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Message par Invité Mer 1 Avr - 3:56

Gustave Flaubert a écrit:extraits
Enfin aujourd’hui que nous sommes en prison je profite d’un moment pour t’envoyer ce petit mot de souvenir. Les lazarets ont été inventés pour les quarantaines et les quarantaines pour emplir la poche de ces bons Turcs, tout cela sous prétexte de peste ; or du moment qu’on arrive ici d’un pays étranger on a la peste et je crois franchement qu’ils en ont peur –

Ainsi nous sommes en ce moment en suspicion de choléra parce que le paquebot qui nous a amenés d’Alexandrie ici avait touché à Malte et qu’à Malte quinze jours auparavant il y avait eu deux cas de choléra. Conséquemment nous sommes [illis.] claquemurés dans une presqu’île et gardés à vue – L’appartement dans lequel je t’écris n’a ni chaises ni divans ni table ni meubles ni carreaux aux fenêtres – on fait même petit besoin par la place des carreaux des dites fenêtres, détail que tu trouveras peut-être superflu, mais qui ajoute à la couleur locale – il n’y a rien de plus drôle que de voir nos gardiens qui communiquent avec nous à l’aide d’une perche, font des sauts de mouton pour nous éviter quand nous les approchons, et reçoivent notre argent dans une écuelle remplie d’eau – hier au soir, Sassetti a manqué faire à l’un d’eux dégringoler l’escalier à grands coups de pied dans le bas des reins –

Pour nous purifier cet imbécile était venu nous empester avec des fumigations de soufre. Notre malheureux groom était déjà presque asphyxié et toussait comme cent diables enrhumés – Quand on veut leur faire des peurs atroces, on n’a qu’à les menacer de les embrasser – ils pâlissent –

En résumé quoique nous soyons présentement dans un local de nom funèbre nous rions beaucoup – d’ailleurs nous avons sous les yeux un des panoramas comme on dit en style pittoresque des plus splendides du monde – la mer bleue comme de l’eau d’indigo bat les pieds du rocher sur lequel nous sommes huchés. Elle [est] si transparente que lorsqu’on descend au bord, on y voit dans l'eau nager les poissons, et remuer au fonds, les gdes herbes et les varechs qui s’inclinent et se redressent au mouvement des vagues. la végétation descend jusque sur la grève et que portant fleurs et verdure – et lorsqu’on lève les yeux le nez [illis.] on trouve une chaîne de montagnes (le Liban) ayant cravatée de nuages à leur son milieu et poudrée de neige à son sommet. Ce sont là de ces choses, chère Olympe, que l’on ne verrait pas à Paris, même en payant – j’ose le dire. J’ai le courage de mon opinion.

[...]
Assez bêtifié comme cela chère Olympe, – voilà je crois minuit – il est temps de se coucher, maintenant que nous avons des habitudes patriarchales – c’est bien le moins – nous sommes dans le pays des patriarches –  à propos, je m’en vais rapporter du St Sépulcre quelques chapelets à l’usage des âmes pieuses de ma connaissance...
Lettre à sa cousine Olympe Bonenfant, Beyrouth, 23 juillet 1850
Gustave Flaubert a écrit:Quelle pluie ! quel temps ! quelle tristesse ! Mon chagrin ne vient pas tant de la guerre que de ses suites. Nous allons entrer dans une époque de ténèbres. On ne pensera plus qu'à l'art militaire. On sera très pauvre, très pratique et très borné. Les élégances de toute sorte y seront impossibles ! Il faudra se confiner chez soi et ne plus rien voir.
Correspondance, lettre à sa nièce le 24 octobre 1870
Albert Camus a écrit:Le grand principe de notre gouvernement est justement qu'on a tjrs besoin d'un certificat. On peut se passer de pain et de femme, mais une attestation en règle, et qui certifie n'importe quoi, voilà ce dont on ne saurait se priver !
L'État de siège,
1948
Les héros du Décaméron de Boccace se seraient fait lyncher sur Twitter
Marguerite Sacco @MargueriteScc

LECTURE POUR TOUSSE ETyQTVvWoAIH8pJ?format=jpg&name=small
E. et J. de Goncourt a écrit:Cette bronchite chronique, qui me confine et me calfeutre dans mon intérieur désolé.
Journal
, 1877
Jules Verne a écrit:Un retard de deux ou trois jours seulement suffisait à compromettre son voyage.
Le Tour du monde en quatre-vingts jours, 1872
Elsa Triolet a écrit:Ils étaient en retard pour l'usine.
Le premier accroc coûte deux cent francs, 1944
BibliObs publie « Pour comprendre la psychologie d’une population travaillée par une épidémie... », des
extraits de « La Peur en Occident », 1978, de l’historien des religions Jean Delumeau, où il  reconstituait minutieusement les effets sociaux de la pandémie : rumeurs, déni, recherche de fautifs. Un texte vertigineux." Je l'ai lu il y a quelques années à l'époque où je travaillais sur les rapports historiques du capitalisme et de l'Occident. L'article cite judicieusement Delumeau sur des thèmes croisant les époques :
1. Le déni des autorités
2. La légèrete de la population
3. La panique et l’exode
4. Les débuts du confinement
5. La « distanciation sociale »
6. Le rejet des malades
7. L’abandon des rites funéraires
8. Les héros et les autres
9. La recherche de coupables

"lors du choléra de 1832, à Paris, Henri Heine :
Comme c’était le jour de la mi-carême, qu’il faisait beau soleil et un temps charmant, les Parisiens se trémoussaient avec d’autant plus de jovialité sur les boulevards où l’on aperçut même des masques qui, parodiant la couleur maladive et la figure défaite, raillaient la crainte du choléra et la maladie elle-même. Le soir du même jour, les bals publics furent plus fréquentés que jamais.

Arrivait toutefois un moment où on ne pouvait plus éviter d’appeler la contagion par son horrible nom. Alors la panique déferlait sur la ville. La solution raisonnable était de fuir. On savait la médecine impuissante et qu’“une paire de bottes” constituait le plus sûr des remèdes. […]

Les riches, bien sûr, étaient les premiers à prendre le large, créant ainsi l’affolement collectif. C’était alors le spectacle des queues auprès des bureaux qui délivraient les laisser-passer et les certificats de santé, et aussi l’engorgement des rues remplies de coches et de charrettes. […] L’exemple donné par les riches était immédiatement suivi par toute une partie de la population. […]

Un médecin de Malaga écrivait lors de la peste de 1650 : “La contagion devint si furieuse que… les hommes se mirent à fuir comme des bêtes fauves dans les campagnes ; mais, dans les villages, on recevait les fuyards à coups de mousquets”. Des estampes anglaises de l’époque représentent des “multitudes fuyant Londres” par eau et par terre. D. Defoe assure qu’en 1665, 200 000 personnes (sur moins de 500 000) quittèrent la capitale […].
LECTURE POUR TOUSSE L_Aveuglement
1995

traduction de Jean-Jacques M’U qui a remplacé par le mot « retenu » le mot « interné » ou « confiné », également traduit par « détenus » aux éditions du Seuil en 1997
Le gouvernement est pleinement conscient de ses responsabilités et espère que ceux à qui ce message est adressé assumeront également, en tant que citoyens consciencieux qu'ils sont sans doute, les responsabilités qui leur correspondent, en pensant que l'isolement dans lequel ils se trouvent actuellement représentera, au-dessus de toute autre considération personnelle, un acte de solidarité avec le reste de la communauté nationale. Cela étant dit, nous demandons à chacun de prêter attention aux instructions suivantes :
premièrement, Les lumières seront toujours allumées et toute tentative de manipulation des interrupteurs, qui par ailleurs ne fonctionnent pas,
deuxièmement, Quitter le bâtiment sans autorisation entraînera la mort immédiate de toute personne qui tentera de le faire,
troisièmement, Dans chaque pièce se trouve un téléphone qui ne peut être utilisé que pour demander de l'extérieur le remplacement des produits d'hygiène et de nettoyage,
quatrièmement, Les retenus laveront leurs vêtements à la main,
cinquièmement, Il est recommandé de choisir les personnes responsables de la chambre, il s'agit d'une recommandation et non d'un ordre, les retenus s'organiseront comme ils l'entendent, à condition de respecter les règles précédentes et celles que nous indiquerons ensuite,
sixièmement, Trois fois par jour, des boîtes de nourriture seront placées à la porte d'entrée, à droite et à gauche, destinées respectivement aux patients et aux éventuels infectés,
septièmement, Tous les restes doivent être brûlés, en les considérant comme des restes, à toutes fins utiles, à l'exception des restes de nourriture, des boîtes, de la vaisselle, les couverts, qui sont fabriqués avec des matériaux combustibles,
huitièmement, L'incendie doit être réalisé dans les cours intérieures du bâtiment ou dans la clôture,
neuvièmement, Les retenus sont responsables des conséquences négatives de l'incendie,
dixièmement, En cas d'incendie, qu'il soit accidentel ou intentionnel, les pompiers n'interviendront pas,
onzièmement, Les retenus ne doivent avoir aucun type d'intervention extérieure, au cas où ils souffriraient d'une autre maladie, ni au cas où il y aurait des agressions ou des troubles parmi eux,
douzièmement, En cas de décès, quelle qu'en soit la cause, les retenus enterreront le corps dans l'enceinte sans aucune formalité,
treize, La communication entre l'aile des patients et l'aile des éventuels infectés se fera par le corps central du bâtiment, celui-là même par lequel ils sont entrés,
quatorze, Les infectés qui deviennent aveugles rejoindront immédiatement la deuxième aile, où se trouvent les aveugles,
quinze, Cette communication sera répétée chaque jour, à cette même heure, à la connaissance des nouveaux détenus.
Le gouvernement et la nation attendent de chacun qu'il fasse son devoir. Bonne nuit
.

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Message par Invité Ven 10 Avr - 8:04


LE NEUF EST UN FAUX MOMENT DU VIEUX
Un vieux poème, qui parle du quotidien de personnes isolées chez elles, prouverait que l’histoire des pandémies "se répète" ? C’est ce qu’ont récemment affirmé des publications sur les réseaux sociaux, présentant le texte comme un poème du XIXe siècle "réimprimé" pendant la grippe espagnole. C'est trompeur : ce texte a été écrit en 2020 par une professeure américaine à la retraite et publié pour la première fois en ligne en mars.
AFP 8 avril
LECTURE POUR TOUSSE Capture_decran_2020-04-08_a_15.21.33

9 avril
TSOIN TSOIN INTENSIF
« Dans un amphithéâtre (bis) Dans un amphithéâtr', phithéâtr', phithéâtr', phithéâtr', Tsoin, Tsoin! (.) Y avait un macchabée...»
350 chansons anciennes, Éditions ouvrières, 1950



« Bourrage de crâne tsoin-tsoin ! »
Philippe Esnault, 1966
source CNRTL
8 avril
DU BON SAUVAGE À L'ARTISTE IMPROVISATEUR
derniers recours ou fabulation ?
la citation de Balzac plus bas est à première vue hors-sujet, mais à première vue, on ne voit rien... Ce qui m'a frappé, c'est l'étonnante actualité de cet extrait, son côté dans l'air du temps, à ceci près pour le moins qu'on mettrait des guillemets à "nations civilisées", formule qu'on retrouvait un peu plus tard sous la plume du Marx le plus eurocentriste, dans Le Manifeste en 1847 et même dans l'Adresse de l'AIT, Première Internationale en 1864, Les Prolétaires de tous les pays étant entendus comme ceux des Nations civilisées, ce qu'a fait ressortir Olivier Le Cour Grandmaison dans Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l’État colonial, 2005
LECTURE POUR TOUSSE 2--17-a
Grandville. Carnet voyage pour l’éternité. Musée Carnavalet.
Balzac a écrit:« Les sauvages et les peuples qui se rapprochent le plus de l'état de nature sont bien plus grands dans leurs rapports avec les hommes supérieurs, que les nations civilisées. Chez eux, les êtres 'à seconde vue', les bardes, les improvisateurs sont regardés comme des créatures privilégiées. [...] Ce phénomène est rare chez une nation civilisée, et le plus souvent, quand une lumière brille, on accourt l'éteindre, car on la prend pour un incendie. »
Des Artistes, in La Silhouette, février-avril 1830
cité par Nadine Satiat, en exergue de l'introduction à La Recherche de l'absolu, Balzac, 1834, édition corrigée de 1846, GF Flammarion, 1993
en relation IMPROVISATION ET LIBERTÉ

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Message par Invité Dim 26 Avr - 13:22


TOUSSONS ENCORE POUR TOUS
Balzac a écrit:Le petit salon retentit de la fausse tousserie d'un homme qui voulait dire ainsi: « Je vous entends. »
Le Cousin Pons,
1847
Henry Murger a écrit:La vieille tousse son âme par petits morceaux du matin au soir.
Scènes de la vie de jeunesse, 1851
Flaubert a écrit:Tousser beaucoup, toute la nuit; tousser gras, sec; la fumée fait tousser; se mettre à tousser; se retenir de tousser. J'ai une grippe abominable, je tousse, je mouche, je crache et j'éternue sans discontinuer.
Correspondance, 1874
Proust a écrit:Les enfants toussent régulièrement par quintes longtemps après qu'ils sont guéris de la coqueluche
La Prisonnière, 1922
Eugène Dabit a écrit:Elle trouva MmeMimar couchée dans une grande salle en compagnie de malades qui toussaillaient.
Hôtel du Nord, 1929
Paul Morand a écrit:Tousseuse comme je suis et mal hypothéquée, étiolée et mise sens dessus dessous par ces nouvelles !
L'homme pressé
, 1941
16 avril
« Il possédait le seul antidote contre le venin de la vieillesse, il savait lire. »
Le Vieux qui lisait des romans d'amour, 1992
Luis Sepulveda, RIP

Ingrédients pour une vie de passions formidables



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Message par Invité Ven 22 Mai - 8:45


poil à gratter
KRACH TEST CORONA

Le Monolecte, 27 mars
À quel moment sait-on que l’on vit dans un monde dirigé par d’immondes raclures ?
C’est quand, au onzième jour de confinement, Astrid t’appelle à l’heure de la sieste pour te proposer posément de discuter de la meilleure manière de faire des économies sur ta putain de facture d’électricité.
LECTURE POUR TOUSSE Fb_1475654207_800x420
Dead calm
L’absence (remarquable) du harcèlement téléphonique commercial a fait les belles heures des confinés qui se tiennent chaud dans les réseaux sociaux comme leurs ancêtres se blottissaient au coin du feu pour affronter la nuit, le froid, les prédateurs, la peur en général et la solitude en particulier. Les plus moqueurs parlaient de prendre des nouvelles de leur santé… par les temps qui courent, un sale rhume est si vite arrivé en Open space.

@yannbisiou
#coronavirus : le travail peut tuer. À Séoul, 43,5% des salariés d'un call Center travaillant au même étage d'un immeuble dépistés positifs. @murielpenicaud et @GDarmanin devraient lire cette étude. https://twitter.com/YonhapNews/status/1242702456263335937

Yonhap News Agency
@YonhapNews
Infection rate of COVID-19 in closed environment very high: data http://yna.kr/AEN20200325008900320

Parce que l’affaire était entendue : tout le monde reste à la maison ! Voilà la seule parade — elle aussi venue du fond des âges — à cette mort qui a l’air spécialement designée pour attraper un maximum d’animaux sociaux comme nous, surtout depuis que nous nous sommes mis en tête de nous grégariser dans des mégapoles bien au-delà de la densité maximum pour notre espèce.

Confinés à géométrie variable
Bien sûr, dans une organisation sociale et économique aussi organique que la nôtre, le fameux tout le monde est plutôt à géométrie variable et c’est bien sur cet obstacle majeur que toute stratégie de distanciation sociale se casse les dents. Sortir une fois pas semaine pour égaliser le niveau des réserves stratégiques et croiser de loin 4 ou 5 personnes, ça, c’est ma vie normale de blédarde. Mais le faire quand on vit au cœur d’une ville dans un clapier où chaque centimètre carré compte, où les espaces de vie sont tellement étriqués qu’on préfère encore aller traîner dans la rue ou au pied de l’immeuble, c’est une tout autre histoire que l’on préfère ne pas raconter aux autres.

Quoi qu’il en soit, au début, il y avait l’idée que dans notre société, il y a des gens dont on peut moins se passer du travail que de celui des autres, que — bizarrement — ce ne sont pas du tout les plus estimés·e·s et encore moins les mieux payé·e·s et que surtout, les démarcheurs téléphoniques n’en faisaient pas partie.


@niniebzh35
#questionBFMTV bsr, je ss téléopératrice dans un callcenter, nous sommes 10 pax à travailler dans la même pièce. Aujourd’hui mon responsable appelle pr que nous revenions lundi travailler. Notre activitée n’est pas du tt essentielle. A t on le droit de nous soumettre cela? Merci
01:32 - 27 mars 2020

Faites ce que je dis…
Mais ça, c’était avant que les ordures ne sortent de leur sidération et se remettent à faire ce qu’elles font de mieux au monde : prendre des décisions d’ordures au mépris de toutes autres considérations que leur saloperie de profit immédiat.

Il a donc été décidé que la décision finale de savoir qui allait devoir prendre des risques avec son unique richesse — c’est-à-dire sa vie — ne serait pas du ressort des médecins ou des scientifiques, mais bien de celui des patrons et que rien n’était plus efficace et urgent pour lutter contre un virus hautement contaminant et plutôt virulent que de finir de dynamiter le droit du travail et de livrer les plus précaires pieds et poings liés à la cupidité des patrons, cette classe sociale héroïque qui s’est dépêchée d’affréter des jets privés pour aller coller leur cul fripé à l’abri de leur résidence secondaire la mieux paumée tout en ordonnant à leurs salariés de retourner se contaminer en rond, bien planqués et bien soutenus par un gouvernement d’eugénistes sociaux et leur bras armé de la maréchaussée en roue libre… laquelle devrait se dépêcher de comprendre qu’elle est elle-même au rang des sacrifiables.

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Message par Invité Lun 25 Mai - 20:17

poétique évocation des dessous : de table, de la théorie, de jupes des camarades, et j'en passe
JE TE SALUE VIEIL OCÉAN

Adé dit 2ni (ni nature, ni aux fruits), 25 mai 2020

Version expurgée et mise à jour,
Véridiques pronostications en faux vers et mauvaise langue

en relation LA NATURE DES POISSONS. Histoire secrète de la poésie
Adé a écrit:De l'excellent, et cependant exécrable, invitant le passé à sa table
Pour l'entendement véritable
Des générations, peut-être,
Si Nature nous prête vie, que Virus ne nous arase
Et que nous, frères humains et Tout vivant, ne terminons prestement
Cuit à Barbaque, en attendant qu'enfin ouvriers montrent le chemin :
Fraîcheur, et prolétarisation.

Aujourd'hui  taTarona est revenue : depuis longtemps, comme un jour le plus con,
Que la Révolution strictement en tant que classe stricte, n'avait été honorée du genré
Pourtant, qui disait autrefois (si je me souviens bien, et oui da, le rapporteur a rapporté)
Le mètre à pensée se confiait à l'impétrant, que je ne veux nommer, "les femmes ont besoin du dominons"
Et cependant qu'il dominait, la nature de sa compagne adorait, qui sait si oui, si non ?

Il s'en allait Tartarinant, fusiller les très beaux étourneaux, puisqu'au Vaucluse chéri, Il est impératif,
mais oui, d'agir comme les voisins à front bas, national, Ligue du Sud, c'est banal
tandis que l'autre lâcheur charriait, en Ardèche s'enfumageait, faisant la paillasse et assez, au village créatif,
Au lieu de théoriser, rien que, faisait pousser Pantagruélion bien matérielle attention.

Que nenni, et bétonnons, le prolétariat nécessiteux, adore les parpaings entassés, et voir bétonnière tourner
L'appelant appelait les oiseaux, oh ! quel massacre, c'est promis, ce soir à l'apéro on convie.
Convier, c'est sympa et bouffons, et dare dare, dominons, cette nature que voici, toujours jamais, pas de merci
Joyeusement, passionnément, s'il faut mentir : mentons, et puis entre tant dominons.

S'étant, pourquoi ressaisi, la femme est admise dans la partie, deux contradictions, après tout,
c'est comme tictac d'horlogier, moderne en version modernisée, qui l'eut cru c'est très chic et très chou
Se retournant sous la chape, béton, concret n'y réchappe, tape le pastis, un dominion ?
Si vous êtes comme ça, téléfon moi, s'il est ainsi téléfonez lui.

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Message par Invité Mar 2 Juin - 11:02

pour comprendre le présent, il faut remonter dans le passé. Pour comprendre la mort de George Floyd, lire Toni Morrison
LECTURE POUR TOUSSE 51gaPrvUkeL._SX210_
1977
Héritier de la tradition orale et des légendes africaines, Le Chant de Salomon est un retour aux sources de l'odyssée du peuple noir.

Mêlant burlesque et tragique, entre rêve et réalité, cette fresque retrace la quête mythique de Macon Mort, un adolescent désabusé parti dans le Sud profond chercher d'hypothétiques lingots d'or. Mais le véritable trésor qu'il découvrira sera le secret de ses origines.

Sur un air d'éternité, Toni Morrison tisse les voix ancestrales des esclaves pour composer un hymne à la mémoire afro-américaine.
Le Chant de Salomon est d’une ampleur et d’une densité telles qu’il a été très difficile pour moi de construire un discours autour de cette œuvre magistrale. Ce magnifique hymne à la mémoire des afro-américains, écrit par Toni Morrison en 1977, est sans doute l’un des plus beaux livres que j’ai lus. Suivant une chronologie parsemée de plusieurs sauts dans le temps, le récit nous conte l’histoire d’un homme, Macon Mort dit « Laitier », de sa naissance à sa mort, à travers les figures charismatiques, quasi-légendaires, de son passé familial. Dans un style relevant à la fois d’un réalisme social et d’un merveilleux ancestral, Toni Morrison raconte une famille, avec ses fantômes, réels ou fantasmés, ses tragédies, ses traumatismes et ses rêves. Elle centre son propos autour d’un personnage, Macon Mort, qui porte en lui l’histoire de cette famille et sera amené à revenir sur les traces de ses aïeuls, afin de saisir la nature même son existence ; le texte prend alors des allures de récit initiatique et de conte merveilleux. La quête de toute une vie nous est ainsi racontée, dans un monde où le réel, cruel, est peuplé des fantômes du passé historique et tragique de tout un peuple.
Anne Veslin-Gourdain, Textualités, 14 juin 2016



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Message par Invité Dim 21 Juin - 8:58


Le désastre et l’adieu
"L’Inassouvissement", roman de 1930 du Polonais Witkacy
Luc-Olivier d'Algange, Causeur, 21 juin 2020


LECTURE POUR TOUSSE Witkacy-Autoportrait-1938-Witkiewicz-1200x728
Autoportrait 1938 :copyright: D.R

A la découverte de L’Inassouvissement, un chef-d’œuvre méconnu de la littérature polonaise
Stanislaw Ignacy Witkiewicz est une des figures majeures de l’avant-garde polonaise avec ses amis  Witold Gombrowicz, Bruno Schulz et Tadeusz Kantor, – lequel fut son metteur en scène. Né le 24 février 1885 à Varsovie, il mit fin à ses jours en 1939, après s’être adonné à la littérature, au théâtre, à la philosophie, à la peinture et à la photographie.  Connu comme homme de théâtre, il est aussi l’auteur de plusieurs romans, Les 622 chutes de Bungo, L’Adieu à l’automne et L’Inassouvissement, autobiographie hallucinée et uchronie terrifiante. Les éditions Noir sur Blanc ont pris l’heureuse initiative de rééditer ce roman dans la « Bibliothèque de Dimitri », – ainsi intitulée en hommage à Vladimir Dimitrijevic, fondateur des éditions L’Âge d’Homme.

L’Inassouvissement, livre testamentaire contre le « nivellisme »
Witkiewicz se donne la mort au moment où la Pologne semble vaincue, et la civilisation elle-même. Dans L’Inassouvissement, l’avenir est au « nivellisme », autrement dit à la suprême égalité de la mort. Witkiewicz se pose ainsi, une dernière fois, la question de l’individu, au moment où celui-ci est sur le point de disparaître dans la massification.  Qu’est-ce, pour Witkiewicz, qu’un individu ? Rien d’autre qu’un influx de forces contradictoires, un exilé dans son pays lui-même et enfin, pour cet homme qui fut moraliste mais peu moralisateur, un drôle d’individu, une sorte de mauvais sujet, une présence dont la vocation est de tenir ses semblables en éveil.

« La caractéristique du moment, écrit Witkiewicz dans l’Inassouvissement en parlant de la guerre qui vient, c’est que l’âme médiocre, se sachant médiocre, a la hardiesse d’affirmer les droits de la médiocrité et de les imposer partout ». Ce que Witkiewicz nomme le « nivellisme » ne porte pas seulement atteinte à ses goûts ; et il serait trop facile d’opposer le généreux sens commun aux préférences aristocratiques de l’esthète.

Le « nivellisme » est aussi, et surtout, une négation de la nature humaine dans ses nuances. Emprisonné dans un seul temps, dans un seul état de conscience et d’être, nous voici, tel du bétail, ou des rats traqués, livrés à la pire des régressions, au nom du Progrès ou du bien moral.

Les hallucinogènes, les narcotiques et excitants divers dans le roman seront, non des refuges contre le désespoir, mais des clefs ouvrant à divers états de conscience qui aiguiseront, à l’inverse, la lucidité. Pour l’auteur de L’Inassouvissement, sa culture encyclopédique, ses voyages aux confins de l’entendement, loin de le ramener au bercail d’un savoir commun, seront la mise en abîme de son identité.

Requiem pour les derniers hommes

Toute philosophie, nous le savons depuis Nietzsche, est toujours autobiographique. Celle de l’Inassouvissement est un combat dans le désastre, un adieu au monde héraldique où le visible est plus mystérieux encore que l’invisible dont il est l’empreinte. Un adieu au monde complexe, tourmenté et fallacieux qui devra laisser place à un monde déterminé, banal, celui des « derniers des hommes » dont parle Nietzsche, où la conscience réduite à l’utilité sociale se laissera borner par une morale puritaine.

Avant que cette banalité ne fasse oublier les fastes qui la précèdent, avant « l’oubli de l’oubli » dans lequel vivront des hommes heureux qui, « ne sauront plus rien de leur déchéance », autrement dit avant la bestialisation et l’infantilisation totale de l’espèce, Witkiewicz évoquera donc, dans l’Inassouvissement le grand silence antérieur : « Donc tout existe quand même. » Cette constatation n’était pas aussi banale qu’elle pouvait paraître.

En amont de la culture commune « conviviale » et « citoyenne » , avant « l’homme-masse » , Witkiewicz retourne aux ressources profondes de la culture européenne, à l’esprit critique qui laisse entre les hommes et le monde une distance, une attention qui nous rendent à la possibilité magnifique d’être seuls, au lieu d’être voués, de naissance, à cette fusion sociale qui évoque bien davantage la vie des insectes.

L’œuvre de Witkiewicz est, à cet égard, anticipatrice, sinon prophétique ; le « nivellisme », nous y sommes, menacés par la facilité, et « cette sensation de triomphe et de domination qu’éprouvera en lui chaque individu moyen ». L’individu moyen, se concevant et se revendiquant comme « moyen », c’est-à -dire comme agent, sera non le maître sans esclave rêvé par les utopies généreuses, mais l’esclave sans maître, c’est à dire le dominateur le plus impitoyable, le plus résolu, le mieux armé, par sa quantité, le plus administratif, le mieux assis dans sa conviction d’incarner le Bien.

Vacarme silencieux comme la mort
A lire L ‘Inassouvissement on reconnaît l’homme de théâtre, l’espace s’y réverbère dans une sorte de frayeur intersidérale. Un vide métaphysique, un « vacarme silencieux comme la mort », entoure ses personnages. Sur la scène de l’œuvre, deux configurations du passé s’entrebattent. L’une est liée à la forme qui voit les choses comme déjà advenues, réminiscences « de ces instants où la vie contemporaine mais lointaine et comme étrangère à elle-même, rayonnait de cet éclat mystérieux que n’avaient habituellement pour lui que certains des meilleurs moments du passé ».

L’autre est liée à la force de dissolution, de nostalgie mauvaise : « Être un taureau, un serpent, même un insecte, ou encore une amibe occupée à se reproduire par simple division, mais surtout ne pas penser, ne se rendre compte de rien. »  Autrement dit, être parfait, sans péché, sans manque, sans attente, sans transcendance d’aucune sorte. Nous en sommes là. L’heure, selon la formule rimbaldienne, « est  pour le moins très sévère ». L’Inassouvissement de Witkiewicz est une oraison funèbre à des êtres humains téméraires et fragiles, à des êtres humains imparfaits, livrés à l’incertitude et au doute.
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LA PEUR DU FOU, 1931
tirage argentique



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Message par Invité Sam 5 Déc - 4:42

extrait de anarchisme et individualisme dans La sensibilité individualiste, Georges Palante, Félix Alcan, éditeur, 1909. Ce qui précède concernant les différences entre anarchisme et individualisme (en version pessimisme social) est une douche froide pour les tenants du premier en terme de radicalité et de rupture. Il faut tout lire, au moins de ce chapitre, dont je n'extrais qu'un passage aux vertus pragmatiques par ces temps aux confins sans destin, du moins pour qui a le caractère assez forgé pour vivre dans la solitude relative qui en découle et face aux belles âmes révolutionnaires en tous genre. Il est évident que cet individualisme-là n'est pas accessible à tous les individus, et que, par conséquent, il ne s'agit pas plus pour moi que pour Palante en son temps de m'en faire le prosélyte

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Les différences qui viennent d'être indiquées du point de vue théorique entre l'anarchisme et l'individualisme en
entraînant d'autres sur le domaine de la pratique.

La ligne de conduite recommandée par l'individualisme vis-à-vis de la société établie diffère notablement de celle que prescrit l'anarchisme. Pour l'individualiste, le problème qui se pose est celui-ci : Comment faire pour vivre dans une société regardée comme un mal nécessaire ?

La seule solution radicale que comporte le pessimisme social serait, ce semble, le suicide ou la retraite dans les bois. Mais si, à tort ou à raison, l'individualiste répugne à cette extrémité, une autre solution se présente à lui, solution non plus radicale, mais seulement approchée, relative, fondée sur un accommodement aux nécessités de la vie pratique. — Le problème est ici analogue à celui que Schopenhauer s'est posé au début des Aphorismes sur la sagesse dans la vie. Il s'agit pour lui d'exposer un art de rendre la vie aussi agréable et aussi heureuse que possible, ou, selon son expression, une «eudémonologie».

Or, l'idée d'une telle eudémonologie est en contradiction  directe avec la conception générale que Schopenhauer s'est faite de la vie. Par conséquent l'eudémonologie qu'il va exposer sera expressément donnée par lui comme une philosophie inférieure, exotérique, faite du point de vue de l'erreur, une concession à la faiblesse humaine et aux nécessités de la vie pratique. « Pour pouvoir traiter cette question, dit Schopenhauer, j'ai dû m'éloigner entièrement du point de vue élevé, métaphysique et moral, auquel conduit ma véritable philosophie. Tous les développements qui vont suivre sont donc fondés, dans une certaine mesure sur un accommodement, en ce sens qu'ils se placent au point de vue habituel, empirique, et en conservant l'erreur (31).»

Exactement de la même façon, il est permis à l'individualiste, au pessimiste social de se demander comment il pourra s'arranger pour réaliser le maximum d'indépendance relative, compatible avec un état social forcément oppressif et tyrannique. Il s'agit d'un problème pratique qui consiste à relâcher le plus possible les chaînes sociales, à reculer le plus possible les entraves que la société inflige à l'individu, à établir une sorte de transaction et de modus vivendi tolérable pour l'individu condamné à vivre en société.

La tactique de l'individualiste contre la société sera infiniment plus complexe, plus délicate, plus riche, plus nuancée et plus variée que celle, grossière et brutale, de l'anarchisme. — Chacun ici pourra se faire son plan de vie individuelle, se composer un recueil de recettes pratiques pour louvoyer avec la société, pour lui échapper dans la mesure du possible, pour passer à travers les mailles du filet dont elle l'enserre ou, si l'on préfère, pour glisser entre les embûches sociales, en ne laissant que le moins possible de laine aux ronces du chemin.

Cette tactique peut porter sur deux points : 1° œuvre d'affranchissement extérieur de l'individu vis-à-vis des relations et influences sociales où il se trouve engagé (cercles sociaux et autorités dont il dépend) ; 2° méthode d'affranchissement intérieur ou hygiène intellectuelle et morale propre à fortifier en soi les sentiments d'indépendance et d'individualisme.

Sur le premier point, on pourrait peut-être, en s'aidant des observations et des préceptes des moralistes individualistes, dresser un petit programme qui comporterait les articles suivants ;

a. Réduire au minimum les relations et les assujettissements extérieurs. Pour cela, simplifier sa vie ; ne s'engager dans aucun lien, ne s'affilier à aucun groupe (ligues, partis, groupements de tout genre), capable de retrancher quelque chose à notre liberté (Précepte de Descartes). Braver courageusement le Væ soli. Cela est souvent utile ;

b. Si le manque d'indépendance économique ou la nécessité de nous défendre contre des influences plus puissantes et plus menaçantes nous contraint de nous engager dans ces liens, ne nous lier que d'une façon absolument conditionnelle et révocable et seulement dans la mesure où notre intérêt égoïste l'ordonne ;

c. Pratiquer contre les influences et les pouvoirs la tactique défensive qui peut se formuler ainsi : Divide ut liber sis. Mettre aux prises les influences et les pouvoirs rivaux ; maintenir soigneusement leurs rivalités et empêcher leur collusion toujours dangereuse pour l'individu. S'appuyer tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre, de manière à les affaiblir et les neutraliser l'un par l'autre. Amiel reconnut les heureux effets de cette tactique. « Tous les partis, dit-il, visent également à l'absolutisme, à l'omnipotence dictatoriale. Heureusement qu'ils sont plusieurs et qu'on pourra les mettre aux prises (32) » ;

d. En vertu de ce jeu de bascule, quand un pouvoir acquiert une prépondérance par trop forte, il devient, de droit, l'ennemi. A ce point de vue, l'individualisme peut admettre parfaitement l'existence de l'État, mais d'un État faible, dont l'existence est assez précaire et menacée pour qu'il soit besoin de ménager les individus ;

e. S'accommoder en apparence de toutes les lois, de tous les usages auxquels il est impossible de se dérober. Ne pas nier ouvertement le pacte social ; biaiser avec lui quand on est le plus faible. L'individualiste, d'après M. R. de Gourmont, est celui qui « nie, c'est-à-dire détruit dans la mesure de ses forces le principe d'autorité. C'est celui qui, chaque fois qu'il le peut faire sans dommage, se dérobe sans scrupule aux lois et à toutes les obligations sociales. Il nie et détruit l'autorité en ce qui le concerne personnellement; il se rend libre autant qu'un homme peut être libre dans nos sociétés compliquées (33)».

Les préceptes relatifs à l'attitude politique méritent une mention spéciale. En principe, l'individualisme est indifférent aux régimes politiques par ce qu'il est également hostile à tous. L'idée-mère de Stello* est que tous les régimes politiques : monarchie (Voir l'Histoire d'une puce enragée), république bourgeoise (Histoire de Chatterton), république jacobine (une Histoire de la Terreur), persécutent également le poète, c'est-à-dire l'individualité supérieure, géniale et indépendante. « Donc, dit Stello, constatant cet ostracisme perpétuel, des trois formes du pouvoir possibles, la première nous craint, la seconde nous dédaigne comme inutiles, la troisième nous hait et nous nivelle comme supériorités aristocratiques. Sommes-nous donc les îlotes éternels des sociétés ? » David Thoreau refusait de voter et appelait la politique : « quelque chose d'irréel, d'incroyable et d'insignifiant ». —

* Stello, roman de Vigny, 1832, parle des rapports entre le poète et la Cité, préfigurant Baudelaire et apprécié d'André Breton

Toutefois il est des cas où l'individu peut utilement s'occuper de politique. Cela peut être un moyen pour lui de combattre et de neutraliser d'autres influences sociales dont il souffre. — D'autre part, par le fait même qu'il est, en principe, également défiant à l'égard de tous les régimes, l'individualisme peut, en pratique, s'accommoder de tout et se concilier avec toutes les opinions (34).

Parmi les individualistes, il en est qui sont particulièrement sévères pour la démocratie. D'autres s'inspirent de M. Bergeret, qui se rallie à elle comme au régime le moins dogmatique et le moins unitaire — « La démocratie, dit M. Bergeret, est encore le régime que je préfère. Tous les liens y sont relâchés, ce qui affaiblit l'État, mais soulage les personnes et procure une certaine facilité de vivre et une liberté que détruisent malheureusement les tyrannies locales.»

A côté de la tactique extérieure qui vient d'être exposée prend place une méthode d'hygiène intellectuelle et morale qui a pour but de maintenir notre indépendance intérieure. Elle pourrait aussi se résumer en ces quelques préceptes :

a. Cultiver en soi le scepticisme social, le dilettantisme social et toutes les attitudes de pensées qui ressortissent à l'individualisme ;

b. Se pénétrer du caractère précaire, fictif (35) et, au fond, facultatif du pacte social et de la nécessité pour l'individu de corriger ce que ce pacte a de trop tyrannique par toutes les ressources de la casuistique individualiste la plus tolérante et la plus large ;

c. Méditer et observer ce précepte de Descartes écrivant de Hollande : « Je me promène parmi les hommes comme s'ils étaient des arbres. » S'isoler, se retirer en soi, regarder les hommes autour de soi comme les arbres d'une forêt ; voilà une véritable attitude individualiste ;

d. Méditer et observer ce précepte de Vigny : « Séparer la vie poétique de la vie politique », ce qui revient à séparer la vie vraie, la vie de la pensée et du sentiment, de la vie extérieure et sociale ;

e. Pratiquer cette double règle de Fourier : Le Doute absolu (de la civilisation), et l'Écart absolu (des voies battues et traditionnelles) ;

f. Méditer et observer ce précepte d'Émerson : « Ne jamais se laisser enchaîner par le passé, soit dans ses actes, soit dans ses pensées » ;

g. Pour cela, ne pas perdre une occasion de se dérober aux influences sociales habituelles, de fuir la cristallisation sociale. L'expérience la plus ordinaire atteste la nécessité de ce précepte. Quand nous avons vécu pendant quelque temps dans un milieu étroit qui nous circonvient et nous harcèle de ses mesquineries, de ses petites critiques, de ses petits dangers et de ses petites haines, rien ne nous rend le sentiment de nous-même comme une courte absence, un court voyage. On sent alors combien l'on était, à son insu, comme harnaché et domestiqué par la société. On rentre les yeux dessillés, le cerveau rafraîchi et nettoyé de toute la petite sottise sociale qui l'envahissait.

D'autres fois, si l'on ne peut voyager, on peut du moins se mettre à la suite d'un grand voyageur du rêve. Je me souviens d'un ami qui, malade, isolé dans de petites villes méchantes, entouré de petites haines et de ragots imbéciles, se donnait une sensation infinie de joie et de liberté en relisant les Reisebilder. Il s'échappait avec Heine dans le monde enchanté du rêve, et le milieu n'existait plus pour lui.

Ces quelques préceptes individualistes n'ont qu'une valeur d'exemples. On en trouverait un grand nombre d'analogues dans les Aphorismes de Schopenhauer et aussi chez Vigny et chez Stirner. Ils suffisent à caractériser la psychologie de l'individualiste et à la distinguer de celle de l'anarchiste.

(31) Schopenhauer, Aphorismes sur la sagesse, Introduction (F. Alcan).
(32) Amiel, Journal intime II, p. 88.
(33) R. de Gourmont, Épilogues, II, p. 308.
(34) C'est peut-être de ce point de vue qu'il est possible de concilier le conservatisme politique de M. Barrès avec ses idées individualistes développées dans Un Homme libre et dans l'Ennemi des lois. Peut-être aussi M. Barrès joue-t-il le jeu de bascule qui consiste à traiter en ennemi le parti le plus fort. Ou, peut-être, obéit-il à une appréhension de sa sensibilité d'artiste. Voyant, à tort ou à raison, dans le socialisme montant l'avènement d'une barbarie mortelle à l'individualité et à l'art, il se réfugie, toujours par le même jeu de bascule, dans le parti le plus rigidement conservateur et traditionaliste. - - Il convient d'ajouter d'ailleurs que l'attitude individualiste de M. Barrès n'est pas toujours bien nette. S'il semble bien individualiste dans l'Ennemi des lois et Un Homme libre, d'autre part, dans un curieux opuscule intitulé : De Hegel aux cantines du Nord, il semble recommander un véritable anarchisme fédéraliste.
(35) Voir l'article du Dr Toulouse intitulé : le Pacte social (Journal, juillet 1905).

pour aller plus loin avec George Palante, lire* :

Combat pour l’individu, 1904
La Sensibilité individualiste, 1909
Les Antinomies entre l’individu et la société, 1913
Suite à l'étude des diverses antinomies (psychologique, esthétique, religieuse, morale...), une réflexion sur la véritable nature de l'individualisme, lequel repose sur la reconnaissance d'une antinomie essentielle entre l'individu et la société. Cette thèse de doctorat, refusée en 1911 à la Sorbonne, fut publiée par la librairie Alcan. Son auteur s'est suicidé en 1925
Pessimisme et individualisme, 1914

* la réédition de ces ouvrages dans les années 90 est la seule raison pour laquelle je ne peux totalement détester Michel Onfray, à qui on la doit, après son premier livre en 1889 : Physiologie de Georges Palante: Pour un nietzschéisme de gauche

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Message par Invité Sam 2 Jan - 7:09


reçu d'un ami pour la nouvelle année. Et n'oubliez pas qu'en Asie, c'est l'année du bœuf, ou de la vache, selon


Veilleurs Meuh !

La citerne étroite nommée «Pensée»
Lettre aux Recteurs des Universités Européennes par Antonin Artaud
"La révolution surréaliste" n° 3 – 1925


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Antonin Artaud a écrit:Monsieur le Recteur,

Dans la citerne étroite que vous appelez "Pensée",les rayons spirituels pourrissent comme de la paille. Assez de jeu de langue, d’artifices de syntaxe, de jonglerie de formules, il y a à trouver maintenant la grande Loi du coeur, la Loi qui ne soit pas une loi, une prison, mais un guide pour l’Esprit perdu dans son propre labyrinthe. Plus loin que ce que la science pourra jamais toucher, là où les faisceaux de la raison se brisent contre les nuages, ce labyrinthe existe, point central où convergent toutes les forces de l’être, les ultimes nervures de l’esprit. Dans ce dédales de murailles mouvantes et toujours déplacées, hors de toutes formes connues de pensée, notre Esprit se meut, épiant ses mouvements les plus secrets et spontanés, ceux qui ont un caractère de révélation, cet air venu d’ailleurs, tombé du ciel.

Mais la race des prophètes s’est éteinte. L’Europe se cristallise, se momifie lentement sous les bandelettes de ses frontières, de ses usines, de ses tribunaux, de ses universités. L’Esprit gelé craque entre les ais minéraux qui se resserrent sur lui. La faute en est à vos systèmes moisis, à votre logique de 2 et 2 font 4, la faute en est à vous, Recteurs, pris au filet des syllogismes. Vous fabriquez des ingénieurs, des magistrats, des médecins à qui échappent les vrais mystères du corps, les lois cosmiques de l’être, de faux savants aveugles dans l’outre-terre, des philosophes qui prétendent à reconstruire l’Esprit. Le plus petit acte de créations spontanée est un monde plus complexe et révélateur qu’une quelconque métaphysique.

Laissez-nous donc, Messieurs, vous n’êtes que des usurpateurs. De quel droit prétendez-vous canaliser l’intelligence, décerner des brevets d’esprit ? Vous ne savez rien de l’Esprit, vous ignorez ses ramifications les plus cachées et les plus essentielles, ces empreintes fossiles si proches des sources de nous-mêmes, ces traces que nous parvenons parfois à relever sur les gisements les plus obscurs de nos cerveaux.

Au nom même de votre logique, nous vous disons : la vie pue, Messieurs. Regardez un instant vos faces, considérez vos produits. A travers le crible de vos diplômes, passe une jeunesse efflanquée, perdue. Vous êtes la plaie d’un monde, Messieurs, et c’est tant mieux pour ce monde, mais qu’il se pense un peu moins à la tête de l’humanité.


Antonin Artaud

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Message par Invité Jeu 21 Jan - 9:30

j'avais attiré l'attention sur le Gracq de "La littérature à l'estomac" pour je ne sais plus quelle occasion. Gracq a décédé en 2007. Sortent des inédits, regroupés sous le titre  « Nœuds de vie »

LECTURE POUR TOUSSE Noeuds-de-vie

« toute tentative de le récupérer d’un côté ou de l’autre, serait vouée à l’échec,
car, dans ce coq à l’âne permanent, il raille aussi bien « nos jérémiades écologiques »
que nos bonimenteurs de la Révolution ou notre « stase post-coloniale ».
Julien Gracq est l’irrécupérable par excellence... »


Julien Gracq, ce prophète d’outre-tombe qui raconte notre monde post-Covid
Emmanuel Ruben (Ecrivain), BibliObs, 20 janvier 2021

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Julien Gracq, en 1951 (ECLAIR MONDIAL/SIPA / ECLAIR MONDIAL/SIPA)

Directeur de la Maison Julien Gracq, l’écrivain Emmanuel Ruben a lu « Nœuds de vie », carnets inédits de l’auteur du « Rivage des Syrtes ». Des cogitations d’une troublante actualité.
Il y a quelque chose de Nietzsche chez Julien Gracq. L’auteur des « Considérations inactuelles » n’aurait pas boudé ces « Nœuds de vie » qui, bien que posthumes, n’ont rien de l’aspect tombés-du-camion qui caractérise trop souvent les fragments publiés sans le consentement des tombeaux. Et pourtant, Julien Gracq – comme on pourra le lire dans ce volume qui vient de paraître – ne s’attendait pas à être lu en 2021, contrairement à son héros, Stendhal, lequel pariait sur 1935 et la postérité, se fichant éperdument – happy few mis à part – de ses contemporains. « Je ne mets guère mon espoir, comme on pouvait le faire encore au dernier siècle, à être lu en l’an 2000 ou 2010 », écrit Gracq en réponse à un critique humaniste qui lui reprochait le « désert humain » de ses Lettrines II.

Ce qui frappe au premier coup d’œil le lecteur, dans ces fragments sauvés de l’oubli, c’est l’absence de dates, comme si l’époque n’avait que peu de prise sur la sensibilité d’un homme, la physionomie d’un paysage et l’ordonnancement d’une œuvre qui avait abandonné depuis la fin des années 60 tout souci de l’intrigue : la dernière véritable fiction achevée par Julien Gracq fut « Le Roi Cophetua », une des nouvelles composant le recueil de « La Presqu’île », paru en 1970. Ensuite, Gracq consacra toute sa vie à écrire des fragments – milliers de pages des lettrines ou notules, selon ses propres termes – dont les quelques volumes publiés de son vivant ne constituent que la partie émergée de l’iceberg.

Avec les carnets inédits de Julien Gracq, l’année commence en beauté
On y trouve – pêle-mêle – des considérations géographiques, météorologiques, historiques, littéraires. La pointe la plus aiguisée de l’iceberg Gracq ne nous sera révélée qu’à partir de 2027 : ce sont toutes les pages croustillantes où le pamphlétaire de « La littérature à l’estomac » égratigne ses contemporains. Mais nous avons la chance grâce à Bernhild Boie, son exécutrice testamentaire, épaulée par Bertrand Fillaudeau, le fidèle éditeur de la maison créée par José Corti, et par Jérôme Villeminoz, conservateur du fonds Gracq à la BNF, de pouvoir lire aujourd’hui ces « Nœuds de vie », sortes de « Lettrines III » qui rassemblent les considérations intempestives de celui qui passe encore pour un ermite confiné dans sa tour d’ivoire alors que tout indique qu’il voyageait beaucoup et qu’il fréquentait les musées, les expositions, les cinémas, les théâtres, et même parfois – mais point trop n’en faut – ses congénères.

En 164 pages d’une grande exigence stylistique qui se lisent sans coupe-papier mais où la plume a souvent le tranchant d’un sabre, Gracq s’y montre tour à tour géographe, géologue, météorologue, commentateur du temps qu’il fait comme du temps qui passe, historien, sociologue, philosophe, musicologue, amateur d’art ou critique littéraire. Afin de mieux guider le lecteur dans cette forêt touffue de signes et de balises, Bernhild Boie a repris partiellement la nomenclature des « Lettrines » en réunissant les fragments sous quatre chapeaux : chemins et rues, instants, lire, écrire, nous confirmant que, sur l’iceberg Gracq la géographie précède toujours l’histoire, tandis que l’acte d’écrire ne vient jamais que prolonger celui de lire – lorsqu’on lui demandait ses raisons d’écrire, l’auteur répondait « parce que d’autres l’ont fait avant moi ».

Chaque rubrique est introduite par une photographie – issue des archives de l’auteur – qui vient nous rappeler que derrière l’œil du géographe se tapit l’œil d’un photographe : sa vie durant, Gracq a photographié des paysages, si bien qu’une exposition dévoilera bientôt ce travail encore méconnu. À trop considérer la place éminente du romancier dans l’histoire de la littérature française – la publication posthume en 2014 des « Terres du couchant », récit inachevé, ravivait les sortilèges du « Rivage des Syrtes » – nous avions fini par oublier le mordant de l’essayiste.

Julien Gracq est l’irrécupérable par excellence
C’est donc avec plaisir que nous retrouvons ici la vigueur et la férocité du plus grand ruminant de la littérature française : Gracq se nourrit de tout, c’est un esprit libre et encyclopédiste, d’une curiosité insatiable, et, même s’il fustige la croyance dans la possibilité de retranscrire le parlé en littérature, on a pourtant l’impression – à lire treize ans après sa mort ces pages comme sorties du frigo – qu’il est encore là, à côté de nous, et qu’il nous parle en écrivant, comme un Ancien à qui l’on serait venu rendre visite pour prendre un peu de la graine :

« Hé non, il ne le peut pas, il ne le voudra jamais, s’il est vrai que le beau est d’abord ce qui désoriente, que la littérature commence à se porter un peu mieux quand la critique commence à s’y reconnaître un peu moins – que l’écrivain digne de ce nom est une générosité intempestive, une fraternité qui ne marche pas en rang, une aventure qui se passe du coude à coude, et une liberté qui n’adhère jamais. »

L’avantage de ne jamais dater ses réflexions, c’est que dans ces cogitations d’outre-tombe, on a l’impression parfois qu’un prophète nous parle de notre monde post-covid et des errances de ceux qui nous gouvernent, comme on avait l’impression, en 2014, que les « Terres du couchant », où l’on entendait tomber les têtes, se passaient sous Daech, du côté de Raqqa :

« la Terre a perdu sa solidité et son assise, cette colline, aujourd’hui, on peut la raser à volonté, ce fleuve l’assécher, ces nuages les dissoudre. Le moment approche où l’homme n’aura plus sérieusement en face de lui que lui-même, et plus qu’un monde entièrement refait de sa main à son idée – et je doute qu’à ce moment il puisse se reposer pour jouir de son œuvre, et juger que cette œuvre était bonne. »

Et, quelques pages plus loin :

« La terreur des âges obscurs revient. C’est la terreur, non plus des forces démoniaques, mais de l’État vampire, de la puissance politique à tout jamais déshumanisée “comme un œil de veau dans la nuit”, des œillères sur les paupières, (on serait tenté d’ajouter “un masque sur la bouche”), un gourdin à la main, une sébile de l’autre, sorte d’ogre obscène et terrifiant qui titube au milieu d’un immense troupeau d’hommes nus. »

C’est du Gracq trempé dans du Kafka que nous découvrons parfois ici, au détour d’une de ces pages écrites à la manière noire, et toute tentative de le récupérer d’un côté ou de l’autre, serait vouée à l’échec, car, dans ce coq à l’âne permanent, il raille aussi bien « nos jérémiades écologiques » que nos bonimenteurs de la Révolution ou notre « stase post-coloniale ». Julien Gracq est l’irrécupérable par excellence : comme il le note lui-même, en se moquant de tout et d’abord de lui-même, « survivance folklorique », il n’a pas eu de confrères, il ne pouvait donc pas avoir d’héritiers ou de descendants. Régis Debray, qui le place au pinacle du XXe siècle, ronchonnera sans doute en voyant ici Victor Hugo raillé (« une forme évacuée de la grandeur, sans pouvoir sur les esprits et les cœurs »), Paul Valéry moqué (« le colosse de la pensée pour album ») et Stendhal adulé (« le moins physiquement mort de tous les écrivains du passé »). Pierre Michon et Pierre Bergounioux, qui lui doivent tant, seraient étonnés de le voir disserter là sur les graffitis des pissotières plutôt que sur la permanence des pierres.

« La littérature s’écrit en réalité à deux mains »
Alors, qui est-il, Julien Gracq ? Il est de la race des mages et des sorciers. On sent bien que s’il se remettait à écrire des romans, ce serait pour nous conter des histoires à la Tolkien dans un style aussi raffiné que celui de Marcel Proust. Alors il se garde bien de le faire et nous offre ici des aphorismes d’une grande clairvoyance sur l’art d’écrire : « les grands livres se mijotent dans des marmites de sorcières ». Lorsqu’il parle de l’économie propre au roman, Gracq utilise des termes et des formules empruntées à la physique newtonienne – électricité, étincelle, dynamique, mobile – pour conclure qu’il ne s’agit « en fin de compte, que d’une certaine vitesse initiale à atteindre ».

Car celui qui aimait, comme il le raconte ici, sillonner les routes de l’Anjou et de la Normandie à bicyclette, savait que le roman est affaire d’endurance et de vitesse. Ni de musicalité, ni de sensualité, ni d’émotion, ni de vision ou de philosophie : il s’agit en fin de compte de produire une énergie durable et communicable. Le romancier serait ainsi une sorte d’entraîneur qui galvaniserait son lecteur ; s’il lui demande d’adhérer, ce n’est pas tant à une foi qu’à une sorte de moteur intérieur. On croirait parfois entendre Malraux nous rappeler que « la machine a changé le rapport de l’homme au monde qui n’a jamais connu pareille puissance d’imaginaire ». Et lorsque Gracq note que, « malgré les apparences, la littérature s’écrit en réalité à deux mains », nous qui pianotons nos textes des dix doigts, nous ne pouvons qu’acquiescer.

On se prend un instant à rêver d’un Julien Gracq qui aurait apprivoisé l’ordinateur, le traitement de texte et les possibilités nouvelles que la technique offre au romancier. Cependant, comme il le note lui-même, il ignorait jusqu’à l’usage de la machine à écrire et les deux mains qu’il évoque ne sont pas celles du dactylographe mais du pianiste. Car il écrivait ses textes au fil de la plume, face à la basse continue de la Loire, tel un artisan soucieux de ne pas gâcher son talent. À une époque inquiète où nous perdons confiance dans la technique et retrouvons le sens du calme, c’est sans doute cela qui nous le rend si prodigieusement vivant.

Emmanuel Ruben, bio express
Né en 1980, Emmanuel Ruben est écrivain. Il a publié une dizaine de livres dont « Sur la route du Danube » (Payot & Rivages, 2019) et « Sabre » (Stock, 2020). Depuis 2017, il dirige la Maison Julien Gracq, à Mauges-sur-Loire.

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Message par Invité Sam 30 Jan - 10:22

de la part d'un moine ressuscité, à bon entendeur
« Si Stavroguine croit, il ne croit pas qu’il croie.
S’il ne croit pas, il ne croit pas qu’il ne croie pas. »

Dostoïevski, Les Possédés


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On connaît le propos que Dostoïevski fait tenir à l’un des frères Karamazov : si Dieu n’existe pas, alors tout est permis. Une idée apparentée est que les croyances religieuses, qu’elles soient vraies ou fausses, permettent aux hommes et aux sociétés qui les entretiennent de s’élever d’une façon inaccessible à celles et ceux qui ne croient pas. D’après le mathématicien et philosophe anglais William Clifford (1845-1879), rien de tout cela n’est vrai. Ainsi qu’il le défend à Londres en 1876 dans une conférence intitulée "L’éthique de la croyance", le déclin de la religion est au contraire l’occasion de rendre l’humanité moralement meilleure. Plus encore : il n’est plus possible de croire sans immoralité. Son texte deviendra vite un classique ; en 1897, William James (1842-1910), philosophe et psychologue, entreprend de le réfuter. Dans "La volonté de croire", il veut légitimer les croyances les plus improuvables, du moment qu’elles répondent à nos besoins passionnels, tel celui "que le monde soit religieux". Historiquement, la réponse de James emporta la conviction de nombreux lecteurs dans sa tentative de concilier science et religion. Mais philosophiquement, il se pourrait bien que Clifford ait eu raison et que son éthique de la croyance d’après laquelle "on a tort, partout, toujours et qui que l’on soit, de croire sur la base d’éléments de preuve insuffisants" s’avère une boussole pour quiconque n’a pas renoncé à "se servir de son entendement".

« On a tort, partout, toujours et qui que l’on soit,
de croire sur la base d’éléments de preuve insuffisants. »



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Message par Invité Dim 21 Fév - 9:28


SILENCE DANS L'ERRANT

« se forger des mots pour ses propres silences et des accords audibles à ses seuls regrets »
Cioran a écrit:L’homme ne devrait écouter que lui-même dans l’extase sans fin du Verbe intransmissible, se forger des mots pour ses propres silences et des accords audibles à ses seuls regrets. Mais, il est le bavard de l’univers ; il parle au nom des autres ; son moi aime le pluriel. Et celui qui parle au nom des autres est toujours un imposteur. Politiques, réformateurs et tous ceux qui se réclament d’un prétexte collectif sont des tricheurs. Il n’y a que l’artiste dont le mensonge ne soit pas total, car il n’invente que soi.

Précis de décomposition, 1949
quand on ne peut pas tricher, qu'on ne sait pas mentir et qu'à s'y risquer on le fait si mal, on n'a pas grand chose à faire avec les autres. L'art est une ultime possibilité, la peinture, la musique, la poésie qui seule peut "forger des mots pour ses propres silences"

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Message par Invité Dim 7 Mar - 13:55


bien plus puissante, en dernière analyse, que la lutte des classes,
la bêtise mène le monde
ne me demandez pas où


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en savoir plus

Pendant sept ans, deux génies de la littérature, Flaubert et Maupassant, ont partagé une profonde amitié. Dans leur correspondance transparaît la bienveillance de l'aîné envers son cadet pour lequel il fut un véritable guide.
Il existe une relation quasi filiale entre Flaubert et Maupassant. Le premier a 52 ans quand débute cette correspondance, le second 23 ans. Ils ne se quitteront plus jusqu’à la mort de Flaubert, en 1880. Ainsi, cette correspondance permet de suivre Flaubert dans les sept dernières années de sa vie et Maupassant dans ses sept premières années en littérature.

L’auteur de Madame Bovary s’intéresse d’abord à Guy de Maupassant parce qu’il est le neveu d’Alfred Le Poittevin, son ami d’enfance. De cette relation va naître une profonde amitié que traduisent fidèlement ces lettres. Tous deux éprouvent du mépris pour la masse, l’esprit bourgeois, l’égalitarisme, le suffrage universel, la soutane ; et tous deux se délectent à la lecture des grands auteurs. La détestation de la médiocrité et l’amour de la littérature les réunissent.

Dans cette correspondance transparaît la bienveillance de l’aîné envers son cadet, pour lequel il fut un véritable guide. Grâce à ces échanges aussi affûtés que fraternels, nous découvrons un pan de vie partagé entre deux génies.
Livre papier : 7,50 €
Livre numérique : 6,99 €

c'est pas très cher, mais ne commettez pas la bêtise de l'acheter, ce ne serait qu'engrosser des charognards, tout est là gratos

perso je donne la préférence aux entrées thématiques, par exemple Critiques journalistiques ou littéraires, ou Principes esthétiques : Importance de la composition - l'impersonnalité, l'impartialité, l'impassibilité, l'objectivité, etc.

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Message par Invité Dim 14 Mar - 9:35


DU VENTRE FÉCOND

j'ai envie de lire ça

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p.47. Le malheur c'est que la science sait toujours pas, au jour d'aujourd'hui, le degré de douleur que les gars sont capables d'endurer.

p.66. Tiens, Dieu : un mec, lui aussi ! Il doit savoir. Pourquoi il se tait, le maudit ? Pourquoi il m'a fait naître femelle ? Pourquoi il m'a pas accroché entre les jambes un service trois pièces comme tout le monde ? Le jour de la distribution, y avait sûrement pas pénurie ! Pourquoi diable il m'a collé une fente, une tirelire sans fond, un trou où on entre comme dans un moulin, coucou c'est moi que voilà, il aurait au moins pu mettre un cadenas. Ah, vivement la fin de la nuit, et de la vie pendant qu'on y est.

p.183. Tu es trop délurée, Moukhina. Un vrai moustique, encore, mais on ne te tient pas. Tu vas plus vite que la musique, sauf que tu ne connais pas le chemin. Tu planes. Il faut redescendre sur terre. Rabaisse un peu ton orgueil !

p.273. Et oublie pas que la science ignore, pour le moment, la manière dont ceux de l'autre monde peuvent punir les vivants.

p.48. C'est au front qu'elle avait tout compris : les adultes étaient vraiment pires que les mômes. La plupart des officiers avaient appris l'anatomie à l'école pourtant, ça les empêchait pas d'attendre des miracles, et où ça ? Dans la culotte d'une fille normale.

p.336. Portez-vous bien là où vous êtes, là où l'on ne tue pas, où l'on ne ment pas, où l'on ne trahit jamais.

p.129. Parce qu'on peut tout supporter tant qu'on est sûr d'avoir raison, mais se sentir fautif, non merci, c'est la honte ! Comment vivre, dans ce cas-là ?

p.157. D'abord, ton Dieu, il existe pas. Si y avait un bon Dieu, y aurait pas de guerre, tu piges ?

p.125. Alors, raison de plus : un homme qui vit ses derniers jours pourrait se montrer un peu plus attentif avec une demoiselle.

p.96. « On est sur terre pour faire de la réalité un conte de fées. » C'est Staline qui l'a dit et ça doit devenir la devise de chaque soldat, de chaque général, de tous sans exception.

de toute la critique du soviétisme, ce que je retiens de meilleur, et j'en ai lu des tonnes depuis les années 70, ce sont des livres d'auteurs russes, ou ayant vécu sous la coupe du régime à différentes époques. Des historiens, essayistes, romanciers, poètes... : Svetlana Alexievitch, Anna Akhmatova, Varlam Chalamov, Olga Gromova, Vassili Grossman, Evguénia Guinzbourg, Panaït Istrati, Alexandra Litvina, Anatoli Rybakov, Georges Sokolof, Alexandre Soljénitsyne, Marina Tsvetaieva, Alexandre Zinoviev

j'ajoute l'historienne américaine Sheila Fitzpatrick, dont les livres sont tissés de témoignages et de documents d'archives, et les passionnants témoignages de Paul Thorez, fils de Maurice, dans Les enfants modèles, et de Jacques Rossi, le Français qui a fait 24 ans de goulag, qu'il raconte dans Qu'elle était belle cette utopie

je ne donne pas de liens pour ne rien en privilégier. Le tout fait des ricochets sur le halo de ma mémoire. À côté de ça, et j'en ai lu des tonnes aussi, toute la critique, des défroqués aux théoriciens communistes, me paraît de la gnognotte, rien dans la chair, si ce n'est dans la culotte

ce que j'en retiens de plus fort est que nombre d'anti-staliniens n'ont rien retenu de ce qui là-dedans critique bien davantage que Staline, l'URSS, le soviétisme, le communisme ou le capitalisme d'État. En bons petits soldats de leur foi* dans leur guerre de papier contre le capital, ils ne veulent rien voir ni savoir de ce qui leur ressemble tant, tout ce qui reste et dont le ventre est encore fécond de la bêtise navrante des croyants* en une révolution « saut dans l'inconnu de la liberté absolue », car ici ou là perce toujours, sous leur belle carapace anarchiste, leur stalinisme de la pensée, et j'ai payé pour le savoir

* à vrai dire, je crois que toute ma critique, qui vise à considérer l'idéologie révolutionnaire comme de même nature que la religion, en inversant l'opium du peuple de Marx, pêche en ceci qu'il en sera toujours ainsi, des idéologies dont s'empareront les masses mèneront le monde, et il faudra toujours pour vivre libre s'en protéger ou s'en défendre. Je ne me vois vraiment pas en contre-révolutionnaire, à quoi bon retenir la flèche du temps ?, car ce que je critique est au fond inévitable, mais faire avec, c'est aussi contre

pour revenir à ce livre, je veux le lire non pas comme "pamphlet contre la guerre et sa propagande" mais pour les rapports entre cette fille et les hommes, quelque chose de plus cru que la désormais littérature féminine, ou féministe, sur le sujet et dans des milieux sociaux de nos pays qui ne m'intéressent pas plus en littérature qu'au cinéma



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Message par Invité Ven 19 Mar - 7:10


"le premier événement médiatique global"
éclairant l'approche franco-française de la Commune de Paris par tous ceux qui en parlent de l'extrême-droite à l'extrême-gauche aujourd'hui, les événements algériens de 1871, déclenchés par « les déportés de la répression de la Révolution de 1848, ceux du coup d’Etat napoléonien du 2 décembre 1851 et en 1858 après l’attentat d’Orsini, républicains français installés en Algérie malgré eux. » dont le problème ne fut en rien la libération des autochtones. À relier avec les considérations eurocentrées de Marx et de l'AIT à l'époque, décrites par Olivier Le Cour Grandmaison dans Coloniser, exterminer : sur la guerre et l'État colonial. Temps des cerise sur les gâteux, l'héritage durable de l'ultra-gauche revendiquant de n'être ni anti-colonialiste ni anti-impérialiste
« Commune coloniale »
"un mouvement insurrectionnel qui reconnaît la sujétion à la France mais souhaite plus d’autonomie.
La question des Algériens autochtones n’est pas à l’ordre du jour.
Les populations colonisées sont oubliées.
Cela montre les limites de l’universalisme républicain, fort à Paris, alors qu’à Alger on néglige l’essentiel des habitants.
Le mouvement algérois est «coloniste», c’est-à-dire qu’il prône l’assimilation de la colonie
et l’accaparement des terres contre laquelle les Algériens étaient méfiants."


Quentin Deluermoz. Historien :
« 1871 : la plus grande insurrection de l’histoire de l’Algérie coloniale »

El Watan, 16 mars 2021


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Il y a exactement juste 150 ans, le 16 mars 1871, l’Est algérien entrait en insurrection contre la puissance coloniale rongée par les divisions sociopolitiques après sa défaite contre la Prusse en septembre 1870. A Paris, la République naissante noyautée par les royalistes était contestée par les radicaux qui proclamaient le 18 mars 1871 la «Commune de Paris», massacrée lors de la semaine sanglante du 21 au 28 mai 1871.

Dans le livre Commune(s) 1870-1871 (Seuil), Quentin Deluermoz, dresse un tableau de bord novateur de cet événement sur les deux rives. Avec pour sous-titre Une traversée des mondes au XIXe siècle, l’historien dépasse le cadre parisien. De la rue Julien-Lacroix aux concessions de Shanghai en passant par l’insurrection «kabyle», la Croix-Rousse à Lyon ou la République des cultivateurs aux Caraïbes, le livre propose une histoire à différentes échelles, du local au global, en décrivant des interconnexions multiples. Une bonne partie est consacrée à la partie algérienne. « C’est un sujet très important qui est devenu finalement un axe fort de l’ouvrage », nous explique le chercheur qui a bien voulu déblayer un sujet dont les études n’ont pas fini de dégager tous les aspects.

Propos recueillis par  Walid Mebarek

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- En ce 150e anniversaire, en quoi le rappel de l’histoire de la «Commune de Paris» est-il utile, en France et dans le monde ?

Cet événement continue de faire signification pour de nombreux acteurs et groupes, politiques ou des groupes au sens plus large. Pour le 140e anniversaire, en 2011, il n’y a rien eu sur la Commune de Paris. L’idée qui se développait, c’est que cet événement historique était devenu un peu comme froid, parce qu’il était lié à l’expérience communiste du XXe siècle et, qu’avec la chute du bloc soviétique et de l’Europe communiste, la charge symbolique s’était un peu effondrée. En réalité, ce qu’on observe depuis dix ans, c’est que l’objet s’est un peu réchauffé et qu’il est remobilisé dans de nombreuses luttes actuelles. Votre question est appropriée de poser ce thème en France et à travers le monde car on a vu la «Commune» utilisée par les Gilets jaunes. Elle l’était aussi dans le mouvement d’occupation des places comme Occupy Oakland Commune, également en Espagne au Mexique avec la grève des instituteurs en 2006… Ce qui est intéressant, c’est que dans cette nouvelle configuration, la Commune ne renvoie plus comme dans les années 1970 à des questions de luttes des classes ou de révoltes urbaines, mais beaucoup plus à la souveraineté populaire réclamée par le bas et des territoires autonomes et alternatifs. Elle fait écho à tous ces mouvements sans leader comme le hirak algérien qui demande des rapports de pouvoirs plus horizontaux. La résurgence de la Commune fait sens dans ces combats là. Il n’y a pas de République démocratique et sociale si on ne change pas l’ordre des rapports sociaux.

- Comment l’aspiration «communaliste» s’est jouée en Algérie et par quelles parties de la population coloniale a été porté le mouvement à Alger et dans d’autres villes algériennes ?

En Algérie, la plus importante manifestation de la Commune s’est déroulée à Alger. Elle débute bien avant Paris. L’insurrection commence en effet dès septembre. On a le même décalage à Lyon et Marseille. A Alger, Constantine et Oran, les mouvements se déploient dès la chute de l’Empire le 2 septembre 1870 et la proclamation de la République le 4 septembre. En utilisant le terme «commune», la référence rappelle un imaginaire de la Révolution française avec la Commune de 1793. Ces mouvements sont marqués par un fort républicanisme municipal. La figure qui s’impose est Romuald Vuillermoz. Ces mouvements sont menés surtout par les déportés de la répression de la Révolution de 1848, ceux du coup d’Etat napoléonien du 2 décembre 1851 et en 1858 après l’attentat d’Orsini. Ce sont des républicains français installés en Algérie malgré eux.

- Est-ce que ce mouvement prend dans la population laborieuse algéroise ?

C’est à vérifier. Cela manque dans mon enquête. Ce que j’ai trouvé dans les archives c’est que le mouvement déborde le cadre de ceux qui l’initient. Les ouvriers de chantiers sont frappés par la crise économique. Les autorités municipales issues de cette commune organisent des aides sociales mais cela reste à étudier de plus près. Lorsque la commune de Paris se déclenche en mars 1871, le mouvement communaliste s’accélère et Alger s’y reconnaît et envoie une lettre d’adhésion publiée dans le Journal officiel de la commune. Un des chefs, Alexandre Lambert, qui se trouve en France à ce moment-là, sera promu délégué de l’Algérie à Paris.

- Dans les revendications portées par les insurgés «français» d’Algérie, la question de l’injustice coloniale est-elle à l’ordre du jour ?

Pas dans le sens où on l’attendrait. Les insurgés algérois, liés à ceux de Constantine et d’Oran en fédération, s’opposent à la métropole sur la base d’une revendication d’autonomie très grande. C’est pourquoi dans mon livre j’ai parlé de «Commune coloniale» parce qu’on a un mouvement insurrectionnel qui reconnaît la sujétion à la France mais souhaite plus d’autonomie. La question des Algériens autochtones n’est pas à l’ordre du jour. Les populations colonisées sont oubliées. Cela montre les limites de l’universalisme républicain, fort à Paris, alors qu’à Alger on néglige l’essentiel des habitants. Le mouvement algérois est «coloniste», c’est-à-dire qu’il prône l’assimilation de la colonie et l’accaparement des terres contre laquelle les Algériens étaient méfiants. Cependant, j’ai découvert que certaines allocutions se faisaient en arabe.

- L’insurrection des tribus de l’Est algérien, dont la date-clé est le 16 mars 1871 avant de s’étaler sur plusieurs mois, a des ressorts propres mais les recherches historiques ont-elles pu établir un lien entre le soulèvement de cette frange de la population coloniale et les Algériens ?

Il y a un lien, là encore pas dans le sens là où on l’attend. D’abord pour la guerre franco-prussienne Napoléon III a envoyé les troupes de l’«Armée d’Afrique» en métropole et du coup il y a une forte décrue de la présence militaire dans la colonie algérienne. Ce qui va faciliter le déploiement de l’insurrection dite kabyle qui n’ignore pas la faiblesse française. Et deuxièmement, comme les «Communes» d’Alger, Constantine et Oran sont très colonistes, les populations algériennes redoutent le message ; on le voit dans les échanges de courriers entre les tribus interceptés par l’armée et traduits. La phrase qui revient est «le civil va arriver», donc l’accaparement des terres va progresser.

- Avec la fin des bureaux arabes ?

Exactement ! Enfin, dernier point, comme les «communards» sont anti-militaires, et ils gênent les capacités des militaires français sur place. Un autre aspect que vous avez posé dans votre question, c’est les «ressorts propres» de l’insurrection algérienne. C’est tout un autre champ de la recherche historique à désenclaver. Sortir du face à face entre France et Algérie. L’insurrection algérienne est fascinante à étudier. Au lieu d’y voir une révolte d’arriérés, comme l’ont fait les colons français, au contraire on est dans des dynamiques extra-européennes qui rentrent par exemple dans le renouveau du monde musulman au XIXe siècle, notamment avec l’entrée en scène de la Rahmaniyya.

- En quoi ont consisté les relations entre insurgés algériens et français en Algérie ou en France ?

Louise Michel en parle un peu. Ce qui est sûr c’est que les troupes algériennes sont engagées dans la guerre franco-prusse. Que certains désertent ou se retrouvent avec les insurgés parisiens, ce n’est pas impossible. Il y a des traces dans les archives mais là aussi c’est un domaine à étudier.

- Les archives permettent-elles de considérer une esquisse de formation révolutionnaire des Algériens à ce contact, particulièrement parmi les déportés de la Commune qui rencontrent ceux de l’insurrection algérienne ?

Elle ne se fait pas en Algérie puisque insurgés colons et algériens sont plus en opposition qu’en communion dans le combat. Là où il y a rencontre, c’est surtout en Nouvelle Calédonie en déportation où les principaux chefs sont envoyés après le procès de Constantine. Ils sont 120 à peu près. Il y a des amitiés qui se lient avec les communards parisiens et des contacts. Par exemple Rochefort, au retour à Paris va se battre pour que le gouvernement prononce l’amnistie des condamnés et des déportés algériens du Pacifique.

- La puissance du mouvement d’émancipation des tribus est suivie d’une répression féroce coloniale extrême contre les Algériens en 1871-1872 et après. Avec le recul, cette violence algérienne contre l’occupant et la dépossession qui s’en suit peuvent-elles être considérées, non pas seulement comme une simple résistance à l’envahisseur, comme c’était le cas de 1830 à 1860, mais comme le premier acte du combat pour l’indépendance ?

Ce qui est sûr c’est que la répression est terrible avec 500 000 hectares de terres spoliés. On estime que 70% du capital des tribus a été ponctionné avec une volonté explicite de détruire l’organisation des tribus, affecter en profondeur l’environnement et la structure sociale antérieure. De fait la colonisation s’accentue. Il y a un basculement et un choc pour les populations «indigènes».

-Avec peut-être, dès lors, cette idée que la révolte a été si forte qu’il est possible de recommencer, comme le chantent les poèmes transmis par la tradition orale

Il y a, il est vrai, une mémoire. Mais dire que c’est un premier acte de la lutte pour l’indépendance, c’est un débat ouvert dans l’historiographie algérienne. On manque de travaux. Cette piste d’un patriotisme rural est à creuser. Mais lorsque le nationalisme se révèle au début du XXe siècle, il y a une relecture de cet événement comme étant un moment fondateur. C’est la plus grande insurrection de l’histoire de l’Algérie coloniale au XIXe siècle. 1871, c’est 800 000 personnes impliqués dans les combats côté algérien.

- N’y a-t-il pas un parallèle entre la déconsidération des communards français réprimés dans le sang comme des ennemis et des moins que rien et la destruction par le glaive et la famine de milliers d’Algériens ravalés à l’état de non-humains ?

C’est la même armée qui réprime en France puis en Algérie après avoir détruit la «Commune» à Paris, Lyon et Marseille. Par ailleurs, on a utilisé la même loi du 23 mars 1872 qui a été utilisée pour condamner les communards au procès de Paris et les insurgés à Constantine d’Algérie. La vocation est de rejeter toute aspiration politique à la révolte et d’en faire un acte criminel et antisocial.

- Cela explique-t-il la main lourde contre un ennemi auquel on dénie toute humanité ?

Ce sont des tueries menées par des armées de mieux en mieux organisées mais il y a une différence entre Paris et l’Algérie : en France on veut sauvegarder le tissu économique alors qu’en Algérie il y a une volonté de détruire. La différence de répression ne joue pas dans l’animalisation de l’ennemi qui est la même pour ces «moins que rien», mais l’impact humain est plus lourd en Algérie.

autre recension

La Commune, événement-monde
Une relecture transnationale du fait révolutionnaire

Constance Bantman, Collège de France, 18 mars 2021

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Message par Invité Mer 21 Avr - 14:55

réédité pour un ajout concernant la vision excessivement optimiste de Marx sur le gouvernement de La Commune par la classe ouvrière, démenti par les faits

du 1er avril, dûment complété
dessous : 1. FLAUBERT ET LA BÊTISE DE L'UTOPIE


2. LA COMMUNE, FLAUBERT, ET MOI

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publié en 1970, "Les écrivains contre la Commune", de Paul Lidsky, est aujourd’hui réédité à l’occasion du 150e anniversaire de la Commune. On lira avec intérêt l'interview de l'auteur pour Marianne du 9 mars : Flaubert, Zola, Sand.... Quand les écrivains firent bloc contre la Commune de Paris

rien de neuf concernant la position de Flaubert, aujourd'hui bien connue pour être, dans sa Correspondance avec George Sand notamment, autre républicaine de 1848, une des plus virulentes contre les Communards (à leur décharge, ils n'étaient pas à Paris, informés seulement par la presse bourgeoise*). Pas vraiment de quoi ternir mon admiration pour sa lucidité, y compris en retenant l'argument à charge essentiel de Lidsky ci-dessous ou de Douchin dans l'étude citée plus bas. Précisons que Flaubert connaissait les socialistes français, dont Fourier et Proudhon, très présent dans L'éducation sentimentale et Bouvard et Pécuchet, et qu'il détestait pour ses positions sur l'art**, mais il ignorait Marx

* le 6 avril 1971, Karl Marx écrit à Wilhem Liebknecht « De tout le fatras qui te tombe sous les yeux dans les journaux sur les événements intérieurs de Paris, tu ne dois pas croire un mot. Tout est mensonger. Jamais la bassesse du journalisme bourgeois ne s’est mise plus brillamment en évidence »

** « Je viens de lire le livre de Proudhon sur l'Art ! On a désormais le maximum de la pignouferie socialiste. », 1865. Il s'agit de Du Principe de l’Art et de sa destination sociale, une défense du Réalisme socialiste avant la lettre, ou si l'on veut les bases du gauchisme esthétique

Paul Lidsky a écrit:Certes les écrivains critiquent "le bourgeois" cependant il ne s’agit pas de l’ordre économique bourgeois mais du mode de vie bourgeois fait de vulgarité, d’utilitarisme, de manque de culture. En fait cette vision du bourgeois est empruntée à l’aristocratie et pourrait être équivalente à celle de parvenu. Cette critique esthétique du bourgeois ne débouche donc pas du tout sur une sympathie pour les classes populaires.

je ne pense pas que le problème du réalisme littéraire soit d'éprouver, au-delà d'une compassion dont semble dépourvu Flaubert pour les ouvriers, de la « sympathie pour les classes populaires » pour ce qu'elles sont et telles qu'elles sont, puisqu'en temps qu'écrivain, c'est cela qu'il se proposait d'écrire, de décrire plus que de dénoncer, et son regard est de ce fait plus froid que celui de qui prend fait et cause pour elles (et cause pour elles, càd à leur place, d'hier à aujourd'hui). Marx et Engels n'avaient aucune sympathie pour le Lumpenproletariat, prolétariat en haillons, qu'ils décrivaient de façon excessivement péjorative, et pour tout dire avec des présupposés idéologiques liés à la mission dont ils investissaient « le prolétariat industriel »
Le lumpenprolétariat, cette lie d’individus dévoyés de toutes les classes, qui établit son quartier général dans les grandes villes, est de tous les alliés possibles, le pire. Cette racaille est absolument vénale et importune. Tout chef ouvrier qui emploie ces vagabonds comme gardes du corps, ou qui s’appuie sur eux, prouve déjà par là qu’il n’est qu’un traître au mouvement .
Friedrich Engels, La Guerre des paysans en Allemagne, 1850

Ils appartenaient pour la plupart au lumpenprolétariat qui, dans toutes les grandes villes, constitue une masse distincte du prolétariat industriel, pépinière de voleurs et de criminels de toute espèce, vivant des déchets de la société, individus sans métier avoué, rôdeurs, gens sans aveu et sans feu .
Marx Karl, Les Luttes de classes en France (1848-1850), 1850

ajout du 21 avril
à vrai dire, Marx lui-même est excessivement enthousiaste dans sa vision de la démocratie de La Commune, un « gouvernement du peuple par le peuple » et la « réabsorption du pouvoir d’État par la société, en tant que sa force vivante au lieu de la force qui la contrôle et la subjugue »*, même si l'on retient qu'il est partisan du pouvoir ouvrier par la "dictature du prolétariat", donnant naissance à l'idéologie du programmatisme ouvrier (la prise du pouvoir d'État et non sa destruction immédiate). La pratique de la "démocratie directe" par La Commune est assez loin de ce dont rêvent les admirateurs démocrates radicaux d'aujourd'hui, et plus proche de ce qui a été obtenu par les sociaux-démocrates au XXe siècle. Le système politique adopté est en réalité la représentation dans des conditions qu'on peut lire ici : Élection du Conseil de la Commune. Il est parfaitement faux d'affirmer comme le fait Marx dans La guerre civile en France : « c'était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière... ». Ainsi anticipait-il sur ceux qui ont considéré les gouvernement des pays socialistes comme tels...

* source Marx au vif de la Commune, Ballast, 20 mars 2021

cela posé, j'estime au fond que la critique de Flaubert va bien au-delà et plus profondément, notamment contre la politique* et la démocratie représentative**, d'une façon générale contre tous les dogmes au premier rang desquels les religions, et si l'on veut pousser le bouchon de l'anachronisme, la société du spectacle. Au demeurant, les arguments en défense de La Commune contre les écrivains "réactionnaires" sont en masse républicains de gauche, démocratiques et parlementaristes. Tel est le parti pris pour le Peuple, davantage que pour le prolétariat, rien que ne puisse soutenir une critique radicale du capitalisme et de l'État. Pas surprenant par conséquent que cette interview soit le fait de Marianne, hebdomadaire souverainiste***


* « De toute la politique, il n'y a qu'une chose que je comprenne, c'est l'émeute. », lettre à Louise Colet, 6 août 1846 [donc d'avant 1848]

** sur la démocratie représentative

Tout homme (selon moi) si infime qu’il soit, a droit à une voix, la sienne, mais n’est pas l’égal de son voisin, lequel peut le valoir cent fois. Dans une entreprise (société anonyme) chaque actionnaire vote en raison de son apport : il en devrait être ainsi dans le gouvernement d’une nation. Je vaux bien vingt électeurs de Croisset ; l’argent, l’esprit et la race même doivent être comptés, bref toutes les forces, or, jusqu’à présent je n’en vois qu’une : le nombre.

La masse, le nombre est toujours idiot. Je n’ai pas beaucoup de convictions, mais j’ai celle-là fortement. Cependant il faut respecter la masse, si inepte qu’elle soit, parce qu’elle contient des germes d’une fécondité incalculable. Donnez-lui la liberté, mais non le pouvoir.

Nous ne souffrons que d’une chose : la bêtise. Mais elle est formidable et universelle. Quand on parle de l’abrutissement de la plèbe, on dit une chose injuste, incomplète. Conclusion : il faut éclairer les classes éclairées. Commencez par la tête.


à George Sand, 12 octobre 1871

*** « Je ne suis pas plus moderne qu'ancien, pas plus Français que Chinois, et l'idée de la patrie c'est-à-dire l'obligation où l'on est de vivre sur un coin de terre marqué en rouge ou en bleu sur la carte et de détester les autres coins en vert ou en noir m'a paru toujours étroite, bornée et d'une stupidité féroce. », id. 26 août

il est donc clair que Flaubert, tout en souhaitant choquer le bourgeois, dont il hait les comportements, s'adresse à la classe à laquelle il appartient et qu'il ne déteste pas en tant que classe, au risque des ennuis de justice qu'il aura avec Madame Bovary. Sur ses positions politiques et son train de vie de bourgeois, on peut lire Flaubert, écrivain « progressiste » : une idée reçue, Jacques-Louis Douchin, Annales de Normandie 1984, ou cette note de Ludwig von Mises, 1985
Guy de Maupassant analyse la prétendue haine du bourgeois chez Flaubert, dans Étude sur Gustave Flaubert. Flaubert, dit Maupassant, « aimait le monde » (p. 67) ; c'est-à-dire il aimait évoluer dans le cercle de la société parisienne composé d'aristocrates, de riches bourgeois, et de l'élite des artistes, écrivains, philosophes, savants, hommes d'État et entrepreneurs (promoteurs). Il employait le terme bourgeois comme synonyme d'imbécillité et le définissait de la sorte : « J'appelle un bourgeois quiconque pense bassement. » D'où il ressort qu'en employant le mot bourgeois Flaubert n'avait pas à l'esprit la bourgeoisie en tant que classe sociale, mais une sorte d'imbécillité qu'il rencontrait le plus souvent dans cette classe. Il était plein de mépris, tout autant, pour l'homme ordinaire « le bon peuple ». Néanmoins, comme il avait de plus fréquents contacts avec les « gens du monde » qu'avec les ouvriers, la stupidité de ceux-là le choquait davantage que celle de ceux-ci (p. 59). Ces remarques de Maupassant étaient valables non seulement pour Flaubert, mais pour les sentiments « anti-bourgeois » de tous les artistes. Incidemment, l'on doit souligner que, d'un point de vue marxiste, Flaubert est un écrivain « bourgeois » et ses romains une « superstructure idéologique » du « mode de production capitaliste ou bourgeois ».
source

on trouve néanmoins chez lui, romans et correspondances, bien des notations sur les événements de son temps et des positions dans sa correspondance valant pour une critique prémonitoire et anarchisante de ce que deviendrait le capitalisme. Sa critique est plus éthique que morale, - il est fortement marqué par Spinoza dans sa jeunesse -, et en comparaison, la position de Victor Hugo, politicien bourgeois républicain défenseur des Communards sur le tard, ne fait pas le poids sur le fond

j'estime que la critique radicale de La Commune du point de vue de celle du capitalisme reste à faire ou du moins à refaire à la lumière d'une critique du concept même de révolution, et ce ne sont pas les positions politiques de Flaubert qui sont de ce point de vue les plus intéressantes, mais ses positions poétiques, comme il en va généralement de toute œuvre artistique de valeur

bien évidemment, tant qu'on en sera à entretenir le culte communiste ou anarchiste des "martyrs de la révolution" comme celui de leurs grands hommes morts dans leurs lits, franchir le pas relèvera du tabou politique et théorique, càd d'une idéologie passéiste. Pour le gauchiste moyen ou maximaliste, la critique communiste de la révolution est impensable, il s'intéresse davantage à la révolution en soi, comme aboutissement de la lutte des classes, qu'au communisme comme communauté humaine, dont à mon sans aucune révolution ne saurait en soi accoucher *

* Roland Simon, Théorie Communiste : « Le communisme on s'en fout, ce qui compte c'est la lutte de classes. », cité par Lola Miesseroff, Voyage en outre-gauche, 2018

Jean-Louis Roche, Le prolétariat universel, 11 avril 2020, juge Flaubert comme s'il n'y a avait pas eu les révolutions du XXe siècle et le "socialisme réel"

Le mot révolution ne plaît pas à l'écrivain réactionnaire Flaubert mais il considère les prévisions socialistes avec mépris. L’idée révolutionnaire reconduit le transcendantalisme chrétien, et relève de la croyance au miracle. Le catastrophisme peut bien être l'apocalypse, même au sens chrétien (tant pis pour Flaubert) et qui ne signifie pas désastre mais révélation. Pour Flaubert, l’idéal révolutionnaire relève de l’illusion mystique ou messianique : « La Magie croit aux transformations immédiates par la vertu des formules, absolument comme le Socialisme. Ni l’une ni l’autre ne tiennent compte du temps et de l’évolution fatale des choses » (note : Dans son Dictionnaire des idées reçues, Flaubert moque un empilement politico-scientifique à propos de la question des générations spontanées : « Génération spontanée : idée de socialiste. »

peut-on rappeler à Jean-Louis Roche ce que sont devenues les "prévisions socialistes", et qu'il n'ait pas été si saugrenu de les considérer « avec mépris » ? Ou encore les prévisions de ce qui s'en suivrait du socialisme, faites après Flaubert par Dostoïevski, Bakounine ou Kropotkine ?

« Quelle éternelle horloge de bêtises que le cours des âges ! »
à Louise Colet le 26 mai 1853

si je partage un point avec Flaubert, c'est que la classe sociale, en tant que masse, est bête, car aveugle aux conséquences à terme de ses actes immédiats, fusse à ses dépens, ce que La Commune montre tragiquement. C'est ainsi que « La bourgeoisie produit avant tout ses propres fossoyeurs », écrit Marx dans Le Manifeste, mais rien n'assure que le prolétariat, en tant que classe et masse, suive sa certitude dans Le Capital, Chapitre inédit de 1867
Marx a écrit:Il ne s'agit pas de savoir ce que tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier, se propose comme but momentanément. Il s'agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu'il doit faire historiquement, conformément à son être. Son but et son action historiques lui sont tracés, de manière tangible et irrévocable, dans sa propre situation historique, comme dans toute l'organisation de la société actuelle.

dire qu'en dernière instance la bêtise mène le monde* est en apparence bien léger, mais on n'a pas encore prouvé le contraire, bêtise qui peut être celle des élites dirigeantes comme des masses gouvernées soumises ou révoltées. C'est tout-à-fait compatible avec la vulgate marxiste pour laquelle « les masses font l'histoire. » On ne peut que le constater après coup, le déplorer, mais aussi savoir qu'il n'y a pas davantage de solution "intelligente", en quoi je me sépare de Flaubert autant que de tous les apprentis sorciers des lendemains qui chantent

* j'ai corrigé cette appréciation dans le billet "RAPPORT DE FORCES" du 1er mai : « c'est la force qui, en dernière instance, mène le monde, et la puissance de la bêtise renforce la force des plus puissants, par "le rapport des forces favorable". »


Twisted Evil

31 mars 2021
1. FLAUBERT ET LA BÊTISE DE L'UTOPIE

« le saut inattendu que fait Flaubert
en passant de la question des tables tournantes à celle du socialisme »

j'ai ici comparé les textes tournants des "communisateurs" aux tables tournantes des spirites. Je ne savais pas alors que Flaubert avait fait le lien entre les adeptes d'Alan Kardec et les Socialistes de son temps

LECTURE POUR TOUSSE 72874_sedinta-spiritism-2

l'extrait ci-dessous d'une étude sur les « Les dossiers documentaires de Bouvard et Pécuchet » en explique les circonstances

on pourra lire en complément Le projet flaubertien et l'utopie du vouloir conclure, de Pierre Marc de Biasi, Littérature, Année 1976

Flaubert commence par s'en prendre à Auguste Comte, et s'ensuit toute sa critique de la bêtise de l'utopie, d'où le lien avec l'étude sur Bouvard et Pécuchet


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la « prolétarisation des magnétiseurs » et "la prolétarisation des « sciences » occultes" me font irrésistiblement penser  à certaines "argumentations" de figures célèbres des Gilets Jaunes si ce n'est d'une façon générale à l'utilisation des « sciences » par les complotistes

Sur quelques aspects chronologiques du dossier « Mysticisme-Magnétisme »
Atsushi Yamazaki, Maître de conférences à l’Université Chukyo (Nagoya), Revue Flaubert, n° 13, 2013[/size]
8
Toutefois, même sans recourir à ce caractère foncièrement anachronique du magnétisme, l’effet de la cohérence épistémologique se produit très subtilement dès le début de l’épisode du magnétisme. Car le récit commence précisément par un passage (« Bouvard connut ainsi la mode nouvelle des tables tournantes »), qui correspond parfaitement au fait historique : la vogue des tables tournantes touche la France vers 1853. La concordance chronologique entre le temps fictif et le temps historique est donc des plus exactes. On ne pourrait sans doute imaginer un meilleur canal pour réintroduire le magnétisme animal dans le contexte historique des premières années du Second Empire que cette pratique mystique, puisque les pratiquants des tables tournantes ont vite retrouvé leur origine dans toute la littérature du magnétisme ou, plus précisément, du somnambulisme magnétique.

9
Par ailleurs, il semble que Flaubert n’ait nullement eu besoin de se documenter pour connaître cette date. En réaction contre la vogue ravageuse des tables tournantes, il avait justement écrit dans une lettre en 1853 :

– À propos de l’ami Théo, il me revient en tête cette phrase de Candide (c’est Martin qui parle, et de Paris) : « Je connus la canaille écrivante, la canaille cabalante, et la canaille convulsionnaire. On dit qu’il y a des gens fort polis dans cette ville-là, je le veux croire. »
Cela me fait songer aux tables tournantes (les convulsionnaires). Est-elle bête cette Edma ! Avoue que c’est fort, les tables tournantes. Ô lumières ! Ô Progrès ! Ô humanité ! Et on se moque du m[oyen] âge, de l’antiquité [...] ! Quelle éternelle horloge de bêtises que le cours des âges ! Les sauvages qui croient dissiper les éclipses de soleil en tapant sur des chaudrons valent bien les Parisiens qui pensent faire tourner des tables en appuyant leur petit doigt sur le petit doigt de leur voisin. — C’est une chose curieuse comme l’humanité, à mesure qu’elle se fait autolâtre, devient stupide. Les inepties qui excitent maintenant son enthousiasme compensent par leur quantité, le peu d’inepties, mais plus sérieuses, devant lesquelles elle se prosternait jadis. Ô socialistes, c’est là votre ulcère ; l’idéal vous manque. Et cette matière même, que vous poursuivez, vous échappe des mains comme une onde.

10
Si je cite longuement cette lettre, c’est pour mettre en relief le saut inattendu que fait Flaubert en passant de la question des tables tournantes à celle du socialisme. On pourrait se demander si cette association d’idées, apparemment insolite, liant le spiritisme au socialisme est aussi aléatoire qu’insignifiante. Certes, dans cette lettre, Flaubert invoque la dernière mode des tables tournantes à l’appui de sa thèse sur la nature immuable de la bêtise humaine, mais il perçoit également chez les adeptes du spiritisme la même idéologie du progrès tout aussi récente que celle qu’il décèle chez les socialistes utopiques. Ainsi, de façon fort perspicace, face à la vogue des tables tournantes en 1853, Flaubert se rend compte d’emblée que le spiritisme est une espèce de chimère idéologique, sur laquelle viennent se greffer toutes sortes d’aspirations religieuses, mystiques et politiques. Les spiritistes, dont l’une des racines idéologiques est sans doute à chercher du côté des socialistes, sont aussi « autolâtres », aussi progressistes, aussi positivistes, et enfin tout aussi religieux que leurs prédécesseurs.

11
Vingt ans après, c’est-à-dire en 1873, Flaubert a lu et pris des notes (6 pages) sur le fameux Livre des Esprits d’Allan Kardec en vue de son dernier roman. On a du mal à imaginer aujourd’hui les influences socio-culturelles qu’a exercées ce livre fondateur du spiritisme durant toute la seconde moitié du XIXe siècle : il a connu un succès immédiat et fracassant lors de sa parution en 1857 et une cinquantaine de rééditions en cinquante ans. À ce sujet, je me contenterai de signaler que les « sciences occultes » mises en scène dans Bouvard et Pécuchet, le magnétisme animal, les tables tournantes, le spiritisme, exerçaient une forte fascination sur tout l’entourage littéraire de Flaubert, à savoir Hugo, Balzac, George Sand, Maupassant, et Gautier, cet « ami Théo » que Flaubert évoque justement dans la lettre citée ci-dessus. Il n’est pas tout à fait impossible que Gautier et Edma Roger des Genettes aient assisté ensemble à une séance de tables tournantes dans le salon de Delphine de Girardin, qui allait initier quelques mois plus tard Hugo à cette pratique mystique. Sans doute Hugo incarne-t-il mieux que personne la convergence de ces deux aspirations, spiritiste et socialiste.

12
Pour revenir aux notes de lecture qu’a prises Flaubert sur Le Livre des Esprits, il est une citation en face de laquelle il a mis la mention « cop[ie] » mais qui n’a pas été recopiée dans les pages préparées pour le second volume : « Les esprits inférieurs empruntent souvent des noms connus & révérés. c’est “un fait démontré par l’observation” ». Il souligne et met entre guillemets le syntagme « un fait démontré par l’observation » et indique dans la marge du feuillet une catégorie de classement pour le second volume : « Beautés scientifiques ». Ainsi, on voit Flaubert remettre en cause la prétention scientifique du spiritisme, comme il le fait à maintes reprises à l’égard du socialisme.

13
Ce n’est donc pas un hasard si, dans le texte définitif, le personnage qui initie Bouvard et Pécuchet au spiritisme d’Allan Kardec est Petit, « homme de progrès », militant républicain et socialiste[14].

Petit, homme de progrès, avait trouvé l’explication du médecin terre à terre, bourgeoise. La science est un monopole aux mains des riches. Elle exclut le peuple. À la vieille analyse du Moyen Âge, il est temps que succède une synthèse large et primesautière ! La vérité doit s’obtenir par le cœur – et se déclarant spiritiste, il indiqua plusieurs ouvrages, défectueux sans doute, mais qui étaient le signe d’une aurore.
Ils se les firent envoyer.
Le spiritisme pose en dogme l’amélioration fatale de notre espèce. La terre un jour deviendra le ciel ; et c’est pourquoi cette doctrine charmait l’instituteur. Sans être catholique, elle se réclame de saint Augustin et de saint Louis. Allan Kardec publie même des fragments dictés par eux et qui sont au niveau des opinions contemporaines. Elle est pratique, bienfaisante, et nous révèle, comme le télescope, les mondes supérieurs
[14] Michel Pierssens fait remarquer à juste titre deux processus qui s’opèrent chez les pratiquants du magnétisme animal au cours de la première moitié du XIXe siècle : la « démocratisation du pouvoir magnétique » et la « prolétarisation des magnétiseurs ». L’épisode du magnétisme de Bouvard et Pécuchet atteste l’existence de tels processus ou pour mieux dire en donne un récit parodique. En effet, Bouvard et Pécuchet, ni savants comme Mesmer, ni aristocrates comme Puységur, ni médecins comme tant de magnétiseurs, réclament le titre de magnétiseurs et se montrent autoritaires envers leurs « patients », avant de se heurter finalement à une autorité consacrée par la société bourgeoise qu’est Vaucorbeil. L’avis de Petit à l’égard de l’explication de Vaucorbeil doit s’interpréter dans ce contexte historique : la prolétarisation des « sciences » occultes. Voir Michel Pierssens, « Ectoplasmes et invisibles fluidiques », dans Hugues Marchal et Anne Simon, Projections : des organes hors du corps (actes du colloque international des 13 et 14 octobre 2006), publication en ligne, www.epistemocritique.org, septembre 2008, p. 22.

.14
Comme les paroles dictées par saint Augustin et saint Louis sont « au niveau des opinions contemporaines », on ne s’étonnera pas si elles résonnent, selon les médiums qui les dictent, tantôt comme un discours socialiste, tantôt comme un discours mystico-religieux. C’est justement cette articulation insolite des discours socialiste et mystique qui marque la pensée spiritiste. C’est d’ailleurs déjà le cas, à propos de la « collection de Buchez et Roux » que Bouvard et Pécuchet lisent au chapitre IV : « cet amalgame de socialisme et de catholicisme les écœura ».

[...]

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Message par Invité Lun 17 Mai - 9:59


si on a rien à dire sur Gaza aujourd'hui, on ne devrait rien dire sur rien

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l'histoire est longue et la vie courte, ce conflit a commencé bien avant ma naissance il y a 70 ans et n'a pas cessé depuis. Il y a peu d'exemples comparables et je n'ose même pas espérer en connaître la fin. La "Communauté internationale" serait "impuissante" ; il faudrait interdire les manifestations de soutien à la Palestine en France parce qu'elles risquent d'"importer le terrorisme et la guerre chez nous" et masquent "l'antisémitisme pro-islamiste"

et puis voilà, "nous", communistes, n'aurions rien à en dire parce que « ça n’a aucun intérêt "du point de vue de la révolution" », comme dit une saine réaction du monde d'avant, un texte qui a 12 ans

en vérité, je me sens pétrifié comme par le goutte à goutte de stalactites d'une tragédie trois fois millénaire
Silence sur Gaza
dndf, 21/11/2012
"Texte paru dans la revue 'Meeting' en janvier 2009, et qui est toujours d’actualité."
BL a écrit:On a beaucoup parlé de l’élection d’Obama, on a beaucoup plus parlé des émeutes en Grèce mais nous ne disons pas un mot de la guerre à Gaza pourquoi ?

Est-ce parce que ça ne nous concerne pas ? Parce que ça n’a aucun intérêt « du point de vue de la révolution ». On peut le dire mais je pense qu’on sent bien que ce n’est pas la vérité, que l’importance de ce rebond de la guerre de Palestine nous gêne ou peut être pire nous angoisse.

Cette nouvelle guerre nous angoisse parce que les prolétaires de Gaza se font massacrer et n’ont aucune possibilité d’échapper au piège dans lequel ils sont, ils ne peuvent que « choisir » de mourir sous les bombes israéliennes ou au combat avec le Hamas, ils ne peuvent même pas déserter la bataille ils sont enfermés dans un champ de tir, ils ne peuvent pas s’insurger contre leur propre camp qui les tient en otages. C’est la tragédie absolue il n’y a rien à espérer, Obama laisse Bush endosser l’affaire il n’y a que notre clown national qui en profite pour faire son show pitresque.

Cette horreur nous, nous terrorise parce que nous y voyons quelque chose qui pourrait se répandre dans le monde avec la crise catastrophique du capital (encore à venir), les fractions capitalistes de tous ordres étatiques ou non pourraient bien se jeter les unes contre les autres sans qu’une issue communiste ne s’ouvre.

Attention ceci n’est pas une analyse, tout ce que je pense me fait dire que cette catastrophe est impossible qu’elle nie la contradiction des classes, que Gaza n’est strictement pas représentatif de la situation dans le reste du monde ; mais pourtant dans sa spécificité de ghetto à prolétaires surnuméraires Gaza est aussi paradigmatique de la restructuration en abîme du capital et c’est pour cela, qu’au fond, on n’ose pas y penser on détourne les yeux, car nous y verrions un avenir inenvisageable.

BL [Bernard Lyon, Théorie Communiste]

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Message par Invité Ven 2 Juil - 5:40

piqué au Moine Bleu, marxiste "humaniste" s'il en est
« Le combat contre le bourgeois » in Crépuscule, Max Horkheimer, 1926-1931

Max Horkheimer (né le 14 février 1895 et mort le 7 juillet 1973) est un philosophe et un sociologue allemand, connu pour être le directeur de l'Institut de recherche sociale (Institut für Sozialforschung), à l'origine de la célèbre École de Francfort de 1930 à 1969, et un des fondateurs de la théorie critique (Kritische Theorie). Wikipédia

[illustrations par Le Moine Bleu]


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(Page d'accueil d'un blogue fasciste, France, 2020)

« Dans les luttes de classes du XIXème siècle, le mot bourgeois a pris le caractère d'une déclaration de guerre mortelle. Bourgeois signifiait exploiteur, vampire, et cela devait atteindre tous ceux qui avaient un intérêt à la domination du mauvais ordre social. Cette signification a été expliquée et fixée jusque dans les détails par la science marxiste. Mais les adversaires féodaux du capitalisme, tout à fait réactionnaires, ont mis eux aussi – en suivant une tradition du romantisme – un sens méprisant dans ce mot. Les restes d'une telle idéologie ont été repris par les mouvements nationalistes-ethniques ['völkisch'] de tous les pays. Tous dépeignent le bourgeois à peu près comme la 'bohème' d'avant-guerre, comme un spectre terrifiant, ils opposent au mauvais type humain "bourgeois" de l'époque passée celui de l'homme nouveau de l'avenir. En même temps, ils parlent d'oppositions dans le noyau biologique, la race, la manière de penser, etc.

Pour le grand capital, ce second sens 'dépravant' du mot bourgeois, qui fait abstraction de l'économique, est tout à fait bienvenu. Il aime se servir de l'idéologie aristocratique autant que des officiers aristocrates. Dans le combat moderne contre la mentalité "bourgeoise", le grand capital, justement, est laissé en dehors de la discussion. Ceux qui en disposent ont depuis longtemps abandonné les modes de vie concernés par ce combat. Chez le magnat d'un trust et dans son environnement mondain, "mondialement ouvert", c'est tout juste si l'on retrouverait encore un seul des traits de caractère qui avaient marqué le petit-bourgeois en certaines périodes du siècle passé : luttant pour sa subsistance, pédant, personnellement avide de gain. Ces qualités pénibles ont glissé vers les classes moyennes inférieures, dépossédées, qui se trouvent en position de défense pour sauver leur petit peu de plaisir de vivre. La bonne société vit aujourd'hui à un niveau si élevé, ses sources de revenus sont si dissociées des personnes, que toutes les formes de conscience d'une concurrence mesquine peuvent disparaître complètement. Ainsi, la grande bourgeoisie laisse volontiers ses idéologues enfourcher leur cheval contre le bourgeois, qu'en réalité elle ruine par la concentration effective du capital.


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(Le Monde, 10-05-2018)

Les prolétaires n'ont rien à voir avec ce combat contre le "bourgeois". Quand dominait ce type économique, que le capital aujourd'hui extermine, il fallait qu'ils voient en lui l'ennemi principal. Aujourd'hui, ces couches, dans la mesure où elles ne constituent pas les milices nationalistes-ethniques, doivent être neutralisées ou gagnées. Dans le langage du prolétaire, bourgeois signifie encore et toujours exploiteur, classe dominante. Dans la théorie encore, le combat se dirige avant tout contre cette classe, avec laquelle on n'a rien de commun. Quand des métaphysiciens modernes tentent une sociologie critique de l'histoire de la philosophie comme développement de la pensée "bourgeoise", ce n'est pas pour rechercher lesquels de ses traits le prolétariat devra dépasser. Ces idéologues voudraient ici ne stigmatiser et n'éliminer que les reliquats théoriques de l'époque 'révolutionnaire' de la bourgeoisie. Du déclin des classes moyennes le prolétariat se félicite également, mais pour d'autres raisons que le capital. Pour ce dernier, c'est le profit qui importe ; pour le prolétariat, la libération de l'humanité.

Nous n'avons rien à faire d'une terminologie selon laquelle c'est la jalousie envers son mari d'une petite-bourgeoise privée de distractions, et non la possession d'une Rolls-Royce, qui représente l'expression de la vie bourgeoise. »



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(Ci-dessus, de haut en bas : 1) morceau du groupe fasciste Ile-de-France, intitulé Tuer le bourgeois (le tuer... « en chacun de nous », s'entend). On notera par ailleurs l'iconographie explicitement et significativement inspirée, ici, du film Fight Club, de David Fincher) ; 2) Banderole aperçue au cours des premiers actes du soulèvement insurrectionnel des Gilets Jaunes, France, fin 2018)


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Message par Troguble Lun 2 Aoû - 19:15


« La faute grossière des théories c’est que chaque homme pour les gens est un numéro »

Flaubert par sa nièce Caroline Hamard, Mme Franklin-Grout,
source Les Amis de Flaubert – Année 1951 – Bulletin n° 2 – Page 16
« Sa nature, disait-elle, avec la grande expérience qu’il avait de la vie et des hommes, n’était pas, à vrai dire, optimiste. Il en savait trop et quand il appréhendait l’avenir il avait bien raison car chaque année nous éloignait de la vie paisible et nous rapprochait d’une période de plus en plus tragique ».

Une autre fois elle soulignait cette prescience en disant : « Mon oncle avait découvert que la créature la plus redoutable de la Nature, plus inquiétante que la bête la plus féroce, était finalement l’homme. »

Il ajoutait parfois : « Est-ce que cela ne se voit donc pas ? Son Histoire, une fois dépouillée de ses phrases flatteuses, pour un régime, pour son pays, pour ses contemporains qu’il faut ménager, n’est-elle pas un récit continuel de massacres ? On édifie pour détruire, on crée pour tuer ».

« Eh ! bien », ajouta-t-elle, « malgré ces aveux il possédait une bonne humeur, une sérénité qu’il savait vous communiquer. Car enfin », disait-il, « on peut jouir des entr’actes pendant lesquels on se repose des luttes… en préparant de nouvelles… ».

Souvent il disait : « J’aime encore mieux être sensible au moindre souffle que d’être indifférent. Cet état imbécile prive aussi ceux qui le possèdent de cette félicité qui est de goûter certains bonheurs pour lesquels ils sont fermés ».

Il a eu des périodes bien, décevantes, surtout quand il donnait son affection à des personnes qui en étaient indignes. Sa colère pouvait alors prendre des accents énergiques. Après son aventure avec Louise Colet il s’écriait parfois : « Quelle peste ! Quel chameau ! Et si blanche, si blonde ! si minaudière ! Qui pouvait soupçonner une perfidie pareille ! Elle va au plus grand… Elle essaie les hommes comme on tâte une poire… ».

Caroline, dans sa langue si modérée, s’excusait de certains termes et même de certains sentiments dont elle disait qu’il valait mieux ne pas les avoir pour moins souffrir. Ce qu’elle louait avec sa belle modération, sans emphase ni vanité, c’était le désintéressement de son oncle, sa générosité de créer sans songer à un gain. Souvent il disait : « Je ne tiens même pas à être loué. Je renonce même à la politesse élémentaire que l’on doit au premier venu. La seule chose qui importe est d’être libre ».

« Souvent il me répétait aussi d’un air désabusé : « Vois-tu, il ne faut rien aimer. Tout se paie, surtout le bien qu’on a fait ».

Comme je lui reprochais de nous décourager par cette constatation, il disait si drôlement :

« Mais non ! Je dis : cela se paie mais cela ne fait pas souffrir ! On ne souffre que du mal dont on est responsable ».

Il n’aimait pas les donneurs de leçon, les recettes pour vivre et être heureux :

« Tout cela, c’est des châteaux de cartes. Il faut exposer les faits. Et puis que chacun en fasse l’usage qu’il veut. La faute grossière des théories c’est que chaque homme pour les gens est un numéro. Ils suppriment l’infinie variété de l’espèce ou chacun a une réaction différente, une faculté différente ».

Troguble

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Message par Troguble Ven 13 Aoû - 16:35


la caverne sort du mythe

Serbie :
un "homme des cavernes" se fait vacciner et appelle à l'imiter


AFP, 13 août 2021


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L'ermite Panta Petrovic dans sa caverne, le 9 août 2021 à Pirot, en Serbie. :copyright: AFP, OLIVER BUNIC

Lassé de la vie en société, Panta Petrovic a choisi la distanciation sociale près de vingt ans avant l'épidémie de coronavirus en s'exilant dans une caverne en montagne, dans le sud-est de la Serbie.

Lors d'une descente en ville, l'année dernière, le septuagénaire à la longue barbe découvre qu'une épidémie fait rage. Malgré ses rares contacts avec des gens, il s'est récemment fait vacciner et a appelé ses compatriotes à faire la même chose pour se protéger. Le vieillard aux dreadlocks passe la plupart de son temps à profiter du calme offert par les forêts du mont Stara Planina. La caverne qu'il a transformée en son "chez lui", accessible uniquement par un sentier escarpé, est équipée d'une cheminée et d'une vieille baignoire rouillée transformée en toilette. Originaire de Pirot, la ville du coin, Petrovic y menait une vie de travailleur au noir, marié à plusieurs reprises, une vie qu'il qualifie aujourd'hui de "trépidante".

Le virus "ne choisit pas, il viendra jusqu'à ma caverne", explique-t-il à l'AFP. Il ajoute ne "pas comprendre la polémique" à propos des vaccins et dit faire confiance à la procédure qui "a permis d'éradiquer de nombreuses maladies dans le passé".

"Je souhaite recevoir toutes les trois doses du vaccin, y compris la supplémentaire. J'appelle tous les citoyens à faire de même", lance-t-il.

Panta Petrovic a toujours apprécié la nature et découvert graduellement que s'isoler lui apportait une liberté inconnue jusqu'alors.

- "L'argent est maudit" -

"Je n'étais pas libre en ville. Il y avait toujours quelqu'un sur ma route. Soit vous vous disputez avec votre femme, soit avec les voisins, la police", raconte Petrovic en préparant son repas. "Ici, personne ne me dérange", ajoute-t-il.

Il se nourrit essentiellement de champignons et poissons des rivières locales, mais il se rend parfois en ville, à pieds, à la recherche de nourriture jetée par les urbains.

Ces derniers temps, il y va un peu plus souvent, depuis que des loups lui ont tué plusieurs animaux qu'il gardait près de la caverne. Il a alors décidé d'abriter les "survivants" dans une cabane bâtie à la périphérie de la ville. Ainsi, plusieurs chèvres, des poules, une trentaine de chiens et chats et sa favorite, une femelle du sanglier qu'il a baptisée Mara, y ont trouvé refuge. Petrovic a découvert le marcassin il y a huit ans. Elle était toute petite, empêtrée dans un buisson. Il l'a nourrie au biberon. Aujourd'hui, cet animal impressionnant de quelque 200 kilos se roule dans les ruisseaux et mange des pommes des mains de Petrovic.

"Elle est tout pour moi, je l'aime et elle m'écoute. Il n'y a pas d'argent qui puisse acheter une telle chose", dit-il.

En dépit du choix de vivre en solitaire, Petrovic est tout sauf un misanthrope. Il est même considéré comme une légende locale.

Avant de s'isoler, il a fait don de son argent à la municipalité, ce qui a permis la construction de trois petits ponts en ville qui portent tous son nom.

"L'argent est maudit, il gâte les gens. Rien ne peut corrompre un être humain comme l'argent", dit-il à l'AFP.

Au sommet de l'un de ses ponts, Petrovic a mis en place un pigeonnier. En dépit de son âge avancé, il se hisse pour nourrir les oiseaux avec des bouts de pain ramassés dans les poubelles.


Пироћанац Панта Петровић већ неколико година живи као прави Одметник од цивилизације. Током лета живи у кућици на дрвету на 16 метара висине, а зими у пећини. Стално је окружен десетинама домаћих животиња, а како истиче, најдражи ”љубимац” му је права правцата дивља свиња тешка преко 200 килограма.

Pyrocan Panta Petrovic vit comme un véritable hors-la-loi de la civilisation depuis plusieurs années. En été, il vit dans une cabane dans les arbres de 16 mètres de haut et en hiver dans une grotte. Il est constamment entouré de dizaines d’animaux domestiques et, comme il le souligne, son « animal de compagnie » préféré est un véritable cochon sauvage pesant plus de 200 kg.

Troguble

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Message par Troguble Dim 5 Sep - 17:06

en complément dessous, Le candidat, Flaubert, 1873, présentations et extraits

ÉLECTIONS, PIÈGE HAMEÇON

LECTURE POUR TOUSSE 204980?t=UD4tJOIFK7-csaglJRvTCA
Les pêcheurs à la ligne, Georges Seurat, 1883

Patlotch a écrit:dans Le Monde diplomatique de septembre sous le titre Éloquente abstention, Alain Garrigou pose la question "Est-il si naturel d'aller voter ?" et rappelle en entrée qu'« on doit l'image des "pêcheurs à la ligne" à un contemporain des premières élections "universelles", Octave Mirbeau, qui enjoignait à ses lecteurs de jouer de l'hameçon plutôt que du bulletin de vote. » Une note situe l'image dans La grève de électeurs de 1888, elle est en fait dans Prélude de 1902, généralement publiés ensemble et bien connus des militants anarchistes

alors qu'en cette rentrée la presse nous assomme des déclarations des candidats ou aspirants-candidats à l'élection présidentielle, un souci de la plupart est de convaincre les récalcitrants à cette "Élection piège à cons", tel Jean-Luc Mélenchon, qui renversait fin août le mot d'ordre en « Abstention, piège à cons ! ». Il est vrai, comme l'ajoute Garrigou, que « les effectifs des abstentionnistes dépassent désormais ceux des pêcheurs, des chasseurs et même des ruraux. » La presse se fait l'écho de ces inquiétudes et du grand racolage des abstentionnistes

ci-dessous donc, ma modeste contribution à cette campagne
Octave Mirbeau a écrit:Eh bien! mon brave électeur, normand ou gascon, picard ou cévenol, basque ou breton, si tu avais une lueur de raison dans ta cervelle, si tu n’étais pas l’immortel abruti que tu es, le jour où les mendiants, les estropiés, les monstres électoraux viendront sur ton passage coutumier étaler leurs plaies et tendre leurs sébiles, au bout de leurs moignons dartreux, si tu n’étais pas l’indécrottable Souverain, sans sceptre, sans couronne, sans royaume, que tu as toujours été, ce jour-là, tu t’en irais tranquillement pêcher à la ligne, ou dormir sous les saules, ou trouver les filles derrière les meules, ou jouer aux boules, dans une sente lointaine, et tu les laisserais, tes hideux sujets, se battre entre eux, se dévorer, se tuer...
Prélude, 14 juillet 1902

La Grève des électeurs

Octave Mirbeau
Le Figaro, 28 novembre 1888


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Une chose m'étonne prodigieusement — j'oserai dire qu'elle me stupéfie — c'est qu'à l'heure scientifique où j'écris, après les innombrables expériences, après les scandales journaliers, il puisse exister encore dans notre chère France (comme ils disent à la Commission du budget) un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu'un ou de quelque chose. Quand on réfléchit un seul instant, ce surprenant phénomène n'est-il pas fait pour dérouter les philosophies les plus subtiles et confondre la raison ?

Où est-il le Balzac qui nous donnera la physiologie de l'électeur moderne ? et le Charcot qui nous expliquera l'anatomie et les mentalités de cet incurable dément ? Nous l'attendons.

    Je comprends qu'un escroc trouve toujours des actionnaires, la Censure des défenseurs, l'Opéra-Comique des dilettanti, le Constitutionnel des abonnés, M. Carnot des peintres qui célèbrent sa triomphale et rigide entrée dans une cité languedocienne ; je comprends M. Chantavoine s 'obstinant à chercher des rimes ; je comprends tout. Mais qu'un député, ou un sénateur, ou un président de République, ou n'importe lequel parmi tous les étranges farceurs qui réclament une fonction élective, quelle qu'elle soit, trouve un électeur, c'est-à-dire 1'être irrêvé, le martyr improbable, qui vous nourrit de son pain, vous vêt de sa laine, vous engraisse de sa chair, vous enrichit de son argent, avec la seule perspective de recevoir, en échange de ces prodigalités, des coups de trique sur la nuque, des coups de pied au derrière, quand ce n'est pas des coups de fusil dans la poitrine, en vérité, cela dépasse les notions déjà pas mal pessimistes que je m'étais faites jusqu'ici de la sottise humaine, en général, et de la sottise française en particulier, notre chère et immortelle sottise, ô chauvin !

    Il est bien entendu que je parle ici de l'électeur averti, convaincu, de l'électeur théoricien, de celui qui s'imagine, le pauvre diable, faire acte de citoyen libre, étaler sa souveraineté, exprimer ses opinions, imposer — ô folie admirable et déconcertante — des programmes politiques et des revendications sociales ; et non point de l'électeur « qui la connaît » et qui s'en moque, de celui qui ne voit dans « les résultats de sa toute-puissance » qu'une rigolade à la charcuterie monarchiste, ou une ribote au vin républicain. Sa souveraineté à celui-là, c'est de se pocharder aux frais du suffrage universel. Il est dans le vrai, car cela seul lui importe, et il n'a cure du reste. Il sait ce qu'il fait. Mais les autres ?

    Ah ! oui, les autres ! Les sérieux, les austères, les peuple souverain, ceux-là qui sentent une ivresse les gagner lorsqu'ils se regardent et se disent : « Je suis électeur ! Rien ne se fait que par moi. Je suis la base de la société moderne. Par ma volonté, Floque fait des lois auxquelles sont astreints trente-six millions d'hommes, et Baudry d'Asson aussi, et Pierre Alype également. » Comment y en a-t-il encore de cet acabit ? Comment, si entêtés, si orgueilleux, si paradoxaux qu'ils soient, n'ont-ils pas été, depuis longtemps, découragés et honteux de leur œuvre ? Comment peut-il arriver qu'il se rencontre quelque part, même dans le fond des landes perdues de la Bretagne, même dans les inaccessibles cavernes des Cévennes et des Pyrénées, un bonhomme assez stupide, assez déraisonnable, assez aveugle à ce qui se voit, assez sourd à ce qui se dit, pour voter bleu, blanc ou rouge, sans que rien l'y oblige, sans qu'on le paye ou sans qu'on le soûle ?

    À quel sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d'une volonté, à ce qu'on prétend, et qui s'en va, fier de son droit, assuré qu'il accomplit un devoir, déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque bulletin, peu importe le nom qu'il ait écrit dessus ?... Qu'est-ce qu'il doit bien se dire, en dedans de soi, qui justifie ou seulement qui explique cet acte extravagant ?

    Qu'est-ce qu'il espère ? Car enfin, pour consentir à se donner des maîtres avides qui le grugent et qui l'assomment, il faut qu'il se dise et qu'il espère quelque chose d'extraordinaire que nous ne soupçonnons pas. Il faut que, par de puissantes déviations cérébrales, les idées de député correspondent en lui à des idées de science, de justice, de dévouement, de travail et de probité ; il faut que dans les noms seuls de Barbe et de Baihaut, non moins que dans ceux de Rouvier et de Wilson, il découvre une magie spéciale et qu'il voie, au travers d'un mirage, fleurir et s'épanouir dans Vergoin et dans Hubbard, des promesses de bonheur futur et de soulagement immédiat. Et c'est cela qui est véritablement effrayant. Rien ne lui sert de leçon, ni les comédies les plus burlesques, ni les plus sinistres tragédies.

    Voilà pourtant de longs siècles que le monde dure, que les sociétés se déroulent et se succèdent, pareilles les unes aux autres, qu'un fait unique domine toutes les histoires : la protection aux grands, l'écrasement aux petits. Il ne peut arriver à comprendre qu'il n'a qu'une raison d'être historique, c'est de payer pour un tas de choses dont il ne jouira jamais, et de mourir pour des combinaisons politiques qui ne le regardent point.

    Que lui importe que ce soit Pierre ou Jean qui lui demande son argent et qui lui prenne la vie, puisqu'il est obligé de se dépouiller de l'un, et de donner l'autre ? Eh bien ! non. Entre ses voleurs et ses bourreaux, il a des préférences, et il vote pour les plus rapaces et les plus féroces. Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons vont à l'abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n'espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l'électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit.  

       Ô bon électeur, inexprimable imbécile, pauvre hère, si, au lieu de te laisser prendre aux rengaines absurdes que te débitent chaque matin, pour un sou, les journaux grands ou petits, bleus ou noirs, blancs ou rouges, et qui sont payés pour avoir ta peau ; si, au lieu de croire aux chimériques flatteries dont on caresse ta vanité, dont on entoure ta lamentable souveraineté en guenilles, si, au lieu de t'arrêter, éternel badaud, devant les lourdes duperies des programmes ; si tu lisais parfois, au coin du feu, Schopenhauer et Max Nordau, deux philosophes qui en savent long sur tes maîtres et sur toi, peut-être apprendrais-tu des choses étonnantes et utiles. Peut-être aussi, après les avoir lus, serais-tu moins empressé à revêtir ton air grave et ta belle redingote, à courir ensuite vers les urnes homicides où, quelque nom que tu mettes, tu mets d'avance le nom de ton plus mortel ennemi. Ils te diraient, en connaisseurs d'humanité, que la politique est un abominable mensonge, que tout y est à l'envers du bon sens, de la justice et du droit, et que tu n'as rien à y voir, toi dont le compte est réglé au grand livre des destinées humaines.

    Rêve après cela, si tu veux, des paradis de lumières et de parfums, des fraternités impossibles, des bonheurs irréels. C'est bon de rêver, et cela calme la souffrance. Mais ne mêle jamais l'homme à ton rêve, car là où est l'homme, là est la douleur, la haine et le meurtre. Surtout, souviens-toi que l'homme qui sollicite tes suffrages est, de ce fait, un malhonnête homme, parce qu'en échange de la situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu'il ne te donnera pas et qu'il n'est pas d'ailleurs, en son pouvoir de te donner. L'homme que tu élèves ne représente ni ta misère, ni tes aspirations, ni rien de toi ; il ne représente que ses propres passions et ses propres intérêts, lesquels sont contraires aux tiens. Pour te réconforter et ranimer des espérances qui seraient vite déçues, ne va pas t'imaginer que le spectacle navrant auquel tu assistes aujourd'hui est particulier à une époque ou à un régime, et que cela passera. Toutes les époques se valent, et aussi tous les régimes, c'est-à-dire qu'ils ne valent rien. Donc, rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du suffrage universel. Tu n'as rien à y perdre, je t'en réponds ; et cela pourra t'amuser quelque temps. Sur le seuil de ta porte, fermée aux quémandeurs d'aumônes politiques, tu regarderas défiler la bagarre, en fumant silencieusement ta pipe.

    Et s'il existe, en un endroit ignoré, un honnête homme capable de te gouverner et de t'aimer, ne le regrette pas. Il serait trop jaloux de sa dignité pour se mêler à la lutte fangeuse des partis, trop fier pour tenir de toi un mandat que tu n'accordes jamais qu'à l'audace cynique, à l'insulte et au mensonge.

    Je te l'ai dit, bonhomme, rentre chez toi et fais la grève.

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texte intégral, Centre Flaubert

Flaubert a écrit:Rousselin : - Il aura le temps ! on a encore cinq minutes ! Dans cinq minutes le scrutin ferme, et alors ? Je ne rêve donc pas ! C'est bien vrai ! je pourrais le devenir ! Oh ! circuler dans les bureaux, se dire membre d'une commission, être choisi quelquefois comme rapporteur, ne parler toujours que budget, amendements, sous-amendements, et participer à un tas de choses d'une conséquence infinie ! Et chaque matin,je verrai mon nom imprimé dans tous les journaux, même dans ceux dont je ne connais pas la langue !Le jeu ! la chasse ! les femmes ! est-ce qu'on aime quelque chose comme ça ? Mais pour l'obtenir, je donnerais ma fortune, mon sang, tout ! Oui ! j'ai bien donné ma fille ! ma pauvre fille ! (Il pleure.) J'ai des remords maintenant; car je ne saurai jamais si Bouvigny a tenu parole. [...] C'est fait ! On dépouille le scrutin; ce sera vite fini ! À quoi vais-je m'occuper pendant ce temps-là ? Quelques intimes, quand ce ne serait que Murel qui est si actif, devraient être ici pour m'apprendre les premiers bulletins ! Oh ! les hommes ! dévouez-vous donc pour eux ! Si le pays ne me nomme pas Eh bien, tant pis ! qu'il en trouve d'autres ! J'aurais fait mon devoir ! (Il trépigne.) Mais arrivez donc ! arrivez donc ! Ils sont tous contre moi, les misérables ! C'est à en mourir ! Ma tête se prend, je n'y tiens plus ! J'ai envie de casser mes meubles !
À 53 ans, en pleine gloire littéraire, Gustave Flaubert écrit Le Candidat. Dans cette « grande comédie politique », une fureur acerbe résonne contre les mondanités, la corruption et l’arrivisme. Rousselin, héros candidat en province, pris du «vertige de la députation,» ne recule devant aucun sacrifice pour gagner l’élection, plus préoccupé par le titre que par la fonction. Il est tantôt conservateur, tantôt socialiste, puis se prétend libéral. il offre femme et fille au mieux votant, travaille la phrase choc et recherche le geste «sincère» de celui qui a raison. Cette satire politique, qui vise tous les partis, offre un éclairage cinglant sur les hommes politiques d’hier et d’aujourd’hui. Le Candidat est bien le Dictionnaire des idées reçues en politique.
L’écriture à la fois potache, rigolarde, teigneuse, violemment «anar» est dédaigneuse de toute politique politicienne, de la bêtise et de l’aspiration électoraliste de tous bords : «Élu-foutu,» disait Flaubert. La préface d’Yvan Leclerc revient sur la passion qu’entretenait l’auteur pour le théâtre, sur la genèse de l’œuvre et sur l’étonnante modernité de ce pamphlet dirigé contre la rhétorique politique.
"Cette farce où nos quémandeurs tentent d’attraper la gloire au moyen de la tricherie est d’une actualité brûlante."
François Busnel – L’Express

Le candidat Rousselin est prêt à tout pour devenir député. Même à changer plusieurs fois d’étiquettes politiques et de partisans. Même à se laisser duper par les électeurs madrés de sa province. Même à promettre tout ce qu’on voudra. Même à intriguer pour ou contre les intrigants, c’est selon. Même à vendre sa fille et à tolérer l’inconduite de sa femme…

Cette pièce, écrite en 1873 et jouée à Paris en 1874 seulement durant quatre jours, dépasse le simple cadre d’une pochade ironique et circonscrite à un champ d’action qui serait l’élection d’un député du XIXe siècle, pour toucher à l’universelle condition de l’exercice de la politique. Cette « grande comédie politique » selon Flaubert est une parenthèse dans la rédaction de Bouvard et Pécuchet, débuté fin 1872, auquel il revient vite, le théâtre ne lui ayant apporté que peu de satisfaction et ne lui permettant pas de développer ses personnages, comme dans ses romans.
Dans la grande tradition des pièces du boulevard, il y a bien sur ici le mélange de scènes cocasses et mordantes, mais aussi une vision vertigineuse de la conquête du pouvoir, fût-il circonscrit à une députation. Flaubert a fréquenté des politiciens et connaît tous les détails d’un quotidien en usage dans la profession en pleine campagne électorale : poignées de main, promesses diverses, programme géré à vue, flatteries en tout genre, …
Rousselin est prêt à tout pour séduire ses électeurs, comme de promettre à tout va des achats de terrain, des emplois, des passe-droits, tout peut être objet de marchandage, y compris sa femme et sa fille.
Cette pièce de théâtre reste d’une permanente actualité, tant la persistance de ces actes, ambition et démagogie populiste ont existé et existent encore, dans toutes les sphères du pouvoir : le pouvoir corrompt, disait un président de la république récent, le pouvoir totalitaire corrompt absolument !
Non, les mœurs politiques douteuses qui avaient cours à cette époque n’ont pas disparu, au contraire ! Il faut lire ce livre comme une immersion dans la politique quotidienne en action, un documentaire qui échappe à son contexte historique, par un ethnologue attentif à l’universalité des travers de nombreux politiciens en campagne.
Flaubert a écrit:Ma prédiction s'est réalisée ; mon ami Renan n'a gagné à sa candidature que du ridicule. C'est bien fait. Quand un homme de style s'abaisse à l'action, il déchoit et doit être puni. Et puis, est-ce qu'il s'agit de politique, maintenant ? Les citoyens qui s'échauffent pour ou contre l'Empire ou la République me semblent aussi utiles que ceux qui discutaient sur la grâce efficace ou la grâce efficiente. La politique est morte, comme la théologie ! Elle a eu trois cents ans d'existence, c'est bien assez.
Lettre à George Sand, fin juin 1869

Troguble

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