social de Palau12.
Tommy Remengesau au 4ème Forum des îles du Pacifique, Palau, en 2014.
AFP Photo/Richard W.Brooks,
https://www.yahoo.com/news/pacifclleaderslclimatelclaimlentrelnatonsl2009212007.html
Les choses s’accélèrent avec l’arrivée au pouvoir de Thomas Remengesau Jr. à partir de 2000. Conscient des défis auxquels son pays devrait faire face dans ce nouveau siècle, Remengesau mène une offensive écologique remarquable. Il lance ainsi le Micronesia Challenge en 2005, qui vise à préserver de plus de 20% des ressources terrestres et maritimes de la région, des objectifs surpassant de loin les recommandations des traités internationaux13. Bientôt rejoint par d’autres États de Micronésie, le challenge est ensuite repris en Mélanésie par les Îles Fidji, le Vanuatu et les îles Salomon, qui créent à leur tour des zones protégées dans l’Océan, et influence jusque dans les Caraïbes14. À contrario, poussé par les lobby de la pêche industrielle, on observe à Hawaii le mouvement inverse, avec un « droit à la pêche » adopté légalement, et qui rend extrêmement difficile l’instauration de lieux de préservation dans les zones maritimes alentours15.
Confirmant sa position de leader en terme de protection des océans, Palau créé en 2009 le premier sanctuaire de requins au monde sur une surface similaire à la taille de la France, et appelle à interdire partout dans le monde la pêche aux requins, mettant ainsi un frein à une extermination de masse (un tiers des espèces de requins est actuellement menacé de disparition16). Une fois encore, cette initiative fait des émules, et de nombreux autres pays ont, à la suite de Palau, créé leurs propres sanctuaires de requins17.
Et l’île ne s’arrête pas là : en inaugurant son sanctuaire marin en 2015, Palau créé une nouvelle fois un ambitieux projet. Le nouveau sanctuaire couvre 80% de la surface maritime de l’île, dans laquelle toute pêche est interdite, et seule la pêche traditionnelle est autorisée dans les 20% restant. À ceux qui trouveraient le projet trop contraignant, la réponse officielle est claire : l’économie de Palau est son environnement, et son environnement est son économie18. Limiter la pêche dans ses eaux, c’est aussi, au-delà de la mesure environnementale, légitimer une pratique traditionnelle, celle du bul. On désigne par ce terme l’arrêt de la pêche que les chefs déclarent lorsque certains signes, que savent détecter les Palauans les plus savants, montrent que la faune marine doit rester « au repos » un certains temps pour se reconstituer19. Cette reconnaissance des savoirs locaux et traditionnels comme réponse aux menaces contemporaines et universelles, c’est cela aussi qui est mis à l’honneur dans l’établissement de ce sanctuaire marin.
Dessin de Ukong Anastacio, école primaire de Koror, 2ème place du concours de dessin organisé pour les écoles par le Sanctuaire Marin National de Palau, pour la semaine de la mer, 2016
https://www.instagram.com/p/BMNp05vgdFP/0hl=/fr&ttakenlby=/palaunms
Enfin, plus récemment, Palau s’est une nouvelle fois fait remarquer sur la scène internationale avec une première mondiale : à partir de 2017, tous les touristes qui désirent se rendre sur les îles se voient tamponner dans leur passeport le serment de Palau, qu’ils doivent signer avant de pouvoir pénétrer sur l’île. Le texte, écrit avec et au nom des enfants palauan, demande aux visiteurs de se comporter avec bienveillance envers l’environnement, en ne laissant aucune trace qui ne puisse être effacée. A ce sujet, le président déclare attendre « avec impatience le jour où les initiatives prises par Palau seront vues comme normales et relevant du bon sens. »20 Impatience partagée de ce côté-ci du globe, monsieur le Président.
1 Phrase issue du Micronesia Challenge Business Plan and Conservation Campaign,
source : http://www.glispa.org/commitments/11-commitments/34-micronesia-challenge
Version originale : « Above all, the peoples of Micronesia share a common understanding that we are one with our earth and connected to our neighbors. We are commited to our islands, our peoples, and our natural heritage. » Traduction Camille Graindorge
2 Hulot : « Je me surprends tous les jours me résigner, m’accommoder des petits pas », dans Libération, https://www.liberaton.fr/politques/2018/08/28/hulot-je-me-surprends-tous-les-joursa-me-resigner-a-m-accommoder-des-petts-pass1674943
3 Le Monde, Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité : https://www.lemonde.fr/idees/artcle/2018/09/03/le-plus-grand-def-de-l-histoirede-l-humanite-l-appel-de-200-personnalites-pour-sauver-la-planetes5349380s3232.html
4 Brut, Interview d’Aurélien Barrau : « il faut des mesures radicales maintenant » : htps://www.facebook.com/brutofciel/videos/interview-daur%C3%A9lien-barrau-il-faut-desmesures-radicales-maintenant/326062241290143/
Conférence Climax Aurélien Barrau : Harceler le politique face aux catastrophes https://www.youtube.com/watch?vRR7sMZiiSmmqgttR118s
Aurélien Barrau sur l’écologie à « C Politique », France 5 https://www.youtube.com/watch?vRMsyndRagixR
5 Conseil des ministres – La mise en oeuvre de l’Accord de Paris (Paris, 09 mars 2016) : https://basedoc.diplomate.gouv.fr/exl-php/utl/documents/accedesdocument.php 1538886357911
6 Pourcentage des émissions de gaz à effet de serre, dans l’article Accord de Paris sur le climat : https://fr.wikipedia.org/wiki/AccordsdesParisssurslesclimatccitesnote-ratpct-14
7 Les régions du Pacifique concernées en priorité par la montée des eaux sont les îles Cook, les États fédérés de Micronésie, Guam, Kiribati, les Marshall, les Samoa, Tonga, Tuvalu, et Palau. Source : https://journals.openediton.org/jso/3842
8 Courrier International, Copenhague 2009. Tuvalu secoue la conférence, https://www.courrierinternatonal.com/artcle/2009/12/14/tuvalu-secoue-la-conference
9 Sources : https://seazen.fr/fr/blog/un-eden-du-pacifiue-force-les-touristes-a-preterserment-a-l-environnement-n114
10 Propos de Marine Guezo, biologiste marin au Palau International Coral Reef Center https://www.20minutes.fr/planete/1424049-20140730-appel-detresse-iles-pacifque-face-amontee-eau
11 Voir Constitution de Palau : http://www.wipo.int/wipolex/en/text.jsp?flesidR200951
12 Pour en savoir plus, site officiel du gouvernement de Palau : http://www.palaugov.pw/eqpb
13 Site du Micronesia Challenge : http://www.micronesiachallenge.org/
14 New York Times, « Pacific Miracles », https://www.nytmes.com/2007/04/21/opinion/21sat2.html
15 Ibid.
16 WWF, « Le requin, espèce prioritaire » : https://www.wwf.fr/especes-prioritaires/requins
17 On peut ainsi citer les Maldives, les États Fédérés de Micronésie, les îles Marshall, les Kiribati, Samoa, la Nouvelle-Calédonie, les îles Cook, la Polynésie française, Honduras, les Bahamas, la République Dominicaine, les Îles Caiman, Bonaire, les Îles Vierges Britanniques, St Maarten et Saba. Source : Shark Sanctuaries Around the World, https://www.pewtrusts.org/en/researchand-analysis/fact-sheets/2016/03/shark-sanctuaries-around-the-world
18 Pristine Paradise Palau : https://www.pristneparadisepalau.com/natonal-marine-sanctuary/
19 Article de Thomas Remengesau Jr, Palau Chiefs Offer Wisdom in ‘Bul https://www.hufngtonpost.com/president-tommy-remengesau-jr-/palau-chiefs-ofer-wisdom-inbulsbs8168200.html?guccounterR1
20 Vidéo youtube BrutNature Pour visiter les îles Palaos, il faut d’abord prêter serment : https://www.youtube.com/watch?vRVQI-7AsGU9R
Bibliographie :
Gouvernement de Palau : http://wwwwww.ppalaugov.ppww/ dernière consultation le 10 octobre 2018
Constitution de Palau : http://wwwwww.pwwipo.pint/wwipole//en/te/t.psspifleiid2200511, dernière consultation le 10 octobre 2018
Site touristique de Palau, informations sur le sanctuaire marin : https://www.pristneparadisepalau.com/natonal-marine-sanctuary/,dernière consultation le 10 octobre 2018
Site du serment de Palau : https://palaupledge.com/, dernière consultation le 10 octobre 2018
Article du Président des Palau sur les pratiques de pêches traditionnelles et leur lien avec les mesures écologiques, Palau Chiefs Offer Wisdom in ‘Bul https://wwwwww.phuffngtonpost.pcom/presidentttommftremengesautsrt/palautchiefstofert wwisdomtintbulibi8168200.phtmliguccounter21, dernière consultation le 10 octobre 2018
Re: LUTTES POUR LE VIVANT
en marge du référendum sur l'indépendance en Nouvelle-Calédonie
Depuis le XIXe siècle, l’industrie du nickel, fait la pluie et le beau temps en Nouvelle-Calédonie. Mais le coût environnemental et social de l’extraction ne va plus de soi, en particulier chez les jeunes Kanaks, comme le montre le blocage d’un site de la côte orientale de l’île de la Grande-Terre.
il est probable que ce mouvement correspond davantage à un changement de paradigme dans le contenu des luttes, comme j'ai essayé de le mettre en évidence par ailleurs. Mais l'on comprend bien « l'immense fierté » de Macron devant les résultats. Comme on dit, c'est nickel !
« Les jeunes pensent avoir été trahis par les anciens, qui exigent le respect de la part des jeunes »
Car les « vieux », c’est-à-dire les coutumiers anciens, qui ont pratiquement tous travaillé pour la mine,
ont, pour un certain nombre, passé un accord avec la SLN (Société Le Nickel)
sur l’exploitation des nouveaux gisements sans obtenir le consentement de l’ensemble des tribus.
Car les « vieux », c’est-à-dire les coutumiers anciens, qui ont pratiquement tous travaillé pour la mine,
ont, pour un certain nombre, passé un accord avec la SLN (Société Le Nickel)
sur l’exploitation des nouveaux gisements sans obtenir le consentement de l’ensemble des tribus.
En Nouvelle-Calédonie, de jeunes Kanaks se lèvent contre l’industrie du nickel
Delphine Bauer et Marion Parent Reporterre 3 novembre 2018
Delphine Bauer et Marion Parent Reporterre 3 novembre 2018
Depuis le XIXe siècle, l’industrie du nickel, fait la pluie et le beau temps en Nouvelle-Calédonie. Mais le coût environnemental et social de l’extraction ne va plus de soi, en particulier chez les jeunes Kanaks, comme le montre le blocage d’un site de la côte orientale de l’île de la Grande-Terre.
Plus on s’approche de la commune de Kouaoua, située sur la côte est de la Nouvelle-Calédonie, plus la présence du site minier de Méa, ouvert en 1977, apparaît au grand jour. Alors que la végétation luxuriante semble impénétrable, entre néfliers et banians, ces arbres aux racines multiples, un sillon aérien métallique tranche le fragile équilibre de ce camaïeu de verts. C’est la « serpentine », le deuxième plus grand convoyeur de minerai du monde. Long de 11 km, elle part du site pour se jeter dans la mer, d’où le nickel est chargé sur des minéraliers afin de partir pour être transformé. Dans cette région vallonnée, le site de Méa, géré par la Société Le Nickel (SLN), est un gros pourvoyeur d’emplois avec plusieurs centaines de postes directs. Trente millions de tonnes de nickel ont été extraites ici depuis un peu plus de quarante ans.
La « serpentine », convoyeur à bande minier rectiligne de 11 km de long.
Pourtant, il y a deux mois et demi, la concorde a volé en éclats. Le 6 août, une soixantaine de jeunes Kanaks, issus des tribus voisines, ont décidé d’occuper l’accès à la mine pour protester contre les conséquences écologiques de l’exploitation et le projet d’ouverture de trois nouveaux gisements. Ils y ont fait brûler des pneus : quelques jours plus tard, la SLN a décidé de fermer la mine, considérant que la sécurité de ses employés n’était plus assurée, notamment à cause des multiples incendies qui avaient ciblé la « Serpentine ».
Fin octobre, les jeunes militants étaient toujours postés à l’entrée du site. Au bout d’un chemin cabossé de terre ocre, parsemé de carcasses carbonisées de voitures, restes de la colère des premiers jours, des tentes de fortune, recouvertes de toile d’un beige terne ont été installées, ainsi qu’un réchaud et une grande table de récupération où sont pris les repas en commun. Dès le mois d’août, des négociations ont été lancées, faisant se rencontrer les différents acteurs du terrain, la SLN, la Province [la collectivité], mais aussi les chefs coutumiers [chefs de tribu] et l’État, qui joue ici le rôle de médiateur.
Le campement des jeunes de la tribu de Méa.
Quand nous avons rencontré les membres du collectif, le blocage était arrêté pour une semaine, le temps pour la SLN de se positionner sur la dernière revendication des jeunes militants : la fermeture définitive du périphérique ouest, tandis que les travaux des trois nouveaux sites prévus ont bien été suspendus. Les employés de la SLN « y ont coupé des chênes-gommes centenaires et endémiques. La procédure coutumière [en théorie, si l’un des coutumiers refuse, le projet n’est pas adopté] n’a pas été respectée », s’énerve Linda, 45 ans, technicienne des travaux environnementaux à la SNL depuis quinze ans, mais qui a rejoint le collectif par solidarité. « Les lieux qu’ils veulent détruire sont aussi des lieux de reproduction des notous, une espèce de gros pigeons endémique de la Nouvelle-Calédonie », s’inquiète-t-elle.
Le visage encadré de longues dreadlocks, vêtu d’un simple short et allant nus pieds, Nimoou Amori, l’un des fondateurs du collectif, revient de la rivière, où il s’est baigné, se reconnectant avec les éléments naturels. Pour les Kanaks, le lien avec l’environnement est fusionnel, chaque être vivant ou arbre étant une émanation des esprits des anciens. « Quand j’étais petit, nous allions à la pêche. La rivière regorgeait de saumons noirs, de merlus ou de crevettes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui », déplore-t-il. À ses yeux, la SLN — que nous avons contactée mais qui ne nous a pas répondu — en serait responsable. Par ailleurs, Nimoou Amori constate que le niveau de l’eau a considérablement baissé. « Quand la rivière sera sèche, que vont devenir les trois tribus ? » s’interroge-t-il, sachant que les Kanaks pratiquent une chasse et une pêche de subsistance. Quand il va se promener au bord de la rivière, le longiligne trentenaire se désole de voir les gravats charriés par la mine qui viennent progressivement combler le lit, favorisant ainsi les coulées de boues.
Nimoo Amoury, l’un des porte-parole du collectif des jeunes opposants kanaks, dans la rivière de son enfance.
Accroché à la plus grande tente, le slogan rédigé à la peinture « Nous revendiquons notre droit à une part de soleil comme n’importe quel peuple indépendant » résonne comme le cri d’une jeunesse qui aspire à plus de justice sociale. En Nouvelle-Calédonie, les Kanaks souffrent en effet toujours de discriminations dans le secteur de l’emploi et de l’éducation. Ils sont davantage touchés par le chômage que la moyenne calédonienne. Dans la commune de Kouaoua, les membres du collectif aimeraient recevoir plus que les miettes de l’industrie minière. « La montagne génère des milliards. Mais nous, qu’est-ce qu’on a gagné ? » demande Nimoou Amori. Il dénonce l’absence de services publics, de pharmacie, de magasins, de médecins ou presque. « Il faut que la mine investisse dans le développement. C’est une ville-dortoir », lance-t-il. Et diversifier l’économie pour sortir du tout nickel semble indispensable.
Imaginer que la Nouvelle-Calédonie puisse se passer du nickel est illusoire
S’il a beau dire que « ce n’est pas un combat politique ni de syndicaliste, mais le combat de jeunes pour l’environnement », il y a dans le discours de Nimoou Amori des revendications qui dépassent le champ environnemental.
La « serpentine » se termine dans la baie de Kouaoua, où des minéraliers récupèrent le nickel.
De mémoire kanak, « c’est la première fois qu’on voit des jeunes se lever contre les vieux coutumiers », précise Linda. En effet, au fil des réunions de médiation, le fossé s’est creusé entre les générations. « Les jeunes pensent avoir été trahis par les anciens et les anciens exigent le respect de la part des jeunes », poursuit-elle. Car les « vieux », c’est-à-dire les coutumiers anciens, qui ont pratiquement tous travaillé pour la mine, ont, pour un certain nombre, passé un accord avec la SLN sur l’exploitation des nouveaux gisements sans obtenir le consentement de l’ensemble des tribus. « Ils ont été “achetés” par la SLN, avec des contrats », accuse Nimoou Amori. Du côté de la mine, ces deux gros mois de blocage ont déjà coûté l’équivalent de 11 millions d’euros, selon les Nouvelles calédoniennes, mettant en péril les objectifs annuels de production. Sur la page Facebook du collectif « Halte à la pollution », initié par les jeunes, les commentaires traduisent aussi les craintes de la population. « Qu’avez-vous à vendre autres que des discours idéalistes ou profession de foi face à ceux qui vivent aujourd’hui même la perte de leur emploi ? » demande ainsi un internaute.
Linda, 45 ans, technicienne environnementale sur le site minier de la SLN depuis 15 ans, a décidé de rejoindre les jeunes opposants.
Imaginer que la Nouvelle-Calédonie puisse se passer du nickel est illusoire : le secteur représente 10 % du PIB de l’île, et pourvoit environ 3,5 % des emplois du territoire (mais 20 % de l’emploi privé). Le chercheur Christophe-Pierre Pantz, docteur en géopolitique, spécialiste de la question territoriale kanak, estime que les « entreprises du nickel ont globalement eu une conscience sociale, afin de garantir la paix sociale, en tentant d’impliquer les populations locales ». Des tentatives qui n’ont pas toutes abouti, comme en témoigne la situation à Kouaoua. Pour Gilbert Tuyuienon, membre du FNLKS (parti indépendantiste), et ancien maire de Canala, où se trouve aussi un site minier, il est clair que les sociétés minières d’aujourd’hui doivent s’impliquer davantage du point de vue environnemental, social, comme du point de vue des hommes. Et veiller à recueillir, « avant toutes les autorisations minières, le consentement éclairé et partagé des populations », insiste-t-il. Sans ce consentement, point de salut. Le mouvement de Kouaoua, minoritaire dans le paysage politique, marque-t-il une nouvelle étape dans la construction des projets miniers ?
il est probable que ce mouvement correspond davantage à un changement de paradigme dans le contenu des luttes, comme j'ai essayé de le mettre en évidence par ailleurs. Mais l'on comprend bien « l'immense fierté » de Macron devant les résultats. Comme on dit, c'est nickel !
Re: LUTTES POUR LE VIVANT
Le Monde publie (en édition abonnés) une tribune L’écologie est avant tout une science, pas un mouvement politique : La parole des scientifiques est assimilée à un discours idéologique, alors qu’ils ne font que présenter des résultats objectifs, estime le chercheur Sébastien Barot.... Cette affirmation/opposition laisse à désirer, l'écologie, à chacun la sienne, et le terme recouvre ces deux sens, ensemble ou séparément
on trouve par exemple l'opposition farouche de marxistes au "capitalisme vert" pour faire court, mais ils y rabattent toute lutte écologique. Exemples : Jean-Louis Roche du Prolétariat universel : L'écologie cette nouvelle imposture de l'histoire, 31 octobre 2018 ou Robert Bibeau des 7 du Québec : Prolétariat vs écologistes, environnementalistes et altermondialistes réformistes, 7 novembre 2018
j'ai montré dans l'ancien forum l'opposition irréductible entre d'une part "capitalisme vert", lui-même objet d'une guerre interne entre "transition énergétique" (Hulot, Macron...), et énergo-fossilistes (Trump, pétroliers...) et écologie révolutionnaire
l'article ci-dessous nous donne de celle-ci une variante dont le contenu ne me satisfait pas, comme ses affirmations : « Il ne nous appartient pas de renverser le capitalisme (puisque celui-ci s’en charge lui-même) », « le mode de vie adopté par les élites, qui n’est ni durable ni universalisable » (ce mode de vie est largement partagée par toutes les classes sociales), et enfin « réorienter la démocratie en tenant compte des limites écologiques de la Terre », comme si la solution était politique, « créer une contre-société écosocialiste au sein même du monde dominé par le capitalisme » (John Holloway)... Par contre, je pense comme l'auteur que les luttes paysannes sont et seront déterminantes
Rappelant l’urgence de s’émanciper du capitalisme, qui engendre la destruction des conditions de vie sur Terre, Pierre Madelin, dans son essai « Après le capitalisme », propose des réponses mesurées et radicales, en s’appuyant notamment sur l’écologie politique libertaire.
mars 2017
on trouve par exemple l'opposition farouche de marxistes au "capitalisme vert" pour faire court, mais ils y rabattent toute lutte écologique. Exemples : Jean-Louis Roche du Prolétariat universel : L'écologie cette nouvelle imposture de l'histoire, 31 octobre 2018 ou Robert Bibeau des 7 du Québec : Prolétariat vs écologistes, environnementalistes et altermondialistes réformistes, 7 novembre 2018
j'ai montré dans l'ancien forum l'opposition irréductible entre d'une part "capitalisme vert", lui-même objet d'une guerre interne entre "transition énergétique" (Hulot, Macron...), et énergo-fossilistes (Trump, pétroliers...) et écologie révolutionnaire
l'article ci-dessous nous donne de celle-ci une variante dont le contenu ne me satisfait pas, comme ses affirmations : « Il ne nous appartient pas de renverser le capitalisme (puisque celui-ci s’en charge lui-même) », « le mode de vie adopté par les élites, qui n’est ni durable ni universalisable » (ce mode de vie est largement partagée par toutes les classes sociales), et enfin « réorienter la démocratie en tenant compte des limites écologiques de la Terre », comme si la solution était politique, « créer une contre-société écosocialiste au sein même du monde dominé par le capitalisme » (John Holloway)... Par contre, je pense comme l'auteur que les luttes paysannes sont et seront déterminantes
Le capitalisme est « l’ennemi à abattre »
Ernest London Reporterre 8 novembre 2018
Ernest London Reporterre 8 novembre 2018
Rappelant l’urgence de s’émanciper du capitalisme, qui engendre la destruction des conditions de vie sur Terre, Pierre Madelin, dans son essai « Après le capitalisme », propose des réponses mesurées et radicales, en s’appuyant notamment sur l’écologie politique libertaire.
mars 2017
Pierre Madelin désigne le capitalisme « comme l’ennemi à abattre » puis se propose d’examiner les « possibilités “révolutionnaires” (au sens politique du terme) du présent », différentes stratégies et scénarios. Il prévient d’emblée : « Toute réflexion politique se voulant radicale mais ignorant la question écologique se condamne au ridicule, et toute écologie politique réformiste ou “environnementaliste” qui se limiterait, par exemple, à mettre en place des politiques de protection de la nature se condamne à l’impuissance. »
S’appuyant sur les études de penseurs contemporains, il distingue trois limites à la reproduction du système capitaliste :
- Une limite interne qui le condamnerait à disparaître car comme le résume Anselme Jappe : « La logique du capitalisme tend à “scier l’arbre sur lequel elle repose” » ;
- Une limite externe ou écologique, qui peut se résumer ainsi : « Une croissance infinie est impossible dans un monde fini. »
- Une limite anthropologique. Si le capitalisme, supposé reposer sur une société dans laquelle les individus ne seraient plus liés que par l’intérêt, est toujours vivant, c’est paradoxalement parce que sa reproduction a été soutenue par l’altruisme, le sens de la coopération et l’entraide. Mais sa puissance corrosive continue de « ronger » ces rapports « a-capitalistes » en produisant des rapports « dé-socialisants ».
Si ces contradictions permettent de penser à la possibilité d’un effondrement du capitalisme, il ne faut pas négliger sa capacité « à prospérer sur ses propres ruines ». Une nouvelle offensive du capital est en cours, nouvelle « vague d’enclosures » de ressources communes avec le brevetage du vivant. « Il ne nous appartient pas de renverser le capitalisme (puisque celui-ci s’en charge lui-même), mais il nous appartient de “préparer le terrain” pour faire en sorte que les sociétés post-capitalistes soient émancipées de l’État, du patriarcat ou de toute autre structure de domination. »
« Réorienter la démocratie en tenant compte des limites écologiques de la Terre »
Le principe du capitalisme est de priver les individus de leur capacité à satisfaire leurs besoins (passage de la propriété usufondée à la propriété fundiaire [1]) pour les forcer à le faire par la médiation du marché. Sous sa forme moderne, la séparation du travailleur avec ses moyens de production ou de subsistance s’est étendue à ses moyens de locomotion, de cognition, d’habitation, de reproduction. L’opposition au capitalisme s’élargit et dépasse les appartenances de classe, au nom d’un « choix politique contingent face à une situation singulière », en opposition à un projet écocide par exemple.
La crise écologique impose de prendre des décisions politiques radicales contraires aux intérêts du capitalisme. La transition écologique, si elle n’est pas accompagnée d’une transition politique, ne servira qu’à augmenter les inégalités et renforcer la domination des élites dirigeantes sur la société. Au nom du « capitalisme vert », EDF et d’autres entreprises ont recouvert l’isthme de Tehuantepec, dans le sud du Mexique, du plus grand champ éolien des Amériques, mais seulement 22 % de l’énergie « propre » produite alimentera des particuliers et le secteur public, 78 % seront destinés aux entreprises privées, comme Walmart et Coca-Cola. Pour Pierre Madelin, « un mot d’ordre s’impose donc : décroissance énergétique ou barbarie ! »
Village près d’un parc éolien dans l’État mexicain d’Oaxaca.
À propos de la croissance démographique, il explique que l’« espèce humaine » n’est pas en cause mais davantage « le mode de vie adopté par les élites, qui n’est ni durable ni universalisable ». Il faut donc « sacrifier l’égalité sur l’autel de la croissance économique » ou bien « réorienter la démocratie en tenant compte des limites écologiques de la Terre ».
Il consacre un chapitre au rôle que pourraient jouer les animaux dans une société post-industrielle, dénonçant la légitimité de la notion de « contrat domestique » et envisageant une profonde mutation de l’élevage avec un usage des animaux n’impliquant ni leur mort ni leur exploitation.
« La propriété privée et la propriété étatique ne sont que les deux faces d’un même processus de dépossession »
Si nous savons quelles solutions, quelles pratiques sociales et économiques permettraient d’assurer la transition écologique — de la suppression de l’obsolescence programmée à celle de l’agriculture intensive —, nous savons que le « système », qui en est parfaitement capable, n’en a aucunement l’intention. L’État moderne est le pendant politique du capitalisme, une variante dans la gestion de l’accumulation du capital, et même l’État-providence ne s’oppose que superficiellement à lui. « La propriété privée et la propriété étatique ne sont que les deux faces d’un même processus de dépossession. » Il faut admettre que nous ne vivons pas dans des démocraties mais dans des « oligarchies libérales », qui octroient à l’individu des droits et des libertés mais l’empêchent de participer effectivement au pouvoir et aux grandes décisions politiques. « Il n’y aura pas de sortie du capitalisme sans sortie du régime représentatif, car c’est fondamentalement au nom des exigences du premier que le second s’est imposé. »
Selon les philosophes du contrat social, le monde est régi par une métaphysique de l’ordre. Toutes les entités, les atomes comme les individus, sont incapables de s’organiser entre eux et ont besoin d’une extériorité fondatrice pour s’ordonner et se pacifier, les lois de Newton ou celles de l’État. La philosophie de l’écologie et l’anthropologie politique du socialisme libertaire prétendent au contraire que « les individus sont en mesure de s’organiser conformément à une puissance qui leur est immanente, sans devoir nécessairement s’aliéner, pour ne pas sombrer dans la guerre et le chaos, à la transcendance de l’État ». « Aucun élément du monde n’a d’existence en soi. […] À l’interdépendance des éléments et des êtres du monde répond l’interdépendance quasi ontologique des humains en société et, au-delà, l’interdépendance de la société des humains et du monde lui-même. »
Un mal invisible suscité par ce que Günther Anders a nommé le « décalage prométhéen » provoque « des effets délétères sur la capacité des êtres humains à être des agents moraux responsables, dans la mesure où il ne leur permet pas de se représenter les effets de leurs actes, qui s’insèrent dans des mécanismes gigantesques ». Pour y remédier, il suffirait d’associer à la décentralisation et à la relocalisation de l’économie celle de la pratique politique. C’est précisément ce que propose John Holloway avec sa « théorie des brèches » : « changer le monde sans prendre le pouvoir », « créer une contre-société écosocialiste au sein même du monde dominé par le capitalisme ». Pierre Madelin cite en exemple l’idéal libertaire des communautés utopiques, des phalanstères fouriéristes aux caracoles zapatistes et aux Zad, en passant par les communautés de la contre-culture fondées dans les années 1960, tout en mettant en garde contre le danger de l’isolement et celui de négliger l’affrontement avec le capitalisme sur son propre terrain.
La souveraineté alimentaire des sociétés paysannes garantit leur autonomie politique
En réponse à la question de l’échelle, il apporte, comme à toutes les questions, une réponse mesurée, critiquant « l’inflation tentaculaire et cancéreuse » de la ville mais en rappelant que Bernard Charbonneau avait mis en évidence comment « l’extension du groupe, en relâchant la pression sociale, avait donné naissance aux processus d’individuation, créant ainsi des foyers de savoir, de créativité intellectuelle et artistique, de cosmopolitisme », avait permis la naissance de la liberté, bien que celle-ci, pour survivre, devait désormais quitter les villes. Les mouvements politiques aujourd’hui source d’inspiration dans la lutte contre la tyrannie capitaliste reposent précisément sur des sociétés paysannes. Leur souveraineté alimentaire garantissant leur autonomie politique. Il préconise ensuite une articulation des pratiques locales d’autogouvernement dans une confédération de communes et de quartiers autonomes, pratiquant un « fédéralisme ascendant ». Il invite à radicaliser et approfondir la démocratie.
En conclusion, Pierre Madelin considère la situation désespérée et désespérante. Il est conscient que l’occultation des prises de conscience et des dénonciations précoces des risques et des nuisances, de la part des puissants de ce monde, prouve qu’ils n’ont pas déréglé et détruit les écosystèmes par inadvertance. Pierre Madelin distingue deux scénarios possibles : un effondrement économique accompagné d’un renforcement de l’État, adoptant une « gestion écototalitaire des ressources et des populations », ou alors un effondrement de l’État accompagnant celui de l’économie, soit au profit de forces armées paraétatiques de type mafieux ou terroriste, soit en laissant les populations s’autoorganiser. Ces deux dernières options pouvant cohabiter, comme les cartels de la drogue et l’EZLN (l’Armée zapatiste de libération nationale) au Mexique, Daech et les populations autoorganisées du Kurdistan, en Syrie.
La synthèse est époustouflante. Pierre Madelin, s’appuyant sur les analyses de nombreux penseurs, parvient à résumer de façon très nuancée les contradictions auxquelles nous sommes confrontés, à dessiner les lendemains possibles, à esquisser concrètement des propositions de changement de paradigme.
Re: LUTTES POUR LE VIVANT
repéré par Priscillia Ludosky (Gilet Jaune) via Tweeter, 14 février, 01:20
les portes de la pénitence
les portes des Ministères à Paris ont de nos jours plus de succès que celle du pénitencier; on est passé de la Johnisse à l'idée du jaunisme
10 tonnes de boues rouges toxiques déposées devant le ministère de l'Ecologie
RT France 12 févr. 2019
(VIDEO) JACQUES DEMARTHON Source: AFP
image ajoutée, La Provence AFP
RT France 12 févr. 2019
(VIDEO) JACQUES DEMARTHON Source: AFP
image ajoutée, La Provence AFP
L'organisation ZEA revendique le dépôt de 10 tonnes de boues rouges devant le portail du ministère de François de Rugy, celui de la Transition écologique et solidaire. Ces boues toxiques sont déversées dans le Parc national des Calanques.
le 246, Bd Saint-Germain, est le lieu traditionnel de résidence professionnelle des ministres de l'écologie, ex. Équipement et Transports. Depuis 1989 et le déménagement du Ministère à la Grande Arche de la Défense (qu'il a quittée depuis, location trop chère), et malgré un somptueux bureau au 36e étage, les ministres ne s'y sont jamais installés (trop loin du quartier des Ministères dans le 7e ardt, de l'Assemblée Nationale, Matignon,... et des restaurant gastronomiques du quartier).Sur des images diffusées en direct sur Facebook par le média en ligne Brut ce 12 février, on peut voir un camion déverser 10 tonnes de boues rouges devant le portail du ministère de la Transition écologique et solidaire à Paris. Après que la boue, décrite comme toxique et radioactive par les écologistes, a été déversée, des militants ont déployé une banderole sur laquelle on pouvait lire : «Boues rouges toxiques, ni en mer, ni à terre, ZEA». ZEA est une association de protection de l'environnement qui concentre son action sur la défense des océans. Elle demande au gouvernement d'interdire de rejeter de disséminer ces «déchets dangereux» et met à disposition du public une pétition en ce sens.
Ni Nicolas Hulot, ni son successeur au ministère, François de Rugy, ne se sont pour le moment attelés à ce dossier qui dure depuis plus d'un siècle. Selon des opposants à cette pratique industrielle, interrogés par 20Minutes en août 2018, aucune avancée n'est à attendre en la matière «puisqu'Emmanuel Macron, alors qu’il était ministre de l’Economie, était favorable à une dérogation pour des rejets en mer.»
Sur le site internet de l'organisation, on peut lire le sens de l'action menée contre le rejet des boues rouges : «Depuis plus de 120 ans, l'usine de production d'alumine de Gardanne, près d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), bénéficie d'un droit de rejeter à terre et en mer ses déchets toxiques. Plus de 30 millions de tonnes de boues rouges toxiques ont été ainsi déversées dans les fonds marins du Parc National des Calanques. ZEA est engagée sur ce combat aux cotés de pêcheurs, de riverains, de scientifiques et de citoyens qui dénoncent la toxicité et la radioactivité de ces boues rouges.»
Alors qu'elle était ministre de l'Environnement, de l'énergie et de la mer, Ségolène Royal avait taclé l'ancien Premier ministre Manuel Valls sur ce sujet des boues rouges et avait déclaré en janvier 2017 sur le plateau de France 2 : «Il faut faire preuve de courage, résister aux différents lobbies. Ce n'est pas toujours ce qui a été fait, souvenons-nous de l'accord donné par Manuel Valls sur le rejet des boues rouges en Méditerranée face au chantage à l'emploi qui n'a pas de sens, car détruire la nature, c'est détruire l'emploi.»
Un an plus tôt, en janvier 2016, plusieurs centaines de militants de l'environnement s'étaient réunis à Marseille afin de manifester leur «Colère rouge», contre le rejet des boues toxiques en plein cœur du Parc national des Calanques, aux portes de Marseille. Ruptly, l'agence vidéo de RT, était sur place.
c'est à côté, au 244, que j'ai passé 15 ans de ma vie de gratte-papier, scribouillard de ministres de tous horizons politiques : RPR, UDF, PCF, PS, Radicaux..., et gestionnaire de crédits routiers faramineux pour des travaux que je n'ai jamais vus de mes yeux, ce qu'on appelle la technocratie. Par la suite, j'ai déménagé mon "savoir-faire" et "mon savoir-être", à défaut de mon savoir-vivre trempé dans Vaneigem, rue de la Fédération près de la Tour Eiffel, dans le 15°, et avant que ne s'y construise la Maison de la Culture du Japon. La Défense, j'y ai travaillé de 1989 à 2012
Re: LUTTES POUR LE VIVANT
BRÉSIL
des indigènes prennent les armes
face aux risques de déforestation en Amazonie
France-Soir 04 Mars 2019
Depuis le 1er janvier 2019, Jair Bolsonaro préside à la destinée du Brésil et a fait savoir qu'il comptait revenir sur les accords passés avec les indigènes d'Amazonie. Parmi ces derniers, un groupe a décidé de prendre les armes.
Tebu stands on the fallen trunks of trees which have been brought down
by the invaders who act with the tacit approval of President Bolsonaro
L'élection de Jair Bolsonaro lors de la présidentielle de 2018 au Brésil a été un choc dans le monde entier. Mais pour eux, elle a purement et simplement été une déclaration de guerre: des membres d'une tribu amazonienne, les Ura-Eu-Wau-Wau ont décidé de sortir leurs armes et se préparent à résister par la violence à l'envahisseur.
Le programme de Jair Bolsonaro prévoyait en effet de reprendre l'exploitation massive de la zone amazonienne en faisant tomber les barrières légales permettant de protéger cet environnement menacé. Au menu du projet présidentiel: la remise en cause des droits autochtones considérés comme un obstacle au développement. La rénovation d'une route délabrée pour la transformer en autoroute flambante neuve de 890 kilomètres est notamment prévue, de même qu'une facilitation dans l'exploitation de terres rares sur ces territoires.
Impossible à accepter pour cette tribu amazonienne du Rondônia à l'ouest du Brésil, à la frontière avec la Bolivie. Dans un reportage photo publié dans les pages du quotidien britannique le Daily Mail (voir ici), ces indigènes sont décrits comme ayant sorti leurs lances et leurs flèches, prêts à s'en servir contre les employés des entreprises de déforestation qui viendraient sur leur territoire.
A child of the tribe clutching a longbow and arrow stands on a log in the middle
of an area deforested by invaders spurred on by Jair Bolonaro's election victory
Mais pour les Ura-Eu-Wau-Wau, ce combat s'apparente à un chant du cygne : ces indigènes ne sont plus qu'une centaine à vivre sur la zone après avoir été décimés dans les 1980 et 1990 par les maladies et la confrontation violente avec les exploitants forestiers. Des décisions politiques avaient ensuite permis d'éviter leur disparition. Leur survie semble de nouveau menacée par les projets économiques du nouveau président du Brésil.
The sign marking the protected territory of the tribe has been blasted
by gunfire in a show that the invaders do not respect the clan's land
Re: LUTTES POUR LE VIVANT
Anthropocène et éthique de la terre
Entretien avec J. Baird Callicott, Fondation de l'écologie politique, 12 septembre 2017
"La deuxième vague de la crise environnementale nous conduit à repenser l'éthique
et la philosophie environnementales par rapport à de nouvelles échelles temporelles et spatiales."
J. Baird Callicott a écrit:Nous devons remettre l'échelle de l'imagination humaine et de l'existence humaine en comparaison avec la Terre et donc recentrer paradoxalement notre éthique environnementale sur des bases anthropocentriques plutôt que non-anthropocentriques. Ce fut un dur changement pour moi sachant que j'ai lutté sévèrement contre l'anthropocentrisme depuis les débuts de ma carrière... e t maintenant me voilà néo-anthropocentriste face à la seconde vague de la crise environnementale et les implications que ce changement d'échelle a entraîné pour l'éthique environnementale.
Comment voyez-vous le futur de la philosophie environnementale ?
La direction prise par mes recherches, notamment dans Ethique de la terre (Éditions Wildproject, 2010), peut vous donner une idée de ce que peut être ma réponse à cette question. Cela tient à la ramification du changement climatique global. Le changement climatique est un phénomène qui à la fois éclipse et exacerbe les autres problèmes environnementaux. Par exemple, ce phénomène accentue les enjeux en terme de perte de biodiversité. Mais cela s'avère vrai également pour pratiquement toutes les préoccupations environnementales. C'est un thème qui va devenir majeur selon moi, sans pour autant dire que tous les philosophes de l'environnement vont le traiter de la même manière, mais qu'il sera étudié sous différentes perspectives, notamment celle de l'éco-féminisme, de l'éco-phénoménologie et bien d'autres. Cela ne réduit en aucun cas la diversité au sein de la philosophie environnementale, mais propose plutôt une problématique commune aux différentes disciplines.
Pour ce qui est de la philosophie en général, on observe une claire séparation entre les sous-branches du domaine: la philosophie analytique anglo-américaine d'un côté et la philosophie continentale anglo-américaine de l'autre (bien que la formulation puisse paraître contradictoire) se sont de plus en plus centrées sur des problématiques spécialisées et techniques, au point d'aboutir à l'exclusion d'autres disciplines. Les personnes appartenant à d'autres disciplines intellectuelles qui assistent aux discussions des philosophes sont abasourdies par ces conversations qui ne font, pour elles, aucun sens. Il n'est d'ailleurs généralement pas courant que les spécialistes de différentes disciplines soient amenés à interagir entre eux, sauf dans quelques rares exceptions. L'une de ces exceptions est justement la philosophie environnementale, qui depuis des dizaines d'années travaille en concertation avec l'écologie, avec la biologie de la conservation, ou encore avec la psychologie morale évolutionniste. Je pense que la philosophie environnementale est, en ce sens, le signe avant coureur du futur de la philosophie en général : elle va de l'avant et collabore avec d'autres disciplines et pourvoit une expertise et une perspective que seuls les philosophes peuvent apporter. Je peux uniquement parler depuis la perspective de la philosophie environnementale mais je pense que, pendant des années, les écologues et les autres scientifiques du vivant pensaient encore, épistémologiquement parlant, selon la logique positiviste des années 1930, prônant l'objectivité des valeurs, tels des enfants se disputant pour savoir quelle couleur est la plus belle. Ils ne savaient pas reconnaître les valeurs ni en débattre d'une façon qui expliquerait pourquoi quelqu'un adopte une opinion particulière et pas une autre.
Ce n'est ici que la surface de ce que la philosophie pourrait apporter aux autres disciplines, par une conversation riche, mais aussi une certaine habilité à prendre du recul et à synthétiser. À l'heure où la science est de plus en plus spécialisée sur des sujets de plus en plus précis, les philosophes pourraient être le ferment qui lie des choses séparées dans une vision du monde plus large et plus cohérente.
Le concept d'Anthropocène est-il utile pour la philosophie environnementale ?
Mon avis sur la question est partagé. Premièrement je pense qu'il est important d'être très clair sur l'origine du terme d'Anthropocène. Ce terme est originellement issu de la géologie. L'idée initiale était de savoir si dans un ou deux millions d'années, les géologues – si tant est qu'il y en ait encore à cette période, humains ou non d'ailleurs – pourraient observer un marqueur dans la couche terrestre prouvant que quelque chose d'unique est arrivé dans la longue histoire de la Terre. Et la réponse est oui. Il sera possible de voir qu'il y a eu le changement climatique, que des éléments artificiels ont été créés, comme les réacteurs nucléaires qui n'existeraient pas sans l'intervention de l'homme et ainsi de suite. Il y a donc différents ‘marqueurs’ et la question est de savoir à quel moment ces marqueurs commencent à être visibles. Cela pourrait donner la date de commencement de l'Anthropocène. En ce sens, oui, je pense que que l'Anthropocène est un concept utile.
Toutefois quand le concept migre de la géologie vers les sciences humaines, nous nous trouvons dans une situation bien différente. Je pense que le discours des sciences humaines apporte une excuse à nos comportements : avec l'Anthropocène, certains n'hésitent pas à affirmer que les préoccupations environnementales sont démodées, que nous vivons dans une nouvelle ère, et que nous devons nous y faire. C'est selon moi un prétexte pour nous détourner de nos préoccupations habituelles. Ce qui est encore plus important à souligner, c'est que, en appliquant une perspective géologique sur le discours des sciences humaines, l'Holocène serait déjà l'Anthropocène. Nous sommes d'accord que nous entrons dans une nouvelle ère géologique mais je l'appellerai davantage le post-Anthropocène. En effet, c'est le climat de l'Holocène qui a permis une agriculture sédentaire. C'est l'agriculture sédentaire qui a permis l'émergence de villes, puis des civilisations, des arts, des sciences et tout ce qui se rapporte au concept de civilisation, incluant les transports et les communications. Le changement climatique met tout cela en danger.
Face à cette situation, deux discours dominants sur le futur coexistent. Le premier est le post-humanisme voire le «cyborganisme», l'idée que nous allons de plus en plus fusionner avec différentes technologies, que la science va rendre possible de plus en plus de modifications génétiques, une vie sans maladie et l'immortalité. Ce n'est pas humain mais bien post-humain. L'autre scénario est celui du cataclysme environnemental, selon lequel le changement climatique va rendre la planète non-habitable et que de grands bouleversements vont se produire – nous pouvons déjà voir cela arriver aujourd'hui – la chute des États, des guerres, des crashs démographiques, des combats de bandes guidées par des chefs de guerres psychopathes et ce genre de choses. Une toute autre vision du post-Anthropocène en somme.
Pour résumer, je pense donc qu'en tant que concept scientifique, l'Anthropocène est défendable, mais qu'au sein des sciences humaines, c'est un prétexte pour ne pas prendre sérieusement en compte les problèmes auxquels nous faisons actuellement face. Le concept échoue, de plus, à reconnaître le rôle du climat de l'Holocène dans tout ce qui nous rend humains après le Paléolithique.
Qu'est-ce qui vous a conduit, dans votre dernier ouvrage Thinking Like a Planet, à opérer une transition d'une éthique de la terre vers une éthique de la planète ?
La question est de savoir pourquoi j'ai fait cette transition dans ma monographie la plus récente, Thinking like a Planet. The Land Ethic and the Earth Ethic. (Oxford University Press, 2014 ; [Penser comme une planète. De l'éthique de la terre, à l'éthique de la planète] Non traduit). La réponse à cette question est une histoire d'échelle, spatiale et temporelle. Prenons premièrement l'échelle spatiale. Nous situons en général le début d'une connaissance générale de la crise environnementale aux années 1960. C'est la période de publication du Printemps Silencieux de Rachel Carson, de The Quiet Crisis de Stewart Udal. Nous réalisons concrètement à cette époque que nous vivons dans une monde pollué: les nuages de pollution au dessus des villes, les rivières polluées par les eaux usées, les déchets industriels... Mais les problèmes environnementaux identifiés durant les années 1960 étaient locaux et limités dans l'espace. La pollution au-dessus des villes, restait au-dessus des villes, les pesticides répandus sur des champs restent au niveau du paysage. Pollutions ponctuelles, marées noires: tout cela restait à l'échelle locale et pouvait être corrigé en quelques décennies, pour retrouver un air propre et des rivières saines. Cela est un peu moins vrai pour l'eau mais toutefois ces problèmes restaient localisés, spécifiques et corrigeables.
Puis, au cours des années 1980, il y a eu une seconde vague de crises environnementales de grande échelle, tant spatiale que temporelle. Il semblerait que je sois le seul à le conceptualiser de cette façon. Je ne saurais précisément définir quel est ce long terme, mais il n'est certainement pas mesurable en dizaines d'années, mais plutôt en siècles et peut-être en millénaires, selon la manière avec laquelle nous identifions ces crises. Trois problèmes principaux ont émergé dans les années 1980. Le premier fut l'étonnante découverte d'un trou dans la couche d'ozone. Le second fut la crise de la biodiversité et la prise de conscience que les disparitions d'espèces n'étaient pas de simples extinctions sporadiques mais que nous nous trouvons désormais au milieu de la sixième grande extinction de masse. Et enfin troisièmement, au cours de ces années 1980, un certain consensus dans le monde scientifique va émerger à propos du réchauffement climatique. Michel Serres en France, par exemple, identifie l'année 1988 comme celle de la prise de conscience, Dale Jamieson dans son premier article de 1992 sur le climat parle lui aussi de 1988, qui fut une année avec des feux massifs dans l'Ouest américain, des vagues de chaleurs en Europe et aux Etats-Unis. C'est dans ce contexte que va émerger une réflexion plus large sur le réchauffement climatique.
L'éthique de la terre est calibrée pour le local et le particulier. Mon livre Ethique de la terre (Éditions Wildproject, 2010) fait écho à l'essai d'Aldo Leopold «Penser comme une montagne». Il nous invite à comparer la taille d'une montagne : elle paraît grande si nous la comparons à nous-même mais anecdotique, tant sur une échelle planétaire qu'une échelle temporelle de long terme. Il y explique aussi qu'un cerf tué par des loups peut être remplacé en trois ans, mais une montagne ravagé par une population trop élevée de cerfs par exemple aura besoin de trois décennies pour se reconstituer. Désormais, avec la crise environnementale que nous connaissons, nous nous devons de nous projeter à l'échelle des siècles et des millénaires. Le nouvel ordre de grandeur adopté durant la deuxième vague de la crise environnementale nous conduit donc à repenser l'éthique environnementale et la philosophie environnementale par rapport à ces nouvelles échelles temporelles et spatiales. Au niveau de ces échelles-là, les choses changent plutôt radicalement. Si nous pensons aux communautés biotiques ou à un écosystème, ils peuvent être détruits par les activités humaines, mais ce n'est certainement pas le cas de la biosphère qui a résisté 3.5 milliards d'années et qui a vécu des changements catastrophiques pour en ressortir plus tenace et plus diverse. La planète n'est donc pas en danger et je suis en parfait désaccord avec mes collègues qui disent que la planète est en train de mourir ou que la planète a de la fièvre... Ce sont des bêtises. Nous devons remettre l'échelle de l'imagination humaine et de l'existence humaine en comparaison avec la Terre et donc recentrer paradoxalement notre éthique environnementale sur des bases anthropocentriques plutôt que non-anthropocentriques. Ce fut un dur changement pour moi sachant que j'ai lutté sévèrement contre l'anthropocentrisme depuis les débuts de ma carrière, dans de vives controverses avec des personnes comme Bryan Norton. Et maintenant me voilà, néo-anthropocentriste, si nous pouvons le dire ainsi, face à la seconde vague de la crise environnementale et les implications que ce changement d'échelle a entraîné pour l'éthique environnementale.
Propos recueillis à Paris le 29 juin 2016 par Rémi Beau et Benoit Monange
Traduction : Matthias Ollivier, Lucie Perrin-Florentin et Benoit Monange
juin 2018, Google Book
en relationCe livre retrace l'histoire de la radicalité environnementale aux États-Unis en s'appuyant sur la vie et l’œuvre de grandes figures inscrites dans cette tradition (H. D. Thoreau, John Muir, Aldo Leopold, David Brower, Dave Foreman et J. Baird Callicot).
Dans cet ouvrage, la radicalité environnementale désigne le rejet d'une vision purement anthropocentrée du rapport entre les humains et le vivant non-humain. Depuis le milieu du XIXe siècle, des écrivains de la nature, des philosophes et des militants ont plaidé, et parfois agi, en faveur d'un décentrement du point de vue humain aux États-Unis. Ce livre retrace le développement de ce projet écocentriste de l'ère transcendantaliste jusqu'à celle de l'anthropocène. Comment surmonter la distinction moderne entre nature et culture afin de faire advenir une redéfinition de notre rapport éthique avec le vivant non-humain ? Tel est le défi que ces radicaux ont tenté de relever en s'inspirant les uns des autres tout en s'adaptant aux évolutions sociales, culturelles et historiques de leurs époques respectives.
Si l’ouvrage retrace le destin d’une idée, il permet de s’intéresser à de nombreux phénomènes historiques plus larges : la réception des idées de Darwin, le darwinisme social, la naissance de l’industrie nucléaire aux États-Unis, la controverse climatique, l’émergence de groupes comme Greenpeace ou Friends of the Earth, l’évolution du consumérisme américain…
Jean-Daniel Collomb a écrit:J. Baird Callicott, Science, and the Unstable Foundation of Environmental Ethics, 20 décembre 2016
Cet article vise à éclairer l’influence de la pensée écologique, et tout particulièrement de notions telles que le changement et la mutation, sur l’éthique environnementale aux États-Unis en analysant l’œuvre de J. Baird Callicott, aujourd’hui l’un des philosophes de l’environnement les plus influents outre-Atlantique. Callicott a dédié une part considérable de sa carrière à la mise en avant de l’éthique du vivant (land ethic) créée par Aldo Leopold au milieu du 20e siècle. Afin de donner ses lettres de noblesse philosophiques à la proposition éthique de Leopold, Callicott s’appuie notamment sur David Hume, Adam Smith et Charles Darwin : en appliquant aux écosystèmes et aux espèces non-humaines les théories des sentiments moraux de Hume et de Smith, Callicott affirme ne faire que poursuivre un processus commencé par Darwin dans La Filiation de l’homme et développé par Aldo Leopold dans son Almanach d’un comté des sables.
Selon Callicott, l’élargissement du sens que l’espèce humaine confère aux liens communautaires est une nécessité impérieuse face à la multiplication des défis environnementaux. Callicott en vient à préconiser l’avènement d’un changement de paradigme, qui devra conduire l’humanité à adhérer à une « modernité déconstructrice » informée par le darwinisme, la science écologique et l’apport de la physique quantique. Callicott espère que cette transition conduira au remplacement du dualisme cartésien entre l’espèce humaine et la nature par une vision écocentriste du monde en vertu de laquelle l’espèce humaine se conçoit comme intégrée au vivant et non comme radicalement différente de lui. Pourtant, c’est la science écologique elle-même qui fragilise le plus les propositions éthiques de Callicott à travers l’apparition, à la fin des années 1970, de ce que l’historien Donald Worster a appelé l’écologie du chaos.
L’attention grandissante que les écologues apportent alors aux perturbations et à l’instabilité du vivant contraint le philosophe à faire évoluer l’éthique léopoldienne en insistant sur le caractère discriminant de l’échelle des perturbations : par la rapidité et l’ampleur des dégâts qu’elles provoquent, certaines perturbations d’origine anthropique ne sont pas moralement acceptables. Le parcours philosophique de Callicott démontre ainsi l’importance de la capacité d’adaptation dans l’évolution intellectuelle et philosophique. Mais il souligne aussi la situation précaire des philosophes de l’environnement qui fondent leurs prescriptions morales sur des savoirs scientifiques. Ces savoirs jouissent d’un grand prestige depuis la révolution scientifique mais ils sont par nature toujours susceptibles d’évoluer.
Invité- Invité
Re: LUTTES POUR LE VIVANT
parallèlement à l'article Au Mexique, la résistance indigène aux parcs éoliens,
Au Larzac, la résistance indigène aux parcs photo-voltaïques
Patlotch a écrit:la Réponse aux commentaires de Patlotch du théoricien de la communisation RS/TC, « Il y a des investissements et des profits à attendre (peut-être) des éoliennes, du solaire, etc., c’est le capitalisme tout court. .. le « capitalisme vert » n’existe pas... la dimension écologique du mouvement, que ce soit pour être pour ou contre la planète, le capital s’en fout », restera dans les ânales de la théorie du prolétariat sauveur de l'humanité
comme Marx le montrait de son temps, les progrès techno-scientifiques sont utilisés par le capitalisme pour intensifier l'exploitation des prolétaires comme de la nature, et chaque saut technologique induit de nouvelles formes de cette double exploitation, en générant de nouvelles phases du mode de production capitaliste, elles-mêmes déterminant ce que ce théoricien voit seulement comme "cycles de luttes", puisque pour lui, la lutte des classes est toujours structurellement première dans la détermination historique, selon la formule ânonnée depuis 40 ans, et que rappelait hier encore l'adepte Stive Modica : « c’est là que se pose la question : Comment une classe luttant strictement sur le terrain de classe (et comme classe) peut-t-elle détruire le capitalisme ? » (dndf, ici)
eh bien ici, qu'on appelle comme on voudra ce bras de fer entre énergies fossiles et énergies vertes, symbolisé par l'opposition Trump-Macron, c'est ce qui se passe en même temps que devient première la contradiction antagonique entre le capital et le vivant, et le pourquoi le "capitalisme tout court" ne se fout pas plus aujourd'hui des luttes écologiques, paysannes et indigènes, qu'il ne se foutait hier de celles des prolétaires ouvriers
Le Larzac se lève contre un projet géant de centrale solaire
Lorène Lavocat Reporterre 13 mars 2019
Sur le causse du Larzac à l’histoire bouillonnante, la société Arkolia projette la construction d’une des plus grandes centrales photovoltaïques de France. Élus, naturalistes, paysans, éleveurs affûtent leurs arguments contre Solarzac, cette installation industrielle jugée « démesurée ».Lorène Lavocat Reporterre 13 mars 2019
Le Caylar et Le Cros (Hérault), reportage
À perte de vue, des prairies parsemées de buis, entrecoupées çà et là de bosquets de chênes blancs. Quelques monticules calcaires reflètent un soleil hivernal brûlant. Au loin, les monts cévenols, à peine tachetés de neige, fixent un horizon. Le long de la route qui mène au cirque de Navacelles, une brise légère secoue doucement les arbustes. En contrebas, des craves à bec rouge picorent paisiblement dans un pré. « Sur le Larzac, les conditions sont idéales pour produire de l’énergie photovoltaïque : un fort ensoleillement et un vent qui vient rafraîchir les installations pour un rendement optimal », note Guy Degreef en désignant un hangar agricole couvert de panneaux noirs.
Des craves à bec rouge.
Et c’est précisément sur ce causse à l’histoire militante bouillonnante que pourrait s’implanter une des plus grandes centrales photovoltaïques de France [1]. « Solarzac », c’est le nom marketing donné par la société Arkolia à son projet, encore en phase de concertation. Pour le moment, rien n’est donc sorti des terres caillouteuses du sud du Larzac. Mais sur la plaquette de présentation aux couleurs vives, les dimensions de l’installation font tourner la tête. 29.990 tables photovoltaïques implantées sur 400 hectares, pour une puissance de 320 MW supposée capable d’approvisionner en électricité l’équivalent d’une ville de 210.000 habitants. Mais ce n’est pas tout : le projet comprend également une unité « power to gas » capable de transformer de l’eau et du CO2 atmosphérique en méthane [voir encadré] . « En phase d’exploitation, le projet permettrait des émissions négatives [captation de CO2] à hauteur des émissions de 10.000 voitures », conclut la plaquette.
« Si on recouvre les prairies de panneaux, les aigles ne pourront plus se nourrir ! »
Pas de quoi convaincre Guy Degreef. Habitant des Cévennes gardoises toutes proches, cet entrepreneur en énergies renouvelables a fait de la lutte contre Solarzac son cheval de bataille. « C’est un projet démesuré, à la rentabilité incertaine, qui ne correspond pas aux besoins du territoire, et qui cherche pourtant à passer en force », résume-t-il. À ses côtés, Bernard Ricau observe aux jumelles une grande bâtisse accrochée à une colline, perdue au milieu de la végétation caussenarde. « Voici le domaine de Calmels, montre-t-il. C’est là qu’ils veulent construire la centrale. »
Bernard Ricau.
C’est là aussi que Bernard Ricau est venu pendant de longues semaines l’été dernier observer un couple d’aigles royaux. « Nous avons mis plusieurs mois avant de parvenir à capturer le mâle afin de l’équiper d’une balise, raconte l’ornithologue et agent retraité du Parc national des Cévennes. Une fois l’oiseau bagué, nous avons pu suivre très précisément tous ses déplacements. » Ainsi, lorsqu’il a appris, fin septembre 2018, qu’une installation photovoltaïque pourrait s’implanter sur le domaine de Calmels, son sang n’a fait qu’un tour. « C’est leur territoire de chasse, explique-t-il en étalant une carte de la région sur un muret en pierre. S’ils recouvrent les prairies de panneaux, les aigles ne pourront plus se nourrir ! » Sur la carte, un méli-mélo de traits rouges, représentant les trajets des rapaces, forme une vaste zone de 150 km². Autour, d’autres taches colorées similaires représentent les territoires d’autres aigles royaux. Des voisins pas très partageurs, précise le naturaliste : « Le couple de Navacelles ne pourra pas aller trouver ses proies ailleurs. »
Depuis trente ans, le Groupe d’études des rapaces du sud du Massif central travaille avec persévérance afin de sauver ces oiseaux emblématiques : la population est ainsi passée de 10 à 45 couples. D’où la colère de Bernard Ricau envers le projet Solarzac : « Ils vont détruire des années d’efforts, sans compter les autres animaux qui pourraient être touchés ». Vautours fauves ou moines, gypaètes, percnoptères, bruants ortolans ou grands corbeaux ont aussi été observés dans la région. Le domaine de Calmels comprend d’ailleurs quatre sites Natura 2000, et se trouve à proximité immédiate d’une zone naturelle d’intérêt écologique (Znieff) et d’une zone d’intérêt pour la conservation des oiseaux (Zico).
Carte de l’espace vital des aigles royaux de la vallée de la Vis-Navacelles et situation du projet Arkolia.
« Nous ne sommes pas contre les énergies renouvelables, mais nous n’en voulons pas quand elles condamnent des pans entiers de notre biodiversité, souligne Pierre Maigre, président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) dans l’Hérault. Les panneaux photovoltaïques ne doivent pas être implantés au sol dans des zones naturelles ou agricoles. » Ce vendredi 22 février, la voix grave de l’ornithologue emplit la salle des fêtes du Caylar. Organisée par un collectif citoyen local alerté par Guy Degreef et Bernard Ricau, la première réunion d’information sur Solarzac est un franc succès. Plus de 200 personnes sont venues de l’Aveyron, du Gard et du pays lodévois voisin. Chacun égrène ses doutes.
« Ce projet est trop consommateur d’eau, porte atteinte à la biodiversité et entre en contradiction avec le classement au patrimoine mondial de l’Unesco »
Au centre des inquiétudes, la ressource en eau. Les premiers documents rédigés par Arkolia avançaient le chiffre alarmant de 80.000 m³ de prélèvement annuel, soit plus de la moitié de la consommation en eau potable des habitants du Larzac méridional. L’entreprise a ensuite rétropédalé, indiquant dans sa nouvelle maquette que l’approvisionnement proviendrait du « ruissellement des panneaux photovoltaïques et des capteurs solaires » ainsi que de la récupération d’eau [2].
« L’eau est une ressource rare, et qui va se raréfier avec le changement climatique, dit Jean-Noël Malan, maire d’un village voisin et vice-président à l’agriculture de la communauté de communes du Lodévois Larzac. Ce projet est trop consommateur d’eau, en plus de constituer une atteinte à la biodiversité et d’être en contradiction avec le classement de cette région au patrimoine mondial de l’Unesco. » Le 21 février, avec d’autres élus communautaires, Jean-Noël Malan a poussé avec succès pour l’adoption d’une motion contre Solarzac.
Même son de cloche du côté de la région Occitanie. Jointe par Reporterre, la vice-présidente chargée de la transition énergétique, Agnès Langevine, se montre plus que sceptique : « À titre personnel, et dans l’état actuel de ma connaissance du dossier, tous les voyants sont au rouge, dit-elle. Sous un vernis écolo et d’innovation, il s’agit d’un projet industriel, fondé sur une technologie du power to gas qui n’est pas éprouvée, et qui pose de sérieuses questions en matière de préservation de la biodiversité et des terres agricoles. »
Le domaine des Calmels.
Les terres agricoles, voilà une nouvelle pièce maîtresse de ce puzzle larzacois. Car Solarzac, c’est aussi, et peut-être avant tout, 400 ha de terres artificialisées, et 600 ha de terres pour un « retour à la nature en gestion concertée », dixit l’entreprise promotrice, autrement dit, réservées à la compensation écologique du projet. « Il s’agit d’une appropriation de la campagne pour d’autres choses que l’agriculture, estime Dominique Voillaume, éleveuse de brebis à Saint-Maurice-Navacelles et membre de la Confédération paysanne de l’Hérault. Les terres agricoles doivent servir à nous nourrir. »
L’entreprise Arkolia et Alain Viala, le maire du Cros, la commune où se situe le domaine de Calmels, font valoir que les parcelles ne sont pas classées en zone agricole, puisque les 1.000 ha constituent actuellement une « propriété privée consacrée en totalité à une chasse privée ». Dans une interview accordée à France Bleu Hérault, le maire Alain Viala a ainsi expliqué que « le territoire est prédestiné à ce genre d’opération. Pour le moment, c’est un lieu hostile à toute écologie. C’est un secteur de chasse où au moins trois fois par semaine, on tire 2.000 cartouches par jour ! »
« Les brebis ne vont pas pâturer sous les panneaux, elles restent donc en plein soleil »
Il suffit de se rendre à l’entrée du domaine de Calmels, entièrement clôturé de grilles de 1,80 mètre de haut, pour comprendre ce que souligne l’édile. Les collines buissonnantes sont constellées de miradors. Dans les clairières, on aperçoit ça et là des troupeaux de daims et de mouflons. Au total, 700 ongulés — chevreuils, cervidés — ainsi que quantité de volatiles et de sangliers sont littéralement élevés dans ce parc, pour le plus grand plaisir des amateurs de fusils prêts à débourser de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros la journée de chasse. Un business établi depuis plus de quinze ans, mais qui ne serait plus si juteux, puisque son propriétaire, Éric Saint-Cierge, a décidé de cesser l’activité, laissant la place aux panneaux photovoltaïques. D’après les opposants, le site aurait même été mis en vente sur le Bon Coin pour 11 millions d’euros, avant que le projet Solarzac surgisse des cartons d’Arkolia. Interrogé par Reporterre, le propriétaire nous a indiqué « n’avoir rien à dire pour le moment » sur le sujet.
Le domaine des Calmels.
Dommage, car nous aurions aimé lui demander s’il confirmait le caractère non agricole de ses terres. Car, si elles ne sont pas actuellement cultivées, elles sont bien classées en landes, terres et pâtures sur le relevé cadastral. Dominique Voillaume a par ailleurs retracé l’histoire agraire de Calmels, et sa conclusion est simple : « Le domaine a été jusqu’au début des années 2000 une ferme florissante. » Dans les années 1970, un troupeau de 500 brebis produisait du lait pour Roquefort ; vingt ans plus tard, elles étaient plus de 800 à pâturer ce coin du causse propice au pastoralisme. « Sur Calmels, on pourrait facilement imaginer une ou même plusieurs installations de paysans, avec de l’élevage et une fabrication de fromages », dit l’éleveuse, rappelant que de nombreux porteurs de projet ne trouvent pas de terres pour s’installer dans l’Hérault. Pour Arkolia en revanche, photovoltaïque et pastoralisme peuvent aller de pair. La zone « entièrement clôturée et protégée des loups », avec des panneaux « abris naturels du soleil et des grands rapaces », pourrait selon la firme accueillir jusqu’à 400 moutons. « De la maltraitance animale », réplique Daniel Laborde, paysan et compagnon de Dominique, en pointant une photo diffusée par Arkolia sur laquelle quelques brebis chaument en plein cagnard, sur un sol dégarni, à une dizaine de mètres du parc photovoltaïque. « Les brebis ne vont pas pâturer sous les panneaux, elles restent donc sous le soleil, dit-il. On ne parle pas d’un abri équipé de panneaux sur son toit, mais de près de 30.000 tables installées sur le sol ».
Excepté les six conseillers municipaux du Cros, il ne semble pas y avoir grand monde pour défendre Solarzac sur le causse. Arkolia n’a pourtant pas lésiné sur les moyens pour convaincre les élus, faisant miroiter une trentaine d’emplois et des retombées fiscales non négligeables : 10.000 euros annuels pour la commune, 1,6 million d’euros pour la communauté de communes, 1,2 million d’euros pour le département, et 150.000 euros pour la région. Le coût total du projet avoisinerait les 600 millions d’euros, dont près de 300 millions pour la seule unité power to gas de 138 MW, à la rentabilité incertaine. Un montant qui ne comprend en outre ni le coût du raccordement électrique au futur transformateur de Saint-Victor, en Aveyron, estimé à 7 millions d’euros, ni celui du raccordement au réseau de gaz, lui aussi évalué à 7 millions d’euros. Tout ça porté par une entreprise de 53 salariés, dont le chiffre d’affaires en 2017 atteignait 38 millions d’euros.
« On expliquera les choses correctement, de manière pédagogique, afin d’être compris par tous »
Pour Guy Degreef, Arkolia compte sur des subventions publiques de recherche et développement — justifiée par l’unité power to gas — afin d’assurer son modèle économique. Mais l’entreprise reste pour le moment discrète quant à son business plan, comme sur bien d’autres sujets d’ailleurs : pourquoi avoir apposé dans la première plaquette le logo de la LPO et d’Enercoop sans leur accord ? Pourquoi indiquer dans un premier temps que « la transformation power to gas demande une quantité d’eau importante », avant d’affirmer que « la consommation en eau de l’installation de biométhanation est réduite » ? Pourquoi indiquer que le terrain n’a « jamais été cultivé » ? Que signifie « le développement d’une zone dédiée à la protection des grands rapaces et à leur soin » ?
Malheureusement, la société n’a pas souhaité répondre aux questions de Reporterre. Au téléphone, le responsable de la communication nous a expliqué « ne pas vouloir se précipiter parce qu’il y a des opposants » : « Il y a une concertation en cours de préparation, et on communiquera à ce moment-là. On expliquera alors les choses correctement, de manière pédagogique, afin d’être compris par tous. Il y a énormément de fausses informations qui circulent. » Contactée également, la Commission nationale du débat public a indiqué que la concertation préalable devrait se dérouler au printemps. À son issue, le garant nommé par la Commission rendra ses conclusions et recommandations. Si l’entreprise souhaite poursuivre son projet, viendra ensuite l’enquête publique. Le permis de construire, qui sera instruit par une communauté de communes plutôt hostile, ne devrait donc pas être déposé avant 2020. Ce sera alors au préfet de décider.
Des hangars équipés de panneaux solaires sur le causse du Larzac.
Au Caylar, les participants s’inquiètent de ce que ce projet pourrait ouvrir les vannes du photovoltaïque industriel sur le Larzac. « Si un projet aussi gros passe, tous les autres passeront », entend-on à plusieurs reprises. « Allons-nous voir le causse finalement couvert de parcs clôturés avec des éoliennes et des panneaux partout ? » L’Aveyron et ses batailles anti-éoliennes n’est pas loin, la lutte contre le camp militaire non plus. « Nous voulons la transition énergétique, mais pas n’importe comment et à n’importe quel prix, dit Jean-Noël Malan, élu local. Le photovoltaïque doit être développé prioritairement en toiture ou en ombrière, et le moins possible au sol. » Un avis partagé par Agnès Langevine : « La région s’est fixé comme ambition de couvrir la totalité de ses consommations par les énergies renouvelables. Il va donc nous falloir multiplier par 12 le photovoltaïque, mais en donnant la priorité à des projets citoyens, locaux, et à des installations sur des lieux déjà artificialisés, comme de friches industrielles ou d’anciennes carrières. » Et surtout, ajoute-t-elle, réduire de près de moitié notre consommation d’énergie.
« POWER TO GAS », QU’EST-CE ?
Comme son nom anglais l’indique, la technologie « power to gas » permet de transformer de l’électricité en gaz : soit en hydrogène, soit en méthane. L’électrolyse consiste à « casser » à l’aide du courant électrique la molécule d’eau (H2O) en hydrogène et en oxygène. L’hydrogène peut être utilisé comme source d’énergie, « mais les usages sont pour le moment restreint, car il n’est pas injectable en grande quantité dans le réseau et les piles coûtent encore très cher », précise Marc Jedliczka, porte-parole de négaWatt. Une seconde étape est ainsi nécessaire : il s’agit de coupler l’hydrogène avec des atomes de carbone issus du CO2, afin de former du méthane (CH4). C’est ce qu’on appelle la méthanation, à ne pas confondre avec la méthanisation. Le méthane obtenu peut être stocké ou injecté dans le réseau de gaz. « Le biométhane pourrait à terme remplacer le pétrole dans les voitures et les camions », s’enthousiasme Marc Jedliczka. Problème pour le moment, « les conditions de rentabilité ne sont pas réunies » pour développer le power to gas, selon le porte-parole. Les unités existantes sont des démonstrateurs, de puissance modeste (1 MW). Et même si « on aura besoin de cette technologie pour faire la transition énergétique », car elle permet de stocker les énergies solaires et éoliennes, par nature intermittentes, M. Jedliczka table sur un développement commercial à horizon 2035. Revenir à la lecture de l’article.
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Re: LUTTES POUR LE VIVANT
Patlotch a écrit:"l"ultragauche" n'est pas toujours préoccupée d'"écologie" même au sens le plus radical que l'on peut à certaines conditions accorder à ce terme. Euphémisme chez tous ceux, das fossiles du programme ouvrier aux idéologues de la communisation par le seul prolétariat (le plus souvent sans paysans prolétaires). Un texte qui prend en compte cette dimension ne peut être que salutaire pour secouer une petit milieu qui périclite de théories partielles devenues fausses en idéologies fantasmatiques défendues par des moines tartuffes. Quelques remarques...
Capitalocène, racisme environnemental et écoféminisme
Nathan Agitations Autonomes 7 avril 2019
Nathan Agitations Autonomes 7 avril 2019
« En dehors du fait que les méthodes d’exploitation ne correspondent pas au niveau de développement social, mais aux conditions accidentelles et fort inégales dans lesquelles les producteurs sont individuellement placés, nous assistons dans ces deux formes [petite et grande culture] à une exploitation gaspilleuse des ressources du sol au lieu d’une culture consciencieuse et rationnelle de la terre, propriété commune et éternelle, condition inaliénable de l’existence et de la reproduction de générations humaines qui se relaient ».
Karl Marx, Le Capital, Volume II
« Quand il pleut, quand il y a de faux nuages sur Paris, n’oubliez jamais que c’est la faute du gouvernement. La production industrielle aliénée fait la pluie. La révolution fait le beau temps ».
Guy Debord, La Planète Malade
Karl Marx, Le Capital, Volume II
« Quand il pleut, quand il y a de faux nuages sur Paris, n’oubliez jamais que c’est la faute du gouvernement. La production industrielle aliénée fait la pluie. La révolution fait le beau temps ».
Guy Debord, La Planète Malade
Introduction
Indéniablement, le désastre est en cours. Les îles Marshall sont progressivement inondées, certaines ont déjà disparu. Les réfugiés climatiques se multiplient, et sont des milliers à demander l’asile climatique : ils seront plusieurs centaines de millions d’ici 30 ans (à noter qu’à ce jour, le statut de « réfugié climatique » n’est pas reconnu juridiquement par les institutions supranationales). Les catastrophes naturelles [?] s’intensifient, l’augmentation de la salinité des eaux menace nombre de terres agricoles, les feux de forêts paraissent dans certaines régions inarrêtables. Des métropoles et mégalopoles phares du capitalisme mondialisé sont menacées d’être invivables d’ici quelques décennies, notamment Miami, New-York, Rotterdam, Tokyo, Singapour ou encore Amsterdam.
Il serait fastidieux de recenser tous les dégâts du réchauffement climatique, et là n’est pas notre sujet. Nombre de travaux ont déjà été réalisés1 sur ce qui apparaît aujourd’hui comme une menace monstrueuse et imminente : l’effondrement de toute civilisation humaine [c'est aller vite en besogne, ce qui ne rend pas plus optimiste quand à ce qui suivrait comme "civilisation"...]. Les théories catastrophistes ont désormais le vent en poupe, tout comme les thèses, articles et ouvrages de collapsologie. Le survivalisme devient progressivement un thème sociétal en vogue, surfant au gré des pseudo-solutions individualistes et techno-utopistes prônées par les tenants du capitalisme vert ou par les lobbys assurantiels du risque climatique. Le changement climatique est un marché lucratif.
Depuis des décennies, l’ampleur du danger est étudiée par des institutions et chercheurs, pour la plupart occidentaux et régulièrement subventionnés par de grands groupes capitalistes. Les plus grandes fortunes mondiales se transforment en philanthropes sauveurs de l’humanité. En 2016, Bill Gates, à travers sa fondation et le fonds Breakthrough Energy Ventures, levait un milliard de dollars afin de développer des technologies de géo-ingénierie illuminées nécessitant l’exploitation de millions de prolétaires pour des résultats plus qu’incertains. Mark Zuckerberg (Facebook), Jeff Bezos (Amazon) ou Richard Branson (Virgin) furent parmi les principaux donateurs. D’autres multi-milliardaires explorent en hélicoptère les savanes africaines et indonésiennes afin de redorer leur image en comptant le nombre d’éléphants disparus chaque année : une façon comme une autre de faire campagne sans nécessité de serrer des mains. [c'est tout de même une des formes du "capitalisme vert" qui, selon RS/TC, n'existe pas...]
Les capitalistes profitent de la déqualification du prolétariat à l’ère du Toyotisme2 pour s’arroger toutes les compétences techniques et toutes les solutions au changement climatique : les travailleurs, aliénés, sont dépossédés de toute capacité d’intervention sur la production, entraînant la promotion d’une attitude individualiste et morale sur la crise en cours. Ainsi, les capitalistes font de la crise environnementale un problème « civilisationnel », un « enjeu nouveau pour nos démocraties », se pressent pour parler de « consensus » quant au danger qui nous guette. L’idéologie citoyenniste du « tous-ensemble » ou celle pseudo-radicale de l’éco-populisme sont incapables de mettre fin aux ambitions d’exploitation des ressources naturelles propres au système actuel, précisément parce que ce dernier ne peut fonctionner qu’en accumulant toujours plus de richesses. Ces idéologies s’indignent de l’inaction de l’État, incapable de remettre l’humanité sur de bons rails. Dès lors, l’ État est le nouvel interlocuteur privilégié des acteurs des Marches pour le Climat, marches très majoritairement métropolitaines, blanches et bourgeoises. De son côté, l’économie apparaît pour ces marcheurs, dans un système mondialisé, comme lointaine, sinon secondaire : elle est un « interlocuteur » absent.
L’indignation citoyenniste est d’un moralisme exacerbé, si bien qu’on entend parler à longueur de temps d’alternatives institutionnelles. C’est l’homme qui est visé dans son individualité, abstraitement, et ce principalement à travers son mode de consommation. La production marchande passe à la trappe au profit du « consom’acteur », le genre humain est aussi bien le fauteur de trouble que le bouc-émissaire, l’universalisme bourgeois hors-sol des Lumières reprend ses droits. Une vision fictionnelle du système-monde l’emporte à l’heure où les sols sont presque partout déjà morts.
Contre cette lecture caricaturale de la crise en cours, nous effectuerons dans un premier temps une critique radicale du concept d’Anthropocène, en tant qu’il serait cause du réchauffement climatique, et nous lui préférerons le concept de Capitalocène.cc]] [j'ai abordé ce débat dans HUMANISME, ANTHROCENTRISME... un débat essentiel Dans un second temps, nous verrons comment le système capitaliste produit différentes formes de racisme environnemental.
Enfin, nous verrons ce qu’une lecture écoféministe de la crise telle que celle de Maria Mies nous enseigne à propos des liens entre effondrement environnemental et domination masculine, le tout afin de comprendre comment les luttes actuelles (aux prises avec les contradictions du capital, de genre et avec la segmentation raciale du travail comme de l’espace) sont imbriquées et tendent à ralentir la crise.
Anthropocène ou capitalocène ?
En 2002, le chimiste Paul Crutzen et le biologiste Eugene Stoermer inventaient le terme « Anthropocène » afin de désigner une ère géologique faisant suite à l’ère Holocène et ayant des conséquences anthropiques modifiant l’environnement mondial. Flou, ce terme repopularisé par l’historien bengali Dipesh Chakrabarty est vivement critiquable. Selon Chakrabarty, la crise écologique (qu’il distingue non sans difficultés de la crise de la valorisation et de la reproduction capitaliste) transcenderait l’histoire proprement capitaliste, soit la période de radicalisation marchande de l’histoire de la lutte des classes, car elle toucherait invariablement, au final, riches et pauvres, bourgeois et prolétaires, tous étant des humains dans le même bateau. Oubliant que dans une galère, le rameur est plus proche de prendre l’eau que le voyageur en cabine. [à vrai dire, il y a bien une question sur l'idéologie de destruction de la nature liée par exemple à l'histoire de l'Eglise catholique qui est plus ancienne que l'avènement du capitalisme marchand même, cad pour être clair avant l'installation du Mode de production capitaliste à partir de la fin du XVIIIe siècle]
En inscrivant la crise écologique dans une lecture historique croisant temporalités géologiques et humaines, Chakrabarty date la crise environnementale à la domestication du feu par l’homme, comme si le dérèglement climatique n’était pas né au 19e siècle avec les poursuites de l’accumulation primitive du capital, soit la première révolution industrielle. Si le dérèglement climatique avait débuté avec la naissance du genre Homo, comment comprendre le petit âge glaciaire ayant eu lieu de 1350 à 1850 ? Comment comprendre le brutal refroidissement du climat mondial entre 1520 et 1610 à la suite de l’extermination presque systèmatique des populations amérindiennes par des colons blancs ? Les systèmes productifs pré-industriels, non fondés sur l’extraction de ressources naturelles minières, ne provoquèrent pas le changement climatique que nous vivons aujourd’hui, et il va sans dire que Christophe Collomb n’était aucunement une quelconque sorte de crypto-capitaliste.
Le terme « Anthropocène » permet au capitalisme d’écarter sa responsabilité décisive dans le saccage de la planète et de sa biodiversité, et il est aujourd’hui clair qu’une politique d’austérité environnementale est impossible. Il n’y a pas ici de place au hasard, Paul Crutzen lui-même étant un fervent défenseur de technologies de géo-ingénierie fondées sur l’exploitation de millions travailleurs dans les pays les moins développés (au sens de l’agenda capitaliste dominant). En réalité, comme le fait remarquer le fondateur du concept de capitalocène Andreas Malm dans son ouvrage L’Anthropocène contre l’histoire, « il est vrai qu’il y a une corrélation entre la population humaine et les émissions de Co2, mais celles-ci ont été multipliées par 654,8 entre 1820 et 2010, tandis que celle-là [ndlr, du premier homme à 1820] n’a été multipliée « que » par 6,6, ce qui indique qu’une autre force, bien plus puissante, a dû alimenter ce feu » (p.12). Le feu maîtrisé à l’âge de pierre peut dormir sur ses deux oreilles.
L’industrie minière (charbon, pétrole, gaz) est la plus adéquate au système capitaliste encore aujourd’hui, et les énergies renouvelables ne peuvent être que des substrats dans un monde marchand. Les marchandises que nous trouvons aujourd’hui partout, surproduites et standardisées, nécessitent absolument, dans leur procès de production, l’utilisation d’un capital circulant fait de matières premières d’origines fossiles. Dès l’invention de la machine à vapeur, comme le rappelle Armel Campagne dans Le Capitalocène – Aux racines historiques du dérèglement climatique, le capitalisme a fait un bond technique, s’affranchissant des contraintes naturelles de l’énergie hydraulique. Le capitalisme, toujours en quête d’extraire plus de valeur sur la base du travail humain, ne peut depuis cette époque plus se passer des combustibles les plus polluants dont nous disposons, pétrole désormais en tête.
Dès lors, le premier problème qui apparaît est celui de la transition vers un monde non capitaliste, donc non fondé sur des énergies non renouvelables. [formule bizarre : pas besoin d'énergie dans la Communauté humaine du vivant, après le capitalisme ? Encore une foie fois, abolir l'économie n''implique pas d'abolir la production mais abolit la marchandise dans le produit, et par là-même l'échange de valeurs ; et produire nécessite de l'énergie...] Bien-sûr, la « transition énergétique » capitaliste est un vaste plan marketing. En France par exemple, Emmanuel Macron soutient un programme « pollueur-payeur » avec sa taxe carbone (taxe sur les carburants), soit-disant afin de financer le passage à un monde vert, comme promis lors de la COP21 à Paris. En réalité, cette taxe carbone a financé jusque janvier 2019, à hauteur de plus de 3 milliards d’euros, le CICE (Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi), soit un immense cadeau aux multinationales, principales sources d’émissions de gaz à effet de serre.
Mais Andreas Malm est lui aussi dans une impasse puisqu’il propose à la fin de son ouvrage, en léniniste, une planification étatique mondiale de la transition énergétique. C’est oublier ici que le terme « global warning » est trompeur car les effets du changement climatique diffèrent selon les endroits de la planète. Il semble impossible et difficilement souhaitable de prôner un centralisme quelconque pour résoudre la crise. Comme l’affirme Armel Campagne dans une interview à Grozeille, « Lui et d’autres théoriciens comme Daniel Cunha ont une vision cybernétique dans laquelle la nature peut être intégralement gérée de façon techno-scientifique, informatique même. Il y a fort à parier que pour gérer les conséquences locales du dérèglement climatique, la logique technocratique sera peu efficace ».
Depuis la restructuration économique des années 70 et la fin d’un cycle de puissantes luttes de la production (grèves de masse, syndicats forts, etc) au profit de tout un ensemble de luttes sur la circulation, c’est-à-dire majoritairement d’émeutes sociales, nous ne pouvons plus envisager de politique de planification écologique centralisée. La mondialisation et la division toujours plus soutenue du travail aux quatre coins du monde ont ouvert un nouveau cycle de lutte promettant de nouvelles solutions à la crise climatique capitaliste. Le mouvement des Gilets Jaunes en est un exemple frappant. Comme l’explique Jack Rusk3, les actions émeutières de blocages de flux, ou « émeutes des ronds points » (Joshua Clover4) ont conduit en quelques mois de lutte à une diminution impressionnante des émissions de gaz à effet de serre normalement produites par les entreprises implantées sur le territoire national. Les luttes portant sur la circulation brisent des espaces clés pour la production et la distribution polluantes de biens marchands.
Ces luttes ont l’avantage indéniable, en plus de ralentir le réchauffement climatique en s’attaquant directement à l’économie, de ne pas s’affirmer comme le mouvement ouvrier d’antan sous la forme d’un mouvement très majoritairement masculin et blanc [merci aux luttes des femmes ouvrières, et pas seulement "blanches", à la participation des travailleurs immigrés "chez nous", aux ouvriers noirs aux USA.... Il suffit de ne pas considérer que le mouvement ouvrier européen ou occidental pour ne pas y voir que des blancs... sauf dans les directions syndicales et politiques]. En décembre 2018 en Seine Saint-Denis, dans le double contexte des manifestations contre la réforme de l’enseignement et des manifestations hebdomadaires de gilets jaunes, des émeutes lycéennes ont bloqué de nombreuses heures la circulation d’artères menant à Paris et se sont parfois attaquées à des supermarchés, comme à Aubervilliers. Bien-sûr, ces jeunes ne portaient pas de « revendications écologiques » comme les lycéens parisiens manifestant pacifiquement chaque vendredi. Pourtant, leur lutte, elle, a eu des répercutions sur l’économie de leurs quartiers, gênant parfois le bon fonctionnement d’entreprises capitalistes polluantes. Avant tout, il s’agissait là d’émeutes de jeunes racisés, victimes d’un racisme non seulement politique et policier mais aussi environnemental.
« La couleur de l’écologie n’est pas le vert, mais le blanc »
Cette phrase résume parfaitement la première partie de l’ouvrage de Razmig Keucheyan La nature est un champ de bataille (citation p.24). Le capitalisme, segmentant racialement la division du travail à différentes échelles (micro et macro) produit ce que cet ouvrage nomme très justement « racisme environnemental » (concept développé pour la première fois par Benjamin Chavis en 1987 dans Toxic Waste and race in the United States) : ségréguées spatialement, les populations racisées (latinos et afroaméricains aux Etats-Unis, afrodescendants et migrants d’Europe de l’Est en Europe de l’Ouest, etc) effectuent les travaux les plus durs et les plus dangereux (inhalation de produits chimiques, tri des déchets, transport logistique, peinture en bâtiment, nettoyage des espaces publics, etc) tout en vivant près d’incinérateurs à déchets, dans des ghettos urbains sales proches d’importants axes routiers et composés pour une grande part de barres d’immeubles insalubres parfois encore amiantées. [les travaux décoloniaux fourmillent d'exemples en la matière sur tous les continents]
Prenons l’exemple de l’entreprise Paprec, principale entreprise de recyclage en France et massivement présente en Seine Saint-Denis. Son PDG, Petithughenin, est un chantre du « capitalisme vert ». La Plateforme d’Enquêtes Militantes, collectif militant communiste de région parisienne, réalisait avec nous une enquête5 en 2018 sur les conditions de travail des ouvriers du tri et du reconditionnement des déchets : « Confinés dans des cuves en béton, des trieurs en masques et combinaisons blanches ramassent à la main des montagnes de paperasse, dans des nuages de poussières. (…) En Île de France, près de la moitié des ouvriers du déchet sont des immigrés et près des 2/3 sont sans diplômes. Dans l’entrepôt de La Courneuve, le recrutement cible en priorité des primo-arrivants, avec ou sans papiers ». Dans ce genre de situation, au contact de machines de tri et de déchets sales avec pour consigne d’augmenter la productivité, les douleurs musculosquelettiques ou respiratoires ne sont pas choses rares.
Datée de 2014, une étude de l’université du Minnesota6 est claire quant au cas états-unien : les membres de minorités ethniques du pays sont exposés à du dioxyde d’azote (NO2, gaz toxique en cause dans les maladies asthmatiques entre autres) à un taux 38 % plus élevé que les populations blanches. La nature, comme l’a montré André Gorz dans Leur écologie et la nôtre, est aussi bien un terrain de pillage qu’une poubelle à administrer. Cette administration, comme le démontre Razmig Keucheyan, est souvent réalisée dans des territoires où habitent ceux qui sont déjà victimes d’un racisme institutionnel systémique se matérialisant par exemple sur le marché du travail. Pour les collectivités territoriales et les entreprises, ces territoires sont facilement contrôlables ou pacifiables, et il est moins risqué d’y voir naître des réactions hostiles comme, entre autres, des recours en justice risquant de freiner le procès d’accumulation capitaliste. La pauvreté non blanche est la première victime de la consommation bourgeoise blanche, et la misère insalubre dans laquelle elle vit renforce tout un système raciste l’y cantonnant : la boucle est bouclée.
Les catastrophes « naturelles » touchent aussi majoritairement les populations pauvres non blanches. En 2005, l’ouragan Katrina inondait une immense partie de la Nouvelle-Orléans, prenant la vie d’une majorité de personnes Noires obligées de vivre dans des terrains inondables. La migration de ces populations permit une gentrification accrue de la ville. En 2003, une immense canicule eu lieu en Europe faisant de nombreux morts, et celle-ci toucha encore plus durement les ghettos urbains que les quartiers riches blancs et pavillonnaires en raison de concentrations de chaleur accrues par un urbanisme inadapté (problèmes d’isolation, végétalisation faible dans nombre de cités, tours HLM favorisant les îlots de chaleur, etc). Plus récemment, les 14 et 15 mars 2019, le cyclone Idai frappait la ville de Beira, au Mozambique. Il s’agit de la première ville entièrement détruite à cause des changements climatiques, et le cyclone fit 468 morts au Mozambique et plus de 250 au Zimbabwe. Il faut ici souligner le fait que le Mozambique, parmi les pays les plus pauvres au monde, est un pays bien peu industrialisé et ne concentrant que 0,14 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Les rétroactions dues au changement climatique sont profondément inégalitaires et ont pour origine un mode de production racialisant l’espace à grande échelle.
La thématisation et la conceptualisation du racisme environnemental est une chose absolument nécessaire pour comprendre les développements actuels du capitalocène. Mais précisons ici trois écueils à éviter. Le premier est l’impasse stratégique dans laquelle Razmig Keucheyan entre à bras ouverts. Militant du Front de Gauche, il affirme pour la revue Ballast7 en 2016 : « L’une des questions politiques du moment est : comment faire converger les mouvements écologistes et la gauche héritière du mouvement ouvrier ? ». Rien de plus faux ! La gauche héritière du mouvement ouvrier en a depuis longtemps fini de sa belle mort, incapable de saisir les modalités de lutte des habitants racisés des quartiers populaires, tandis que les mouvements écologistes traditionnels ont perdu une grande part de leur radicalité à la fin de la période altermondialiste des années 2000, à défaut de perdre leur blanchité. Si nous parlons de racisme environnemental, enterrons une fois pour toute la sacro-sainte « convergence des luttes » idéaliste et aveugle à ses propres contradictions.
Le second écueil est bien évidemment celui de la « justice environnementale », mélange de théorie de la justice bourgeoise (John Rawls) et d’écologie morale saveur « je me donne bonne conscience ». Disons le tout net, la justice n’a pas d’autre but que de se réformer en vue d’obéir à un arbitraire policier plus ou moins latent, soumis aux exigences répressives du capital. On exclut donc par là très rapidement toute idée de « remboursement de la dette écologique » : les capitalistes, majoritairement représentés dans les Nords, ne rembourseront jamais un centime aux Suds. L’époque actuelle est à la militarisation des territoires néo-coloniaux ou encore colonisés afin d’en extraire les dernières ressources accessibles, et ce même au prix du sang. De plus, on ne comprend pas le concept de justice environnementale sans ceux de développement durable ou d’écodéveloppement. Mais l’écologie comme programme de survie planétaire est un phénomène profondément lié non pas à une mauvaise gestion du développement, de l’économie ou de la croissance, mais à l’existence problématique de l’économie en tant que telle. Etre écologiste, c’est sans aucun doute produire une critique de l’économie politique conséquente.
Le dernier écueil à éviter est celui de la fameuse « consommation éthique sous le capitalisme », rabâchée à toutes les sauces. Dans les quartiers populaires, l’accès à des produits certifiés bio ou « éthiques » est un luxe, sinon une prise de position idéologique paradoxale puisque la principale problématique des plus pauvres depuis des décennies est celle de la reproduction de leur force de travail (avoir un toit, se nourrir jusque la fin du mois, avoir accès à différentes formes de mobilité, etc). De plus, et c’est ce que nous allons voir par la suite, au niveau mondial l’accès à une consommation « éthique » (sinon digne, se nourrir de son travail pour continuer à travailler) est une problématique qui, en plus de porter différentes formes de racisme environnemental (magasin bio des centres villes blancs contres hypermarchés discounts des ghettos urbains), porte en elle tout le problème de la distinction de genre.
L’écoféminisme, ou de la nécessité d’abolir le genre pour sauver le climat
Le 7 mars 2011, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) rendait le rapport suivant : « Un profond fossé sépare les agricultrices des agriculteurs en ce qui concerne l’accès à un vaste éventail de ressources agricoles, notamment la terre, le bétail, la main-d’œuvre agricole, l’instruction, les services de vulgarisation, le crédit, les engrais et la mécanisation. Les femmes dans toutes les régions ont généralement moins d’accès à la terre que les hommes. S’agissant des pays en développement pour lesquels on dispose de données, les femmes représentent 3 à 20 pour cent des propriétaires terriens. La part des femmes dans la main-d’œuvre agricole est largement supérieure et varie de 20 à 50 pour cent dans ces pays. Les agricultrices obtiennent moins de rendements que les agriculteurs, non pas parce qu’elles sont moins douées, mais parce qu’elles gèrent des exploitations plus petites et utilisent moins d’intrants, comme les engrais, les semences améliorées et les outils performants ».
Le rapport a le mérite d’être percutant : partout, les femmes sont exclues de l’accès à la propriété terrienne mais doivent tout de même exploiter la terre pour des propriétaires masculins, et cette situation est particulièrement visible dans les pays du Sud, ou « pays en voie de développement ». Les femmes, extrêmement minoritaires dans la propriété de grandes surfaces agricoles pourries par les pesticides, comme par exemple au Brésil avec les latifundios (agriculture extensive, par opposition aux minifundios familliaux dans lesquels elle jouent un rôle majeur, avec une agriculture plus traditionnelle et vivrière malgré une pauvreté déconcertante), sont systématiquement associées à « la nature ». Dans de nombreuses régions du monde, et particulièrement en Inde, la majorité de la production agricole vivrière du pays est le fait de paysannes (98 % dans le mouvement Chipko au Rajasthan, par exemple). Aussi, en Afrique, 60 % du travail agricole est effectué par des femmes, à l’heure où les grandes nations capitalistes demandent toujours plus de matières premières agricoles (que ce soit des nations à tradition coloniale dans la région, comme la France, ou sans tradition coloniale dans la région, comme la Chine avec ses « Nouvelles routes de la Soie »).
Cette association de « la femme » à « la nature », comme le montre Karen J. Warren en 1998 dans Ecofeminism: Women, Culture, Nature, fonctionne sur un ensemble de conceptions dualistes du type nature (femme) / culture (homme), passif (femme) / actif (homme), objet (femme) / sujet (homme). Dans le capitalocène, on passe de la passivité de la nature à la passivité des femmes prises comme corps sociale exploitable gratuitement. Et moins les populations sont blanches, plus la représentation du rapport femme / nature est fétichisé, orientalisé. Les femmes des pays du Sud sont les premières victimes de la planète comme poubelle capitaliste, et elles furent les premières écoféministes autoproclamées. En France, alors que le terme « écoféminisme » fut inventé par Françoise d’Eaubonne, les écrits de Simone de Beauvoir critiquant l’idée d’un rôle « naturel » de la femme amenèrent, à raison, nombre de féministes marxistes à se méfier de la « question de la nature » à l’heure du changement climatique. Quand on essentialise les corps, il est logique que le processus pour en modifier les termes prenne du temps.
L’exploitation du corps des femmes se poursuit bien évidemment dans la gestion de leur fécondité, et nombre d’écoféministes montrèrent depuis les années 70 le lien existant entre surpopulation et surproduction marchande. Quand les femmes sont objectifiées, elles perdent la propriété non seulement de leur corps mais aussi des richesses naturelles, et les hommes s’accaparent la reproduction de leur fertilité. Dans Patriarcat et exploitation dans l’économie mondialisée (2005), Maria Mies (écoféministe marxiste) écrit ceci : « Les ressources naturelles sont considérées comme des « biens libres », exploitées et accaparées par le système industriel de la même façon que le travail de reproduction de la vie par les femmes et la paysannerie. La division du travail par genres, et entre travail salarié et travail domestique, sphère publique et privée, production et reproduction, n’a été possible qu’à travers la naturalisation du pôle féminin de cette division ».
La distinction genrée travail salarié / travail domestique (Silvia Federicci, Christine Delphy) ou sphère publique / sphère privée est primordiale pour comprendre la crise capitaliste environnementale aujourd’hui. Ce n’est pas un hasard si les luttes écoféministes se sont développées à l’ère de la mondialisation dans les années 70, lors du passage entre le primat de luttes de la production (majoritairement masculines dans les usines) et celui des luttes sur la circulation. Dans les luttes sur la circulation actuelles, la problématique de la reproduction a un rôle prépondérant puisque ce sont les femmes qui s’occupent habituellement, dans le cercle du « privé », du local, de la maison, de l’entretien de la vie quotidienne familiale. Elles sont à l’avant-garde dans les émeutes de la reproduction : la preuve en est, depuis la domestication ancestrale de leur corps, elles jouent un rôle majeur dans les émeutes frumentaires de toutes les époques. Lorsque les femmes sortent de la sphère du privé et du foyer, comme lors des révolutions du Printemps Arabe , elles mettent à mal le système de reproduction capitaliste et donc la production massive de pétrole (ou d’autres ressources naturelles) pour les pays occidentaux.
Donnons un exemple plus précis. En 2011 en Tunisie, un immense mouvement de femmes (à Gabès) dressa des tentes sur des voies ferrées stratégiques pour bloquer les activités du GCT, Groupe Chimique Tunisien, alors plus grande entreprise tunisienne, avec deux objectifs et conséquences : le soutien à des prisonniers politiques, mais aussi le ralentissement très net voire la paralysie de l’activité du GCT (production de 10 mille tonnes de phosphate chaque jour, un calvaire environnemental). La sortie des femmes dans la sphère publique est un enjeu primordial dans la lutte pour l’abolition du genre et, par là, pour empêcher le dérèglement climatique capitaliste, puisque cela mène au blocage de nombreux flux de circulation normalement rationalisés à travers la division de genre. Ces flux de circulation, avec la mondialisation, sont la disparition du local dans une logique import/export particulièrement polluante.
A Paris fut organisé par la maire Anne Hidalgo en février 2019 un évènement souhaitant mêler problématiques de genre et problématique climatique : Women4Climate. Plusieurs points intéressants furent évoqués, tel que le problème des transports favorisant les trajets « allant de la banlieue et des arrondissements extérieurs au centre-ville (…) statistiquement les plus susceptibles d’être utilisés par des hommes (…), les femmes effectuant davantage de trajets plus courts ». Mais si cela part d’une bonne intention, le problème reste le même : les collectivités tentent non pas d’abolir les distinctions de genre et les inégalités en terme de mobilité, et donc d’impact environnemental, mais bien de les simplifier. En réalité, les gouvernants n’ont aucun intérêt à abolir les distinctions de genre nécessaires au bon fonctionnement du productivisme capitaliste contemporain. Il s’agit non pas de désinvestir les lieux de production et de circulation capitalistes (comme le firent des femmes à Gabès et ailleurs), avec un réel impact environnemental, mais de « recourir à la budgétisation sensible au genre, notamment en matière d’investissements d’infrastructures ». L’argent d’abord, et les femmes à la trappe…
Conclusion
Le capitalisme s’appuie sur une dissociation « nature » / « culture » abstraite et anthropocentriste laissant libre court à un projet productiviste hors-norme. De fait, la plupart des écologistes, même parmi les plus « radicaux », s’enferment dans les griffes du système qu’ils dénoncent en reprenant cette dissociation. Comme le fait remarquer Benoît Bohy-Bunel8, il n’y a pas de « nature » comme bloc homogène : il n’y a une « nature » que parce qu’il y a un artifice et une industrie humaine. Les projections techniques marchandes qui sont réalisées afin de sauver la planète, exploitant les imbrications entre domination par le travail, distinction de genre et racisme environnemental, n’ont pas de sens. Elles prennent « la nature » pour un ensemble exploitable immédiatement au même titre que la force de travail naturalisée et objectifiée des travailleurs, femmes et / ou racisés avant tout.
Marx allait dans cette voie, dans le volume I du Capital : « Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les États-Unis du nord de l’Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du processus de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ».
Les hommes blancs profitant de la « grande industrie », des moyens de production, sont associés à la « culture » au sein de sa dissociation capitaliste d’avec « la nature ». Nous ne pouvons pas formuler de critique positive des mouvements écologistes occidentaux sans comprendre que l’écologie morale et universaliste est actuellement un outil de domination qu’il faut renverser pour réellement sauver la planète. Ne nous embourbons pas dans des mouvements tels que Youth For Climate, qui n’ont que pour ambition de réformer le système actuel à base de « startup vertes » comme We Don’t Have Time, la startup pro-croissance verte qui utilise Greta Thunberg, jeune instigatrice des « grèves pour le climat », afin de faire du chiffre.
Ce type de mouvement cherche à se démarquer des luttes sociales et parvient à le faire : à Bruxelles, de jeunes marcheurs pour le climat et quelques soutiens participèrent à l’arrestation de Gilets Jaunes par la police belge. A Nancy, du 13 au 14 avril, aura lieu une « réunion de coordination nationale » pour les représentants auto-proclamés de la grève pour le climat, souvent de jeunes hommes carriéristes, et ce sans inviter aucune personne habitant dans les Départements et Territoires d’Outre-mer (pourtant les premières victimes du réchauffement climatique aujourd’hui). Ce type de mouvement veut faire « peau neuve » de l’altermondialisme classique comme des affabulations réactionnaires d’un Pierre Rabhi ou celles fanatiques d’un Theodore Kaczynski (aujourd’hui repris allègrement par l’extrême-droite grecque, suédoise, etc), au profit d’un néo-libéralisme se voulant de bon ton. Un tel mouvement pourrira de lui-même dans un cabinet ministériel, si nous ne nous chargeons pas de lui pas d’ici-là. Nos heures sont comptées.
Nathan François
1 Lire par exemple A propos de l’écologie du capitalisme, Αντίθεση, 2017. A noter que le graphique suivant provient de cette étude.
2 Le toyotisme est un mode d’organisation du travail faisant suite au fordisme et au taylorisme, prônant à partir des années 60 la création de travailleurs « polyvalents », peu spécialisés mais multi-tâches.
3 Jack Rusk, Un conte des deux Paris, Commune 2019, traduction par Agitations
4 Joshua Clover, L’émeute des ronds points, Verso, 2018, traduction par Agitations
5 Paprec : du sale dans le tri des déchets, 30 octobre 2018, Plateforme d’Enquêtes militantes
6 Emily Badger, Pollution is segregated, too, 2014, Washington Post
7 Ballast, C’est à partir du sens commun qu’on fait de la politique, 2016
8 La dissociation anthropocentriste-productiviste de la valeur, 2018
Invité- Invité
Re: LUTTES POUR LE VIVANT
Patlotch a écrit:dans le registre des réalisations communales ou associatives, des rivières renaissent. Ce ne sont pas à proprement parler des luttes au sens où on l'entend généralement. N'ayant pas un caractère révolutionnaire remettant en cause le capitalisme destructeur du vivant déjà relevé par Marx concernant la pollution industrielle des rivièresµ, elle s'apparentent davantage à un "syndicalisme écologiste", et ne sont pas nécessairement le fait de prolétaires, bien qu'ils y prennent leur part (dans les banlieues et zones péri-urbaine entourées de jardins ouvriers comme par chez moi au bord du Renaison qui a retrouvé comme la rivière de l'article plus bas sa faune de ma jeunesse)Karl Marx a écrit:« ‘‘L’essence’’ du poisson de rivière, c’est l’eau d’une rivière. Mais cette eau cesse d’être son ‘‘essence’’ et devient pour lui un milieu, désormais inadéquat, dès que l’industrie s’empare de cette rivière, dès qu’elle est polluée par des substances colorantes et d’autres détritus, dès que les navires à vapeur la sillonnent, dès qu’on détourne son eau dans des canaux où l’on peut priver le poisson de son milieu vital, par simple évacuation. »
L’idéologie allemande
Dans la Creuse, une rivière renaît après des années de pollution
Jean-Pierre Tuquoi, Reporterre, 23 avril 2019
Jean-Pierre Tuquoi, Reporterre, 23 avril 2019
Jusqu’aux années 1960, la Brézentine est un paradis des pêcheurs et des baigneurs. Puis s’installe une usine d’équarrissage et la rivière agonise. Le journaliste Olivier Nouaillas raconte, dans un livre, comment l’engagement collectif a sauvé la rivière de son enfance.
Éditions du Rouergue, avril 2019, 112 p., 13,50 €.
Ce livre n’aurait jamais dû être publié. Non pas qu’il manque d’intérêt. Il est au contraire passionnant. Mais son sujet est tellement mince, minuscule, que l’on imagine que convaincre un éditeur de publier le manuscrit n’a pas dû être aisé. Peut-être la qualité de l’auteur, journaliste à l’hebdomadaire La Vie [1], a-t-elle facilité les négociations.
Dans le livre alerte et empreint d’humanité il est question d’un cours d’eau. Pas d’un de ces fleuves interminables et hautains dont on parle dans les livres de géographie, mais d’une rivière anonyme parmi les 125.000 cours d’eau recensés en France, la Brézentine. Qui connait la Brézentine ? Ses eaux courent dans un coin perdu de la Creuse pour se jeter dans la Sédelle laquelle rejoint ensuite la Creuse avant de se jeter dans la Vienne puis dans la Loire et au final dans l’océan Atlantique, du côté de Saint-Nazaire.
Olivier Nouaillas nous amène en ballade le long de la Brézentine. Pourquoi elle ? Parce qu’il la fréquente depuis que tout gamin en culottes courtes son grand-père l’amenait taquiner le goujon. Depuis, il y retourne régulièrement en vacances avec femme et enfants. La rivière et lui sont devenus des amis inséparables. Au fil de ses pérégrinations il a fini par en dénicher la source – ou plutôt les sources – en bordure d’un bois et à identifier le lieu où elle se jette – ô combien paisiblement – dans la Sédelle. Entre les deux extrémités, que de choses à raconter !
Une balade teintée de nostalgie et tissée de rencontres humaines
Longer la Brézentine, cheminer à ses côtés, ce n’est pas descendre l’Amazone ou le Nil. Bordé de champs, de bois et de taillis, avec une poignée de villages à proximité, le cours de la rivière ne dépasse pas 24 kilomètres. Il est à taille humaine. Mais quelle aventure ! Une aventure au final apaisante pour le lecteur, teintée de nostalgie et tissée de rencontres humaines propices à la remontée de souvenirs d’enfance pour l’auteur. Il est question d’observations sur les plantes qui y poussent, les oiseaux et les poissons qui y vivent – plus ou moins bien. On y croise des agriculteurs vigilants. Et des néo-ruraux tombés amoureux de ce coin perdu de la France.
Nouaillas a beaucoup à nous faire partager. Vagabonder le long de la Brézentine est pour lui l’occasion de parler de tout et de rien, des ragondins qui, importés d’Amérique du nord il y a plus d’un siècle, se sont trop bien acclimatés dans la Creuse (mais pas que là), d’un oiseau aux teintes multicolores, le guêpier d’Europe, apparu à la faveur du changement climatique, des efforts d’une poignée d’agriculteurs pour se libérer du modèle agro-industriel…
Une histoire domine cette promenade : celle du combat menée entre les années 70 et 90 par les riverains pour contraindre une entreprise d’équarrissage à ne plus déverser ses eaux usées dans la fragile Brézentine transformée en un cimetière à poissons crevés et en une zone pestilentielle. Plus de vingt ans de bagarres et de mobilisation, de réunions publiques houleuses, de campagnes de presse, de pétitions et de rencontres à la préfecture… L’auteur, que sa qualité de journaliste parisien en charge de l’environnement dans son hebdomadaire désignait pour être le porte-parole de la contestation, n’en est pas sorti indemne. Des menaces hargneuses proférées à son encontre il y a plus de vingt ans, le journaliste, non violent et imprégné de christianisme social, a conservé une blessure.
Il n’empêche : l’usine a fini par se mettre en conformité avec les règlements et les rejets ont cessé. Du coup, la qualité des eaux de la Brézentine s’améliore, favorisée il est vrai par la signature d’un « contrat de rivière » conclu entre l’État, les collectivités territoriales et les acteurs locaux. Goujons, spirlins, vairons, chevesnes, perches, ablettes, gardons barbotent dans les eaux du ruisseau. Les moules ont refait leur apparition. Même les truites fario que l’on croyait disparues sont au rendez-vous. « Les espèces de poissons reviennent. Il y en a treize aujourd’hui contre neuf il y a vingt ans », résume Olivier Nouaillas.
Tout n’est pas gagné. La vaillante Brézentine doit composer avec les systèmes d’assainissement des eaux usées qui laissent à désirer, les traitements phytosanitaires mortifères, les épandages agricoles sauvages. Le mauvais entretien des étangs où prolifèrent les espèces invasives (la jussie, l’écrevisse américaine) vient s’y ajouter. La reconquête est loin d’être terminée. Pourtant, le livre refermé, l’envie prend le lecteur d’aller découvrir ce paradis où coule la douce Brézentine.
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Re: LUTTES POUR LE VIVANT
DES VERT.E.S ET PAS MÛR.E.S ?
des pommes... d'Adam ? des poires... pour la soif ? et des scoops bidons, ah !?
Patlotch a écrit:les marxistes purs et durs, fossiles théoriciens des communisateurs au "prolétariat universel" contre Marx, considèrent que les luttes écologistes, le capital s'en fout, et qu'elles ne sont qu'agitations petites bourgeoises des "classes moyennes" Voire...
pour eux l'affaire est entendue, cette lutte peut bien revêtir un aspect mondial et réunir en France plus de monde que les Gilets Jaunes, ceux-ci dont nombre de retraités méritent qu'on questionne leur qualité de "prolétaires" et qu'on teste en théorie leur potentiel révolutionnaire, la jeunesse elle peut attendre (d'espérer) bosser...
Trois choses à savoir sur la nouvelle grève mondiale pour le climat de la jeunesse
franceinfo avec AFP 24/05/2019
franceinfo avec AFP 24/05/2019
Cette nouvelle journée de mobilisation pour le climat, vendredi, se déroule alors que le scrutin pour les élections européennes a déjà débuté dans certains pays et se tiendra dimanche 26 mai en France.
Des jeunes manifestants lors de la marche pour le climat, entre la place du Panthéon et Invalides à Paris le 15 mars 2019, dans le cadre de la mobilisation mondiale "fridays for future" pour exiger une action des gouvernements en faveur de l'environnement. (YANN CASTANIER / HANS LUCAS / AFP)
"Ta planète, tu la veux bleue ou bien cuite ?", "Fais fondre mon cœur, pas ma banquise". Le 15 mars lors d'une première journée de mobilisation, les jeunes du monde entier avaient fait preuve d'humour pour faire passer un message : il faut sauver la planète. Deux mois plus tard, ils vont ressortir les pancartes. Un nouvelle grève mondiale pour le climat est lancée, vendredi 24 mai. Voici ce qu'il faut savoir.
Un appel à mettre l'écologie au centre des élections européennes
Cette deuxième journée mondiale de mobilisation tombe en plein milieu des élections européennes (du 23 au 26 mai), une aubaine pour la jeunesse, qui veut marquer le coup. Il faut que "l'écologie soit le sujet central de ces élections", a réclamé Kristof Almasy, de Youth for climate France, lors d'une conférence de presse à Paris. Le collectif, né après l'appel à la grève scolaire lancé par la jeune Suédoise Greta Thunberg, appelle à des rassemblements devant des institutions comme la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort et le Parlement européen à Strasbourg et Bruxelles.
"Comparé à 2014, c'est vraiment devenu l'un des enjeux majeurs", affirme à l'AFP Dara Murphy, directeur de campagne du Parti populaire européen (PPE), principale force politique au sein du Parlement sortant. "Ce vote est d’une importance cruciale. Les futurs députés européens auront le pouvoir de décider s’ils veulent agir pour le changement climatique ou pas", a déclaré au Monde David Wicker, un collégien italien de 14 ans, qui manifeste depuis dix-neuf semaines à Turin.
Une forte mobilisation attendue
Cette nouvelle journée mondiale de grève devrait être plus suivie que la précédente selon le collectif. "La mobilisation est en hausse, notamment en Allemagne et en Italie", ainsi qu'"en Afrique et en Asie, qui étaient très peu mobilisées jusqu'à présent", estime Youth for climate. Des pays comme l'Inde commence aussi à se mobiliser, assure le collectif. Kristof Almasy espère un "élan nouveau pour ce mouvement qui grandit et se renforce".
En France, des manifestations dans les grandes villes sont prévues. A Paris, une marche partira à 13 heures de la place de l'Opéra. Des rassemblements se tiendront aussi dans des dizaines d'autres villes : Bordeaux, Nantes, Rennes, Lille, Nancy, Lyon, Marseille, ou encore Toulouse... En tête de chaque cortège, Youth for climate propose de brandir un cadre vide pour soutenir les trois militants d'ANV COP21 qui seront jugés, mardi 28 mai à Bourg-en-Bresse (Ain), pour avoir décroché un portrait d'Emmanuel Macron.Youth For Climate France a écrit: @YouthFrance
Afin de soutenir les activistes de @AnvCop21 décrochant le portrait de Mr Macron, en procès le 26 mai pour cet acte à Bourg en Bresse,
Youth for Climate propose un symbole lors de nos manifs : un cadre vide en tête de marche !
À bon entendeur https://reporterre.net/Face-a-l-irresponsabilite-de-M-Macron-decrochons-ses-portraits …
Face à l'irresponsabilité de M. Macron, décrochons ses portraits
Depuis le 21 février, 39 portraits du président Emmanuel Macron ont été « réquisitionnés » par des activistes du climat dénonçant l’inaction de l’exécutif en ce domaine. Les signataires de cette...
Les scientifiques et les salariés rejoignent le mouvement
Les lycéens et étudiants ne sont pas les seuls à embrasser cette lutte pour le climat puisque plus de 85 associations et syndicats appellent également à se mobiliser. Pour les salariés ne pouvant pas se joindre aux marches de vendredi, le collectif "Citoyens pour le climat" suggère d'aller travailler avec un brassard pour soutenir les grévistes ou d'interpeller son employeur sur le réchauffement climatique et le déclin de la biodiversité.
Outre les salariés, plus de 130 scientifiques soutiennent cette grève, pour alerter sur "la fulgurance du changement climatique" et le non-respect des engagements pris, citant le cas de la France. "Nous, scientifiques dans le domaine du climat et de l'environnement, sommes solidaires des collégiens, lycéens et étudiants qui se mobilisent. Comment ne pas être inquiets du monde qui se prépare ?", s'alarment les scientifiques, dont les climatologues Robert Vautard, Jean Jouzel, Gilles Ramstein, les paléoclimatologues Valérie Masson-Delmotte et Elsa Cortijo et d'autres chercheurs de l'Institut Pierre Simon Laplace (IPSL).
"Nous soutenons la mobilisation des jeunes générations, qui vont être confrontées demain à un monde rendu plus difficile à cause de l'inertie d'aujourd'hui", indiquent les scientifiques, qui se disent "disponibles pour apporter (leur) expertise et (leurs) connaissances à cette mobilisation". Samedi, d'autres marches à pied ou à vélo sont prévues dans quatre-vingts villes, essentiellement en France, mais pas à Paris.
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Re: LUTTES POUR LE VIVANT
Chine, Indonésie, Philippines, Malaisie...
MALAISE DANS "LES DÉCHARGES DU MONDE OCCIDENTAL"
"Baaaaaaaaa bye" : les Philippines renvoient au Canada des tonnes de déchets
franceinfo avec AFP le 31/05/2019
Plusieurs pays d'Asie du Sud-Est affirment leur volonté de ne pas être les décharges du monde occidental.
Le cargo contenant 69 conteneurs de déchets à Subic Bay, au nord de Manille (Philippines),
le 30 mai 2019. (NOEL CELIS / AFP)
Manille a renvoyé, vendredi 31 mai, vers le Canada des tonnes de déchets reçues il y a plusieurs années et qui ont été au cœur d'un vif contentieux bilatéral, au moment où plusieurs pays d'Asie du Sud-Est affirment leur volonté de ne plus être les décharges du monde occidental.
Après une longue campagne pour exhorter le Canada à reprendre ces déchets en décomposition, le président philippin, Rodrigo Duterte, a tranché la semaine dernière en ordonnant le départ immédiat de cette cargaison. Les 69 conteneurs ont été chargés à bord d'un cargo à Subic Bay, un port au nord-ouest de Manille qui est une ancienne base navale américaine, et le navire a appareillé pour le Canada. "Baaaaaaaaa bye, comme on dit", a tweeté le ministre des Affaires étrangères philippin, Teodoro Locsin, avec une photo du cargo en partance.
"Nous nous sommes engagés auprès des Philippines et nous travaillons étroitement avec eux", a déclaré jeudi la ministre canadienne de l'Environment, Catherine McKenna.
"La Malaisie ne sera pas la décharge du monde"
La Malaisie a elle aussi annoncé il y a quelques jours qu'elle allait retourner 450 tonnes de déchets plastique à plusieurs pays, dont l'Australie, le Bangladesh, le Canada, la Chine, le Japon, l'Arabie saoudite et les Etats-Unis. "La Malaisie ne sera pas la décharge du monde", avait déclaré Yeo Bee Yin, la ministre malaisienne en charge de l'Energie, de l'Environnement et des Sciences. "Nous ne nous laisserons pas intimider par les pays développés."
La Chine a longtemps accepté les déchets plastique du monde entier, avant de cesser soudainement l'an passé, évoquant des préoccupations environnementales. Plusieurs pays d'Asie du Sud-Est qui s'étaient placés sur le créneau laissé vacant par Pékin sont en train de renoncer. Néanmoins, d'énormes quantités de déchets ont été expédiées vers la Malaisie, l'Indonésie ou, dans une moindre mesure, les Philippines
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Re: LUTTES POUR LE VIVANT
LES FOSSILES DU MARXISME ANTI-ÉCOLOGISTE
Patlotch a écrit:depuis quelques années que j'interviens sur les luttes écologiques comme luttes contre le capital destructeur du vivant, je n'ai rencontré au mieux que l'indifférence des "marxistes" de tous courants, hormis de la part de ceux qui s'inscrivent dans le démocratisme radical (autour de John Bellamy Foster, auteur de Marx écologiste), l'anticapitalisme éternel repoussant l'horizon d'une sortie de ce mode de production délétère. Plus intéressant, le débat entre Anthropocène et Capitalocène, bien que lourd de grosse conceptualisation risquant in fine de ramener le problème au même point, la recherche du sujet qui fera la révolution. Voir CAPITALISME & HUMANISME, ANTHROCENTRISME... Anthropocène vs Capitalocène ?
je suis opposé à ces deux visions, mais s'il en est une qui m'insupporte, c'est celle fondée sur le syllogisme prenant ces luttes comme nécessairement complices du capitalisme. On a vu le cas de Gilles Dauvé (source Wikipédia) « La connaissance de la nature, les inquiétudes écologiques et les réactions aux abus faits aux animaux ne sont pas le signe d'une humanité qui deviendrait consciente de son impact sur le reste de la planète [… mais que …] le capital possède le monde et qu'aucun propriétaire ne peut s'offrir de ne pas prendre soins de ses possessions. » celui de RS/Théorie communiste et son refoulement systématique au nom de la contradiction principale (rebaptisée pour les Happy Fews "implication réciproque") entre prolétariat et capital. J'ai souligné aussi le jésuitisme de Robert Bibeau, Prolétariat vs écologistes, environnementalistes et altermondialistes réformistes
les mêmes ne manqueront jamais de souligner que les luttes revendicatives, syndicales ou autres, ne permettront pas de sortir de la règle du jeu du capitalisme, ce qui ne les empêche pas d'être beaucoup plus indulgents avec "le prolétariat" qui les mène, ou ce qu'ils nomment ainsi dans un flou conceptuel et contradictoire croissant
la simple idée qu'il pourrait en aller de même avec les luttes écologistes même les plus radicales, dès lors qu'elles sont menées concrètement au sein de ce système et pas sur la planète des songes révolutionnaires, cette idée ne les traverse pas, du moins faut-il le croire. Pas plus que de regarder en face leur solitude avancée de vieux singes ressassant les grimoires d'une jeunesse qui s'éloigne au même pas qu'ils se rapprochent eux du quatrième âge, certes comme moi, et Jacques Camatte, né en 1935 donc de loin leur aîné, mais toujours vert de pensée, et nous lui souhaitons, de corps
voici la variante de Jean-Louis Roche, du Prolétariat universel, en date du 1er juin, dont le titre indique bien ce syllogisme : on attaque l'écologisme capitaliste sans émettre la simple hypothèse que toute lutte écologiste ne s'y ramène pas. Il y a quelque temps, il se moquait de la jeune Suédoise Greta Thunberg, au sujet de laquelle j'ai importé ce matin un article qui voit en elle un nouvel Hitler et une réflexion plus sereine de Jacques Camatte, ici : DEUX VISIONS D'UNE JEUNESSE EN LUTTE ET L'AVENIR DU MONDE
La plus grande mystification planétaire :
L'ÉCOLOGISME CAPITALISTE
Jean-Louis Roche, Le Prolétariat universel, 1er juin 2019
L'ÉCOLOGISME CAPITALISTE
Jean-Louis Roche, Le Prolétariat universel, 1er juin 2019
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Re: LUTTES POUR LE VIVANT
Patlotch a écrit:des propos qui fourmillent de remarques profondes et sans chichi radicalement critiques
« La distinction entre nature et culture et l’autonomie de la sphère économique
sont des mythes cousus dans l’existence même des classes dirigeantes. »
Alessandro Pignocchi :
« Il n’y a pas d’écologie sans lutte collective contre le monde de l’économie »
Reporterre, 28 octobre 2019
sont des mythes cousus dans l’existence même des classes dirigeantes. »
Alessandro Pignocchi :
« Il n’y a pas d’écologie sans lutte collective contre le monde de l’économie »
Reporterre, 28 octobre 2019
En empruntant des chemins inattendus, reliant l’Amazonie à la Zad de Notre-Dame-des-Landes, Alessandro Pignocchi explique dans cet entretien comment l’Occident a bâti sa domination du monde en distinguant nature et culture. Déconstruire ce présupposé est un préalable pour penser les relations de sujet à sujet.
Reporterre poursuit une série d’entretiens de fond avec celles et ceux qui renouvellent la pensée écologique aujourd’hui. Parcours, analyse, action : comment voient-elles et voient-ils le monde d’aujourd’hui ? Aujourd’hui, l’auteur de bédés Alessandro Pignocchi, ancien chercheur en sciences cognitives et philosophie de l’art. Il s’est lancé dans l’illustration et la bande dessinée avec son blog Puntish, dans lequel il imagine que les dirigeants de la planète ont adopté l’animisme des Indiens Jivaros. Il a publié quatre bandes dessinées dont "La Recomposition des mondes" (Seuil), chronique d’un printemps de lutte sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes.
Reporterre — Emmenez-nous dans votre enfance. Dessiniez-vous déjà ?
Alessandro Pignocchi — Très tôt, j’ai dessiné des oiseaux. C’était une passion purement livresque puisque j’ai grandi en ville ; à Rome, jusqu’à mes six ans, puis à Paris. Les enfants traversent tous une période de leur développement où ils ont un besoin de catégorisation naturaliste des choses. C’est une capacité qui s’est mise en place chez nos ancêtres, qui étaient entourés d’espèces naturelles qu’il fallait catégoriser de façon essentialiste. Cette capacité cognitive est frustrée chez les enfants urbains. Faute de mieux, certains se passionnent pour les voitures ou les dinosaures, et d’autres, comme moi, se plongent dans les livres sur les oiseaux. Quand nous avons emménagé à Paris, ma mère m’a fait découvrir les sorties ornithologiques. J’ai développé une étroite familiarité avec les oiseaux et leurs chants, qu’à cet âge on mémorise quasiment comme si c’étaient des langues humaines.
Votre passion pour l’observation des oiseaux vous a conduit en Amazonie. Que vous ont enseigné vos voyages parmi les peuples amérindiens ?
À moins de jouer vraiment aux aventuriers, l’un des seuls moyens de passer du temps à observer les oiseaux en Amazonie est de se rendre dans une communauté indienne. Je n’avais pas encore d’intérêt particulier pour les Indiens, je considérais presque leur présence comme un mal nécessaire pour pouvoir observer les oiseaux. À 18 ans, mon intérêt pour les oiseaux s’est doublé d’un penchant pour les drogues hallucinogènes que cuisinaient notamment les Shuars, une branche des peuples jivaros. Je glanais des anecdotes exotiques à raconter à mes copains, mais sans aucune curiosité anthropologique.
Par la suite, un ami m’a invité à lire Les lances du crépuscule, de Philippe Descola. Ça a joué un rôle quasi proustien : me sont revenus des détails anodins que j’avais relevés presque inconsciemment dans les communautés Shuars. Descola m’a fait prendre conscience que ces détails dissimulaient un monde qui m’avait complètement échappé, le monde animiste. Je suis retourné en Amazonie — notamment chez les Achuars, le groupe jivaro que Descola avait rencontré — armé de ces nouvelles clés d’interprétation. Venant de la recherche en sciences cognitives, j’étais bien placé pour savoir que le monde est autant construit que perçu et que, selon les outils d’analyse et les connaissances qu’on apporte avec soi, on voit un monde différent.
Le « monde différent » que vous avez exploré, comme vous l’expliquez dans vos différents ouvrages, est un monde où la distinction entre nature et culture est obsolète. Comment en êtes-vous arrivé à défaire cette dichotomie nature-culture ?
Comme beaucoup de gens, par la lecture de Descola. Celui-ci a popularisé l’idée d’après laquelle le concept de nature n’est pas universel, mais est une construction sociale occidentale relativement récente. Pour les Jivaros, par exemple, la nature n’existe pas. Aucun mot, dans aucune langue amazonienne, ne se rapproche même de loin de notre concept occidental de nature. L’anthropologie permet de s’apercevoir qu’un concept qu’on jugeait comme universel — ou « naturel », justement — ne l’est pas.
Puisque je me considérais comme un « amoureux de la nature », cette déconstruction m’a fait particulièrement d’effet. Quand on déconstruit la dichotomie entre nature et culture, l’ensemble des concepts qui organisaient notre rapport au monde s’effondrent les uns après les autres : l’idée de protection, l’idée de contemplation esthétique, le progrès, le travail…
Comment la distinction opérée en Occident entre nature et culture contribue-t-elle à modeler nos sociétés ?
On distingue deux grandes familles de relations à l’autre : on peut le considérer comme un objet, ou comme un sujet. Ces deux attitudes distinctes ne mobilisent pas les mêmes facultés mentales.
Dans une relation de « sujet à objet », on effectue un calcul utilitariste de coûts/bénéfices. La valeur qu’on attribue à l’autre dépend des bénéfices qu’on peut en retirer, des services qu’il peut nous rendre. Dans l’Occident moderne, où l’ensemble des édifices conceptuels qui nous permettent de penser le monde sont façonnés par la distinction entre nature et culture, les plantes, les animaux et les écosystèmes sont spontanément conçus comme des objets. C’est aussi de plus en plus le cas pour les humains, qui deviennent des « ressources humaines » et dont la valeur dépend d’un rapport coût/bénéfices inscrit dans le jeu économique. La relation de « sujet à objet » est relativement pauvre cognitivement. Face à un non-humain, dans le meilleur des cas, elle mène à la contemplation esthétique.
Dans une relation de « sujet à sujet », on attribue à autrui une intériorité, une valeur propre, et la relation qu’on engage avec lui repose sur davantage de réciprocité. On tient compte de son point de vue, de ses intérêts. Dans une société qui ignore la distinction nature-culture, les plantes, les animaux ou les écosystèmes ne sont pas unifiés dans une sphère autonome et rejetés dans la catégorie des objets. Ils sont considérés comme des sujets, dont la valeur n’est pas quantifiable, puisqu’ils ont une valeur intrinsèque. Un monde où la faune, la flore et les écosystèmes sont mêlés aux activités sociales humaines permet d’engager spontanément avec les non-humains des relations beaucoup plus riches et denses.
La notion de « service écosystémique » traduit-elle une relation de sujet à objet ?
Exactement. La notion de « service écologique » est un symptôme dramatique de cette vision de sujet à objet : pour justifier la protection d’un milieu ou d’une espèce, on est obligé de montrer qu’il nous rend des services quantifiables. Il est assez amusant — si l’on goûte à l’humour noir — de remarquer que même les « grands amoureux de la nature » qui n’ont pas opéré cette remise en question du concept de nature se sentent obligés de conclure leurs argumentaires par la notion de service écologique.
Or, ce n’est évidemment pas le fond du problème ! Si des animaux ou des écosystèmes disparaissent, le monde devient invivable, ne serait-ce que psychologiquement parlant, peu importe leur valeur économique.
Rejetez-vous l’idée d’espaces protégés ?
Non. Dans notre monde, il vaut mieux tenter de protéger. Mais l’alternative entre exploitation et protection, qui sont en fait deux facettes complémentaires de la relation de sujet à objet, mène nécessairement à la destruction, puisque si, pour un espace donné, on peut passer aisément de la protection à l’exploitation, l’inverse est plus complexe. La réelle alternative à l’exploitation occidentale n’est pas la protection, mais « le vivre avec », c’est-à-dire une façon d’être avec les non-humains fondée sur la relation de sujet à sujet. En restant prisonnier de la fausse alternative entre protection et exploitation, on se dirige vers des zones saccagées constellées de milieux protégés de plus en plus petits, et dont l’entrée sera de plus en plus chère. Des sortes de musées en plein air pour riches. Dans le parc du Cuyabeno, dans le nord de l’Équateur, les Indiens n’ont plus le droit de planter de yucca mais on entend en permanence des machines car à quelques kilomètres de là, à la limite du parc, les forages pétroliers détruisent tout. C’est ce genre de dichotomie à laquelle mène la distinction nature culture.
Comment se manifeste, en Occident, la relation de sujet à objet entre les humains ?
Elle est intimement liée à un autre mythe fondateur de l’Occident moderne : l’utopie libérale d’une sphère économique autonome. Les faits économiques seraient non seulement séparés du reste de la vie sociale, mais la surplomberaient et la détermineraient. La société ingouvernable, de Grégoire Chamayou, et La grande transformation, de Karl Polanyi sont deux lectures fondamentales pour comprendre ce processus.
Or, dans cette sphère économique, les coûts sociaux ou environnementaux doivent être chiffrables pour être pris en compte. Tout ce qui n’est pas précisément quantifiable est rejeté dans le domaine du non-existant.
Sphère économique autonome et distinction nature-culture s’étayent l’une et l’autre, vu que la sphère économique a besoin d’une « nature objet » qui n’est que ressources. Soit une ressource au sens propre, soit une ressource récréative de type parc national et la même dynamique est appliquée aux humains.
Mais en réalité, la sphère économique n’est pas autonome, elle est pénétrée de politique, si bien que l’État et les hommes politiques doivent en permanence entretenir l’illusion de son autonomie.
Comment vous êtes-vous retrouvé sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, en 2018, en pleine opération d’expulsion ?
Ce n’est évidemment pas un goût pour les expulsions qui m’a mené à Notre-Dame-des-Landes. Un peu comme pour les Jivaros, j’y suis allé par intérêt intellectuel, parce qu’en France, c’est le lieu qu’il faut visiter quand on s’intéresse à la remise en question de la distinction entre nature et culture.
Dans « La recomposition des mondes », vous écrivez qu’« étant moi-même plus familier avec l’individualisme qu’avec la vie en communauté, je m’attendais à rester extérieur à tous ces liens, à devoir me cantonner à une position d’observateur ». Vous dites aussi qu’« ici, il suffit de quelques heures dans un potager ou sur un chantier collectif pour se sentir happé, puis dissout dans le bouillon de la Zad »…
M’être senti aussi facilement happé dans la vie de la Zad a été une surprise pour moi, qui suis un pur produit de mon époque — individualiste, peu à l’aise avec l’idée de vie en communauté. Dans n’importe quel groupe social occidental, a fortiori quand on est auteur de bédé, on doit essayer de se mettre en avant. Je suis consterné de voir avec quelle spontanéité je fais le malin, je tente de me mettre en avant, alors même que je trouve ça ridicule chez les autres. Il était agréable et relaxant de sentir que, à la Zad, mon petit ego disparaissait de mes préoccupations au profit de ce qui se jouait sur place.
Justement, qu’est-ce qui se joue sur place ?
J’y ai vu pour la première fois des manifestations très concrètes d’un monde affranchi des deux grands mythes occidentaux que sont l’autonomie des faits économiques et la distinction entre nature et culture. À la Zad, j’ai éprouvé une sensation d’exotisme presque plus profonde que ce que j’ai pu ressentir en Amazonie, le sentiment plaisant d’étrangeté que procure le fait d’être dans une ébauche de monde autre.
Avez-vous des souvenirs particuliers d’instants où le dépassement de la distinction entre nature et culture était palpable ?
Ça affleure tout le temps : à travers l’incongruité qu’il y aurait à mobiliser un argument de type service écologique, à voir une séparation entre les questions sociales et environnementales, ou à considérer la forêt ou les mares comme des ressources écologiques. Les liens affectifs au lieu sont si intenses qu’on les sent en permanence. Ailleurs, les gens qui ont des rapports affectifs avec le territoire, les plantes et les animaux restent pris dans le maillage du monde moderne. Ils les nouent en cachette, comme des exceptions, en gardant à l’esprit qu’ils restent des objets marchandisables. À la Zad, c’est l’inverse : la relation maîtresse entre le lieu et les individus est une relation de sujet à sujet. Pareil pour les relations sociales entre humains. Lors d’une réunion sur la Zad, on peut assister à des discussions enflammées entre des membres de classes sociales très lointaines — un punk à chien et un ancien universitaire, par exemple — alors qu’on s’attend spontanément à les voir ignorer leur parole respective, parce que c’est ce qui se passerait n’importe où ailleurs.
On trouve l’ébauche de ce qui se passe à la Zad dans des centaines d’autres lieux. Mais la Zad est suffisamment grande pour que ça se stabilise à l’échelle d’un territoire. C’est un point fondamental. Ce n’est pas juste une coloc entre amis qui font un potager collectif, des petites initiatives comme des îlots perdus sur le territoire. Notre-Dame-des-Landes est au-dessus d’une taille critique, ce qui permet d’avoir l’impression d’un monde qui se structure autour de normes implicites différentes. Où on peut s’échanger de la bouffe à prix libre, où l’on est pris dans des relations de solidarité, où l’on prend soin des communs… des modes de relation qui vont à l’encontre de ce qui est en vigueur ailleurs.
Où en est-on en France de la distinction entre nature et culture, entre des enclaves où elle est dépassée et le reste de la société, où elle est plus forte que jamais ?
La distinction entre nature et culture et l’autonomie de la sphère économique sont des mythes cousus dans l’existence même des classes dirigeantes. Il est impossible qu’elles s’en défassent. Leurs intérêts de groupe sont si intimement liés à ce fonctionnement qu’elles préféreront largement aller vers un monde saccagé que lâcher le moindre millimètre sur ces questions. Donc, soit il faut les renverser d’un coup — se débarrasser de l’État en gros, mais cela semble difficilement réalisable vu sa puissance militaire — soit leur reprendre des petits bouts de territoire, ce qui semble plus plausible. Ces territoires sont par exemple les Zad ou les ronds-points des Gilets jaunes — qui refusent d’être des marchandises interchangeables et jetables — et toutes ces zones qui s’attaquent au mythe de l’autonomie de la sphère économique. C’est d’ailleurs marrant de voir que le mouvement des Gilets jaunes, qui a été présenté par le pouvoir comme l’antiécologisme absolu — des pauvres qui veulent continuer à polluer avec leurs diesels sans se préoccuper des générations futures — est dans son essence plus écologique qu’un mouvement qui s’appuierait sur la croissance verte, c’est-à-dire qui accepterait les règles d’un jeu économique fondamentalement incompatibles avec la lutte écologique. Les Gilets jaunes, le Chiapas, le Rojava, le Val de Suse en Italie [où se poursuit la lutte contre le Lyon-Turin], tous ces territoires doivent acquérir de la puissance en densifiant les liens de solidarité entre eux, avec le soutien d’autres éléments de la société qui n’y vivent pas nécessairement. Solidifier la solidarité entre ces territoires libérés de l’économie est sans doute la tâche première de la lutte écologiste.
Vous avez vécu l’expulsion de la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Vous attendiez-vous à ce niveau de répression ?
Pas du tout. Ça a été une surprise de voir que la Zad leur faisait aussi peur. Vue de l’extérieur, elle est toute petite. Ils auraient pu la laisser en disant « regardez comme on est écolo ». C’est ahurissant que, pour la détruire, ils soient capables de dépenser autant d’argent et de prendre un tel risque politique — parce qu’il est presque miraculeux qu’il n’y ait pas eu de mort.
L’autre surprise a été la vigueur de la résistance. Quand on est attaché à un lieu, pour des raisons non pas économiques mais affectives, et qu’on croit en ce qu’il représente, on a une énergie incroyable. L’anthropologue Scott Atran l’a chiffrée, en comparant la motivation de l’armée kurde et de l’armée régulière irakienne contre l’État islamique : un Kurde vaut dix militaires de l’armée régulière parce qu’il se bat pour des raisons intimes, une certaine idée de la « kurdéité », et pas pour des raisons utilitaires comme un salaire ou la peur de la hiérarchie.
La troisième surprise a été ma réaction. Dans une manifestation ordinaire, même pour une cause à laquelle je crois intimement, je suis terrifié dès que la police arrive. Mais à la Zad, j’avais l’impression que perdre une main ou un œil avait finalement peu d’importance. C’est presque effrayant, cette espèce de transfiguration qui s’opère en nous quand on juge simplement inadmissible que ces jardins, ces lieux soient démolis par des blindés.
Je suis parti au milieu des expulsions, parce que des gens de la Zad m’avaient demandé de répondre à une conférence de presse à Paris. Je pensais que j’allais être soulagé de m’éloigner de cet enfer, mais je n’avais pas anticipé la force des liens affectifs que je venais de tisser. En fait, c’était horrible, invivable. Je me rappelle m’être réveillé à 8 heures le mercredi matin, avoir allumé les infos et avoir entendu que les combats s’étaient intensifiés. Imaginer les amis qui étaient depuis 5 heures du matin au milieu des gaz et des grenades, après une troisième nuit sans sommeil, était insoutenable.
Toutes mes questions intellectuelles et politiques prenaient réalité, s’ancraient dans la vie réelle. Nombre de sociologues racontent que pour la classe dominante — à laquelle j’appartiens —, les questions politiques sont avant tout du discours ; alors que pour les classes populaires dominées, la moindre décision politique affecte très directement la vie. Dans Retour à Reims, Didier Éribon raconte qu’un changement dans les taxes ou les subventions, c’est soit un week-end à la mer, soit des difficulté à se nourrir à partir du 25 du mois. Avec les expulsions de la Zad, des enjeux qui relevaient jusque-là pour moi du discours sont devenus réels. Et ça fait tout bizarre.
Vous partagez votre temps entre la Zad et la ville. Arrivez-vous à vivre en phase avec vos idées quand vous êtes en ville ?
Rien que le fait d’exister en ville, en France, rend incohérent avec ses idées. C’est comme ça. Il ne faut pas trop en souffrir parce qu’essayer d’être parfaitement cohérent fait sombrer dans une écologie des petits gestes, où l’on se prive de tout, tout en étant absolument inutile.
J’ai beaucoup d’amis naturalistes qui souffrent dans leur chair de constater la dévastation du monde. L’un d’eux, chercheur en écologie, vit à Montpellier, une métropole aux dents longues qui saccage ses alentours à une vitesse ébouriffante. Il souffre de voir les mares où il va compter les amphibiens être bétonnées les unes après les autres. Il se prive donc de prendre l’avion et de manger de la viande, mais il est obligé de constater que, malgré ces privations, les mares continuent d’être saccagées et que ce n’est donc pas le bon mode d’action.
Dans son livre La société ingouvernable, Grégoire Chamayou montre comment, le monde industriel a réussi à faire porter la responsabilité de la crise écologique aux individus qui ne recycleraient pas leurs déchets. Il évoque une affiche des années 1970 aux États-Unis qui montre un chef indien pleurer devant une bouteille en plastique jetée par terre. Toute la philosophie du recyclage et de l’écologie des petits gestes y est : le responsable est celui qui jette la bouteille — pas celui qui la produit. Il faut espérer que ceux qui tombent dans le piège de l’écologie des petits gestes, des éoliennes et de la croissance verte réalisent rapidement qu’il n’y a pas d’écologie sans lutte collective contre le monde de l’économie, une lutte qui passe entre autres par l’occupation de territoires.
Propos recueillis par Alexandre-Reza Kokabi et Émilie Massemin
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