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CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Empty CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non

Message par Invité Mar 25 Mai - 7:31

du 27 avril 2021
« N'a de convictions que celui qui n'a rien approfondi. »
Cioran, De l'inconvénient d'être né, 1973
texte dessous

POUR ALLER PLUS LOIN
et plus profondément
(que la critique du concept de révolution)

faire la critique des idéologies utopistes
pour bien faire, si je poursuivais le fil de mes considérations théoriques, il me faudrait les résumer dans un cadre plus large, la critique des idéologies utopistes, religions comprises qui en sont la matrice de compréhension, comme l'avait bien vu Marx. Ce n'est en effet que dans une reconstruction critique débordant sa genèse dans la critique de la théorie de la communisation, que celle du concept de révolution peut se comprendre pour ce à quoi elle aboutit, la prise de conscience de l'utopisme idéaliste qui explique en profondeur la croyance en la révolution comme la solution, non seulement pour sortir du capitalisme, mais pour avancer vers la fin heureuse de la Communauté humaine (Gemeinwesen qu'on retrouve chez Camatte, sans la révolution), pour le dire simplement le "communisme réalisé"

je dirais aujourd'hui que la nécessaire fin du capitalisme, quelle qu'en soit la cause et la forme, masque chez les partisans de la révolution communiste l'essentiel de ce qu'il s'agirait alors d'entreprendre pour avancer vers ladite Communauté humaine. Je ne peux m'empêcher de trouver aujourd'hui les théoriciens du communisme excessivement optimistes, naïfs et superficiels voire simplistes, car peu portés à prendre en compte « l'importance des phénomènes psychiques qui déterminent toute l'activité humaine... » (Camatte, texte cité). Pour les plus jeunes je le mets au compte de leur inexpérience de révolutionneurs à courte vue, et quant aux plus âgés qui persistent et signent, je les laisse trouver en eux-mêmes leurs raisons profondes


Shocked

je n'ai pas l'intention, car ni le temps ni l'envie, d'entreprendre ce travail gigantesque. J'ai laissé ici ou là quelques pistes en me référant aux désaccords entre Ernst Bloch et Günther Anders, à qui il conviendrait d'adjoindre un troisième penseur, Hans Jonas, et sa critique par Arno Münster 

L'éthique de Hans Jonas contre l'utopie (marxiste)
Charles Boyer, Le Philosophoire 2014/2 (n° 42), pages 197 à 213

ce texte, aborde, dans L’éthique de la responsabilité et la critique de l’utopie marxiste, la controverse entre Bloch et Anders.

Dès le début du chapitre vi., Jonas qualifie l’utopie marxiste d’« eschatologie sécularisée » et ce pour deux raisons : d’une part car on ne sait pas ce que sera ce « royaume de la liberté » (comme on ne sait ce qu’est le paradis), et, d’autre part, car « la foi règne seule dans ce qui est totalement inconnu » et qu’en particulier il faudrait vérifier « que l’homme « authentique » n’a pas encore été manifesté jusqu’à l’heure actuelle ». Or, « l’authenticité » relève plus du vocabulaire de Heidegger que de celui de Marx ! Quoi qu’il en soit, il aborde surtout « la critique de l’idéal utopique en lui-même »

Charles Boyer évoque aussi la critique de Jonas par Arno Münster dans

CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non 9782356870957-475x500-1
2010

Si Hans Jonas occupe une place si importante dans la pensée du XXIe siècle, c'est parce que sa réflexion écologique et éthique porte sur des points sensibles de l'évolution de notre civilisation technologique. Fondé sur une " heuristique de la peur ", à savoir l'anticipation de la menace que comporte le développement des technologies de pointe pour la survie même de l'humanité, le "tractatus technologico-ethicus" que Jonas propose dans Le Principe responsabilité (1979), a pour objectif de construire une éthique nouvelle adaptée aux problèmes réels de notre époque ; une éthique non seulement de la sagacité, mais aussi de la responsabilité et du respect du prochain, d'une éthique défiant la résignation positiviste de la philosophie contemporaine. Le succès qu'à connu ce livre et l'accueil plutôt positif qui lui avait été réservé, notamment dans les milieux écologistes, ne devrait pas cependant dissimuler le fait que la confrontation systématique que cherche ici Jonas avec l'idéal utopique, la pensée utopique en général, et avec le marxisme en particulier, qui aurait "élevé l'utopie au rang d'un but explicite", ne fait pas unanimité. C'est pourquoi la lecture critique du Principe Responsabilité que propose ce livre a pour but de questionner les jugements critiques et parfois excessifs formulés par Jonas à l'encontre d'Ernst Bloch, le philosophe (marxiste) de l'espérance et de l'utopie concrète. En prolongeant ces réflexions vers l'œuvre encore mal connue en France de Günther Anders, mais aussi vers Hannah Arendt, Theodor W. Adorno ou André Gorz, le livre veut reposer la question du lien entre critique de la civilisation technologique, marxisme et utopie.

si je vois bien dans tout ça un problème éthique, ce n'est pas celle de la responsabilité qui me vient à l'esprit, et sur le plan de la théorie ce serait une éthique de la vérité

il va sans dire, mais mieux en le disant, que j'ai tourné la page de la critique de tous ceux qui réhabilitent le Marx utopiste contre les utopistes mêmes, les partisans du Pari marxo-pascalien, dont les trotskistes Daniel Bensaïd et Henri Maler (Convoiter l'impossible, voir Marx et l’utopie. Réponses à Daniel Bensaïd, 1995), plus récemment Christian Laval : Repenser la révolution : utopie, imagination, pratique pour assurer la vente de son bouquin avec Pierre Dardot : Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, 2014. Il se réfère à Maler « qui parle chez Marx d’une "critique utopique de l’utopie" »

quant à Léon de Mattis, qui vient de sortir Utopie 2021, il demeure ce qu'il n'a pas cessé d'être : un politicard

sans me lancer dans cette nouvelle aventure de penser, je poserai ici ou là de quoi l'alimenter

N’a de conviction que celui qui n’a rien approfondi. Cioran
Il y a quelque chose d’effrayant dans l’étymologie même du mot conviction, convaincu. Les hommes fiers de leurs convictions s’enorgueillissent de leurs propres prisons. Être convaincu, c’est se laisser guider par des opinions, suivre le chemin qu’elles nous indiquent ; notre jugement se fait confiant, crédule, passif. Rien de plus dangereux qu’un homme ne doutant de rien, car c’est dans ces têtes présomptueuses que siègent l’idéal essayant de se faire acte, adaptant la réalité à son idéal plutôt que soumettant ses idées à la réalité. Cette volonté de conformer le monde à ses idées explique pourquoi l’homme convaincu n’approfondit pas ses sujets : approfondir, c’est se détourner un moment de son idée pour la mettre en rapport avec les autres, ce qui est le propre de l’intelligence, et, par là, l’idée se fait moins entraînante, moins influente ; creuser une idée, c’est voir ses limites, c’est refuser de l’adorer pour elle-même, c’est prendre de la distance pour mieux évaluer, discerner, et créer des articulations. La conviction n’a pas d’articulation.

Le piège du fanatisme et la méfiance à l’égard des convictions est souvent assez bien compris, du moins en théorie. Mais on ne comprend pas encore le problème de la conviction si l’on oublie dans le raisonnement le fait que, dans de nombreuses situations, l’homme se doit d’être convaincu pour agir. Il faut le dire aussi : il vaut parfois mieux agir aveuglément que croupir dans l’inaction et l’indifférence ; un sot qui agit n’est pas forcément plus malsain qu’un intelligent qui stagne dans sa prétentieuse torpeur. Sceptiques, méfiez-vous ! Certains parmi-vous le sont par conviction ; ce sont ceux qui le sont par faiblesse et lâcheté, ce sont ceux qui se complaisent dans une indifférence molle et sans exigence ; ils sont satisfaits lorsqu’ils voient qu’ils ne font à peu près rien de mal, et ne demandent rien de plus ; leur doute n’est qu’un moyen artificiel pour légitimer leur léthargie naturelle. Au contraire, le sceptique fort, s’il se plaît à briser certitudes et convictions, sait qu’il doit lui aussi, pour faire son métier d’homme, faire parfois confiance aux idées, conscient que l’homme sans action n’est qu’un hideux et mauvais légume ; il n’hésite pas à agir lorsque les circonstances l’appellent à le faire, comme Socrate allant courageusement à la guerre ou Montaigne remplissant dignement ses fonctions de maire de Bordeaux ; sa méfiance ne l’envahit pas au point d’entraver son être ; et son doute à lui est un moteur, un excitant, qui n’est valable que dans la mesure où il lui permet d’agir plus prudemment et plus judicieusement mais non moins fortement. Douter, pour mieux agir ; approfondir les idées pour n’être pas servilement subordonnées à elles, tout en y restant amoureusement attaché ; écarter les convictions dans sa chambre, mais ne pas hésiter à utiliser leur force indispensable en société – tel est le chemin digne d’être suivi.


Dernière édition par Florage le Jeu 27 Mai - 3:07, édité 7 fois

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CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Empty Re: CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non

Message par Invité Mar 25 Mai - 7:50

dans ce dossier, pour les vastes références de l'article, dont celles aux auteurs précédemment évoqués

critique littéraire et théoricien marxiste influencé par Raymond Williams, critique du structuralisme et de la post-modernité,  Fredric Jameson reste dans cet ouvrage le cul entre deux chaises
Fredric Jameson, Archéologies du futur Le désir nommé utopie
Tanguy Wuillème, Open Edition, 2008
Trad. de l’américain par Nicola Vieillescazes et Fabien Ollier, 2007


CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non 41DWhAM+FzL
Quel type d'humanité conviendrait à une société radicalement différente des nôtres ? Nous faut-il inventer un nouveau concept d'homme ? Mais qui croit encore à l'utopie ? discréditée par le naufrage 'totalitaire', méprisée par la gauche comme par la droite, éclipsée par les politiques 'pragramatiques', c'est -à-dire néo-libérales, et oubliée par un mouvement altermondialiste qui, dans l'ensemble, se satisferait d'un aménagement plus juste et plus égalitaire du système capitaliste mondialisé, l'utopie semble bel et bien morte. Frederic Jameson ne sous propose nullement une utopie supplémentaire. Cet ouvrage nous invite au contraire à reconsidérer l'utopie en tant que pensée (et pratique) de la Différence radicale. Différence spatiale, d'une part - dès le geste inaugural de Thomas More, l'utopie se voit définir comme un monde séparé obéissant à ses lois propres. Différence temporelle, d'autre part - la mise en place d'une société utopique constituant la négation de l'histoire humaine. Jameson ose chercher du côté de la science-fiction les indices d'une pensée de l'Altérité radicale : Philip K. Dick, H. G. Wells, Ursula Le Guin ou William Gibson sont entre autre convoqués.
1
L’utopie a tout d’une formule incantatoire. Pourtant elle semble imprononçable pour ceux qui, de gauche comme de droite, l’assimilent à la dérive totalitaire. Un champ de forces divise en France les intellectuels à son sujet : de François Furet à Marcel Gauchet, on désespère de sa survivance ; de Daniel Bensaïd à Miguel Abensour on tente d’en retrouver l’énergie. L’ouvrage de Fredric Jameson cherche lui à comprendre le désir utopique dans notre actualité, celle de la consolidation du capitalisme tardif. Simultanément, il critique les faibles vents qui prétendent gonfler les fausses voiles de l’utopie et renouvelle une approche des conditions de possibilité et viabilité du genre et de l’élan utopique.

2
Il y a toujours un danger à lire ou à devenir un auteur utopiste : ils sont des inventeurs maniaques, des fous, quelquefois des furieux, doués d’un fort penchant pour les constructions systémiques, pour des plans, des organisations de toutes sortes, des je-sais-tout qui peuvent être des n’importe qui. Il faut dès lors s’intéresser à leur atelier d’amateurs, aux matériaux qu’ils arrangent. Fredric Jameson reste empiriste, c’est son leitmotiv : on ne fabrique qu’avec ce que l’on a à sa disposition. Les productions les plus folles de notre imagination sont toutes des collages d’expérience, l’utopie n’est jamais assez autonome à l’égard de la réalité. Entrer en contact avec le radicalement « Autre », n’est en fait que se regarder dans un miroir, non pas déformant mais idéalisant. En cela, il reste marxiste, une position selon laquelle l’histoire humaine ne confronte ses acteurs qu’à des problèmes qu’ils peuvent déjà résoudre.

3
C’est pourquoi il y a une histoire de l’utopie, elle ne naît et disparaît pas au hasard. Son inflation est aussi passionnante que ses intermittences. L’utopie naît avec la modernité, avec le texte inaugural de Thomas More (1517), est contemporaine de la conquête du Nouveau Monde, de la pensée machiavélienne, des Réformes, de l’imprimerie. Il y a conjonction de nombreux facteurs qui expliquent à chaque moment historique l’utopie apparaissante. Mais Fredric Jameson a la conviction que toutes les utopies sont autoréférentielles : qu’elles se nourrissent entre elles, germent à partir d’un même point de départ. L’utopie est un genre intertextuel, une sorte d’hyperorganisme où le dialogue à travers les siècles est permanent. Les oppositions également. Les contenus ne sont jamais les mêmes. Pire, la forme utopique consiste précisément à intérioriser des contraires, à dénoncer ce qui pêche chez les prédécesseurs, à rendre lisible la dispute qui caractérise ce type d’écriture. Puisque l’utopie est une méditation qui représente l’altérité radicale et l’aspect systémique de la totalité sociale, elle ne peut que présenter une dispute entre le même et l’autre, entre la répétition et la différence. Tout contenu utopique est par conséquent idéologique, la fonction de ses thèmes est de démystifier ses opposés.

4
Est à l’œuvre à chaque fois une négativité critique. Alors que le discours du progrès est positif (tout comme l’étaient, avant son apparition au XVIIIe siècle, l’idylle ou la pastorale), qu’il oublie facilement le passé et la tradition, qu’il colonise l’inconnu du futur par une sorte d’assurance, de planification, d’investissement rentable, ou de confort bourgeois (on établit, comme chez les libéraux, de Locke à Rawls, les critères positifs de la société désirable), la vocation utopique se repère, elle, par une recherche constance d’une solution unique à tous nos maux. Le remède est négatif face aux misères et aux injustices, l’utopie comporte toujours une scène où se laisse voir le mal dont on veut éliminer les causes, démolir, abolir bien avant que de reconstruire. On peut alors produire un inventaire des propositions les plus influentes à commencer par celle de Thomas More : l’abolition de l’argent et de la propriété. Fredric Jameson montre comment cette utopie avait un sens à son époque, qu’elle se nourrissait en outre d’un retour à des modes de production précapitalistes. Elle peut-être réactivée mais différemment dans les conditions de l’époque actuelle, de même pour les rêves fouriéristes, morrissiens. On peut en retrouver l’énergie et le merveilleux qui permettent de penser les limites de la condition historique. C’est que nous sommes devenus des post-modernes, et le capitalisme tardif, le règne du désir d’enrichissement, la passion d’acquérir à outrance, la constance du processus industriel et commercial né au tournant 1800 règnent sur nos existences. Dorénavant, les utopies les plus inspirantes seraient à trouver du côté de la science-fiction (sf), textes et films. Une étude du genre est essentielle pour comprendre ce qu’elle représente, pour ce que la sf dit de notre situation présente et en devenir, sur les fantasmes qui sont à l’œuvre.

5
Dans cet ouvrage, le postmodernisme semble se référer essentiellement à la thèse de la différenciation fonctionnelle des sociétés, et sa saturation actuelle telle que l’a décrite le sociologue Niklas Luhmann (Soziale Systeme, Francfort Suhrkamp, 1984). Les différents secteurs de la société se sont déconnectés les uns des autres, systémisés, ils sont clos sur eux-mêmes et n’entretiennent que peu de communication entre eux. Ceci ruine l’idée de totalité sociale, d’unité possible, et tous ses systèmes sociaux rendraient impossible une prise du tout sur lui-même, une réflexivité autre que parcellaire. La complexité serait totale et toute idée de révolution politique serait également devenue impossible. L’utopie serait donc une réponse à cette différenciation exponentielle : elle constituerait une « enclave imaginaire », à rebours, renversant le courant et promouvant une zone de totalité sociale.

6
Ce mot d’enclave est essentiel. Il désigne une différenciation spatiale et temporelle qui émerge à des moments de transition et qui se sépare de la politique pratique. Fredric Jameson pointe l’idée de la Cour sous l’ancien Régime, puis ces ébauches nombreuses chez les Lumières de constitutions nouvelles, des idées d’administration chez les saint-simoniens, ce sont des corps étrangers, d’étrangéisation de la société en place, où l’on arrête le processus de différenciation. Mais elles ne tiennent pas longtemps et sont vite absorbées par le processus social. À la fin de son ouvrage, il propose les îles, tout inspiré qu’il est par La Méditerranée (Paris, Champs Flammarion, 1983) de Fernand Braudel. À ce propos, on lui conseillerait de regarder du côté de Jean Grenier (Les îles, Paris, Gallimard, 1959) pour ouvrir davantage sa réflexion, car il reconnaît lui-même que les enclaves utopiques ont un aspect fermé. Il en désigne quatre : la clôture, le récit, l’exclusion ou l’inversion qui donnent une représentation, un formalisme de l’utopie. La clôture est toujours présente, qu’elle soit de l’ordre de la tribu, de la cité, du village, de l’entité insulaire, du nationalisme, du socialisme dans un seul pays, de l’européanisme, de l’écologie de la planète ou d’autres astres à découvrir. On aura au XIXe siècle l’enclave de la subjectivité, psychique, puis corporelle, celle du genre, de la robotique appliquée à l’homme. Elle sera suivie de l’investissement urbanistique et architectural, jusqu’au cyberspace, aux rêves de cités spatiales. Et ce qui la récite en marque les frontières à explorer ou à défendre. Le récit de la clôture n’est pas que réducteur, il est là pour injecter du désir, nommer un champ perceptuel, en faire naître une passion. De plus, l’idée de la clôture utopique va de pair avec un processus de sécession, d’exclusion en rapport avec une société donnée : elle constitue un échappatoire.

7
Dans le dernier chapitre de son livre, Fredric Jameson semble se distancer de cette idée d’enclave qui semble inadaptée au postmodernisme pour mieux y revenir : ni retour au local, ou à des communautés autonomes (unifiée dans un hypothétique altermondialisme), ni éloge du nomadisme international (défendu par immunisés). Dans tous ces cas de figure, elles alimentent les anti-utopies mises en place depuis le thatchérisme et le reaganisme. Il pense plutôt, en suivant Robert Nozick (Anarchie, État et utopie, Paris, Presses universitaires de France, 2003), l’idée de pluralité des utopies, se disputant les unes avec les autres (ce qui élimine n’importe quel rêve communicationnel ou technologique d’entente ou de consensus) et voit deux mécanismes censés les soutenir : le droit de migration, de changer d’utopies si elles ne nous plaisent pas et s’inspirant de Yona Friedman (Utopies réalisables, Paris, Union générale d’éditions, 1976), celui de priver l’État de l’impôt Il est difficile de savoir si l’auteur fait vraiment siennes ces thèses anticapitalistes puisqu’il propose à leur suite une autre voie : les enclaves, assumant leurs différences dans une sorte de fédéralisme new look Le modèle pourrait être celui de l’ex-Yougoslavie qui, selon lui, a succombé du fait de l’intervention de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (fmi), non de raison interne. Mais il faudrait un fédéralisme énergique, suscitant un investissement passionné, comme a pu le faire le nationalisme en son temps et dans son ordre. Or comment recréer ce type d’investissement libidinal ?

8
Pour répondre à cette question, Fredric Jameson dépasse une approche de l’utopie comme genre ou genèse pour rôder de nouveau autour du travail d’Ernst Bloch (Le Principe espérance, trad. de l’allemand par Françoise Wuilmart Paris, Gallimard, 1975). Nous ne soulignerons jamais assez l’intelligence de l’esprit d’utopie et du principe espérance (voir, entre autres travaux, ceux d’Arno Munster, Figures de l’utopie dans la pensée d’Ernst Bloch, Paris, Aubier 1985 ; et de Pierre Bouretz, Témoins du futur, Paris, Gallimard, 2003). L’utopie dépasse la somme des textes individuels qui la constituent, elle se situe partout, dans les détails, est protéiforme et nécessite une herméneutique de l’attente (et non une pratique réelle révolutionnaire ou autre praxis). Plus qu’il ne le dit, l’auteur produit également un montage des désirs qui sont à l’œuvre et comme Ernst Bloch, n’hésite pas à puiser dans l’accessoire ou le vulgaire (si tant est que la sf en soit). Il existe une différence notable entre eux : Ernst Bloch restait kantien (même hétérodoxe), visait des idéalités et ne pensait pas avec Marx que l’humanité ne s’attachait qu’aux questions qu’elle peut résoudre.

9
L’auteur s’attache donc à creuser une psychologie de la production utopique et fait la part belle à ce qu’il appelle le fantasme utopique : l’accomplissement de souhait historique et collectif qui, selon Ernst Bloch, se trouvait disséminé dans la vie quotidienne. Pour comprendre la structure et le contenu de ces souhaits, le détour par la sf devient particulièrement pertinent. L’inconvénient reste la méconnaissance pour un lecteur non initié des œuvres citées de la sf, principalement anglo-saxonnes ou russes qui ne sont pas toujours résumées (Le Guin, Strouganov, Dick..). Malgré ceci, Fredric Jameson confronte deux notions issues de Samuel T. Coleridge (La ballade du vieux marin, Paris, Poésie Gallimard, 2007) : l’imagination et la fantaisie. La première crée dans le vide, la seconde tire du passé son matériau. Et leur dualisme reste porteur Fredric Jameson sépare également la « fantasy » comme genre, de la sf. La première, dont le succès est indéniable (Tolkien, Harry Potter) puise dans l’imaginaire médiéval, est manichéenne (opposition du Bien et du Mal) et fait appel à la magie ou à la Nature ; la seconde comporte une rationalité scientifique et une rigueur toute technologique. Au fond, la sf explore les contraintes posées par l’Histoire, la fantaisie célèbre le pouvoir créateur de l’homme, non pas un pouvoir uniquement magique mais progressivement politique, se confrontant à l’Histoire.

10
Sa préférence va à la « fantasy », moins rigide, elle forme des intrigues, s’adapte mieux aux avancées de la science moderne (notamment la biologie et le post-humain) se joue dans les détails, et seule peut s’opposer comme critique au capitalisme. On peut regretter que Fredric Jameson ne trace pas l’historique de cette « fantasy » utopique, allant de William Morris à des auteurs contemporains quasi inconnus du profane. Elle s’épanouit dans la tentative d’imaginer une vie quotidienne différente, sans compétition, ni souci, ni travail aliéné, sans jalousie des autres et de leurs privilèges. Elle pense la taxe Tobin, la société de loterie (Barbara Goodwin), une philanthropie universelle, d’autres possibilités du corps humain. Toutefois est souhaitable une confrontation entre les deux : la sf donne à voir le principe de réalité et la « fantasy » celui de plaisir L’utopie serait une synthèse opératoire des deux, ne se rendant pas la tâche trop facile en peignant les obstacles du réel (possibilité de l’échec) et tente de surmonter tout pessimisme, tout désenchantement pourtant avérés, par un accomplissement de souhait.

11Fredric Jameson voit aujourd’hui le conflit Imagination/Fantaisie à l’œuvre dans la gauche, opposant le marxisme (défense de l’organisation, du parti, du grand projet collectif) à l’anarchisme (libertés du quotidien, vie par-delà les pouvoirs et de toute dépendance). La Fantaisie est du côté de Charles Fourier, de Gilles Deleuze, de René Schérer, elle se situe dans le temps présent de la révolte perpétuelle ; l’Imagination pense au Grand Soir, au mythe sorélien de la grève générale, l’une a l’intrigue pour elle, l’autre a du style. Sans doute s’agit-il de ne pas les réconcilier, mais de réinventer des tensions entre elles.

12
Si le capitalisme tardif a déjà hypothéqué le passé, il en fait autant du futur qu’il aseptise par le progrès et l’innovation technologique. À ce futur de la mondialisation, où tout se prête au statut de marchandise et de profits, où tout semble prédit, l’utopie peut offrir un effet perturbateur du présent, en pensant de nouvelles abolitions, dont la plus radicale serait celle de l’argent : construire des enclaves sans argent (dépassant l’idée même de gratuité) mettrait en lumière de nouvelles relations sociales, apporterait la révélation non pas d’une émancipation individuelle mais d’une solidarité collective. Il s’agit de trouver des substituts aux opérations monétaires, d’autres échanges, d’autres calculs de valeur, d’échapper à la pathétique parade médiatique des riches. L’utopie est la seule forme donnant à comprendre la perturbation et à empêcher l’installation d’une mélancolie capitulant devant une prétendue absence d’alternatives. L’utopie pourrait se révéler comme un bon moyen de conjurer non pas l’Histoire mais la mauvaise Histoire.

13
Il y a chez Fredric Jameson une volonté de ne pas abdiquer, d’éviter la tentation cynique, la posture d’ironie et d’accepter de conjuguer des idées d’une perturbation quotidienne à celle d’une rupture à venir. Il a aussi le mérite, rejoignant sans le savoir Emmanuel Lévinas, de penser l’utopie par une critique interne de l’utopie, en laissant s’exprimer les griefs à son encontre. Mais il ne nous dit pas encore assez ce que vise l’utopie, le surplus, l’excès qui lui est propre. Son souci historiciste empêche de caractériser les idéaux qui fait que l’utopie est aussi un discours qui échappe à la localisation et à l’Histoire et qui se charge d’une anticipation et d’une espérance : autrui pour Emmanuel Lévinas, le « comme si » de Kant la région du devoir-être, la loi morale en moi et le ciel étoilé au dessus de moi. On pourrait ajouter la paix universelle, la fin de la nécessité. On retiendra cependant sa proposition d’abolir l’argent, encore faudrait-il tracer l’horizon qu’ouvrirait une telle possibilité, bref une image du bonheur. On sent bien qu’une utopie n’a pas à être d’emblée réalisable, sa force réside dans sa capacité à influencer la réalité, à l’irradier. C’est au moins une invitation à la lire la sf, comme d’autres lisent le néo-polar pour sonder le social, afin de rendre compte des rêves d’une époque. Il se pourrait, comme certaines pages de ce livre, que les fils oniriques soient difficiles à démêler, que les images de souhait se doublent d’images mythico-archaïques. Il se pourrait également que l’utopie pertinente soit celle qui prenne en compte les contraintes du réel, tamisant ses aspects salutaires et œuvrant à une jouissance plus réfléchie de journées mieux employées, de futurs plus épanouissants.

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CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Empty Re: CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non

Message par Invité Mar 25 Mai - 8:14

dans le dossier, antécédents
du 17 mai, enrichi. Ajout en bas du 19 mai : LA RHÉTORIQUE DE L'AMBIGU

l'« écrivain anarchiste » au chevet de la Communisation

L'UTOPIE COMMUNISTE
de Léon de Mattis :
NE PAS JOUIR, MAIS SANS ENTRAVE


CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Jouissez-sans-entraves-500x332
1968
c'est mal barré pour la crédibilité de l'auteur d'Utopie 2021 qui écrivait en 2015 : « Une utopie ne se réalise jamais. Elle n’est que la projection dans le futur des désirs et des conceptions du présent. » Il ajoute aujourd'hui : « Ne pas croire à la possibilité du communisme est une entrave réelle à la possibilité de sa production. », confirmant ce que j'affirme depuis des années : le communisme relève de la foi en une croyance, c'est aujourd'hui une idéologie bien plus que « le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses » (Marx, IA), et de ce point de vue, RS a raison : « le communisme, on s'en fout », car il n'existe pas
en chroniquant ici en janvier, avant sa récente sortie, le livre de Léon de Mattis Utopie 2021, je n'ai pas commis d'erreur en annonçant que bien que le mot de communisation n'y figure pas - une habitude de double-langage qui se veut tactique depuis Mort à la démocratie -, elle structurait toujours l'horizon de son auteur, ce que confirment les bonnes feuilles publiées par Claude Guillon, à qui « La lecture de cet essai a semblé à la fois rassérénante et stimulante », même s'il s'étonne de « l’absence dans ces lignes de l’amour. » Aurait-il changé d'appréciation depuis « Communisation » : l’impensable projet (2013) ?
L’utopiste proposait un modèle, avec des arrière-pensées plus ou moins programmatiques. Il espérait, parfois sans oser le dire, que son geste littéraire aurait des conséquences littérales. On dirait aujourd’hui, en langage post-moderne : qu’il aurait un pouvoir performatif.

Le « communisateur », croit-il au pouvoir performatif de son verbe ?

bref, on a les soutiens qu'on peut, mais en l'occurrence, voyons ça

on nous vente et nous vend donc désormais le communisme comme utopie, et il faut y croire, car, nous assure Léon de Mattis : « Ne pas croire à la possibilité du communisme est une entrave réelle à la possibilité de sa production. » C'est pourquoi le voilà reparti à la conquête des bonnes ouailles qui voudront bien le croire sur paroles au présent, comme il y a 12 ans avec des considérations sur « les mesures communistes », à l'époque ou TC affirmait : « C'est au présent que nous parlons de communisation. » Vu le marasme de la réception, on baisse la barre du prosélytisme, ce qui explique l'enthousiasme du peu exigeant Claude Guillon ; par vents contraires, on resserre les rangs dans le landerneau

en chapeau, Guillon écrit :« l’utopie doit assumer une dimension programmatique », qu'il pense lire dans Utopie 2021. Rien d'étonnant pour moi, qui la relève dans plusieurs publications récentes, dont le feuilleton de Jasper Bernes sur la Communisation, j'en ai parlé ailleurs. Cette dérive "programmatiste" me semble inhérente à ce qu'est devenue cette théorie, à l'usage qui en est fait parfois à rebours des textes fondateurs des théoriciens* Dauvé, Astarian et Simon, celui-ci bien plus prudent depuis quelques temps. En affirmant : « des ébauches de pratiques communistes peuvent naître dans des moments encore précoces de l’extension des luttes », de Mattis n'a pas changé depuis ses tendances immédiatistes et activistes dans Meeting. Il entend ici convaincre son lectorat d'engager ces "ébauches", à la mode du "communisons nos vies" en vogue il y a quelques années

* la dérive idéologique est pour le moins inévitable, mais est-ce vraiment l'usage qui est idéologique, et non la théorie même en son noyau dur, la systématicité prolétarienne ? Quoi qu'il en soit, vouloir s'en distinguer confronterait les théoriciens à leur stricte solitude, car paradoxalement au devenir inutile de leur théorie. Gageons que par opportunisme, ils laisseront leur compagnon utopiste tranquille

pour le reste, Mattis veut écrire simple, c'est dans l'essence de la propagande, mais il écrit simpliste : à quand "La Communisation pour les Nuls" ou "La Communisation expliquées aux enfants" ? car « le monde communiste abolit les différences sociales fondées sur l’âge. Cependant, il n’abolit pas l’enfance : il abolit l’adulte. » Pour un peu, il abolirait la vieillesse, et pourquoi pas, la mort*...  « Il n’y a rien de plus dynamique que le jeune âge : un enfant se crée et se recrée continuellement. Peut-être le monde communiste est-il capable de garder chez chaque individu une part de cette dynamique tout au long de sa vie. » Nombreux exemples, particulièrement d'artistes**, montrent qu'il n'est pas nécessaire d'attendre, mais je préfère les questions actuelles que pose Camatte à l'enfance

* il est vrai que Lucien Sève envisageait sérieusement cette possibilité dans Marxisme et théorie de la personnalité, en 1969, année utopique... On lira avec intérêt Rajeunir les idées sur la vieillesse. Introduction à la pensée de Lucien Sève (et extraits de "L'homme"), Michel Maso, 2019
** Maso cite les « exceptions selon Beauvoir » : « Hugo, Aragon, Goya, Verdi, Picasso, Mandela…). Mais en vérité ces exemples ne nous montrent-ils pas ce que pourrait être la règle ? »


moi qui fustige la projection sur l'avenir de croyances communistes telles des prophéties religieuses, me voilà donc "une entrave réelle" à la production du "communisme utopique" d'un auteur, qui, décidément, n'en rate pas une. Il écrivait en 2015 dans "Qu’est-ce que l’argent ? Rien. Qu’est-ce que la lutte des classes ? Tout.", une sacrée balle dans le pied de l'utopitre Léon :

Léon de Mattis a écrit:Une utopie ne se réalise jamais. Elle n’est que la projection dans le futur des désirs et des conceptions du présent.

on ne lui fait pas dire, mais manifestement pour lui, il y a les bonnes et les mauvaises utopies, càd, pour ajouter à la clarté, des utopies qui ne seraient pas utopiques...

reste la question, coquine, de Claude Guillon, qui invite l'auteur à y répondre : l'absence de l'amour dans son livre... ce qui me rappelle le côté Chevalier à la triste figure qu'évoquait irrésistiblement Denis de Mattis à l'époque où je le croisais

moi, je l'aime bien, Léon de Mattis, oh certes pas d'amour, car bien que pas tout-à-fait un théoricien, par sa volonté militante de convaincre sans poser les problèmes concrets de la perspective révolutionnaire qu'il défend, il est de ceux qui ont le plus ridiculisé l'idée même de communisation. C'est peut-être pourquoi, lucide, il n'écrit plus le mot


scratch  

il faudrait élargir ces remarques à tous les récits de la communisation ou du communisme réalisé. Ils sont particulièrement mauvais, naïfs, simplificateurs, dignes de la propagande des belles années du socialisme réel annonçant l'avenir radieux. Il est de bons romans de science-fiction qui sont beaucoup plus réalistes tout en faisant preuve de plus d'imagination créatrice. C'est à croire qu'il ne faudrait pas, comme on dit de l'informatique aux mains des informaticiens, laisser le communisme aux mains des communistes, ni l'utopie dans celles des utopitres

LA RHÉTORIQUE DE L'AMBIGU

« Ne pas croire à la possibilité du communisme est une entrave réelle à la possibilité de sa production. »
je retourne en tous sans cette phrase, la dernière des citations proposées par Guillon. Son contexte ne l'explique guère, bien qu'elle résume et justifie la raison de promouvoir l'utopie. Mais la précédente est savoureuse : « le militant borné s’emploiera par sa pratique à rendre réels ses présupposés idéologiques. », succulent sous la plume de Mattis, tout sauf "borné" et dépourvu de "présupposés idéologiques" on l'aura compris, et qui ne le fait nullement dans ce livre

j'avais noté dès Meeting en 2005 la grand talent rhétorique de "Denis" avant l'adoption de son nouveau pseudo pour Mort à la démocratie. Il a l'art d'écrire simplement, déjà souligné, mais en même temps de façon contournée, contorsionnée, indirecte, comme dans cette phrase à la double négation (ne pas croire, entrave) portant sur ce qui n'est pas une affirmation, mais une possibilité, deux fois reprise. On comprend bien la précaution, pas de certitude de la révolution (le mot même ici évité), donc pas de soupçon de déterminisme, critique fréquente aux 'communisateurs'

c'est une phrase typique de politiciens, et qui renvoie à la formation de l'auteur dans les rangs du PS, comme candidat malheureux. On connaît leurs façons de tourner autour du pot, leur côté faux-cul, pour emballer l'électeur. Trahi, de Mattis en fera des tonnes contre le système électoral et la démocratie, mais n'a jamais abandonné son bâton de missionnaire

cette phrase ô combien subtile par sa syntaxe, j'ai essayé de la remettre à l'endroit, mais c'est impossible. Faut-il entendre que croire à la possibilité du communisme facilite celle de sa production ? mais bien entendu sans penser que cela suffirait, car qui est le sujet de cette foi ? Le prolétariat ? OK, subjectivation nécessaire en sus de ses intérêts objectifs. Chaque individu, actif ou passif ? Ne pas croire mais ne pas s'opposer est-il encore une entrave ? Dans ce cas, tous ceux qui ne croient pas sont-ils potentiellement contre-révolutionnaires ?

il y a toujours un moment, pour les révolutionnaires radicaux, où tous ceux qui ne sont pas avec eux sont contre eux, un moment où ça peut basculer, où il faut choisir son camp. Mais ça, Mattis ne l'écrira jamais, ce serait contraire à son souci de convaincre, et ça donne tout le sel ambigu, ambivalent, mais aussi potentiellement menaçant, de cette phrase

ce qui m'étonne le plus, c'est comment ne pas se douter qu'avec un style pareil, quelque chose n'est pas dit franchement, reste incomplet, trouble, qui dénote une posture de supériorité intellectuelle, de prof. à élève finalement un peu con-con et qui doit avancer à petits pas avant de franchir le grand. Ça marche sauf si, comme souvent les gens d'en-bas, il flaire sous les escarpins de la noblesse de l'être, - anagramme de son nom construit avec particule, s'il vous plaît -, les gros sabots du bonimenteur

25 janvier 2021
du 23 janvier, initialement dans le sujet THÉORISATIONS POUR LE COMMUNISME : PROSPECTIVE !, mais il n'y a rien de "prospectif" dans cette conception et du communisme, et de l'utopie : tout est écrit sur le grand rouleau de la communisation comme idée à faire avancer... parce que ses sujets attendus manqueraient d'imagination !

une double critique en somme : du point de vue interne à la théorie de la communisation, et de celle-ci en même temps, comme théorie de la révolution au-delà de sa critique du capital

les habits neufs du marketing communisateur

le dernier produit besogneux
d'un habituel VRP du communisme comme marchandise
Léon de Mattis, dont les blogs précédents ont disparu, revient en force avec un livre sur l'utopie, un thème/concept peu fréquent dans le champ théorique de la communisation*, pour autant que l'auteur s'en réclame encore, puisque le mot ne figure pas dans la présentation. Qu'en est-il ?

* Bruno Astarian défend néanmoins dans Solitude de la théorie communiste, en 2016, « contre les apparences, le réalisme, le pragmatisme [...] l'affirmation qu'il faut tendre à définir la société communiste, et que pour ce faire, il faut assumer l'abstraction et une dose d'utopie. », dans un sens différent donc de l'utopie au présent selon ce livre


CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Couv-utopie-noir-et-blanc

une question se pose à moi d'emblée : s'agit-il, en terme de contenu de la perspective communiste, de la même marchandise théorique et idéologique vendue sous une autre approche, ou bien peut-on y discerner un changement, une évolution, répondant à la question de Peter Harrison : « Que devient la théorie communiste une fois qu'elle est dépouillée de sa vocation prophétique et prédictive ? » (ici) - que ce soit là une "vocation" inhérente à la théorie communiste n'engage que cet auteur. Si la théorie de la communisation se proposait bien jusque-là de faire l'annonce de la révolution à partir de ses critères, Léon de Mattis soutenait que « La communisation n'est pas une prophétie. Elle n'est pas l'annonce d'un futur. » (Les mesures communistes. Penser un horizon communiste, publié dans SIC 2 en janvier 2014, premières moutures en 2012 ou 2010)

ce livre m'apparaît plutôt comme un changement de présentation des idées inchangées de Léon de Mattis, dans sa manière toujours fortement marquée par la volonté de faire avancer le schmilblick révolutionnaire au présent, l'activisme théorique et une activité héritée de son militantisme politique caractérisant ses précédents textes et ouvrages, de la décennie 2000-2010 (Meeting, Sic, Mort à la démocratie, 2007...), à l'analyse de la pandémie en 2020 (Corona Capital)

le titre même, tel que l'explique l'auteur, n'ôte pas cette idée, choisi pour faire mouche largement au-delà de l'habituel lectorat du milieu radical, et propre comme un précédent à se faire inviter par France Culture. En ce sens, 'Utopie 2021' serait un livre de vulgarisation d'une théorie/idéologie plus que de problématisation théorique, une continuité chez l'auteur, davantage propagandiste que théoricien, tout, muni d'un passeport sanitaire, pour voyager en globe-trotter de la communisation, mais comme utopie de l'année


CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non 4902

certes, ne s'adressant pas à un public averti de la théorie communiste, l'auteur n'a pas besoin d'y développer jusqu'au bout le même argumentaire que dans ses textes communisateurs, de même que dans Mort à la démocratie, publié sous une signature nouvelle différente de celle de Meeting, il ne parlait pas de communisation, comme pour faire avancer son lecteur à petits pas vers un même objectif, la conversion à la foi révolutionnaire. Tactique, donc, de racolage, ruse militante, "marketing rackettiste" (Camatte). Déjà, à l'époque, on trouvait saugrenu que je puisse désapprouver un tel maquillage/maquignonnage, qui trahissait une des affirmations communisatrices : « La communisation n’est pas un programme qu’il faudrait appliquer, ni même quelque chose que l’on pourrait d’ores et déjà définir comme un but à atteindre... » (Adresse de Meeting). Mais certains se diront : où est le problème ? ça ne peut pas faire de mal, puisque tout le monde s'accorde pour considérer que dans la communisation, ce n'est pas son nom qui importe

il semble en effet logique, face au retrait d'intérêt pour la théorie de la communisation y compris dans le milieu où elle avait un relatif succès, de tenter sa présentation sous un angle adouci, moins abrupt, et le choix séduisant de l'utopie n'est pas anodin, qui introduit une dimension subjective jusque-là tenue à distance d'une théorisation marquée par son structuralisme

je ne saurais blâmer cet aspect dans la mesure où j'avais insisté sur la subjectivation révolutionnaire à l'époque où j'inscrivais encore ma réflexion dans la perspective d'une révolution, et je n'ai jamais renié mon intérêt pour les travaux d'Ana Dinerstein autour de l'Utopie concrète. Voir VI.5. "l'utopie concrète" avec Ana C. Dinerstein et Ernst Bloch, Patlotch 2016 dans le cadre de VI. LA SUBJECTIVATION RÉVOLUTIONNAIRE, liens organiques, activités communistes, "utopie concrète"...


CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non 9781787691469
une autre idée de l'utopie concrète, 2021

toutefois, Léon de Mattis dit de son livre que « son objectif est de montrer qu’il est possible d’imaginer une société sans domination et sans exploitation, de se figurer la création d’un tel monde dans un moment révolutionnaire et de concevoir, à partir des luttes actuelles, le surgissement d’une telle révolution. [...] La réflexion utopique menée par 'Utopie 2021' ne cherche donc pas tant à penser à quoi pourrait ressembler un monde différent qu’à imaginer par quelles voies il serait possible de l’atteindre : comment et pourquoi les luttes pourraient se transformer en autre chose que ce qu’elles sont maintenant. »

contrairement à son affirmation, et à Christian Charrier, qui le tenait pour un "politicard" et alertait en 2005 dans La communisation... point d’orgue : « explorer les voies de la communisation », ce doit être, simultanément, explorer les voies de l’exploration ou, comme cela a été dit plus haut, explorer de manière critique les présupposés et les origines de la théorie de la révolution comme communisation de la société. », Léon de Mattis n'en explore pas les voies, il en expose une voie, la voie à suivre. Dans ces conditions, n'envisageant rien d'autre, l'utopie devient le nom d'une quasi-prédiction, reprenant le sens des utopistes pré-marxistes et de "l'idéalisme spéculatif" critiqué par Marx

"imaginer", on peut toujours, mais le communisme n'est pas une idée, n'est-il pas ?, pas plus que l'anarchisme, - car pour lui comme pour moi "le terme « communisme » pourraient être remplacé par « anarchisme »" -, et l'imaginer « à partir des luttes actuelles » est une gageure dont les partisans de la communisation ont le secret, en en parlant « au présent », bien que certains s'y aventurent de moins en moins.

"imaginer" le communisme me paraît même contraire à l'idée qu'en développe la théorie de la communisation comme "dépassement produit" , rupture déclenchée par les contradictions du capital poussées à leurs limites dans le cours de sa crise, et l'utopie antinomique avec le déterminisme univoque de son concept.  Dès lors, la communisation n'est pas l'enjeu d'un combat sur le terrain des idées, ou comme on disait jadis, de la "lutte idéologique" : « Il n'y a pas de lutte idéologique, la lutte pratique est théorique. [...] c’est dans la communisation que se combattent les idéologies, parce qu’elles font partie de ce que le mouvement abolit. » (BL/SIC, Le pas suspendu de la communisation, 2009). Où se détecte chez l'auteur l'immédiatisme inhérent à la propagande militante du projet communisateur. C'est pourquoi à son « ambition de répondre à une question : est-il encore possible d’imaginer... », il répond 'oui, mais pas trop, et comme moi, une seule solution, la révolution', alors que pour RS : « Une seule solution, la révolution » est l’ineptie symétrique à celle de la dynamique révolutionnaire de la lutte revendicative. Cette rupture est produite positivement par le déroulement du cycle de luttes qui la précède et on peut dire qu’elle en fait encore partie. » (De l’auto-organisation à la communisation, Meeting 3, 2006)

au demeurant, d'imagination véritablement créatrice, je n'ai jamais trouvé que les partisans de la communisation en débordaient au-delà de répéter le même scénario futuriste depuis un demi-siècle quoi qu'il se passe dans le monde. Le plan présenté par l'auteur déroule classiquement ce schéma in fine assez simpliste et plus superficiel qu'il n'apparaît, laissant répondre à ma question préalable : rien de nouveau sous le soleil, mais par temps ombrageux plus qu'orageux, on change le flacon pour un peu plus d'ivresse

on l'a compris, je n'ai jamais apprécié Léon de Mattis, ses contorsions rhétoriques, son opportunisme et son arrivisme théorique, son étroit esprit de sérieux et son absence d'humour, son intelligence besogneuse et son autoritarisme sournois, sa suffisance de style mitigé de Sciences Po, EHESS et milieu anarchiste de gauche, dans lequel il jouerait un rôle de "leader objectif", mi-dieu, mi-maître

rien pour faire de moi le-héros-de-son-livre-et-de-sa-révolution
présentation
'Utopie 2021' a pour ambition de répondre à une question : est-il encore possible d’imaginer, de nos jours, un monde totalement différent du monde actuel ? Un monde qui ne soit pas dominé par le capitalisme, et dans lequel il n’y ait ni propriété, ni argent, ni classes sociales ?

Le retour en force de la critique des excès du capitalisme depuis la grande crise de 2007-2008 s’est en effet accompagné d’un curieux phénomène : l’incapacité à aller au bout de cette critique.

Les utopistes contemporains, ceux qui veulent changer le monde, imaginent toutes sortes d’alternatives : des monnaies alternatives, une propriété alternative (« les communs »), des formes d’organisations politiques alternatives (plus démocratiques), des moyens de production alternatifs. Mais très peu, voire aucun, ne semble capable d’imaginer une société où il n’y ait plus d’État, plus d’argent et plus d’échange marchand du tout.*


* affirmation présomptueuse, car sans parler des anarcho-communistes, il y aurait aussi Camatte, qui imagine bien plus, un monde sans agriculture ni élevage...

'Utopie 2021' prend le contrepied de la tendance actuelle. Son objectif est de montrer qu’il est possible d’imaginer une société sans domination et sans exploitation, de se figurer la création d’un tel monde dans un moment révolutionnaire et de concevoir, à partir des luttes actuelles, le surgissement d’une telle révolution.

L’utopie, on le sait depuis Thomas More, ne nous parle ni de l’ailleurs ni du futur : l’utopie, ou l’uchronie, ne sont situées hors de l’espace et du temps actuels que pour mieux décaler le regard. La réflexion utopique menée par 'Utopie 2021' ne cherche donc pas tant à penser à quoi pourrait ressembler un monde différent qu’à imaginer par quelles voies il serait possible de l’atteindre : comment et pourquoi les luttes pourraient se transformer en autre chose que ce qu’elles sont maintenant. C’est ici que l’utopie rejoint la critique sociale dont elle n’est, somme toute, que le versant positif*. L’utopie sert d’abord à critiquer la société de son temps, et c’est pourquoi elle a toujours une date. C’est ce qui explique le titre du livre : 'Utopie 2021'.


* je dirais plutôt que la mise en perspective révolutionnaire, au futur, est le versant utopique de la critique du capital au présent, celle-ci pouvant être relativement bonne, y compris chez certains 'communisateurs', sans pour autant alimenter les fantasmes de cette perspective, un pas que bien des adeptes n'hésitent pas à franchir vers la théologie

Imaginer la création d’un monde différent ne signifie pas croire en son surgissement réel. Une nouvelle organisation sociale, de toute façon, ne pourra jamais naitre de cette manière. Un rapport social ne sort pas du cerveau d’un seul individu, quel qu’il soit, mais est toujours le résultat de l’activité d’un nombre incalculable de personnes.

L’utopie, bien qu’elle soit imaginaire, n’est pas non plus le fait d’un seul. Les manques et les défauts que chaque lecteur ne manquera pas de relever dans cette utopie seront des défauts pour ce lecteur, mais l’ensemble du projet lui permet de comprendre que c’est à lui de recomposer cette utopie pour y ajouter ce qui manque ou corriger ce qui, selon lui, ne va pas.

Un livre qui parle de la révolution est nécessairement un « livre-dont-vous-êtes-le-héros ». L’ambition d’'Utopie 2021' n’est pas de décrire un futur radieux, mais de proposer une réflexion collective sur les formes que peuvent prendre la critique en actes de la société actuelle.

Plan

'Utopie 2021' est composé de trois parties précédées d’une introduction. Les parties sont intitulées : « communisme », « production du communisme » et « critique en actes du capital ». Cependant, le terme « communisme » pourraient être remplacé par « anarchisme » dans tout le livre sans que le sens n’en soit le moins du monde changé, et ces trois parties pourraient donc aussi bien s’intituler « anarchisme », « production de l’anarchie » et « critique en actes du capital ».

La première partie présente, en des termes généraux, l’idée que l’on pourrait se faire de l’organisation d’un monde différent. La seconde partie est un aperçu de la manière dont la révolution peut s’envisager à l’heure actuelle. La troisième partie, enfin, analyse les luttes contemporaines en cherchant comment elles pourraient conduire à la révolution. Au premier abord, on pourrait penser que la première partie nous parle d’après-demain (le communisme ou l’anarchisme achevé), la deuxième partie de demain (la révolution) et la troisième partie d’aujourd’hui (les luttes actuelles). En réalité, chacune de ces parties, conformément à la manière dont est définie l’utopie dans cet ouvrage, ne nous parle que du présent.
il faudra encore vérifier que ce livre, à rebours des utopies communistes d'avant Marx, ne contient effectivement rien de nature à donner le désir du communisme, une quelconque idée des plaisirs de la vie et du bonheur de vivre, tant l'idée qu'il présente de l'utopie ressemble à son lugubre auteur, dont chaque parution donne le sentiment qu'il s'est demandé quoi écrire maintenant pour paraître ce qu'il n'est pas : un théoricien crédible du communisme et de l'anarchisme

il faut bien admettre que l'idée de révolution communiste ne peut plus être soutenue, au niveau théorique, que par une poignée d'intellectuels médiocres dont le seul recours est désormais l'escobarderie

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CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Empty Re: CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non

Message par Invité Mer 26 Mai - 12:03

dans le dossier. Ma critique de l'utopie se veut une douche froide, arrosant quelques arroseurs
DE LA CRITIQUE DES MAUVAISES UTOPIES PAR MARX
À L'INVENTION D'UNE BONNE UTOPIE PAR LES MARXISTES
un statut ambivalent

quelques textes

CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non 9782226078599

recherche : Marx Utopie, Communisme Utopie
idée centrale : Marx critique les Socialistes utopistes pour manque de radicalité contre le capital. L'utopie est alors opposée à la science

comme la science ne peut en rien démontrer la possibilité du communisme, sa part de réalisme, il lui faut adjoindre une dimension utopique. Les théoriciens et idéologues marxistes s'y emploieront de diverses manières, avec de grande prétentions dialectiques, à l'époque où elle pouvait casser des briques (voir le pavé de Labica en 1975)

avec le recul des années 70, on peut dire, en suivant la théorie de la communisation, que le communisme du programmatisme ouvrier des partis comme de l'ultra-gauche conseilliste étaient des utopies au sens prolongé de la critique de Marx, lui même "mauvais" utopiste comme initiateur de ce programmatisme. En tant que la communisation est "dépassement produit" (TC), production du communisme depuis les contradictions du capitalisme, ce caractère structuraliste exclue d'y voir une utopie, pas que franchit Léon de Mattis, conformément à la nécessité qu'il voit de militer pour le communisme et de convaincre de sa possibilité, avec un dessein à l'utopie : la propagande

d'une façon générale, la perception de l'utopie est ballotée entre ses visions négatives et positives, de projet imaginaire et illusoire (chimère), et de société imaginaire idéale dérivé de Thomas Moore. Dès lors, il y aurait une utopie utopiste et une qui ne le serait pas, de mauvaises utopies (l'argent, l'échange fondé sur la valeur d'usage, le socialisme d'État, l'autogestion...), et de bonnes utopies (le communisme, la révolution...) quitte à prétendre qu'elles ne sont pas utopiques au sens d'irréalisables... On voit chez les marxistes cette ambivalence du statut de l'utopie, que traduisent les titres des articles sélectionnés

il n'empêche que le besoin d'utopie, en tant que celui de rêver d'un meilleur monde possible, expression d'un désir, sans même parler de science, ne saurait avoir le moindre contenu matérialiste du point de vue philosophique. Il est toujours celui, idéologique, de ces savants qui, à défaut de tout pouvoir expliquer, croient en dieu

la dimension subjective est indispensable à l'idée de la production du communisme par des luttes (en ceci, Mattis a raison, qui n'y croit pas n'en sera pas, mais ne pas faire n'implique pas d'entraver), cependant, à partir d'où sombre-t-elle dans le subjectivisme ? Comme l'idéologie, pour les "camarades", le subjectivisme est toujours celui des autres...

partant de touça, on peut faire des choix idéologiques et des paris pascaliens communistes sur la comète, mais le sachant, qu'on ne nous fasse pas prendre pour des lanternes des vessies gonflées par du vent

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CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Empty Re: CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non

Message par Invité Ven 28 Mai - 2:14


pour une vision dialectique
UTOPIE et CONTRE-UTOPIE

le lien entre utopie et théorie
la nécessité produite de parler du communisme comme étant une utopie


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tout n'est jamais tout vert ni tout rouge
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« Les contre-utopies ajoutées aux utopies réalisées (au moins partiellement) du XXème siècle
nous ont fait reconnaître rétrospectivement la dimension proprement dystopique des utopies classiques. »

Christian Godin

« Nous sommes des utopistes inversés :
alors que les utopistes ne peuvent pas produire ce qu’ils se représentent,
nous ne pouvons pas nous représenter ce que nous produisons. »

Günther Anders
je poursuis un ratissage documentaire de sorte que ma lectorate puisse avoir un panorama relativement complet de la question. Il va sans dire que l'utopie communiste n'est pas la plus rencontrée aujourd'hui. Il y a l'homme augmenté avec l'intelligence artificielle, les utopies réactionnaires des survivalistes et libertariens... et même les dernières déclarations de Macron : « Je relierais la période que nous vivons à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance. C’est l’époque de phénomènes qui forgent un peuple, je dirais même de la réinvention d’une civilisation. » (entretien à Zadig, 26 mai)

la notion d'utopie a apporté celle de contre-utopie, dites aussi dystopie dans la littérature et le cinéma. Voir la recherche

je choisis un des textes de la revue Cités en 2010, sur les Utopies, pour la vision globale qu'il présente et la richesse documentaire de ses notes. Il en restera toujours quelques bons livres et films, auxquels j'ajouterais Fahrenheit 451, de Ray Bradbury, 1953, adapté au cinéma par François Truffaut en 1966. Quant à Damasio (Les Furtifs, 2019), il me tombe des mains

un théoricien averti en vaut deux
quant à la prospective communiste de mes vœux, avertie du passé, elle ne saurait plus présenter un projet utopique sans en envisager les contradictions*, les contraires, l'envers dystopique, pas moins impossible que ne serait possible son succès pour les théoriciens jésuites de la communisation et environs spéculatifs

* j'entends les contradictions hors celles caractérisant le monde capitaliste, puisque "en subsomption réelle", tout ce qu'il s'agit de dépasser lui appartient. A-t-on jamais entendu parler de contradictions se perpétuant au-delà, ou nouvelles dans le communisme réalisé, qui viendraient en assombrir l'utopie ? Non, il faut y aller coûte que coûte, on verra après, pour prolonger Anders, ce que « nous ne pouvons pas nous représenter [que nous aurons produit] »

l'ont-ils fait ? Non, et c'est une marque au fer rouge de leur idéologie simpliste. Comme les trotskistes se sont refait une vertu communiste en critiquant le stalinisme, eux, avec la critique du programmatisme, pensent pouvoir franchir le pas avec des œillères : et si leur incrédibilité venait de là ?

plus sérieusement car cherchant le lien entre utopie et théorie, on peut se demander si la généralisation conceptuelle, l'abstraction censée partir du réel, quand elle vient à manquer de cette source empirique concrète, ne favorise pas l'utopie, sur son versant société imaginaire idéale. Ainsi se verraient contredites les trois phrases de Marx et Engels dans L'Idéologie allemande : « Pour nous, le communisme n'est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses. Les conditions de ce mouvement résultent des données préalables telles qu’elles existent actuellement. », une affirmation et une définition qui sont de fait anti-utopiques...

c'est au demeurant parce que, « des données préalables telles qu’elles existent actuellement » ne résulte aucun mouvement à caractère communiste qu'il ne reste plus à ses partisans que deux solutions : se le représenter comme utopie, et en parler au présent comme étant une utopie, le choix de Mattis avec son livre. Ou se taire. Celui de RS quand il affirme : « Le communisme, on s'en fout, ce qui compte c'est la lutte des classes...»

et si l'on se demande si le communisme est ou non une utopie, eh bien, ça dépend...

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Sens de la contre-utopie
Christian Godin, Cités n°42, 2010/2
1La contre-utopie (ou dystopie) [1] est le double inversé de l’utopie. Elle délivre l’image d’une société de cauchemar là où l’utopie faisait le tableau d’une société de rêve. Les utopies décrivaient des communautés ordonnées et prospères. Elles donnaient à penser que la conjonction de l’abondance [2]  et de la tranquillité est possible, que les hommes pourraient enfin parvenir à une satisfaction complète de leurs besoins sans violences mutuelles. Aux antipodes de cette peinture de paradis ici-bas, les contre-utopies évoquent des sociétés futures devenues incapables de constituer une communauté et dont les individus sont misérables et résignés. L’utopie était solaire ; il y faisait clair comme au ciel de Dieu. Toutes les cités utopiques, et pas seulement celle de Campanella [3] étaient des cités du Soleil. La nuit s’est abattue sur les cités dystopiques et semble devoir durer indéfiniment. Il y fait toujours sombre, à l’image de la vie de leurs occupants - qui ne sont plus des habitants. Pour compléter cette désolation [4] le cinéma y ajoute la pluie. La propreté utopique avait la netteté du métal et le poli du marbre. À la campagne, la nature utopique était un jardin coquet. Aux antipodes de cette blancheur, les espaces de la contre-utopie sont sales, à moitié détruits et jonchés de détritus. Il n’y a plus aucune nature en contre-utopie, plus d’arbres, plus d’animaux, le ciel lui-même semble avoir disparu.

2
Autre inversion capitale : alors que l’utopie donnait l’image d’une société débarrassée des vices immémoriaux de l’humanité, le monde de la contre-utopie donne le spectacle d’une disparition à peu près complète des valeurs morales. L’utopie croyait à l’homme nouveau régénéré. En contre-utopie, il n’y a plus que des survivants, des restes d’humanité. Atomisés, les individus ne se connaissent pas et ils s’évitent comme des ennemis. Lorsqu’ils se rencontrent, c’est sous la forme presque exclusive de la domination et de la violence. L’utopie était l’expression de l’humanisme, la contre-utopie est celle de l’inhumain.

3
La dimension politique ou sociale-globale est nécessaire à la constitution d’une contre-utopie comme elle l’était à celle de l’utopie [5]. Il ne suffit pas en effet d’évoquer un possible futur noir (comme le font les romans et les films d’anticipation) pour constituer une contre-utopie. Dans la contre-utopie l’innovation technique (le télécran de Metropolis de Fritz Lang, l’ectogenèse dans Le Meilleur des mondes) n’est pas une donnée dont la série des conséquences est déroulée, mais le résultat et le moyen d’une volonté politique de surveillance qui, comme dans les régimes totalitaires, entend ne rien laisser échapper. Dans la science-fiction la description des inventions futuristes est une fin en soi et la dimension politico-sociale du récit n’apparaît souvent que de manière périphérique. Cela dit, dans la mesure où les auteurs de science-fiction contemporains s’intéressent de plus en plus aux questions de pouvoir et de société, la différence entre science-fiction et contre-utopie tend à s’estomper d’autant qu’à de rares exceptions près la peinture du futur faite par la science-fiction d’aujourd’hui est particulièrement sombre. Remarquable à cet égard le fait qu’aucune science-fiction ne nous a proposé d’admirer ou d’envier un monde extraterrestre qui serait pour notre monde humain un idéal à la manière de l’île d’Utopie et de l’Icarie [6]. Ce sont ses propres horreurs (la violence permanente, la guerre, le totalitarisme) que l’homme du XXème siècle est allé projeter jusque dans les étoiles, et non ses espérances.

4
La volonté de bonheur gouverne les deux valeurs politiques réalisées dans les utopies : la sécurité et l’égalité. Elles y sont poussées à l’extrême : la sécurité jusqu’à l’ordre méticuleux, l’égalité jusqu’à l’égalitarisme [7]. Le monde de la contre-utopie, à l’inverse, est plongé dans une insécurité permanente. Ses membres, qui ont perdu jusqu’à leur qualité de personnes, vivent apeurés et traqués. Le schème du Procès de Kafka y est récurrent : une Loi implacable que nul ne connaît vraiment peut frapper n’importe qui à tout moment. Le contrat hobbésien a été déchiré. L’homme est redevenu un loup pour l’homme.

5
Le retour aux hiérarchies de caste et de rang n’est pas moins caractéristique des contre-utopies [8]. En réaction aux sociétés réelles marquées par de colossales inégalités de condition les utopies étaient fondées sur un idéal d’égalité. Les groupes, voire les classes et les castes, n’avaient pas forcément disparu, mais la contradiction entre riches et pauvres, exploiteurs et exploités, elle, était abolie. Significative à cet égard est l’absence de la figure du maître (il ne saurait évidemment être question du roi) dans la plupart des utopies. Dans les contre-utopies, en revanche, les inégalités de pouvoirs et de richesses entre les groupes sont parvenues à un point extrême. Big Brother d’un côté, un seul troupeau de l’autre.

6
L’utopie abolissait le héros avec l’individu [9]. C’est à peine si elle donnait au chef (quand il y en avait un) un visage et un nom [10]. Cette absence de personnages n’était pas seulement due au fait que l’utopie, de nature philosophique, n’appartenait pas au genre dramatique ou romanesque qui, lui, réclame des personnages. Elle répondait à un ordre égalitaire incompatible avec l’émergence d’une subjectivité d’exception. Dans les contre-utopies, en revanche, un individu isolé va se retrouver en état de dissidence sans l’avoir vraiment voulu. Cette résurrection du héros que l’utopie ignorait rend possible une dramaturgie indispensable au cinéma. Il n’y avait pas d’action en utopie, mais seulement des agissements au sein d’un ordre total prédéfini et fonctionnel. Les utopies dissolvaient les individus dans une communauté indifférenciée [11]. L’action/réaction du dissident contre-utopique dérègle le fonctionnement de la machinerie totalitaire sans toutefois parvenir à la détruire, car la contre-utopie est sans fin [12]. Tout comme l’utopie, d’ailleurs. Et c’est là qu’apparaît l’identité de fond des deux genres inverses par-delà leurs oppositions premières. Lorsque Zamiatine écrit dans Nous autres que l’idéal sera atteint à partir du moment où rien n’arrivera plus, il délivre du coup la clé des utopies passées qui tendent de fait à abolir l’événement au profit du pur fonctionnement.

7
Cette conjonction entre deux genres apparemment contraires est loin d’être la seule, et elle n’est pas de circonstance. Les contre-utopies ne sont pas seulement des utopies négatives, elles ne sont pas la description d’enfers face à des utopies qui peindraient des paradis ; elles s’inscrivent dans le même cadre que l’utopie, dont elles poussent jusqu’à l’absurde les implications totalitaires. Les auteurs de contre-utopie montrent comment la volonté de bonheur, qui conditionnait les utopies, se transforme en cauchemar. Les habitants de contre-utopie n’ont plus de nom. Ils sont désignés par des numéros. Mais les habitants d’utopie, privés de spiritualité, voire d’émotivité et d’intelligence, n’avaient pas de nom non plus. Dans un état idéal et prétendu heureux, le sentiment et la pensée ne peuvent en effet qu’être superflus. La perfection utopique est une perfection de cimetière. La contre-utopie est son double inversé, elle n’en est pas le contraire. Sans jeu [13] ni interstice, l’utopie ignorait l’autre à l’extérieur et n’admettait pas de lacune à l’intérieur. Cette situation paranoïde est exactement celle des contre-utopies. Dans Nous autres les bâtiments de verre rendent chacun visible à tous. Cette horreur est née d’un idéal : celui de la franchise et de la sincérité, contre le mensonge et la dissimulation. L’idéal utopique se renverse en horreur contre-utopique.

8
Comme dans les utopies, il n’y a pas de merveilleux dans les contre-utopies : le fantastique qui peut y figurer ne vient pas du surnaturel mais de la technique. Il n’y a plus d’au-delà. Espaces de complète immanence, les sociétés de la contre-utopie comme celles de l’utopie sont le résultat de volontés humaines, et rien qu’humaines. Car si la contre-utopie et l’utopie décrivent des sociétés imaginaires, il faut que celles-ci soient envisagées comme possibles. En quoi elles ne sont pas simplement des fictions. Dans Le Meilleur des mondes, les individus sont conditionnés dès leur enfance par l’écoute durant leur sommeil de slogans qui s’imprimeront définitivement dans leur esprit et dicteront leur comportement. Ce type de conditionnement n’est pas très éloigné de celui que dénonceront bientôt les philosophes de l’École de Francfort (Theodor Adorno, Herbert Marcuse) dans la société américaine bien réelle. Dans 1984, la « doublepensée » [14] est une dénaturation de la logique consistant à accepter comme également vrais des énoncés contradictoires. L’allusion à la justification par la « dialectique » des palinodies staliniennes est claire. Mais il serait assez aisé de retrouver le mécanisme de doublepensée dans le système médiatique et consumériste des démocraties occidentales actuelles [15]. Dans Un bonheur insoutenable d’Ira Levin, le bonheur est devenu obligatoire : chaque individu est porteur d’un bracelet qui permet à l’ordinateur central de gérer sa vie ; du choix du métier à celui de son partenaire, tout est mis en ordre par cette colossale machine. Là encore, une telle fiction n’est pas si extravagante qu’on ne doive y voir qu’une allégorie.

9
Puisque la contre-utopie inverse l’utopie qui elle-même était une inversion du monde réel [16], elle devrait comme inversion de l’inversion retrouver les termes mêmes du monde réel. Et c’est bien ainsi qu’elle se donne à lire et à comprendre. Ce lointain est déjà tout proche, ce futur hypothétique est en un sens déjà notre présent. Les bouleversements radicaux que le monde connaît aujourd’hui, tant sur le plan technique que sur le plan économique, social et culturel, font perdre à l’utopie son prestige en la réalisant ici et maintenant. Comme notre réalité d’aujourd’hui est l’utopie d’hier, nous sommes enclins à penser que l’utopie d’aujourd’hui sera la réalité de demain. Tout l’effet d’exotisme sur lequel l’utopie reposait a disparu. La contre-utopie décrit un monde d’après la catastrophe (souvent l’apocalypse nucléaire) mais ses lieux sont nos pays et si son temps est autre [17], il est déjà le nôtre. Nous sommes déjà en contre-utopie, nous y logeons. L’imaginaire utopique reposait sur l’insularité : même la Callipolis, la belle cité platonicienne, était une manière d’île. La contre-utopie est continentale et même mondiale. Nous y habitons, et elle n’admet pas d’ailleurs.

10
Les contre-utopies ajoutées aux utopies réalisées (au moins partiellement) du XXème siècle (l’utopie raciale des nazis, l’utopie de la société sans classes du communisme dans ses versions staliniennes et maoïstes) nous ont fait reconnaître rétrospectivement la dimension proprement dystopique des utopies classiques. « J’ai eu l’occasion de lire et d’entendre beaucoup d’histoires incroyables dans les temps où les hommes vivaient encore en liberté, c’est-à-dire dans un état inorganisé et sauvage », s’écrie le narrateur de Nous autres [18]. Le sacrifice de la liberté individuelle sur les autels de l’égalité [19]. Il est habituel de différencier les utopies en utopies… et de la sécurité érigées en absolus ne pouvait que produire des représentations anticipées des régimes totalitaires. Le totalitarisme a, en effet, commencé dans les textes et dans les têtes avant d’être réalisé dans les faits. Et cela avec la meilleure volonté et la conscience la plus naïve du monde. Les utopies classiques ne connaissaient que les obligations et les interdits, elles ignoraient les autorisations - n’est-ce pas une définition possible du régime totalitaire ? Depuis Platon, l’activité sexuelle avait été enfermée dans un réseau de réglementations destinées à canaliser les désirs personnels et à les placer au service de la communauté. En utopie, la nourriture est frugale et l’amour réglé comme du papier à musique. La fantaisie a déserté et la table et le lit. L’utopie politise la sexualité et dissout la famille. Dans La Cité du Soleil, Campanella voulait appliquer à la société des hommes la technique de sélection de l’élevage, il fixait la périodicité des relations sexuelles (tous les trois jours, après la digestion…) et il prévoyait de punir de mort la sodomie en cas de récidive [20]. Dans Le Code de la nature (1755), Morelly prévoyait des examens anatomiques complets avant chaque mariage. Cette folie réglementariste (Cabet est allé jusqu’à déterminer la forme des meubles pour son Icarie) n’a-t-elle pas trouvé ses équivalents en régime totalitaire ?

11
Dans les pays d’utopie, les coutumes ont disparu : elles ont fait place aux habitudes. Un éternel présent a supprimé à la fois le passé (puisque la tradition n’existe plus) et le futur (puisque le projet n’a plus lieu d’être). « Du passé faisons table rase » : toutes les utopies pourraient chanter ces mots. Toutes sont en effet fondées sur une radicale amnésie. C’est dans cet autre sens que l’utopie nie l’histoire [21]. Or l’histoire n’est pas seulement la dimension de la culture, elle est la culture même [22]. L’utopie est donc une retombée dans la barbarie. Les Utopiens sont-ils encore des êtres humains ? Ils nous semblent des ombres - ils ne parlent pas (auraient-ils encore quelque chose à dire ?), ils ne pensent pas (car tout a déjà été pensé pour eux). Ce ne sont plus que des mannequins. « Nous sommes, disait Günther Anders, des utopistes inversés : alors que les utopistes ne peuvent pas produire ce qu’ils se représentent, nous ne pouvons pas nous représenter ce que nous produisons » [23]. Désormais nous sommes en utopie, et celle-ci prend volontiers la forme de la contre-utopie. Et nous ne sommes qu’à l’orée de cette histoire. La citation de Nicolas Berdiaev qu’Aldous Huxley a placée en exergue de son roman a gardé trois quarts de siècle plus tard toute sa tragique lucidité :

12
« Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu’on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ?… Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront au moyen d’éviter les utopies et de retourner à une société non utopique moins ‘parfaite’ et plus libre » [24]. Si l’utopie classique pouvait être considérée comme la vérité, au sens hégélien, du réel (le chien est l’utopie du loup, a-t-on dit), la contre-utopie est la vérité, au sens freudien, de l’utopie, elle révèle de notre réel et de notre monde les vices cachés.

Notes
[1]
En littérature, cinq ouvrages sont devenus des modèles du genre : Nous autres (1920) d’Eugène Zamiatine, Le Meilleur des mondes (1932) d’Aldous Huxley, 1984 (1948) de George Orwell, Un bonheur insoutenable (1970) d’Ira Levin et L’oiseau d’Amérique (1980) de Walter Tevis. Au cinéma, le genre a donné quelques œuvres convaincantes : Soleil vert (1973) de Richard Fleischer, Blade Runner (1982), de Ridley Scott, 1984 (réalisé cette année même) de Michael Radford (une adaptation réussie du roman de George Orwell), Brazil (1985) et L’Armée des 12 singes (1995) de Terry Gilliam, Bienvenue à la Gattaca (1998) de Andrew Niccol, Avalon (2001) de Momoru Oshii, V pour Vendetta (2006) de James McTeigue, Les Fils de l’homme (2006) de Alfonso Cuaron.
[2]
L’utopie n’est pas un pays de cocagne, elle est presque toujours frugale. L’abondance qu’elle connaît vient de la satisfaction complète des besoins.
[3]
T. Campanella, La Cité du Soleil, trad. fr., Vrin, 1981.
[4]
La désolation contre-utopique peut être exprimée de façon comique, voire burlesque (Alphaville de Jean-Luc Godard, Brazil de Terry Gilliam). Le comique n’est pas le contraire mais l’envers du tragique.
[5]
Le caractère collectif et organisationnel de l’idéal est déterminant pour imaginer une utopie : le rêve du pays de cocagne n’est pas une utopie car il ne touche pas l’organisation de la société.
[6]
Le Voyage en Icarie d’Étienne Cabet (Dalloz-Sirey, 2006), écrit en 1842, est un classique de la littérature communiste utopique. Le rêve de Cabet n’est pas resté à l’état de programme puisqu’une communauté de plusieurs centaines de membres l’a suivi en Amérique et y a fonctionné pendant une dizaine d’années.
[7]
En dehors des utopies communistes, l’égalité utopique a toujours été en fait une égalité relative, réservée aux hommes quand ce n’est pas aux hommes libres : si plusieurs d’entre elles envisagent, à l’instar de Platon, la communauté des femmes pour les hommes, aucune n’envisage une communauté des hommes pour les femmes et l’utopie de Thomas More admet même des esclaves (Th. More, L’Utopie, trad. M. Delcourt, GF-Flammarion, 1987, p. 189).
[8]
Dans Le Meilleur des mondes, les individus seront de type Alpha, Bêta, Gamma etc. jusqu’aux Semi-Avortons et Avortons en fonction de la quantité d’oxygène transmis aux embryons en couveuse.
[9]
L’utopie de Thomas More était une réponse à l’individualisme humaniste issu de l’effondrement du cosmos médiéval. Le communisme, le socialisme et l’anarchisme ont été des réponses à l’individualisme « bourgeois » incarné par les intérêts personnels et le souci exclusif de la propriété privée.
[10]
Utopus, le fondateur d’Utopie chez Thomas More, est une abstraction allégorique.
[11]
Charles Fourier a représenté à cet égard une relative exception en admettant dans sa société d’Harmonie une coexistence de passions différenciées à l’extrême. Mais il n’y a pas de noms dans l’utopie de Fourier, pas de personnages, pas de visages - seulement des membres.
[12]
En quoi elle est, pour reprendre les catégories hégéliennes, tragique et non dramatique. À la différence de la tragédie, le drame admet une réconciliation finale. Voir la fin atroce de 1984 - la mort de Winston Smith tué d’une balle dans la nuque : « La lutte était terminée. Il avait remporté la victoire sur lui-même. Il aimait Big Brother » (G. Orwell, 1984, trad. fr., « Folio », Gallimard, 2009, p. 391). La contre-utopie fait mourir ses héros sur un échec, contrevenant ainsi à une règle d’or du récit.
[13]
À prendre dans les deux sens du terme. Les utopies interdisent les jeux de hasard car ils échappent au contrôle du pouvoir.
[14]
Georges Orwell invente le néologisme de « doublethink ».
[15]
« Sans argent on n’est rien », « Il n’y a pas que l’argent dans la vie » ; « Le travail est la seule manière de s’accomplir », « La vraie vie est hors du travail » etc. Voir aussi l’ouvrage de Jean-Claude Michéa, La Double pensée. Retour sur la question libérale, réédition « Champs », Flammarion, 2009.
[16]
L’esprit d’utopie, qui prend son essor à la Renaissance, repose sur toute une série d’anachronismes : il collectivise au moment où s’affirme l’individualisme, il édifie des États sans mémoire au moment où prend corps le sentiment national, il supprime la propriété privée et la monnaie au moment où apparaît le capitalisme, il imagine un pays isolé au moment où se multiplient les échanges entre les continents…
[17]
Charles Renouvier a introduit le terme d’uchronie pour désigner une histoire contrefactuelle (du type : ce que serait l’Europe si Napoléon l’avait emporté à Waterloo).
[18]
E. Zamiatine, Nous autres, trad. fr., « L’imaginaire », Gallimard, 2009, p. 25.
[19]
Il est habituel de différencier les utopies en utopies autoritaires et utopies libertaires. Mais la dimension dirigiste, voire totalitaire, est loin d’être absente des utopies libertaires. Ainsi l’affairement des « harmoniens » exalté par Charles Fourier ne laisse pas d’inquiéter : « Dix minutes suffisent ; on est expéditif en Harmonie pour la toilette comme pour toutes choses : les costumes y sont brillants, variés, mais commodes et faciles à revêtir. On n’a pas un instant à perdre ; les moments sont comptés, non par devoir ou discipline, mais parce qu’on a un enchaînement de plaisirs à parcourir dans la journée et qu’on n’en veut manquer aucun. De là vient que tout harmonien, homme, femme ou enfant, est un prodige d’activité » (Charles Fourier, Théorie de l’unité universelle, Œuvres complètes tome IV, Anthropos, 1966, p. 381).
[20]
Thomas More punissait, lui, de mort l’adultère en cas de récidive.
[21]
Notre Ford, le Big Brother d’Aldous Huxley a dit : « L’Histoire, c’est de la blague » (A. Huxley, Le Meilleur des mondes, trad. fr., Pocket, 2008, p. 32).
[22]
Caractéristique à cet égard est l’absence d’art et de musée en utopie. L’absence et la destruction des livres sont des thèmes récurrents dans les contre-utopies.
[23]
G. Anders, La Menace nucléaire. Considérations radicales sur l’âge atomique, trad. fr., Le Serpent à plumes, 2006, p. 49.
[24]
A. Huxley, Le Meilleur des mondes, op. cit., p. 5. Nicolas Berdiaev (1874-1948) est un philosophe spiritualiste russe, adversaire farouche du matérialisme communiste.

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CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Empty Re: CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non

Message par Invité Dim 30 Mai - 11:44


C'est aujourd'hui dimanche
Tiens, ma jolie maman


« Contradiction dans les termes, inhérente à l'espoir d'un règne nouveau,
d'une victoire de l'insoluble au sein du devenir.
Nos rêves d’un monde meilleur se fondent sur une impossibilité théorique.
Quoi d’étonnant qu’il faille, pour les justifier, recourir à des paradoxes solides ? »


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1960
À la longue, la vie sans utopie devient irrespirable, pour la multitude du moins : sous peine de se pétrifier, il faut au monde un délire neuf.

Seul un monstre peut se permettre le luxe de voir les choses telles qu'elles sont. Mais une collectivité ne subsiste que dans la mesure où elle se crée des fictions, les entretient et s'y attache. S'emploie-t-elle à cultiver la lucidité et le sarcasme, à considérer le vrai sans mélange, le réel à l'état pur ? Elle se désagrège, elle s'effondre. D'où pour elle ce besoin métaphysique de fraude, cette nécessité de concevoir, d'inventer, à l'intérieur du temps, une durée privilégiée, mensonge suprême qui prête un sens à l'histoire, laquelle, regardée objectivement, ne semble en comporter aucun. Si l'homme antique, plus proche des origines, situait l'âge d'or dans les commencements, l'homme moderne en revanche allait le projeter dans l'avenir. Pour dynamique, pour positive qu'elle soit, la hantise de l'âge d'or n'en est pas moins redoutable : elle ne déchaîne les énergies d'une collectivité que pour mieux les enchaîner. Tout essor, tout excès met la liberté en péril, tout délire neuf s'achève en servitude.
extraits
chapitre V : Mécanismes de l’utopie
En quête d’épreuves nouvelles, et au moment même où je désespérais d’en rencontrer, l’idée me vint de me jeter sur la littérature utopique, d’en consulter les « chefs-d’œuvre », de m’en imprégner, de m’y vautrer. À ma grande satisfaction, j’y trouvai de quoi rassasier mon désir de pénitence, mon appétit de mortification. Passer quelques mois à recenser les rêves d’un avenir meilleur, d’une société « idéale », à consommer de l’illisible, quelle aubaine ! Je me hâte d’ajouter que cette littérature rebutante est riche d'enseignements, et, qu’à la fréquenter, on ne perd pas tout à fait son temps. On y distingue dès l’abord le rôle (fécond ou funeste, comme on voudra) que joue, dans la genèse des événements, non pas le bonheur, mais l’idée de bonheur, idée qui explique pourquoi, l’âge de fer étant coextensif à l'histoire, chaque époque s’emploie à divaguer sur l’âge d'or. Qu’on mette un terme à ces divagations : une stagnation totale s’ensuivrait. Nous n’agissons que sous la fascination de l’impossible : autant dire qu’une société incapable d’enfanter une utopie et de s’y vouer est menacée de sclérose et de ruine. La sagesse, que rien ne fascine, recommande le bonheur donné, existant ; l’homme le refuse, et ce refus seul en fait un animal historique, j'entends un amateur de bonheur imaginé.
[...]
L’air vous irrite : qu’il change ! Et la pierre aussi. De même le végétal, de même l’homme. Descendre, par-delà les assises de l’être, jusqu’aux fondements du chaos, pour s’en emparer, pour s’y établir ! Quand on n’a pas un sou en poche, on s’agite, on extravague, on rêve de posséder tout, et ce tout, tant que la frénésie dure, on le possède en effet, on égale Dieu, mais personne ne s’en aperçoit, même pas Dieu, même pas soi. Le délire des indigents est générateur d’événements, source d’histoire : une foule de fiévreux qui veulent un autre monde, ici-bas et sur l’heure. Ce sont eux qui inspirent les utopies, c'est pour eux qu’on les écrit. Mais utopie, rappelons-le, signifie nulle part.

Et d’où seraient-elles ces cités que le mal n’effleure pas, où l’on bénit le travail et où personne ne craint la mort ? On y est astreint à un bonheur fait d’idylles géométriques, d’extases réglementées, de mille merveilles écœurantes, telles qu’en présente nécessairement le spectacle d’un monde parfait, d’un monde fabriqué.
[...]
La chose qui frappe le plus dans les récits utopiques, c'est l’absence de flair, d’instinct psychologique. Les personnages en sont des automates, des fictions ou des symboles : aucun n’est vrai, aucun ne dépasse sa condition de fantoche, d’idée perdue au milieu d’un univers sans repères.

[...]
Nous n'agissons que sous la fascination de l'impossible ; autant dire qu'une société incapable d'enfanter une utopie et de s'y vouer est menacée de sclérose et de ruine.

ajout 31 mai. Incidemment, Paul Mattick parle d'« une incapacité des classes dirigeantes à faire miroiter des avenirs palpitants mis à part des voyages sur Mars (pour quelques privilégiés) ou, à plus courte échéance, la construction sur des îles artificielles de refuges contre la montée du niveau de la mer. », Retour vers le futur ? Sur les premiers mois du mandat Biden, lundimatin#290, 31 mai 2021

Chaque civilisation croit que son mode de vie est le seul bon et le seul concevable, qu'elle doit y convertir le monde ou le lui infliger. On ne fonde pas un empire seulement par caprice. On assujettit les autres pour qu'ils vous imitent, pour qu'ils se modèlent sur vous, sur vos croyances et vos habitudes ; vient ensuite l'impératif pervers d'en faire des esclaves pour contempler en eux l'ébauche flatteuse ou caricaturale de soi-même.

Aujourd’hui, réconciliés avec le terrible, nous assistons à une contamination de l’utopie par l’apocalypse : la « nouvelle terre » qu’on nous annonce affecte de plus en plus la figure d’un nouvel enfer. Mais, cet enfer, nous l’attendons, nous nous faisons même un devoir d’en précipiter la venue. Les deux genres, l’utopique et l’apocalyptique, qui nous apparaissaient si dissemblables, s’interpénètrent, déteignent maintenant l’un sur l’autre, pour en former un troisième, merveilleusement apte à refléter la sorte de réalité qui nous menace et à laquelle nous dirons néanmoins oui, un oui correct et sans illusion. Ce sera notre manière d’être irréprochables devant la fatalité.
[...]
Pour mieux saisir sa déchéance ou celle d’autrui, il faut passer par le mal et, au besoin, s’y enfoncer : comment y arriver dans ces cités et ces îles d’où il est exclu par principe et par raison d’État ? Les ténèbres y sont interdites ; la lumière seule y est admise. Nulle trace de dualisme : l’utopie est d’essence antimanichéenne. Hostile à l’anomalie, au difforme, à l’irrégulier, elle tend à l’affermissement de l’homogène, du type, de la répétition et de l’orthodoxie. Mais la vie est rupture, hérésie, dérogation aux normes de la matière. Et l’homme, par rapport à la vie, est hérésie au second degré, victoire de l’individuel, du caprice, apparition aberrante, animal schismatique que la société – somme de monstres endormis – vise à ramener dans le droit chemin.
[...]
Rien ne dévoile mieux le sens physique de la nostalgie que l’impossibilité où elle est de coïncider avec quelque moment du temps que ce soit ; aussi cherche-t-elle consolation dans un passé reculé, immémorial, réfractaire aux siècles et comme antérieur au devenir.
[...]
Tout à l’opposé, celle dont procède le paradis d’ici-bas sera démunie de la dimension du regret précisément : nostalgie renversée, faussée et viciée, tendue vers le futur, obnubilée par le « progrès», réplique temporelle, métamorphose grimaçante du paradis originel. Contagion ? automatisme ? cette métamorphose a fini par s’opérer en chacun de nous. De gré ou de force, nous misons sur l’avenir, en faisons une panacée, et, l’assimilant au surgissement d’un tout autre temps à l’intérieur du temps même, le considérons comme une durée inépuisable et pourtant achevée, comme une histoire intemporelle. Contradiction dans les termes, inhérente à l'espoir d'un règne nouveau, d'une victoire de l'insoluble au sein du devenir. Nos rêves d’un monde meilleur se fondent sur une impossibilité théorique. Quoi d’étonnant qu’il faille, pour les justifier, recourir à des paradoxes solides ?
[...]
Échafauder une société où, selon une étiquette terrifiante, nos actes sont catalogués et réglés, où, par une charité poussée jusqu'à l’indécence, l’on se penche sur nos arrière-pensées elles-mêmes, c’est transporter les affres de l’enfer dans l’âge d'or, ou créer, avec le concours du diable, une institution philanthropique. Solariens, Utopiens, Harmoniens1 – leurs noms affreux ressemblent à leur sort, cauchemar qui nous est promis à nous aussi, puisque nous l’avons nous-mêmes érigé en idéal.
[...]
Autrement généreuse, car autrement naïve, la pensée révolutionnaire, elle, associant à l’effilochement du devenir l’idée de substantialité, discerne dans la succession un principe d’enrichissement, une féconde dislocation de l’identité et de la monotonie, et comme une perfectibilité jamais démentie, toujours en marche.

Depuis que l’esprit de l’homme marche en avant /…/ il n’est plus d’invasion de barbares, plus de coalition d’oppresseurs, plus d’évocation de préjugés, qui puisse le faire rétrograder. /…/ Il faut que les lumières s’étendent, que l’espèce humaine s’égalise et s’élève, et que chacune de ces générations successives que la mort engloutit, laisse du moins une trace brillante qui marque la route de la vérité.

Les misères prévisibles n'excitent pas les imaginations, et il est sans exemple qu'une révolution ait éclaté au nom d'un avenir sombre ou d'une prophétie amère.

autres dans Visions du temps. Cioran analyste de la réaction, de l’utopie et du progrès

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CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Empty Re: CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non

Message par Invité Jeu 3 Juin - 20:00

L'UTOPIE, LE COMMUNISME, ET MOI

« le droit de s'en aller »
le temps est venu, - il est déjà venu plusieurs fois, mais reparti -, de m'interroger sur mon rapport au communisme, à l'utopie en général partant de l'idée exposée plus haut que le communisme ne peut être aujourd'hui qu'une utopie, qu'on le prenne dans le sens de projet imaginaire et illusoire (chimère), ou de société imaginaire idéale possible dans le futur (de Mattis). Les partisans du communisme, dans leur diversité sans frontières, en conviennent de fait, qui ont toujours tenté de réhabiliter la dimension utopiste positive du communisme y compris dans la vision de Marx. Voir 26 mai, DE LA CRITIQUE DES MAUVAISES UTOPIES PAR MARX À L'INVENTION D'UNE BONNE UTOPIE PAR LES MARXISTES, un statut ambivalent

concernant mon rapport actuel au communisme, car je ne vais pas en refaire l'histoire depuis 50 ans*, je ne peux nier qu'il ne participe en rien à sa promotion même la plus idéelle : à quoi bon puisqu'il ne serait pas "une idée" mais un "mouvement actuel...", et alors que je n'en vois rien ?

* parenthèse personnelle
à vrai dire, aussi loin et précise que me remonte la mémoire de mon adhésion au communisme, je ne suis pas certain d'avoir sérieusement cru en sa réalisation, car je ne me suis vraiment posé que très tardivement la question de son réalisme**. Au demeurant, dans les lendemains de 68, on n'adhérait pas pour ça, mais tout simplement pour se battre au présent et concrètement contre le capital, ceci par-delà toutes erreurs, et l'on supposait alors des "étapes" dans lesquelles on ne voyait pas un obstacle au but de "la lutte finale", que la plupart laissaient dans le flou utopique des paroles de L'Internationale : « Demain... », ou les promesses de l'autogestion selon les situationnistes

** quand Bruno Astarian, théoricien de la communisation, affirme, en 2017 ici comme dernier mot : « Comme je le dis dans le texte sur la théorie, il faut assumer parfois de ne pas être réaliste. », eh bien, moi, j'assume au contraire, et autant que faire se peut en communiste, d'être réaliste et d'autant plus dans la théorie : comment peut-on seulement envisager, et pis revendiquer en théoricien l'oxymore d'une théorie non réaliste ?

quant à avoir la foi, c'est très relatif, un peu comme, gamin, ayant suivi des années le catéchisme par discipline et sans avoir le choix, j'ai fait ma "Communion solennelle", une "profession de foi" (sic), sans m'être sérieusement interrogé sur l'existence de Dieu et le risque encouru de ne pas aller au Paradis... j'ai toutefois refusé, "à l’âge de raison", la "Confirmation" : à 12 ans, je ne croyais plus et je savais pourquoi

l'absence de foi véritable de mon communisme ne m'a pas empêché de la confirmer en changeant d'Église du PCF à la Communisation malgré ma dissidence des deux, car elle ne portait pas sur le but affirmé, sans quoi j'en serais parti beaucoup plus tôt. Mais ayant duré de 4 à 5 décennies, ce paradoxe apparaît comme invraisemblable de la part de l'adulte doué de raison que j'étais devenu, voire après coup comme une dénégation honteuse. C'est qu'au fond, comme dit Cioran en exergue du sujet, je n'avais de conviction que pour n'avoir rien approfondi


la théorie de la production du communisme est une idéologie
même les plus opposés à l'idée que le communisme serait une idée (celle, idéaliste, de Badiou par exemple) n'en ont qu'une idée, n'en présentent qu'une idée, et ne peuvent en avoir qu'une idée, ou un corpus d'idées formaté en idéologie théoricienne, ce qui n'a rien pour gêner Théorie Communiste, puisqu'il est écrit en 2012 dans TC 24, Tel Quel, Capital comme contradiction en procès et conjoncture, dernière phrase conclusive telle une sanction sans appel :

Dans l’objectivité du processus révolutionnaire, le communisme est projet[40], c’est la forme idéologique du combat dans laquelle il est mené jusqu’au bout.

[40]La présentation qui est faite ici du projet comme idéologie nécessaire dans le cours de la révolution revient en l’infléchissant et la développant sur la critique du « projet révolutionnaire » faite dans TC 20, pp. 63-66.

"forme idéologique du combat" y compris donc théorique*, ce qui dit en passant fait mentir BL du même groupe TC : « Il n'y a pas de lutte idéologique, la lutte pratique est théorique. » (Sic 2009) : les deux sont les deux, mon capitaine. Qui dit idéologie d'un projet communiste, càd visée, ne peut aller sans utopie communiste, ce que reconnaît volontiers Bruno Astarian : « il faut tendre à définir la société communiste, et pour ce faire, il faut assumer l’abstraction et une dose d’utopie. » (Hic Salta 2016). D'où ses "récits", fustigés comme tels par RS/TC, de non-science fiction

* au sens où « Dans la théorie, nous retrouvons aussi une lutte de classes. [...] La théorie marxiste prend le parti de la classe prolétarienne dans la théorie. »sur Althusser, "Réponse à John Lewis", p. 55 et 56

si, en tant que strict matérialiste, et qui plus est ne croit que ce qu'il voit*, je réfute l'utopie, alors je refuse, au-delà de sa critique du capitalisme, le communisme comme idéologie, ou dit ironiquement en suivant TC et détournant Marx, le communisme comme mouvement réel... de son idéologie jusqu'au bout. Il en résulte que je me place d'emblée hors jeu de toute discussion à son sujet avec quiconque y croit, vaine puisqu'il n'a plus aujourd'hui que la foi révolutionnaire d'un charbonnier sans charbon, et qu'elle est par définition irréfutable**. Il y croit, moi non, chacun chez soi et les idées seront bien gardées

* j'introduis une distinction car on peut être matérialiste dans une philosophie se projetant sur l'avenir, tel le Marx de la 11ème des Thèses sur Feuerbach, mais c'est un autre débat

** voir, archivé, CRITIQUE DU CONCEPT DE RÉVOLUTION


du "saut dans l'inconnu de la liberté" à une utopie totalitaire ?
par contre, je m'oppose véhémentement à qui affirme « Ne pas croire à la possibilité du communisme est une entrave réelle à la possibilité de sa production » (de Mattis), autrement dit, s'il n'y a pas de révolution en vue, c'est par la faute de contre-révolutionnaires objectifs qui s'ignorent, on va leur écrire un bouquin comme nous préviennent les Témoins de Jéhovah : "Réveillez-vous !" et tant pis pour vous si... Car derrière cet objectivisme gauchiste de militant se cache une menace potentielle : ce communisme-là ne saurait être "produit" qu'au prix de l'élimination programmée, nécessaire et inévitablement massive, des individus qui n'y croiraient pas mais resteraient passifs, et cela porte un nom : le totalitarisme et comme projet, une utopie totalitaire

un prix trop cher pour un choix d'inconnues trop connues, mais pas du même Astarian de Hic Salta en 1993, avec « le saut dans l'inconnu de la liberté » : comment d'ailleurs peut-on fonder une utopie de la liberté sur l'inconnu ?

en attendant la fin, l'élimination fut mon sort en milieu communiste radical, certes sur un plan strictement intellectuel, - encore des idées, rien que des idées, et ne pouvant pour l'heure n'être staliniens que de la pensée, ils n'ont fait ainsi que se dispenser d'en avoir contre les miennes

autant en emporte mon vent
mais que les "camarades" se rassurent, que je refuse d'y croire serait de nul effet si, hypothèse improbable, le communisme surgissait comme mouvement nécessaire de l'histoire, dans un tsunami de masses prolétariennes..., mon doute philosophique n'y pourrait pas grand chose, d'autant que je ne chercherais pas à m'y opposer, n'étant ni anticommuniste, ni contre-révolutionnaire, ni masochiste. Je ne renie pas non plus les propositions positives que j'ai faites en théorisation communiste, nulle part discutées, peut-être, va savoir, parce qu'elles manquent... d'utopie ?


Rolling Eyes

ma position n'a donc pas vocation à être suivie, elle n'est qu'individuelle et je suppose qu'il existera toujours, dans quel que monde que ce soit, des individus qui ne veulent ni suivre ni être suivis, et qui entendent bien, a minima mais quoi qu'il leur en coûte, défendre ce droit-là, comme dit Camatte, à le quitter

CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Citation-parmi-l-enumeration-nombreuse-des-droits-de-l-homme-que-la-sagesse-du-xixe-siecle-recommence-si-charles-baudelaire-118877

si le communisme réalisé est « le règne de la liberté »*, le moindre serait qu'il nous accorde celles-ci autant que le capitalisme et davantage, malheureusement, que certains "communistes" qui se voudraient bien "libertaires", belle utopie, mais ne parviennent à être que totalitaires, triste réalité

* Marx : "Le règne de la liberté commence seulement là ou l'on cesse de travailler par nécessité et opportunité imposée de l'extérieur; il se situe donc, par nature, au-delà de la sphère de production matérielle proprement dite". Le Capital, Livre III


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CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Empty Re: CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non

Message par Invité Ven 4 Juin - 12:48


parmi les idéaux de sociétés que se forgent inéluctablement les humains,
le communisme est celui qui nécessite le moins d'utopie, et le plus de réalisme


« N'a de convictions que celui qui n'a rien approfondi. »
Cioran

CONTREPOINT

montée des cours sur le marché des utopies
en attendant l'invitation, prédite, de Léon de Mattis par France Culture pour Utopie 21 comme il l'avait été pour Mort à la démocratie, et laissant entendre que l'affaire est dans l'air du temps, les réflexions d'une historienne, Sophie Wahnich, membre du comité de rédaction de la revue politique et culturelle Vacarme. Je les trouve d'une insondable platitude idéaliste. Elles confirment néanmoins le fond du besoin d'utopie dans le manque à combler de bien-vivre, un appel du vide à tout et n'importe quoi, alors pourquoi pas "le communisme", mais elle n'en parle pas

non, toutes les utopies n'ont pas "une capacité à faire rupture", il en va d'elles comme des Églises et des Sectes. Ernest Renan disait que « Le christianisme est une secte qui a réussi », et celles qui ratent ne font rupture que dans la vie de centaines de personnes, non de millions, de milliards. Ont fait rupture l'utopie de l'État, l'utopie citoyenne démocratique, l'utopie de l'argent, l'utopie du progrès technique..., et il y a tout lieu de penser qu'elles vont continuer sans rompre avec le capitalisme, qui déjà les prolonge d'autres, l'utopie de l'homme augmenté, l'utopie écologiste... Voilà le "mouvement réel", et la meilleure des "utopies concrètes" est encore de les combattre, ce qui ne relève pas d'une utopie mais du réalisme de la vie au futur du présent

un bémol à cette charge anti-utopiste. Si ce ne sont pas les idées qui transforment le monde, credo matérialiste de Marx prolongé de la possibilité qu'elles s'emparent des masses pour devenir force matérielle, il n'est point nécessaire qu'elles portent une vérité. Exemple encore des religions, soit l'invention de Dieu par l'humanité, qui loin par là d'apporter la réponse à un problème parce qu'elles pouvaient le résoudre, en ont produit un autre, fondement des utopies et de catastrophes humaines toujours en perspective au présent  

par les temps qui courent, on peut s'attendre à une montée des cours sur le marché des utopies


Arrow

je veux ajouter une chose à mon billet d'hier, L'UTOPIE, LE COMMUNISME, ET MOI

je ne suis pas naïf au point de penser que les humains puissent se passer d'utopie, de rêver à un monde meilleur. J'adopte une position anti-utopique extrême par principe, un peu comme avec POUR L'ART, CONTRE L'ARTISTE. Ma conviction est aussi que parmi les idéaux de sociétés que se forgent inéluctablement les humains, le communisme est celui qui nécessite le moins d'utopie, et le plus de réalisme, et c'est pourquoi je critique radicalement leur association idéologique

au fond, je partage l'idée d'un processus dialectique de "dépassement produit" théorisé pour la communisation par TC, mais qui vaut tout autant pour la pensée de Camatte avec l'émergence d'un processus d'"inversion" : je ne trouve ni dans l'un ni dans l'autre, en tant que processus de changement historique, une dimension utopique

reste à savoir si l'humanité sera un jour capable de se hisser à un tel niveau de lucidité et d'exigence, ce qui ne saurait être l'affaire d'une seule classe, le prolétariat, ou d'un sujet particulier gonflé, dans l'inamitié, de sa singularité révolutionnaire universelle

on pourrait penser que je suis sévère avec Léon de Mattis, et qu'après tout, il n'y a pas de quoi fouetter un chat, que ça part sincèrement d'une bonne intention communiste, mais est-ce avec des bonnes intentions qu'on change le monde ?
"Ce qui est grand dans une utopie, c'est sa capacité à faire rupture"
Marie Sorbier, France Culture, 2 juin 2021

En amont du "Parlement des liens" organisé au Centre Pompidou du 4 au 6 juin, où 53 penseurs, scientifiques et artistes converseront sur les enjeux de notre société, l'historienne et directrice de recherche au CNRS Sophie Wahnich revient sur l’importance de développer une pensée utopiste.

CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non 838_107660155_o
"La Grande Tour de Babel", par Pieter Brueghel l'Ancien (1563)
Du 4 au 6 juin, le Centre Pompidou et les éditions Les Liens qui libèrent organisent le Parlement des liens. Trois jours de conversations et de dialogues entre 53 penseurs, scientifiques et artistes pour faire le point, en cette période de réouverture, sur les défis qui attendent nos sociétés. L'historienne et directrice de recherche au CNRS Sophie Wahnich participera à ce dialogue avec, entre autres, Etienne Klein et Yannick Haenel. Au micro de Marie Sorbier, elle revient sur la manière dont des mois de fermeture et de privation de liberté ont pu nous amener à penser de nouvelles façons de vivre. Est-ce durant les périodes les plus contraintes que le désir d'utopie se fait plus puissant ?

La naissance de la pensée utopique s'est faite sous la contrainte d'un pouvoir autoritaire, comme moyen pour des cercles de pensée de continuer d'exprimer et imaginer une société satisfaisante à un moment où sa réalisation était impossible. L'utopie a donc une dimension non-réalisable qui tient aux contraintes d'une époque, et non pas au potentiel des êtres humains en général. La pensée utopique est le lieu où s'élabore la possibilité d'une toute autre société. Que cette société prenne forme ou non, l'utopie donne des éléments d'imaginaires sociaux qui permettent de construire les conditions de possibilité d'une autre société.

La question aujourd'hui est de savoir si nous sommes dans un moment d'élaboration sous contrainte, ou bien si nous pouvons compresser le temps et faire sauter la contrainte, pour que l'ensemble des utopies prenne de l'ampleur et que les zones grises laisse place aux zones colorées.                
Sophie Wahnich

Je ne suis pas très optimiste. Tenir sur ce qui existe sera un effort important. Elaborer une pensée du tout autre peut se faire, mais difficilement. Le déconfinement n'est pas complètement joyeux. Les gens sont épuisés, heureux de retrouver un espace public de plaisir, mais il y a aussi une certaine lourdeur que chacun peut ressentir.                
Sophie Wahnich

Dans une tribune parue en février 2021 dans Libération, l'historienne affirme : "Nul besoin de faire exister l'utopie immédiatement. Elle peut se transmettre au-delà de votre temps de vie. Ce qui a été lancé n'est jamais perdu pour l'histoire". Si on se donne en tant qu'individu ou en tant que groupe l'impératif d'être efficace dans ce que l'on entreprend, on n'est jamais totalement sûr de réussir. Cette incertitude qui peut conduire à la mélancolie est celle qui habite le climat actuel, estime Sophie Wahnich.

Entre les nouveaux sondages, les tribunes des généraux et des policiers, il y a plusieurs signaux qui indiquent qu'élaborer une utopie est difficile. Mais il faut garder confiance dans l'effort et les forces de la pensée. Même si on sait qu'on ne pourra pas obtenir ce que l'on souhaite, il faut continuer à le penser, pour que ce soit récupérable par les générations suivantes.              
Sophie Wahnich

L'idée d'une bibliothèque-monde où l'on peut se passer le mot de l'utopie a quelque chose de réconfortant. Néanmoins, la pensée occidentale est aujourd'hui disqualifiée. La question utopique, qui a été forgée en Occident, doit se réinventer dans son articulation. Que garde-t-on, ou pas ? Comment ré-agencer cette pensée, qui est maintenant une pensée de la créolisation ?                
Sophie Wahnich

Derrière la grandiloquence du concept d'utopie, l'Histoire a vu des utopies plus modestes émerger et entrer dans nos vies au point où nous oublions le moment où elles semblaient impossible à réaliser. Si ces utopies modestes peuvent paraître plus concrètes, reste pour Sophie Wahnich, l'utopie ne peut se définir sans une forme de grandeur.

Ce qui est grand dans une utopie, c'est sa capacité à faire rupture. La rupture ne peut être petite. Il ne s'agit pas de faire une petite entaille qui pourrait se refermer, mais d'ouvrir une béance qui ne se referme pas. Ce qui est peut être modeste, c'est l'activation des utopies concrètes. Mais les engagements de vie de ces utopies ne sont pas modestes. Une utopie implique une véritable brûlure de la vie. Comme disait Barthes, pourquoi durer plutôt que brûler ?        
Sophie Wahnich

Si l'espace qu'investit une utopie peut paraître réduit, modeste, une utopie est toujours grande car elle est une rupture, la possibilité d'inventer un geste amenant vers un véritable ailleurs, estime Sophie Wahnich. Il s'agit d'un décalage si profond que certains le refusent, de peur d'être pris dans un monde qui ne ressemblerait plus au leur.

La pensée utopique est celle qui cherche un monde qui ne ressemblerait plus à celui qu'on a connu, qui assume l'idée que le champ d'expériences devienne complètement caduque au profit de quelque chose de désirable. Il ne s'agit pas de se noyer dans l'océan alors qu'on était sur la terre ferme, mais l'utopie suppose un imaginaire de la grandeur.              
Sophie Wahnich


Dernière édition par Florage le Sam 5 Juin - 7:28, édité 1 fois

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Message par Invité Sam 5 Juin - 10:48

SOMMAIRE
1
faire la critique des idéologies utopistes, avec Ernst Bloch, Günther Anders, Hans Jonas, Arno Münster...
2
Fredric Jameson, Archéologies du futur : Le désir nommé utopie
3
DE LA CRITIQUE DES MAUVAISES UTOPIES PAR MARX
À L'INVENTION D'UNE BONNE UTOPIE PAR LES MARXISTES
un statut ambivalent
4
pour une vision dialectique
UTOPIE et CONTRE-UTOPIE
le lien entre utopie et théorie / parler du communisme comme étant une utopie
5
Cioran, Histoire et utopie, 1960, extraits
6
L'UTOPIE, LE COMMUNISME, ET MOI « le droit de s'en aller »
la théorie de la production du communisme est une idéologie
7
CONTREPOINT
montée des cours sur le marché des utopies / une historienne à France Culture
8
CONTRE TOUT ROMANTISME RÉVOLUTIONNAIRE
faire du communisme une utopie, c'est affirmer son impossibilité
CONTRE TOUT ROMANTISME RÉVOLUTIONNAIRE
faire du communisme une utopie, c'est affirmer son impossibilité

il n'y a pas à croire en un possible futur, mais à voir un réel présent :
le combat communiste aujourd'hui consiste à favoriser la conscience de ce qu'est le capitalisme,
non celle de ce que serait le communisme


CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non 5ac3731b1bc3800287887e85b03f1681

en affirmant, dans le billet précédent, que « parmi les idéaux de sociétés que se forgent inéluctablement les humains, le communisme est celui qui nécessite le moins d'utopie, et le plus de réalisme », je prends le contrepied de tout romantisme révolutionnaire,

ainsi d'une certaine vision/compréhension de 1968, dont les slogans sur les murs, d'inspiration situationniste ("Ne travaillez jamais", "Il est interdit d'interdire", "Prenez vos désirs pour des réalités", "Soyez réalistes, demandez l'impossible"...) ont ceci de cocasse est qu'ils n'ont pas été concrétisés, ou de façon très marginale, ou en les prenant au pied de la lettre, "Prenez vos désirs pour des réalités" par exemple

le dernier cité, "Soyez réalistes, demandez l'impossible", est particulièrement ambigu par sa provocation, puisque ce qui est effectivement réalisé prouve que c'était possible, donc réaliste, à ceci près que ce n'est pas à "demander" mais à faire en se passant d'autorisation

c'est peut-être parce que personne n'y croyait vraiment qu'il fallait l'écrire sur les murs ?


scratch

« les choses, non les mots »
Jean-Luc Godard

je pense qu'un signe qui ne tromperait pas sur la réalité d'un moment révolutionnaire, comme grand mouvement et changement réels et non pas rêvés, ou mise en œuvre d'un quelconque programme utopique avec sa liste de "mesures communistes", de préférence d'"abolitions" en tous genres établie par des "leaders objectifs" n'étant, bien entendu, "ni dieu ni maître", un tel signe serait que les choses se feraient sans (trop de) phrases

et le reste est (mauvaise) littérature, dont s'emplissent les revues sur papier glacé pour lendemains qui chantent dans les bibliothèques de la classe moyenne d'ultragauche


Twisted Evil

CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Mur-d-affiches-Mai-68

un autre symptôme du parfait échec de 68 comme révolution est ce qu'on a fait de l'art, ce qu'on a alors appelé "art", dans les écoles des Beaux-Arts transformées en usines sérigraphiques pour les slogans évoqués plus haut, bref tout ce "gauchisme esthétique" qui, bien souvent, n'a fait que retomber en esprit dans le principe du "réalisme socialiste" cher à Staline et Jdanov...

CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Thomas-hart-benton-city-building-america-today
l'ironie du sort : Travaillez toujours !

« faire du communisme une utopie, c'est affirmer son impossibilité » n'est pas équivalent à « le communisme n'est pas une utopie », car tant qu'il en restera une, il n'existera ni comme mouvement ni comme société ; sa réalisation serait par excellence anti-utopique et en rien produit d'une utopie

pour détourner de Mattis*, nous dirons que présenter le communisme comme une utopie est une entrave réelle à sa production réaliste

*« Ne pas croire à la possibilité du communisme est une entrave réelle à la possibilité de sa production »

il n'y a pas à croire en un possible futur, mais à voir un réel présent, de même, prosaïquement, le combat communiste aujourd'hui consiste à favoriser la conscience de ce qu'est le capitalisme, non celle de ce que serait le communisme, ceci dans le sens où Endnotes affirmait « la conscience de classe, dans la période présente, ne peut être que la conscience du capital »

* point 8 des Thèses de L.A. (Los Angelès 2015) : « Voilà ce que nous voulons dire quand nous affirmons que la conscience de classe, aujourd’hui, ne peut être que la conscience du capital. Dans la lutte pour leur vie, les prolétaires doivent détruire ce qui les sépare. Dans le capitalisme, ce qui les sépare est aussi ce qui les unit : le marché constitue à la fois leur atomisation et leur interdépendance. C’est la conscience du capital comme notre unité dans la séparation qui nous permet de poser à partir des conditions existantes – même si ce n’est que comme négatif photographique – la capacité de l’humanité au communisme. », rappelé en notes 34 et 70 du texte Barbares en avant ! dans la traduction par Stoff et Agitations


CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non E3GUcssWQAAFTla?format=png&name=medium

extrait de "Patlotch au Pays des Merveilles", le représentant avec son chien de Pavlov,
poursuivis par des gardiens de la foi communisatrice sur une feuille de papier à 4

au fond, dans le noir, on distingue clairement le prolétariat endormi
il n'a plus faim : qui dort dîne


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CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Empty Re: CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non

Message par Troguble Dim 10 Oct - 12:38


Révolution dans la Résolution
en faire épave de bonnes intentions


le communisme mesuré par un utopiste
ça eût été mais ça ne tête plus

Patlotch a écrit:puisque j'ai, dans ce sujet, critiqué ici le livre Utopie 2021 de Léon de Mattis, en relevant qu'il n'avait fait l'objet d'aucun débat dans "le milieu radical", je me dois de signaler sa recension chez Zones subversives le 7 octobre


mais avant, qu'on me permette un préambule, extrait de MABOUL ISIDORE, roman-feuilleton, février 2012
31. De la démesure

« Cet être des temps modernes, qui mesure, pèse et calcule exactement, est la forme la plus pure de leur intellectualisme, suscitant là aussi, par-delà l'égalité abstraite, le développement des éléments spécifiques le plus égoïste qui soit : et en effet, avec son intuition, la langue entend par un homme « qui calcule » tout simplement quelqu'un qui calcule égoïstement. » Georg Simmel, Philosophie de l'argent, 1900, Quadrige 2007, p.566

« La poésie c'est l'exaltation de ce qui n'est pas mesurable » Annie Lebrun, Appel d'air, 1988


Maboul n'a peur de rien, disions-nous, et moins encore du ridicule, car plus que l'échec, il redoute la réussite. Sans quoi il aurait pris des mesures pour y parvenir. On trouve dans tous les domaines des gens, des plus idiots aux plus intelligents, pour lesquels ne s'améliore que ce qui se mesure. De toutes choses ils prennent la mesure, afin de pouvoir en toutes choses prendre des mesures. Pour que leurs réussites puissent se comparer, il leur faut en tout et pour tout être mesurables. Se mesurer jusqu'à la démesure. Une mâle grandeur s'éprend d'un féminité sur mesure*, avec programme intégré d'allongement du pénis, costard trois-pièces dans la tête, et cuisine aménagée pour Madame. La vie est tailleur, my Taylor is rich. Isidore y voit un mélange harmonieux entre croyance en la science, religion de la valeur, et fantasme sexuel. C'est pourquoi, n'ayant pas peur du ridicule, il n'a pas envie de se mesurer. Incommensurablement, Isidore est ailleurs, Maboul s'est taillé.

* Mettons-nous un instant à la place de ce pauvre Monsieur Strauss-Kahn. Comment mesurer la différence entre une femme du monde libérée et une prostituée de luxe ?
Patlotch a écrit:​j'ai beaucoup apprécié le coup de « La cantine [, qui] permet d’organiser la satisfaction des besoins fondamentaux. Elle peut être fixe ou itinérante.» Le passage n'est qu'un commentaire, et le lien renvoie à une présentation par le même

CRITIQUE DE L'UTOPIE, DES UTOPIES, communistes ou non Ob_ce4de4_cantine

​c'est à Ménilmontant, un peu le quartier général de l'ultragauche parisienne et de Léon de Mattis en particulier. C'est par là que j'avais en 2007 subi un interrogatoire communisateur à la demande d'un garçon de café breton qui voulait bien participer à la revue communisatrice Meeting, à condition que j'en sois exclus, pour cause de "démocratisme radical", "notre ennemi", et d'antifascisme avéré - je lui avais dit à tout prendre préférer ne pas voir arriver le FN au pouvoir. Procès aux relents staliniens évidents qui n'avait pas fait bronché l'avocat de la partie cynique Mattis, il se contenta de : « Après tout, je ne te connais pas »

je ne suis pas certain que le commentateur ait bien compris le message de Léon, notamment dans ce passage :


Le jeu occupe une place centrale dans l’organisation de la vie sociale. La manière de se nourrir et de produire peut prendre une dimension ludique. Ensuite, le jeu et la créativité peuvent devenir un exutoire pour permettre de limiter les frustrations, les tensions et les conflits. « Ce qui a pu s’exprimer en termes capitalistes, dans l’art, la science et la technologie trouve une voie nouvelle pour investir les disciplines qui leur succèdent », indique Léon de Mattis.

"exutoire" me semble outrageusement marginaliser le rôle de l'art ou de la science dans les nouveaux "rapports sociaux" (qui n'en sont pas, puisqu'"immédiats entre individus", car "le communisme n'est pas une société"...). Si l'on n'a rien d'autre, pour « limiter les frustrations, les tensions et les conflits », que le recours à un "exutoire", c'est qu'on n'aura pas été capable de régler leurs causes profondes de façon radicale, en les prenant à la racine. Autant dire, encore "Du pain et des jeux", il ne restera plus qu'à réhabiliter le football, comme jeu révolutionnaire, ou le pédalo et les auto-tamponneuses, comme les Talibans en exutoire à leurs forfaits

le mot de "disciplines" est un rien malheureux nonobstant sa bisémie, mais bien sûr, comme rien ne sera comme avant, c'est la novlangue qui sera déterminante, puisque même pour faire la même chose (en l'occurrence, la création humaine), il s'agira de la nommer autrement, par "mesure communiste" : « C’est ainsi que la révolution dans la révolution pourrait se manifester par des affrontements entre des mesures communistes et des mesures qui l’ont été, mais ne le sont plus »

on comprend que d'aucuns communisateurs, voulant passer pour plus sérieux, préfèrent n'en rien dire, car c'est au-delà de leurs horizons de visibilité, après la révolution sur mesure de leur théorie, qui est une structure d'horizon

pour l'heure, je ne vois guère plus loin que les Horizons d'Édouard Philippe. C'est, comme nous l'avons vu, un autre sens de l'utopie



Troguble

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