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Message par Invité Ven 29 Mar - 5:51

humanisme, occidentalocentrisme, et anthropocentrisme sont indissociables
Patlotch a écrit:j'écrivais hier, dans Penser contre l'anthropocentrisme qu'il fallait 'éradiquer tout anthropocentrisme, dont l'humanisme-théorique, de même que dans les années précédentes je m'étais attaché à combattre les ethnocentrismes et particulièrement l'eurocentrisme et l'occidentalocentrisme

mais aussi que l'expression communauté du vivant induit une question : comment les autres domaines du vivant, les animaux mais aussi les plantes... peuvent-ils s'intégrer à cette communauté, puisqu'il ne sont pas a priori des sujets , du moins des sujets pensants. Il s'agirait donc plutôt a priori que l'humanité, les êtres humains, prennent en charge cette intégration au-delà des seuls intérêts supposés de leur espèce, et c'est là que l'écologie, en tant que systémique d'ensemble, peut nous aider. C'est donc dire a contrario que l'humanité reste au centre de ce qu'elle peut faire pour sortir d'elle même en dépassant sa séparation avec la nature

aujourd'hui, je tombe sur cette affirmation de J. Baird Callicott

Nous devons remettre l'échelle de l'imagination humaine et de l'existence humaine en comparaison avec la Terre et donc recentrer paradoxalement notre éthique environnementale sur des bases anthropocentriques plutôt que non-anthropocentriques. Ce fut un dur changement pour moi sachant que j'ai lutté sévèrement contre l'anthropocentrisme depuis les débuts de ma carrière... et maintenant me voilà néo-anthropocentriste face à la seconde vague de la crise environnementale et les implications que ce changement d'échelle a entraîné pour l'éthique environnementale.

le point de vue de l'anthropologue Claude Levi-Strauss

Certaines méchantes langues traitent certains écologistes d’anti-humanistes. L’analyse ci-dessous montrent que c’est plutôt un humanisme étroit qui empêche d’être vraiment écologiste. L’humanisme qui consiste à tout ramener à l’homme – surtout occidental – instaure un anthropocentrisme aussi dévastateur pour le reste de la création qu’il est hégémonique. Relisons Claude Levi-Strauss pour qui notre  humanisme est « dévergondé » :

Claude Lévi-Strauss dans un entretien télévisé : « Lorsque les hommes commencent à se sentir à l’étroit dans leurs espaces géographiques, une solution simple risque de les séduire, celle qui consiste à refuser la qualité humaine à une partie de l’espèce . »

Claude Lévi-Strauss en 1955 : « Tout abus commis aux dépens d’une espèce se traduit nécessairement, dans la philosophie indigène, par une diminution de l’espérance de vie des hommes eux-mêmes. Ce sont là des témoignages peut-être naïfs, mais combien efficaces d’un humanisme sagement conçu qui ne commence pas par soi-même mais fait à l’homme une place raisonnable dans la nature au lieu qu’il s’en institue le maître et la saccage sans même avoir égard aux besoins et aux intérêts les plus évidents de ceux qui viendront après lui (…) Un humanisme bien ordonné ne commence pas par soi-même, mais place le monde avant la vie, la vie avant l’homme, le respect des autres avant l’amour-propre  (Tristes tropiques »)

Dans son allocution à l’UNESCO en 1971, Claude Lévi-Strauss concluait : « Le respect que nous souhaitons obtenir de l’homme envers ses pareils n’est qu’un cas particulier du respect qu’il devrait ressentir pour toute forme de vie. En isolant l’homme du reste de la création, en définissant trop étroitement les limites qui l’en séparent, l’humanisme occidental, hérité de l’Antiquité et de la Renaissance l’a privé d’un glacis protecteur. Il a permis que soient rejetées, hors des frontières arbitrairement tracées, des fractions d’une humanité à laquelle on pouvait d’autant plus facilement refuser la même dignité qu’au reste, qu’on avait oublié que si l’homme est respectable, c’est d’abord comme être vivant plutôt que comme seigneur et maître de la création. »

Claude Lévi-Strauss en 1983 : « …Que règne, enfin, l’idée que les hommes, les animaux et les plantes disposent d’un capital commun de vie, de sorte que tout abus commis aux dépens d’une espèce se traduit nécessairement, dans la philosophie indigène, par une diminution de l’espérance de vie des hommes eux-mêmes, ce sont là autant de témoignages peut-être naïfs, mais combien efficaces d’un humanisme sagement conçu qui ne commence pas par soi-même mais fait à l’homme une place raisonnable dans la nature au lieu qu’il s’en institue le maître et la saccage sans même avoir égard aux besoins et aux intérêts les plus évidents de ceux qui viendront après lui. » (« Le regard éloigné » Plon)

Discours de Claude Lévi-Strauss en 2005 à l’occasion de la remise du XVIIe Premi Internacional Catalunya : « Si l’homme possède d’abord des droits au titre d’être vivant, il en résulte que ces droits, reconnus à l’humanité en tant qu’espèce, rencontrent leurs limites naturelles dans les droits des autres espèces. Les droits de l’humanité cessent au moment où leur exercice met en péril l’existence d’autres espèces. Le droit à la vie et au libre développement des espèces vivantes encore représentées sur la terre peut seul être dit imprescriptible, pour la raison très simple que la disparition d’une espèce quelconque creuse un vide, irréparable, à notre échelle, dans le système de la création. Seule cette façon de considérer l’homme pourrait recueillir l’assentiment de toutes les civilisations. La nôtre d’abord, car la conception que je viens d’esquisser fut celle des jurisconsultes romains, pénétrés d’influences stoïciennes, qui définissaient la loi naturelle comme l’ensemble des rapports généraux établis par la nature entre tous les êtres animés pour leur commune conservation ; celle aussi des grandes civilisations de l’Orient et de l’Extrême-Orient, inspirées par l’hindouisme et le bouddhisme; celle, enfin, des peuples dits sous-développés, et même des plus humbles d’entre eux, les sociétés sans écriture qu’étudient les ethnologues. Par de sages coutumes que nous aurions tort de reléguer au rang de superstitions, elles limitent la consommation par l’homme des autres espèces vivantes et lui en imposent le respect moral, associé à des règles très strictes pour assurer leur conservation. Si différentes que ces dernières sociétés soient les unes des autres, elles concordent pour faire de l’homme une partie prenante, et non un maître de la création. Telle est la leçon que l’ethnologie a apprise auprès d’elles, en souhaitant qu’au moment de rejoindre le concert des nations ces sociétés la conservent intacte et que, par leur exemple, nous sachions nous en inspirer. »

Pierre Jouventin, un digne successeur de Lévi-Strauss, en 2016 : « Victor Hugo, ce généreux humaniste, écrivait : « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons. » C’est de moins en moins évident aujourd’hui. « L’homme est la mesure de toute chose », répète-t-on, mais on oublie qu’aux disciples de Protagoras, Socrate demanda pourquoi le cochon ou le babouin ne serait pas la mesure de toutes choses. A quoi sert une homme aujourd’hui ? A rétablir une harmonie du monde, celle que l’humanisme a détruite pour avoir élevé l’humain à une fin en soi en le plaçant au-dessus de tout. Comme Dominique Lestel l’écrit, il faut donc remettre l’humanisme en question et lui faire avouer que sous des dehors bienfaiteurs et malgré quelques victoires non négligeables, il a été une catastrophe pour le monde. Le propre de l’homme n’est plus vraiment un problème de science, et, comme le roi nu, il apparaît pour ce qu’il est en réalité, un jugement de valeur, un simple point de vue, sans doute respectable, mais pas indiscutable. Il faut élargir l’humanisme à l’ensemble du monde vivant comme les autres civilisations moins nombrilistes, moins anthropocentrées que la nôtre l’ont fait, afin de rétablir les liens rompus depuis trop de temps avec notre famille animale. L’antispécisme, qui n’établit pas de hiérarchie entre les espèces, se veut la continuation logique de l’antiracisme. De même le bio-centrisme, qui s’oppose à anthropocentrisme faisant de l’homme le seul être pensant, se considère comme le prolongement de l’humanisme. » (L’homme, cet animal raté (Histoire naturelle de notre espèce) » aux éditions Libre & Solidaire

Dans sa visée civilisatrice et libératrice, la pensée humaniste occidentale a occulté, durant de longs siècles, la dimension naturelle des sociétés et des humains. Si, aujourd'hui, la nature revient en force, elle tend paradoxalement − et dangereusement − à disparaître, à travers les avancées technoscientifiques, au nom de l'émancipation et de l'égalité entre les êtres humains. Face à l'avènement d'un « monde cyborg », il devient urgent de renouer avec la fragilité constitutive de l'homme comme de la biosphère. Trois questions à Geneviève Azam, économiste à l'Université Toulouse-Jean-Jaurès et membre du Conseil scientifique d'Attac, auteur notamment de Osons rester humain. Les impasses de la toute-puissance (Les Liens qui libèrent, 2015).
Sciences Critiques − Quelles sont les impasses du « dualisme occidental », qui oppose radicalement nature d'un côté et société et culture humaines de l'autre ?

Geneviève Azam − L’histoire de cette séparation est longue et tourmentée. Elle donne sa pleine mesure au moment des révolutions scientifiques des XVIème et XVIIème siècle. La nature 1 devient un objet qu’il faut contraindre, dont il faut percer les secrets, qu’il faut disséquer. Elle est extérieure à l’expérience des sujets humains, qui seuls constituent le monde. Elle est mise en servitude, selon l’expression de Francis Bacon, pour être mieux modelée.

LA LIBERTÉ DES HUMAINS N'A DE SENS QU'À LA CONDITION DE PRENDRE EN COMPTE LES LIMITES MATÉRIELLES DE LA TERRE.

Ce dualisme anthropocentrique a fait de la nature un « environnement » à l’usage des humains, dans lequel on peut à l’infini puiser des ressources et déverser des déchets. Ceci a été amplifié avec les prémisses du capitalisme industriel, qui supposaient la possibilité d’extraction infinie des matières nécessaires à l’accumulation. La rupture des liens qui unissaient les humains et la terre, l’abandon de l’idée de Terre nourricière, le passage de principes de coopération à ceux de la concurrence, ont autorisé cette extraction sans bornes. Dans ce cadre, l’arrachement à la nature, la rupture des liens, sont civilisateurs et émancipateurs. Par conséquent, la question sociale a été amputée de toute la dimension naturelle des sociétés et des humains. Une part majeure de l’humanisme s’est construit comme « anti-nature ».

Parler de dimension naturelle ne signifie pas que sociétés et humains soient guidés par des lois dites « naturelles ». Cela signifie que la liberté des humains, leur capacité à créer des institutions, leurs choix, n’ont de sens et de durabilité qu’à la condition de prendre en compte les limites matérielles de la Terre 2, la complexité et la diversité des écosystèmes qui abritent les sociétés et les rendent possibles, la fragilité constitutive des humains.

UNE PART MAJEURE DE L'HUMANISME S'EST CONSTRUIT COMME ANTI-NATURE.

Ce dualisme est aussi l’outil de relégation d’êtres humains assignés à un état de nature et privés de culture : femmes 3, peuples traditionnels, personnes de couleur. La déliaison a autorisé à la fois la domination de la nature et une hiérarchie sociale fondée sur le degré d’émancipation vis-à-vis des éléments naturels.

A contrario, quels sont les risques liés à la volonté de fusionner nature et société humaine que portent, par exemple, certains courants de la sociologie des sciences, du féminisme et du post-environnementalisme ainsi que les scientifiques transhumanistes ?

L’abandon du dualisme ne saurait suffire. Même si cette vision demeure dans les pensées et dans les faits, elle est en effet déjà largement déconstruite, avec la suppression d’un des deux termes de la dualité, en l’occurence la nature. La nature serait finalement une construction sociale et culturelle. Elle n’aurait pas d’existence extérieure à l’expérience humaine. Voire elle serait morte, tant la frontière entre nature et artifice n’aurait plus de sens.

LE PROBLÈME AUJOURD'HUI N'EST PAS SEULEMENT LE DUALISME ENTRE NATURE ET CULTURE MAIS L'INDISTINCTION ENTRE LES DEUX PÔLES.

Avec cette mort, l’œuvre libératrice d’artificialisation du monde et des humains pourrait se poursuivre, s’amplifier et se radicaliser. Au lieu de cultiver la fragilité, il s’agirait de la vaincre en corrigeant les erreurs et les manques de la nature, en radicalisant la modernité technicienne 4 par un sursaut de rationalité instrumentale. Rien alors ne pourrait s’opposer à la commande et au contrôle du système terrestre par la géo-ingénierie, à la fusion entre machines et organismes vivants pour « sauver le vivant et la biodiversité », à la fusion du corps et de l’esprit dans un cerveau ordinateur-processeur. 5

Ce monde-là est un monde cyborg, dans lequel le monde naturel est un réseau connecté d’informations à collecter, s’approprier, organiser, contrôler et recomposer. Il s’accorde avec le néolibéralisme 6 qui, après avoir décrété la fin de la société et de l’histoire, décrète la fin de la nature, absorbée dans le cycle du capital − économie verte, production et évaluation des services écosystémiques, économie de la vie, économie de la reproduction −, jusqu’aux pollutions et destructions, « internalisées » et marchandisées.

Certains courants de pensée voient dans l’hybridation entre nature et artifice, dans ce monde cyborg, des possibilités nouvelles de liberté et d’émancipation. C’est pourquoi le problème aujourd’hui n’est pas seulement le dualisme entre nature et culture mais l’indistinction entre les deux pôles. Vous évoquez les post-féministes. Elles s’opposent aux éco-féministes, en ce que ces dernières entendent bien retourner les dominations subies au titre de la nature, non pas en s’arrachant ou en s’hybridant avec des objets techniques pour se libérer des malédictions « naturelles » et des rôles qui en découlaient, mais en affirmant les valeurs associées à leur domination comme libératrices pour tous : la fragilité, le « prendre soin », l’attention, le rapport concret au monde, le souci de la vie.

Face à ce « monde cyborg », comment rester humain ? Et comment préserver et cultiver, voire valoriser − socialement parlant −, cette fragilité, salvatrice selon vous, inhérente à l'être humain comme aux écosystèmes naturels ?

L’expérience sensible de situations de non-retour − populations déplacées, zones inhabitables, réchauffement climatique 7 −, l’incapacité à imaginer et maîtriser les conséquences de ce que nous avons déclenché, expriment une crise de la toute-puissance. 8 La philosophie, la littérature, le cinéma, la poésie en témoignent. De même, naissent ou renaissent des mouvements sociaux se situant au croisement du souci pour la Terre et de la protection de la société. En cultivant la fragilité, la lenteur, ils abandonnent le délire prométhéen d’une maîtrise infinie du monde.

L'INCAPACITÉ À IMAGINER ET MAÎTRISER LES CONSÉQUENCES DE CE QUE NOUS AVONS DÉCLENCHÉ EXPRIME UNE CRISE DE LA TOUTE-PUISSANCE.

Les expériences de reconnexion au monde vivant, la reconnaissance de ses interdépendances et de sa complexité 9, des formes variées de coopération se multiplient en même temps que les publications de biologistes, d’écologues 10, d’observateurs amateurs. Alors que dominaient les valeurs de la compétition et de la prédation pour expliquer l’évolution du monde vivant et les relations entre les espèces, les observations illustrant la coopération, l’association, l’attention et l’entraide, déjà connues depuis plus d’un siècle, conduisent à l’abandon d’une vision compétitive de la nature, ou seulement compétitive, abandon qui donne les chances de ne plus avoir à s’en extraire pour faire société.

Les relations retrouvées avec les « non-humains », ou les « autres qu’humains », ne sauraient cependant lisser la violence des catastrophes que nous affrontons déjà. La force de certains de ces évènements est de l’ordre de l’inhumain, d’un domaine hors de portée des humains, d’une extériorité radicale, effacée de notre imaginaire rationnel et progressiste comme traces de terreurs bibliques, obscurantistes et d’arrière-garde et remplacée par le tout-puissant discours techno-économique 11 réduisant l’inhumain à des défaillances de l’humain ou à des erreurs de management de « l’entreprise Terre », qu’il faudrait corriger.

OSER RESTER HUMAIN, C'EST FAIRE L'EXPÉRIENCE CONCRÈTE DES LIMITES.

Oser rester humain, c’est faire l’expérience concrète des limites, signifiées par une Terre exténuée et des sociétés en déshérence. Alors que la Terre est capturée par la course capitaliste, d’autant plus rapide que l’espace se rétrécit, l’expérience directe, longtemps dévaluée, la lenteur et les expériences multiples de décroissance, de désobéissance, d’occupation patiente d’un territoire ou d’un lieu, de reconquête des techniques 12 avec les low tech, le refus de la laideur, donnent une chance d’éprouver à nouveau une présence au monde, une attention, sans lesquelles aucun espace politique n’est vraiment possible.

Propos recueillis par Anthony Laurent, rédacteur en chef de Sciences Critiques.

Notes (liens dans l'article)

− tribune libre de Dominique Bourg, Les sciences naturelles sont-elles révolutionnaires ?, 2 janvier 2016.
− tribune libre de François Jarrige et Jean-Louis Tornatore, Un ministère pour la transition, 15 juillet 2017.
− Trois questions à Rachida Lemmaghti : « L'université n'échappe pas aux violences sexistes et sexuelles », 15 octobre 2017.
− tribune libre de Joël Decarsin, Impasse de la technoscience, 29 septembre 2015.
− dossier spécial sur le transhumanisme, Le transhumanisme à l'épreuve du réel, 18 juillet 2018.
−  « Grand Entretien » avec Paul Jorion : « Se débarrasser du capitalisme est une question de survie », 7 octobre 2016, et la tribune libre de Christian Laval, La sociologie contre le néolibéralisme, 28 février 2017.
− « Grand Entretien » avec Laure Noualhat : « Les climatosceptiques se moquent de la vérité scientifique », 4 octobre 2015.
− Hannah Arendt, Penser ce que nous faisons, 25 mars 2017.
− Grand Entretien avec Mohammed Taleb : « Oser les indisciplines de l'intuition », 16 mai 2016.
−  tribune libre de Vincent Devictor, Qu'est-ce que l'écologie scientifique ?, 26 novembre 2016, et le texte de l'appel lancé, en novembre 2017, par plus de 15 000 scientifiques de 184 pays : Second avertissement à l'humanité, 30 octobre 2017.
− Geneviève Azam, Dominique Bourg et Jacques Testart, Subordonner les technosciences à l'éthique, 15 février 2017.
− Lire la tribune libre d'Alain Gras, Qu'est-ce que le progrès technique ?, 26 août 2015.


Dernière édition par Florage le Dim 24 Mai - 21:19, édité 9 fois

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CONTRE L'ANTHROPOCENTRISME... CAPITALISME, HUMANISME, NATURE... Anthropocène vs Capitalocène ? Empty Re: CONTRE L'ANTHROPOCENTRISME... CAPITALISME, HUMANISME, NATURE... Anthropocène vs Capitalocène ?

Message par Invité Jeu 11 Avr - 5:27


camarades, encore un effort pour devenir dialecticiens
Patlotch a écrit:dans le débat opposant anthropocène et capitalocène, quelque chose est excessif et réducteur des deux côtés. J'ai esquissé plus haut l'idée qu'une fois encore de grands mots-concepts aboutissent trop souvent à figer et crisper des positions, et c'est encore un défaut de  dialectique des contradictions à plusieurs niveaux de généralité*. La part de vérités récentes sous le concept de capitalocène, lié à une portion de l'arc historique de l'humanité sur terre (et maintenant au ciel), ne peut effacer la construction de la séparation de l'humanité et de la nature et la recouvrir entièrement sous prétexte du capitalisme ayant étendu sa domination réelle sur presque l'ensemble du monde vivant

* référence à Bertell Ollman LA DIALECTIQUE MISE EN ŒUVRE
Le processus d’abstraction dans la méthode de Marx II. 2. La dialectique mise en œuvre : le processus d’abstraction dans la méthode de Marx VI. Les niveaux de généralité


"l"ultragauche" s'est jusque-là fort peu préoccupée d'"écologie", même au sens le plus radical que l'on peut à certaines conditions accorder à ce terme. Euphémisme chez tous ceux, des fossiles du programme ouvrier aux idéologues de la communisation par le seul prolétariat (le plus souvent sans paysans prolétaires). Un texte qui prend en compte cette dimension ne peut être que salutaire pour secouer ce petit milieu qui périclite de théories partielles devenues fausses en idéologies fantasmatiques défendues par des moines tartuffes

toutefois, il tend à tomber dans l'opposition évoquée plus haut, ce que recoupe le ton militant tranché, maladie infantile du langage prenant la forme radicale pour  un contenu démonstrateur. Remplacer ce qui est, ou n'est pas, par ce qu'on croit parce qu'on le désire, c'est le sempiternel problème du manque que croit combler certaines théories, inflexion de langage vers un gauchisme langagier, forme-contenu du gauchisme idéologique au sens général qui redouble un conceptualisme tendant à l'idéalisme (j'y reviendrai dans PENSER SANS PHILOSOPHIE ! Avec seulement des philosophes ?

me semblerait plus pertinent de revenir sur la critique de l'humanisme-théorique (évoquée ici sous celle des Lumières), de sorte que celle de l'anthropocentrisme puisse se faire sans être anthropocentrée, et partant paradoxalement capitalocentrée. L'enjeu est le contenu d'un processus révolutionnaire de sortie du capitalisme et inséparablement, comme on le dit de la domination de genre, des rapports de domination de l'humanité sur la nature, toutes "classes" confondues n'en déplaise aux prolétaristes

ce texte sent le manichéisme militant, impression que ne dément pas la critique du moralisme qui ne ferait qu'entraîner "les couches moyennes blanches" du Nord dans un accompagnement du "capitalisme vert". Si les prolétaires ouvriers à la production sont chez nous les moins empressés à se préoccuper d'écologie, c'est aussi parce qu'ils vivent des industries qui polluent, ce qui n'a rien de très "éthique" dans un sens communiste, non de l'éthique du capital à juste titre critiquée. De même ce texte tend-il à se contredire, car ce sont précisément des prolétaires et femmes indigènes, autochtones ou héritiers des colonisé.e.s, qui sont à la pointe de ces combats plus ou moins "loin de chez nous", chose que j'ai abondamment documentée pendant les années où je rendais compte de la critique décoloniale, toujours aussi peu connue voire caricaturée en France, de l'extrême-droite au tamis idéologique de Théorie communiste dans TC26

Capitalocène, racisme environnemental et écoféminisme
Nathan Agitations Autonomes 7 avril 2019

« En dehors du fait que les méthodes d’exploitation ne correspondent pas au niveau de développement social, mais aux conditions accidentelles et fort inégales dans lesquelles les producteurs sont individuellement placés, nous assistons dans ces deux formes [petite et grande culture] à une exploitation gaspilleuse des ressources du sol au lieu d’une culture consciencieuse et rationnelle de la terre, propriété commune et éternelle, condition inaliénable de l’existence et de la reproduction de générations humaines qui se relaient ».
Karl Marx, Le Capital, Volume II

« Quand il pleut, quand il y a de faux nuages sur Paris, n’oubliez jamais que c’est la faute du gouvernement. La production industrielle aliénée fait la pluie. La révolution fait le beau temps ».
Guy Debord, La Planète Malade
Introduction
Indéniablement, le désastre est en cours. Les îles Marshall sont progressivement inondées, certaines ont déjà disparu. Les réfugiés climatiques se multiplient, et sont des milliers à demander l’asile climatique : ils seront plusieurs centaines de millions d’ici 30 ans (à noter qu’à ce jour, le statut de « réfugié climatique » n’est pas reconnu juridiquement par les institutions supranationales). Les catastrophes naturelles [?] s’intensifient, l’augmentation de la salinité des eaux menace nombre de terres agricoles, les feux de forêts paraissent dans certaines régions inarrêtables. Des métropoles et mégalopoles phares du capitalisme mondialisé sont menacées d’être invivables d’ici quelques décennies, notamment Miami, New-York, Rotterdam, Tokyo, Singapour ou encore Amsterdam.

Il serait fastidieux de recenser tous les dégâts du réchauffement climatique, et là n’est pas notre sujet. Nombre de travaux ont déjà été réalisés1 sur ce qui apparaît aujourd’hui comme une menace monstrueuse et imminente : l’effondrement de toute civilisation humaine [c'est aller vite en besogne, ce qui ne rend pas plus optimiste quand à ce qui suivrait comme "civilisation"...]. Les théories catastrophistes ont désormais le vent en poupe, tout comme les thèses, articles et ouvrages de collapsologie. Le survivalisme devient progressivement un thème sociétal en vogue, surfant au gré des pseudo-solutions individualistes et techno-utopistes prônées par les tenants du capitalisme vert ou par les lobbys assurantiels du risque climatique. Le changement climatique est un marché lucratif.

Depuis des décennies, l’ampleur du danger est étudiée par des institutions et chercheurs, pour la plupart occidentaux et régulièrement subventionnés par de grands groupes capitalistes. Les plus grandes fortunes mondiales se transforment en philanthropes sauveurs de l’humanité. En 2016, Bill Gates, à travers sa fondation et le fonds Breakthrough Energy Ventures, levait un milliard de dollars afin de développer des technologies de géo-ingénierie illuminées nécessitant l’exploitation de millions de prolétaires pour des résultats plus qu’incertains. Mark Zuckerberg (Facebook), Jeff Bezos (Amazon) ou Richard Branson (Virgin) furent parmi les principaux donateurs. D’autres multi-milliardaires explorent en hélicoptère les savanes africaines et indonésiennes afin de redorer leur image en comptant le nombre d’éléphants disparus chaque année : une façon comme une autre de faire campagne sans nécessité de serrer des mains. [c'est tout de même une des formes du "capitalisme vert" qui, selon RS/TC, n'existe pas...]

Les capitalistes profitent de la déqualification du prolétariat à l’ère du Toyotisme2 pour s’arroger toutes les compétences techniques et toutes les solutions au changement climatique : les travailleurs, aliénés, sont dépossédés de toute capacité d’intervention sur la production, entraînant la promotion d’une attitude individualiste et morale sur la crise en cours. Ainsi, les capitalistes font de la crise environnementale un problème « civilisationnel », un « enjeu nouveau pour nos démocraties », se pressent pour parler de « consensus » quant au danger qui nous guette. L’idéologie citoyenniste du « tous-ensemble » ou celle pseudo-radicale de l’éco-populisme sont incapables de mettre fin aux ambitions d’exploitation des ressources naturelles propres au système actuel, précisément parce que ce dernier ne peut fonctionner qu’en accumulant toujours plus de richesses. Ces idéologies s’indignent de l’inaction de l’État, incapable de remettre l’humanité sur de bons rails. Dès lors, l’ État est le nouvel interlocuteur privilégié des acteurs des Marches pour le Climat, marches très majoritairement métropolitaines, blanches et bourgeoises. De son côté, l’économie apparaît pour ces marcheurs, dans un système mondialisé, comme lointaine, sinon secondaire : elle est un « interlocuteur » absent.

L’indignation citoyenniste est d’un moralisme exacerbé, si bien qu’on entend parler à longueur de temps d’alternatives institutionnelles. C’est l’homme qui est visé dans son individualité, abstraitement, et ce principalement à travers son mode de consommation. La production marchande passe à la trappe au profit du « consom’acteur », le genre humain est aussi bien le fauteur de trouble que le bouc-émissaire, l’universalisme bourgeois hors-sol des Lumières reprend ses droits. Une vision fictionnelle du système-monde l’emporte à l’heure où les sols sont presque partout déjà morts.

Contre cette lecture caricaturale de la crise en cours, nous effectuerons dans un premier temps une critique radicale du concept d’Anthropocène, en tant qu’il serait cause du réchauffement climatique, et nous lui préférerons le concept de Capitalocène. Dans un second temps, nous verrons comment le système capitaliste produit différentes formes de racisme environnemental.

Enfin, nous verrons ce qu’une lecture écoféministe de la crise telle que celle de Maria Mies nous enseigne à propos des liens entre effondrement environnemental et domination masculine, le tout afin de comprendre comment les luttes actuelles (aux prises avec les contradictions du capital, de genre et avec la segmentation raciale du travail comme de l’espace) sont imbriquées et tendent à ralentir la crise.

Anthropocène ou capitalocène ?
En 2002, le chimiste Paul Crutzen et le biologiste Eugene Stoermer inventaient le terme « Anthropocène » afin de désigner une ère géologique faisant suite à l’ère Holocène et ayant des conséquences anthropiques modifiant l’environnement mondial. Flou, ce terme repopularisé par l’historien bengali Dipesh Chakrabarty est vivement critiquable. Selon Chakrabarty, la crise écologique (qu’il distingue non sans difficultés de la crise de la valorisation et de la reproduction capitaliste) transcenderait l’histoire proprement capitaliste, soit la période de radicalisation marchande de l’histoire de la lutte des classes, car elle toucherait invariablement, au final, riches et pauvres, bourgeois et prolétaires, tous étant des humains dans le même bateau. Oubliant que dans une galère, le rameur est plus proche de prendre l’eau que le voyageur en cabine. [à vrai dire, il y a bien une question sur l'idéologie de destruction de la nature liée par exemple à l'histoire de l'Eglise catholique qui est plus ancienne que l'avènement du capitalisme marchand même, cad pour être clair avant l'installation du Mode de production capitaliste à partir de la fin du XVIIIe siècle]

En inscrivant la crise écologique dans une lecture historique croisant temporalités géologiques et humaines, Chakrabarty date la crise environnementale à la domestication du feu par l’homme, comme si le dérèglement climatique n’était pas né au 19e siècle avec les poursuites de l’accumulation primitive du capital, soit la première révolution industrielle. Si le dérèglement climatique avait débuté avec la naissance du genre Homo, comment comprendre le petit âge glaciaire ayant eu lieu de 1350 à 1850 ? Comment comprendre le brutal refroidissement du climat mondial entre 1520 et 1610 à la suite de l’extermination presque systèmatique des populations amérindiennes par des colons blancs ? Les systèmes productifs pré-industriels, non fondés sur l’extraction de ressources naturelles minières, ne provoquèrent pas le changement climatique que nous vivons aujourd’hui, et il va sans dire que Christophe Collomb n’était aucunement une quelconque sorte de crypto-capitaliste.

Le terme « Anthropocène » permet au capitalisme d’écarter sa responsabilité décisive dans le saccage de la planète et de sa biodiversité, et il est aujourd’hui clair qu’une politique d’austérité environnementale est impossible. Il n’y a pas ici de place au hasard, Paul Crutzen lui-même étant un fervent défenseur de technologies de géo-ingénierie fondées sur l’exploitation de millions travailleurs dans les pays les moins développés (au sens de l’agenda capitaliste dominant). En réalité, comme le fait remarquer le fondateur du concept de capitalocène Andreas Malm dans son ouvrage L’Anthropocène contre l’histoire, « il est vrai qu’il y a une corrélation entre la population humaine et les émissions de Co2, mais celles-ci ont été multipliées par 654,8 entre 1820 et 2010, tandis que celle-là [ndlr, du premier homme à 1820] n’a été multipliée « que » par 6,6, ce qui indique qu’une autre force, bien plus puissante, a dû alimenter ce feu » (p.12). Le feu maîtrisé à l’âge de pierre peut dormir sur ses deux oreilles.

L’industrie minière (charbon, pétrole, gaz) est la plus adéquate au système capitaliste encore aujourd’hui, et les énergies renouvelables ne peuvent être que des substrats dans un monde marchand. Les marchandises que nous trouvons aujourd’hui partout, surproduites et standardisées, nécessitent absolument, dans leur procès de production, l’utilisation d’un capital circulant fait de matières premières d’origines fossiles. Dès l’invention de la machine à vapeur, comme le rappelle Armel Campagne dans Le Capitalocène – Aux racines historiques du dérèglement climatique, le capitalisme a fait un bond technique, s’affranchissant des contraintes naturelles de l’énergie hydraulique. Le capitalisme, toujours en quête d’extraire plus de valeur sur la base du travail humain, ne peut depuis cette époque plus se passer des combustibles les plus polluants dont nous disposons, pétrole désormais en tête.

Dès lors, le premier problème qui apparaît est celui de la transition vers un monde non capitaliste, donc non fondé sur des énergies non renouvelables. [formule bizarre : pas besoin d'énergie dans la Communauté humaine du vivant, après le capitalisme ? Encore une foie fois, abolir l'économie n''implique pas d'abolir la production mais abolit la marchandise dans le produit, et par là-même l'échange de valeurs ; et produire nécessite de l'énergie...] Bien-sûr, la « transition énergétique » capitaliste est un vaste plan marketing. En France par exemple, Emmanuel Macron soutient un programme « pollueur-payeur » avec sa taxe carbone (taxe sur les carburants), soit-disant afin de financer le passage à un monde vert, comme promis lors de la COP21 à Paris. En réalité, cette taxe carbone a financé jusque janvier 2019, à hauteur de plus de 3 milliards d’euros, le CICE (Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi), soit un immense cadeau aux multinationales, principales sources d’émissions de gaz à effet de serre.

Mais Andreas Malm est lui aussi dans une impasse puisqu’il propose à la fin de son ouvrage, en léniniste, une planification étatique mondiale de la transition énergétique. C’est oublier ici que le terme « global warning » est trompeur car les effets du changement climatique diffèrent selon les endroits de la planète. Il semble impossible et difficilement souhaitable de prôner un centralisme quelconque pour résoudre la crise. Comme l’affirme Armel Campagne dans une interview à Grozeille, « Lui et d’autres théoriciens comme Daniel Cunha ont une vision cybernétique dans laquelle la nature peut être intégralement gérée de façon techno-scientifique, informatique même. Il y a fort à parier que pour gérer les conséquences locales du dérèglement climatique, la logique technocratique sera peu efficace ».

Depuis la restructuration économique des années 70 et la fin d’un cycle de puissantes luttes de la production (grèves de masse, syndicats forts, etc) au profit de tout un ensemble de luttes sur la circulation, c’est-à-dire majoritairement d’émeutes sociales, nous ne pouvons plus envisager de politique de planification écologique centralisée. La mondialisation et la division toujours plus soutenue du travail aux quatre coins du monde ont ouvert un nouveau cycle de lutte promettant de nouvelles solutions à la crise climatique capitaliste. Le mouvement des Gilets Jaunes en est un exemple frappant. Comme l’explique Jack Rusk3, les actions émeutières de blocages de flux, ou « émeutes des ronds points » (Joshua Clover4) ont conduit en quelques mois de lutte à une diminution impressionnante des émissions de gaz à effet de serre normalement produites par les entreprises implantées sur le territoire national. Les luttes portant sur la circulation brisent des espaces clés pour la production et la distribution polluantes de biens marchands.

Ces luttes ont l’avantage indéniable, en plus de ralentir le réchauffement climatique en s’attaquant directement à l’économie, de ne pas s’affirmer comme le mouvement ouvrier d’antan sous la forme d’un mouvement très majoritairement masculin et blanc [merci aux luttes des femmes ouvrières, et pas seulement "blanches", à la participation des travailleurs immigrés "chez nous", aux ouvriers noirs aux USA.... Il suffit de ne pas considérer que le mouvement ouvrier européen ou occidental pour ne pas y voir que des blancs... sauf dans les directions syndicales et politiques]. En décembre 2018 en Seine Saint-Denis, dans le double contexte des manifestations contre la réforme de l’enseignement et des manifestations hebdomadaires de gilets jaunes, des émeutes lycéennes ont bloqué de nombreuses heures la circulation d’artères menant à Paris et se sont parfois attaquées à des supermarchés, comme à Aubervilliers. Bien-sûr, ces jeunes ne portaient pas de « revendications écologiques » comme les lycéens parisiens manifestant pacifiquement chaque vendredi. Pourtant, leur lutte, elle, a eu des répercutions sur l’économie de leurs quartiers, gênant parfois le bon fonctionnement d’entreprises capitalistes polluantes. Avant tout, il s’agissait là d’émeutes de jeunes racisés, victimes d’un racisme non seulement politique et policier mais aussi environnemental.

« La couleur de l’écologie n’est pas le vert, mais le blanc »
Cette phrase résume parfaitement la première partie de l’ouvrage de Razmig Keucheyan La nature est un champ de bataille (citation p.24). Le capitalisme, segmentant racialement la division du travail à différentes échelles (micro et macro) produit ce que cet ouvrage nomme très justement « racisme environnemental » (concept développé pour la première fois par Benjamin Chavis en 1987 dans Toxic Waste and race in the United States) : ségréguées spatialement, les populations racisées (latinos et afroaméricains aux Etats-Unis, afrodescendants et migrants d’Europe de l’Est en Europe de l’Ouest, etc) effectuent les travaux les plus durs et les plus dangereux (inhalation de produits chimiques, tri des déchets, transport logistique, peinture en bâtiment, nettoyage des espaces publics, etc) tout en vivant près d’incinérateurs à déchets, dans des ghettos urbains sales proches d’importants axes routiers et composés pour une grande part de barres d’immeubles insalubres parfois encore amiantées. [les travaux décoloniaux fourmillent d'exemples en la matière sur tous les continents]

Prenons l’exemple de l’entreprise Paprec, principale entreprise de recyclage en France et massivement présente en Seine Saint-Denis. Son PDG, Petithughenin, est un chantre du « capitalisme vert ». La Plateforme d’Enquêtes Militantes, collectif militant communiste de région parisienne, réalisait avec nous une enquête5 en 2018 sur les conditions de travail des ouvriers du tri et du reconditionnement des déchets : « Confinés dans des cuves en béton, des trieurs en masques et combinaisons blanches ramassent à la main des montagnes de paperasse, dans des nuages de poussières. (…) En Île de France, près de la moitié des ouvriers du déchet sont des immigrés et près des 2/3 sont sans diplômes. Dans l’entrepôt de La Courneuve, le recrutement cible en priorité des primo-arrivants, avec ou sans papiers ». Dans ce genre de situation, au contact de machines de tri et de déchets sales avec pour consigne d’augmenter la productivité, les douleurs musculosquelettiques ou respiratoires ne sont pas choses rares.

Datée de 2014, une étude de l’université du Minnesota6 est claire quant au cas états-unien : les membres de minorités ethniques du pays sont exposés à du dioxyde d’azote (NO2, gaz toxique en cause dans les maladies asthmatiques entre autres) à un taux 38 % plus élevé que les populations blanches. La nature, comme l’a montré André Gorz dans Leur écologie et la nôtre, est aussi bien un terrain de pillage qu’une poubelle à administrer. Cette administration, comme le démontre Razmig Keucheyan, est souvent réalisée dans des territoires où habitent ceux qui sont déjà victimes d’un racisme institutionnel systémique se matérialisant par exemple sur le marché du travail. Pour les collectivités territoriales et les entreprises, ces territoires sont facilement contrôlables ou pacifiables, et il est moins risqué d’y voir naître des réactions hostiles comme, entre autres, des recours en justice risquant de freiner le procès d’accumulation capitaliste. La pauvreté non blanche est la première victime de la consommation bourgeoise blanche, et la misère insalubre dans laquelle elle vit renforce tout un système raciste l’y cantonnant : la boucle est bouclée.

Les catastrophes « naturelles » touchent aussi majoritairement les populations pauvres non blanches. En 2005, l’ouragan Katrina inondait une immense partie de la Nouvelle-Orléans, prenant la vie d’une majorité de personnes Noires obligées de vivre dans des terrains inondables. La migration de ces populations permit une gentrification accrue de la ville. En 2003, une immense canicule eu lieu en Europe faisant de nombreux morts, et celle-ci toucha encore plus durement les ghettos urbains que les quartiers riches blancs et pavillonnaires en raison de concentrations de chaleur accrues par un urbanisme inadapté (problèmes d’isolation, végétalisation faible dans nombre de cités, tours HLM favorisant les îlots de chaleur, etc). Plus récemment, les 14 et 15 mars 2019, le cyclone Idai frappait la ville de Beira, au Mozambique. Il s’agit de la première ville entièrement détruite à cause des changements climatiques, et le cyclone fit 468 morts au Mozambique et plus de 250 au Zimbabwe. Il faut ici souligner le fait que le Mozambique, parmi les pays les plus pauvres au monde, est un pays bien peu industrialisé et ne concentrant que 0,14 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Les rétroactions dues au changement climatique sont profondément inégalitaires et ont pour origine un mode de production racialisant l’espace à grande échelle.

La thématisation et la conceptualisation du racisme environnemental est une chose absolument nécessaire pour comprendre les développements actuels du capitalocène. Mais précisons ici trois écueils à éviter. Le premier est l’impasse stratégique dans laquelle Razmig Keucheyan entre à bras ouverts. Militant du Front de Gauche, il affirme pour la revue Ballast7 en 2016 : « L’une des questions politiques du moment est : comment faire converger les mouvements écologistes et la gauche héritière du mouvement ouvrier ? ». Rien de plus faux ! La gauche héritière du mouvement ouvrier en a depuis longtemps fini de sa belle mort, incapable de saisir les modalités de lutte des habitants racisés des quartiers populaires, tandis que les mouvements écologistes traditionnels ont perdu une grande part de leur radicalité à la fin de la période altermondialiste des années 2000, à défaut de perdre leur blanchité. Si nous parlons de racisme environnemental, enterrons une fois pour toute la sacro-sainte « convergence des luttes » idéaliste et aveugle à ses propres contradictions.

Le second écueil est bien évidemment celui de la « justice environnementale », mélange de théorie de la justice bourgeoise (John Rawls) et d’écologie morale saveur « je me donne bonne conscience ». Disons le tout net, la justice n’a pas d’autre but que de se réformer en vue d’obéir à un arbitraire policier plus ou moins latent, soumis aux exigences répressives du capital. On exclut donc par là très rapidement toute idée de « remboursement de la dette écologique » : les capitalistes, majoritairement représentés dans les Nords, ne rembourseront jamais un centime aux Suds. L’époque actuelle est à la militarisation des territoires néo-coloniaux ou encore colonisés afin d’en extraire les dernières ressources accessibles, et ce même au prix du sang. De plus, on ne comprend pas le concept de justice environnementale sans ceux de développement durable ou d’écodéveloppement. Mais l’écologie comme programme de survie planétaire est un phénomène profondément lié non pas à une mauvaise gestion du développement, de l’économie ou de la croissance, mais à l’existence problématique de l’économie en tant que telle. Etre écologiste, c’est sans aucun doute produire une critique de l’économie politique conséquente.

Le dernier écueil à éviter est celui de la fameuse « consommation éthique sous le capitalisme », rabâchée à toutes les sauces. Dans les quartiers populaires, l’accès à des produits certifiés bio ou « éthiques » est un luxe, sinon une prise de position idéologique paradoxale puisque la principale problématique des plus pauvres depuis des décennies est celle de la reproduction de leur force de travail (avoir un toit, se nourrir jusque la fin du mois, avoir accès à différentes formes de mobilité, etc). De plus, et c’est ce que nous allons voir par la suite, au niveau mondial l’accès à une consommation « éthique » (sinon digne, se nourrir de son travail pour continuer à travailler) est une problématique qui, en plus de porter différentes formes de racisme environnemental (magasin bio des centres villes blancs contres hypermarchés discounts des ghettos urbains), porte en elle tout le problème de la distinction de genre.

L’écoféminisme, ou de la nécessité d’abolir le genre pour sauver le climat
Le 7 mars 2011, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) rendait le rapport suivant : « Un profond fossé sépare les agricultrices des agriculteurs en ce qui concerne l’accès à un vaste éventail de ressources agricoles, notamment la terre, le bétail, la main-d’œuvre agricole, l’instruction, les services de vulgarisation, le crédit, les engrais et la mécanisation. Les femmes dans toutes les régions ont généralement moins d’accès à la terre que les hommes. S’agissant des pays en développement pour lesquels on dispose de données, les femmes représentent 3 à 20 pour cent des propriétaires terriens. La part des femmes dans la main-d’œuvre agricole est largement supérieure et varie de 20 à 50 pour cent dans ces pays. Les agricultrices obtiennent moins de rendements que les agriculteurs, non pas parce qu’elles sont moins douées, mais parce qu’elles gèrent des exploitations plus petites et utilisent moins d’intrants, comme les engrais, les semences améliorées et les outils performants ».

Le rapport a le mérite d’être percutant : partout, les femmes sont exclues de l’accès à la propriété terrienne mais doivent tout de même exploiter la terre pour des propriétaires masculins, et cette situation est particulièrement visible dans les pays du Sud, ou « pays en voie de développement ». Les femmes, extrêmement minoritaires dans la propriété de grandes surfaces agricoles pourries par les pesticides, comme par exemple au Brésil avec les latifundios (agriculture extensive, par opposition aux minifundios familliaux dans lesquels elle jouent un rôle majeur, avec une agriculture plus traditionnelle et vivrière malgré une pauvreté déconcertante), sont systématiquement associées à « la nature ». Dans de nombreuses régions du monde, et particulièrement en Inde, la majorité de la production agricole vivrière du pays est le fait de paysannes (98 % dans le mouvement Chipko au Rajasthan, par exemple). Aussi, en Afrique, 60 % du travail agricole est effectué par des femmes, à l’heure où les grandes nations capitalistes demandent toujours plus de matières premières agricoles (que ce soit des nations à tradition coloniale dans la région, comme la France, ou sans tradition coloniale dans la région, comme la Chine avec ses « Nouvelles routes de la Soie »).

Cette association de « la femme » à « la nature », comme le montre Karen J. Warren en 1998 dans Ecofeminism: Women, Culture, Nature, fonctionne sur un ensemble de conceptions dualistes du type nature (femme) / culture (homme), passif (femme) / actif (homme), objet (femme) / sujet (homme). Dans le capitalocène, on passe de la passivité de la nature à la passivité des femmes prises comme corps sociale exploitable gratuitement. Et moins les populations sont blanches, plus la représentation du rapport femme / nature est fétichisé, orientalisé. Les femmes des pays du Sud sont les premières victimes de la planète comme poubelle capitaliste, et elles furent les premières écoféministes autoproclamées. En France, alors que le terme « écoféminisme » fut inventé par Françoise d’Eaubonne, les écrits de Simone de Beauvoir critiquant l’idée d’un rôle « naturel » de la femme amenèrent, à raison, nombre de féministes marxistes à se méfier de la « question de la nature » à l’heure du changement climatique. Quand on essentialise les corps, il est logique que le processus pour en modifier les termes prenne du temps.

L’exploitation du corps des femmes se poursuit bien évidemment dans la gestion de leur fécondité, et nombre d’écoféministes montrèrent depuis les années 70 le lien existant entre surpopulation et surproduction marchande. Quand les femmes sont objectifiées, elles perdent la propriété non seulement de leur corps mais aussi des richesses naturelles, et les hommes s’accaparent la reproduction de leur fertilité. Dans Patriarcat et exploitation dans l’économie mondialisée (2005), Maria Mies (écoféministe marxiste) écrit ceci : « Les ressources naturelles sont considérées comme des « biens libres », exploitées et accaparées par le système industriel de la même façon que le travail de reproduction de la vie par les femmes et la paysannerie. La division du travail par genres, et entre travail salarié et travail domestique, sphère publique et privée, production et reproduction, n’a été possible qu’à travers la naturalisation du pôle féminin de cette division ».

La distinction genrée travail salarié / travail domestique (Silvia Federicci, Christine Delphy) ou sphère publique / sphère privée est primordiale pour comprendre la crise capitaliste environnementale aujourd’hui. Ce n’est pas un hasard si les luttes écoféministes se sont développées à l’ère de la mondialisation dans les années 70, lors du passage entre le primat de luttes de la production (majoritairement masculines dans les usines) et celui des luttes sur la circulation. Dans les luttes sur la circulation actuelles, la problématique de la reproduction a un rôle prépondérant puisque ce sont les femmes qui s’occupent habituellement, dans le cercle du « privé », du local, de la maison, de l’entretien de la vie quotidienne familiale. Elles sont à l’avant-garde dans les émeutes de la reproduction : la preuve en est, depuis la domestication ancestrale de leur corps, elles jouent un rôle majeur dans les émeutes frumentaires de toutes les époques. Lorsque les femmes sortent de la sphère du privé et du foyer, comme lors des révolutions du Printemps Arabe , elles mettent à mal le système de reproduction capitaliste et donc la production massive de pétrole (ou d’autres ressources naturelles) pour les pays occidentaux.

Donnons un exemple plus précis. En 2011 en Tunisie, un immense mouvement de femmes (à Gabès) dressa des tentes sur des voies ferrées stratégiques pour bloquer les activités du GCT, Groupe Chimique Tunisien, alors plus grande entreprise tunisienne, avec deux objectifs et conséquences : le soutien à des prisonniers politiques, mais aussi le ralentissement très net voire la paralysie de l’activité du GCT (production de 10 mille tonnes de phosphate chaque jour, un calvaire environnemental). La sortie des femmes dans la sphère publique est un enjeu primordial dans la lutte pour l’abolition du genre et, par là, pour empêcher le dérèglement climatique capitaliste, puisque cela mène au blocage de nombreux flux de circulation normalement rationalisés à travers la division de genre. Ces flux de circulation, avec la mondialisation, sont la disparition du local dans une logique import/export particulièrement polluante.

A Paris fut organisé par la maire Anne Hidalgo en février 2019 un évènement souhaitant mêler problématiques de genre et problématique climatique : Women4Climate. Plusieurs points intéressants furent évoqués, tel que le problème des transports favorisant les trajets « allant de la banlieue et des arrondissements extérieurs au centre-ville (…) statistiquement les plus susceptibles d’être utilisés par des hommes (…), les femmes effectuant davantage de trajets plus courts ». Mais si cela part d’une bonne intention, le problème reste le même : les collectivités tentent non pas d’abolir les distinctions de genre et les inégalités en terme de mobilité, et donc d’impact environnemental, mais bien de les simplifier. En réalité, les gouvernants n’ont aucun intérêt à abolir les distinctions de genre nécessaires au bon fonctionnement du productivisme capitaliste contemporain. Il s’agit non pas de désinvestir les lieux de production et de circulation capitalistes (comme le firent des femmes à Gabès et ailleurs), avec un réel impact environnemental, mais de « recourir à la budgétisation sensible au genre, notamment en matière d’investissements d’infrastructures ». L’argent d’abord, et les femmes à la trappe…

Conclusion
Le capitalisme s’appuie sur une dissociation « nature » / « culture » abstraite et anthropocentriste laissant libre court à un projet productiviste hors-norme. De fait, la plupart des écologistes, même parmi les plus « radicaux », s’enferment dans les griffes du système qu’ils dénoncent en reprenant cette dissociation. Comme le fait remarquer Benoît Bohy-Bunel8, il n’y a pas de « nature » comme bloc homogène : il n’y a une « nature » que parce qu’il y a un artifice et une industrie humaine. Les projections techniques marchandes qui sont réalisées afin de sauver la planète, exploitant les imbrications entre domination par le travail, distinction de genre et racisme environnemental, n’ont pas de sens. Elles prennent « la nature » pour un ensemble exploitable immédiatement au même titre que la force de travail naturalisée et objectifiée des travailleurs, femmes et / ou racisés avant tout.

Marx allait dans cette voie, dans le volume I du Capital : « Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les États-Unis du nord de l’Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du processus de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ».

Les hommes blancs profitant de la « grande industrie », des moyens de production, sont associés à la « culture » au sein de sa dissociation capitaliste d’avec « la nature ». Nous ne pouvons pas formuler de critique positive des mouvements écologistes occidentaux sans comprendre que l’écologie morale et universaliste est actuellement un outil de domination qu’il faut renverser pour réellement sauver la planète. Ne nous embourbons pas dans des mouvements tels que Youth For Climate, qui n’ont que pour ambition de réformer le système actuel à base de « startup vertes » comme We Don’t Have Time, la startup pro-croissance verte qui utilise Greta Thunberg, jeune instigatrice des « grèves pour le climat », afin de faire du chiffre.

Ce type de mouvement cherche à se démarquer des luttes sociales et parvient à le faire : à Bruxelles, de jeunes marcheurs pour le climat et quelques soutiens participèrent à l’arrestation de Gilets Jaunes par la police belge. A Nancy, du 13 au 14 avril, aura lieu une « réunion de coordination nationale » pour les représentants auto-proclamés de la grève pour le climat, souvent de jeunes hommes carriéristes, et ce sans inviter aucune personne habitant dans les Départements et Territoires d’Outre-mer (pourtant les premières victimes du réchauffement climatique aujourd’hui). Ce type de mouvement veut faire « peau neuve » de l’altermondialisme classique comme des affabulations réactionnaires d’un Pierre Rabhi ou celles fanatiques d’un Theodore Kaczynski (aujourd’hui repris allègrement par l’extrême-droite grecque, suédoise, etc), au profit d’un néo-libéralisme se voulant de bon ton. Un tel mouvement pourrira de lui-même dans un cabinet ministériel, si nous ne nous chargeons pas de lui pas d’ici-là. Nos heures sont comptées.

Nathan François

1 Lire par exemple A propos de l’écologie du capitalisme, Αντίθεση, 2017. A noter que le graphique suivant provient de cette étude.

2 Le toyotisme est un mode d’organisation du travail faisant suite au fordisme et au taylorisme, prônant à partir des années 60 la création de travailleurs « polyvalents », peu spécialisés mais multi-tâches.

3 Jack Rusk, Un conte des deux Paris, Commune 2019, traduction par Agitations

4 Joshua Clover, L’émeute des ronds points, Verso, 2018, traduction par Agitations

5 Paprec : du sale dans le tri des déchets, 30 octobre 2018, Plateforme d’Enquêtes militantes

6 Emily Badger, Pollution is segregated, too, 2014, Washington Post

7 Ballast, C’est à partir du sens commun qu’on fait de la politique, 2016

8 La dissociation anthropocentriste-productiviste de la valeur, 2018

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CONTRE L'ANTHROPOCENTRISME... CAPITALISME, HUMANISME, NATURE... Anthropocène vs Capitalocène ? Empty Re: CONTRE L'ANTHROPOCENTRISME... CAPITALISME, HUMANISME, NATURE... Anthropocène vs Capitalocène ?

Message par Invité Ven 22 Mai - 19:28

la suite de cette critique est là :
XXXIX. TRANSFORMATION DES RAPPORTS HUMAINS AVEC LA NATURE
1.1. contre l'anthropocentrisme, avec Marx


LES TEXTES DANS CE SUJET


PENSER CONTRE L'ANTHROPOCENTRISME
Patlotch, 28 mars 2019
Patlotch a écrit:l'objectif essentiel de ce nouveau forum ouvert en octobre 2018 était de placer les contradictions du capitalisme au niveau de généralité adéquat, cad en-dessous du domaine du vivant, humanité comprise, puisque parmi ces contradictions il en est une qui englobe et détermine les autres, la survie de l'humanité et de la nature que le capitalisme détruit

le vivant est un niveau de généralité plus élevé que l'humanité des êtres humains qu'il englobe. C'est l'objet des rubriques dans le VIVANT (la 'NATURE'), l'HUMANITÉ, et le CAPITAL

le corollaire est d'éradiquer tout anthropocentrisme, dont l'humanisme-théorique, de même que dans les années précédentes je m'étais attaché à combattre les ethnocentrismes et particulièrement l'eurocentrisme et l'occidentalocentrisme

c'est pourquoi le forum s'intitule vers la "communauté du vivant", sous-entendant au-delà de la communauté humaine, la Gemeinwesen de Marx. L'expression communauté du vivant induit une question : comment les autres domaines du vivant, les animaux mais aussi les plantes... peuvent-ils s'intégrer à cette communauté, puisqu'il ne sont pas a priori des sujets , du moins des sujets pensants. Il s'agirait donc plutôt a priori que l'humanité, les êtres humains, prennent en charge cette intégration au-delà des seuls intérêts supposés de leur espèce, et c'est là que l'écologie, en tant que systémique d'ensemble, peut nous aider

pistes de réponses avec un biogéographe et écologue, Laurent Godet, chercheur en biologie de conservation au CNRS.

« La survie du monde vivant doit passer avant le développement économique »
Vincent Lucchese, Usbek & Rica, 10/09/2018

L’enjeu est la survie de la communauté du vivant, à laquelle nous appartenons
Les chercheurs en biologie de conservation alertent depuis 40 ans sur l’effondrement de la biodiversité, nous sommes entrés dans la 6e extinction massive de l’histoire de la Terre, et pourtant, les choses ne font qu’empirer. Est-ce à cause d’un manque de connaissances ? D’un manque de solutions ? Deux chercheurs du CNRS se sont penchés sur la question en analysant plus de 13 000 articles, soit l’ensemble des publications de la discipline parues dans les 9 plus grandes revues de biologie de conservation entre 2000 et 2015. L’analyse du travail de ces plus de 100 000 chercheurs à travers le monde entier est sans appel : la lacune ne vient pas d’une méconnaissance du phénomène mais d’un manque d’ambition politique. Des solutions existent, sont connues et ont déjà prouvé leur efficacité, mais pour les mettre en place, il faut reconnaître qu’entre préservation de la vie et développement économique, il n'y a parfois pas de conciliation possible. C’est ce que nous explique Laurent Godet, chercheur au CNRS et l’un des deux auteurs de l’étude publiée le 10 septembre dans Trends in Ecology and Evolution.

Usbek & Rica : Que vous a appris la compilation des travaux de recherches de ces quinze dernières années ?

Laurent Godet : Le premier résultat fort, c’est qu’on ne s’attendait pas à ce que le constat de la crise de biodiversité soit si net. La crise est documentée de façon incontestable : elle est planétaire, très rapide et touche tous les groupes taxonomiques : mammifères, invertébrés marins, insectes…

On confirme de manière très robuste les 4 causes de cet effondrement. La fragmentation de l’habitat est vraiment la première cause. Puis viennent les espèces invasives, la surexploitation des ressources et les extinctions en chaîne. [Plus d’explication sur ces « 4 cavaliers de l’apocalypse » dans notre interview de Philippe Bouchet, du Muséum national d’histoire naturelle, ndlr].

« On prédit que la situation ne fasse qu’empirer »

À ces causes historiques s’ajoutent deux choses : le changement climatique et les changements d’occupation et d’usage des sols à très grande échelle. On ne parle plus seulement aujourd’hui que des forêts tropicales ou des léopards, toute la biodiversité est affectée. Des espèces communes, autrefois abondantes, ne disparaissent pas forcément mais s’effondrent en nombre d’individus. Et on prédit que la situation ne fasse qu’empirer.

Vous dites pourtant aussi que des solutions existent…

Oui, on relève deux types de bonnes nouvelles : des retours spontanés de la nature et l’efficacité des mesures de protection.

Il y a d’abord un retour spontané de certaines espèces, de grands prédateurs en Europe par exemple. En France, le loup est revenu depuis le début des années 1990 via l’Italie, par le parc du Mercantour. Ce « réensauvagement » de milieux opère là où il y a disparition de l’activité agro-pastorale, où l’étau humain se desserre. En France, il y a notamment un retour de friches dans le Massif central ou en moyenne montage alpine ou pyrénéenne. On a un retour progressif de couverts forestiers, ce qui est le milieu naturel à l’échelle de l’holocène [la période interglaciaire actuelle comprenant les 10 000 dernières années, ndlr]. C’est encourageant pour la biodiversité.

L’autre bonne nouvelle, c’est que des mesures de protection fonctionnent très bien. Toujours en France, la loi sur la protection de la nature de 1976 et ses décrets d’application ultérieurs ont permis des retours spectaculaires. Les rapaces et les hérons étaient devenus très rares dans les années 1970 et sont plutôt communs aujourd’hui. La protection des espaces est aussi efficace : la mise en place de réserves ou de parcs naturels marins permet des retours et la redynamisation de populations.

Les chercheurs sont-ils coupables de ne pas assez valoriser ou plaider pour ces solutions ?

Dans la communauté scientifique, on est en général très prudent quand on produit des résultats et encore plus quand il s’agit de faire des recommandations. On a tendance à proposer des choses très consensuelles, à faire des compromis en oubliant que nos propositions seront ensuite à nouveau discutées, débattues et amoindries.

Donc la biodiversité s’effondre parce qu’une certaine culture du compromis empêche de mettre en place les solutions ?


Il faut sortir de cette idée que tout est toujours conciliable, que l’économique et l’environnemental sont toujours compatibles. Il faut arrêter avec cette utopie infantilisante du développement durable. Oui : protéger la biodiversité implique parfois de stopper des projets de développement économique.

La conciliation privilégie toujours l’économie aux intérêts environnementaux. La protection des espèces et des espaces souffre de ces compromis : les zones protégées ne le sont pas vraiment lorsque le tourisme et les activités agro-pastorales y sont présentes. Les sols vraiment protégés dans des réserves biologiques intégrales ne concernent que 0,02 % du territoire métropolitain français.

« Il faut simplement admettre qu’on ne peut pas faire du “en même temps” partout »

Le même esprit de conciliation nuit aux espèces protégées. Des espèces menacées sont juridiquement protégées mais on autorise pourtant leur chasse sur le territoire national, c’est complètement paradoxal. Le loup, par exemple, bénéficie d’un statut de protection fort au niveau national et par la convention de Berne. Mais sur une population de 430 individus, on autorise d’en tuer 40, soit 10 % de la population. Ça ne s’appelle pas de la régulation mais une politique d’extermination. Il y a plein d’exemples : sur la soixantaine d’espèces d’oiseaux autorisés à la chasse, 20 sont sur la liste des espèces menacées de l’UICN.

En outre, le compromis ne satisfait personne. Prenons l’exemple du râle des genêts. Cette espèce d’oiseaux niche dans les prairies humides. Il faudrait que les agriculteurs ne fauchent les prairies qu’à la mi-juin pour ne pas écraser les femelles et leurs œufs avec. Mais la négociation a imposé un compromis de fauchage début juin. Résultat, les râles sont écrasés et l’agriculteur n’est pas non plus satisfait parce qu’il perd en rendement. Il faut simplement admettre qu’on ne peut pas faire du « en même temps » partout.

Vous semblez rejoindre la sentence de Nicolas Hulot, qui affirmait en démissionnant de son poste de ministre de la Transition écologique et solidaire que notre modèle économique était incompatible avec la lutte contre les périls écologiques.

Complètement. La biodiversité est au bord du gouffre. L’enjeu est la survie de la communauté du vivant, à laquelle nous appartenons. Ça doit passer avant le développement économique. Un autre message fort de Nicolas Hulot était le refus de se contenter des « petits pas ». Ces petits progrès sont toujours bons à prendre, mais cette politique des petits pas n’est pas suffisante étant donnée l’urgence de la situation.

« C’est pour sa valeur intrinsèque qu’il faut préserver la nature, pas au nom d'une vision utilitariste ou anthropocentrée qui ne repose sur rien d’un point de vue conceptuel »

Un tel changement de cap impliquerait un changement radical des mentalités. Notre vision du monde ne constitue-t-elle pas un blocage profond au sauvetage de la biodiversité ?

La biodiversité n’est pas qu’un catalogue d’espèce, c’est un ensemble d’écosystèmes remplissant un certain nombre de fonctions. On a tendance à regarder ces écosystèmes en fonction de ce qu’ils nous rapportent : une espèce fournit tant de dollars par an de services écosystèmiques, une forêt est un espace récréatif, une rivière rend tel ou tel service. C’est une vision prédatrice qui nous donne l’illusion qu’on peut quantifier la nature par rapport à ce qu’elle nous apporte.

Mais c’est pour sa valeur intrinsèque qu’il faut préserver la nature, pas au nom d'une vision utilitariste ou anthropocentrée qui ne repose sur rien d’un point de vue conceptuel. Protéger la nature pour ce qu’elle nous apporte implique que le vivant soit là pour nous, c’est au fond une vision créationniste du monde.

Cette vision du monde désanthropocentrée ressemble à celle que portent les anti-spécistes.

Je suis moins familier des idées de Peter Singer et des antispécistes. Je suis biogéographe et écologue, nous réfléchissons rarement à l’échelon de l’individu. Mais à l’échelle de l’espèce et des interactions entre espèces, le débat sur l’antispécisme trouve écho dans celui sur le « scalisme », qui consiste à faire une échelle dans le vivant. Nous grandissons inconsciemment tous avec l’idée qu’un poisson ou un reptile est moins évolué qu’un homme, qu’il est plus bas sur l’échelle de l’évolution. Mais ça n’a aucun sens biologiquement. On a tous une histoire évolutive aussi riche et longue.

L’homme n’est pas une super-espèce. Notre originalité est d’être cosmopolite et de faire des ravages à l’échelle planétaire. Mais biologiquement, nous ne sommes pas plus évolués et tout ce qu’on a mis en avant pour nous distinguer, le langage, le jeu, la culture, etc., on découvre que des espèces proches de nous sur l’arbre phylogénétique l’ont aussi ou même certains oiseaux. Ça appelle à plus de modestie.

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Message par Invité Sam 23 Mai - 2:50


des grands mots grands remèdes ?

ANTHOPOCÈNE vs CAPITALOCÈNE
d'autres textes dans le débat

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Veille Anthropocène
- Anthropocène ou Capitalocène ? Quelques pistes de réflexion, Frédéric Légault, 12 juin 2016
- Climat : Sommes-nous dans le « Capitalocène » ? Annabelle Laurent, 27 juillet 2019
- La Covid-19 est une maladie du Capitalocène, Jérôme Baschet, 12 mai 2020
je conseille, avant de se faire une idée tranchée, et retranchée, de prendre un cachet d'aspirine (évitez le mélange chloroquine-eau de javel). L'empilement désigné par des concepts, d'un recouvrement de périodes historiques entre l'avant et l'après apparition sur la planète terre de l'être humain, puis de l'économie en mode de production, puis du capitalisme, cet empilement conceptuel ne peut pas remplacer une discussion sur les réalités très concrètes qu'ils recouvrent à chaque période, et ce qu'il en reste aujourd'hui, et comment cela en est métamorphosé dans le contexte pandémique

avec le Capital, rien n'est plus comme avant
s'il fallait opposer ces concepts au point de choisir l'un contre l'autre, je m'en tiendrais à la réponse de Jean-Marie Harribey à L'Humanité le 24 avril : « Nous sommes davantage dans la période du capitalocène que dans celle de l’anthropocène qui dédouane la logique du système et qui place abusivement tous les humains à égalité de responsabilité dans la dégradation écologique.»

l'empire de la séparation humanité-nature
a priori, j'ai lieu de croire que ce qui est déterminant au départ de la question, c'est la séparation de l'humanité d'avec la nature, son extériorisation et son essentialisation, comme celle de la "nature humaine", de l'"essence humaine". Personne ne pense plus sérieusement que les choses ont commencé avec le capitalisme et que la solution se limite à envisager son abolition révolutionnaire par le prolétariat, car selon ce dont elle serait faite, on se débarrasserait ou non du problème du rapport humanité-nature, qui n'est ni entièrement « subsumé sous le capital », ni entièrement soluble par le prolétariat

nous sommes à l'ère du capitalisme pandémique

toujours est-il que la conjoncture pandémique nous permet d'analyser le problème avec beaucoup plus de matériaux sous les yeux, sans le ramener à des débats marxistes littéralement hors-sol avec des concepts du siècle dernier, convoquant Lukacs ou le Camatte de 1973 sur L'errance de l'humanité, et rejetant ce qu'il a produit depuis 40 ans, une œuvre considérable qu'il poursuit : Instauration du risque d'extinction, 30 avril 2020. C'est comme si l'on réduisait Marx à ses écrits de jeunesse, comme s'il n'avait jamais écrit Le Capital. Des années 70 ou "camatiste !" était une insulte dans la bouche des ultragauchistes, qui le sont restés, dinosaures de l'ultragauchiscène ?

c'est à partir de ces matériaux et de leur émergence actuelle que nous faisons de la théorie au présent, et que nous essayons de penser les voies du communisme pour en sortir. Voir
XL. SCÉNARIOS DU FUTUR et VOIES DU COMMUNISME, court et moyen terme, long terme
VERS LA COMMUNAUTÉ HUMAINE DANS LA NATURE, prospective dans l'incertitude

nul ne peut limiter son débat intérieur aux concepts des autres. Ne pas les ignorer certes, les connaître pour permettre l'échange d'idées, oui. S'en contenter non, et penser par soi-même
Anthropocène ou Capitalocène ? Quelques pistes de réflexion
Frédéric Légault, L'esprit libre, 12 juin 2016

« Il est plus facile d'imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. »
Slavoj Žižek
L’activité humaine aurait atteint un tel degré de développement qu’elle aurait fait entrer la Terre dans une nouvelle ère géologique. L’Anthropocène, terme encore timide auprès du grand public (1) mais déjà bien ancré dans la pensée de certain-e-s expert-e-s, désignerait cette nouvelle époque à l’intérieur de laquelle nous aurions pénétré. Le fait n’est pas anodin : l’entrée dans l’Anthropocène, vraisemblablement attribuable à « l’ensemble de l’activité humaine », marquerait simultanément la fin de l’Holocène, période entamée après la dernière glaciation couvrant les dix derniers millénaires.

Alors que la date de transition officielle est encore source de débats, la cause semble davantage consensuelle : une des espèces qui habite la Terre, Homo sapiens, a modifié son environnement à un point où il ne lui serait prochainement plus possible d’y vivre. Mais que désigne exactement la notion d’Anthropocène ? Qu’en comprendre ? Et surtout, pourquoi lui préférer le concept de Capitalocène, comme le suggère notamment Andreas Malm ?

Qu’est-ce que l’Anthropocène ?

Popularisé en 2000 par le lauréat du Prix Nobel de chimie Paul Crutzen, le terme Anthropocène désigne essentiellement deux choses : (1) que la Terre est en train de sortir de son époque géologique actuelle pour entrer dans une nouvelle époque, et que (2) cette transition géologique est attribuable à l’activité humaine (2).

Plus précisément, le concept a été forgé dans le but de désigner les transformations environnementales inédites enclenchées par l’activité humaine : réchauffement climatique, niveau de pollution sans précédent, déforestation, érosion de la biodiversité, fonte des glaces, surpêches, acidification des océans, sixième grande extinction, etc. En effet, ces tendances constituent des preuves suffisantes pour affirmer que l’activité humaine a atteint un degré de développement si élevé qu’elle menace jusqu’à la pérennité du système terrestre (incluant sa propre survie), selon le rapport dirigé par Will Steffen, chercheur à l'Université nationale australienne pour le Climate Change Institute (3). Dans ce rapport, le chercheur affirme entre autres que « les principales forces qui déterminent l'Anthropocène [...], si elles continuent de s'exercer sans contrôle au cours du XXIe siècle, pourraient bien menacer la viabilité de la civilisation contemporaine et peut-être même l'existence future d'Homo sapiens ».

De plus, les processus à la base de cette transition seraient récemment passés à la vitesse supérieure. Baptisée « La grande accélération », une deuxième phase d’intensification se serait enclenchée dans la deuxième moitié du XXe siècle. « En un peu plus de deux générations, l'humanité est devenue une force géologique à l'échelle de la planète », rapporte Steffen cette fois dans un article tiré de la prestigieuse revue Science (4).

Cependant, en attribuant la transition géologique à l’activité humaine sans toutefois la problématiser, les tenant-e-s de l’hypothèse de l’Anthropocène passent à côté d’un élément essentiel à la compréhension des causes de la transition. C’est du moins ce que soutiennent les tenant-e-s du concept de Capitalocène.

Un concept alternatif : le Capitalocène

Face à l’émergence du concept d’Anthropocène, une perspective critique a récemment émergé. Appuyant son raisonnement sur la dynamique interne du capitalisme davantage que sur celle d’un « mauvais » Anthropos, Andreas Malm, doctorant en écologie humaine à l’Université de Lund en Suède, propose le concept alternatif de Capitalocène.

Désignant sensiblement la même réalité phénoménologique que l’Anthropocène, le Capitalocène est un concept qui prend comme point de départ l'idée que le capitalisme est le principal responsable des déséquilibres environnementaux actuels. Dans son ouvrage Fossil Capital : The Rise of Steam Power and the Roots of Global Warming, Malm suggère entre autres que ce ne serait pas l’activité humaine en soi qui menace de détruire notre planète, mais bien l’activité humaine telle que mise en forme par le mode de production capitaliste. Nous ne serions donc pas à « l’âge de l’homme » comme le sous-tend le concept d’Anthropocène, mais bien à « l’âge du capital », selon la lecture de Malm, qui reprend l’expression de l’historien Éric Hobsbawm. Certes, ce sont des causes anthropiques qui ont entraîné l’avènement de l’Anthropocène, là n’est pas la question, mais certaines nuances s’imposent concernant la nomination du coupable.

Il va sans dire que l’histoire de l’interaction entre l’humain et son environnement remonte aussi loin que l’histoire humaine. Depuis le début de l’hominisation, l’humain a eu à transformer, aménager, mettre en forme la nature de diverses manières pour produire ses moyens de subsistance et pour répondre à ses besoins élémentaires (p.e. se nourrir, se vêtir et se loger). Comme notre nourriture, par exemple, ne se retrouve pas à l’état brut dans la nature, il est nécessaire de la modifier pour arriver à se nourrir (cueillette, pêche, préparation, cuisson, etc.), au même titre que nos vêtements et nos lieux d’habitation.

Ce serait davantage la mise en forme de cette activité dans le contexte sociohistorique à l’intérieur duquel elle se déploie qui serait la source de cette transition géologique. Cette mise en forme historique a été conceptualisée par Marx comme le mode de production, expression qui désigne une manière, une façon de produire historiquement nos moyens d’existence et de répondre à nos besoins (eux aussi spécifiques au contexte sociohistorique). Au cours de l’histoire occidentale, plusieurs modes de production se sont succédé (tribal, communal, féodal) avant que le capitalisme ne se taille une place comme mode de production dominant, et ce, au terme d’une histoire « inscrite dans les annales de l’humanité en caractère de sang et de feu » (5).

À l’intérieur des structures sociales, politiques et économiques mises en place par le capital, l’activité humaine a été dépossédée de sa finalité initiale, nous disait déjà Marx il y a plus de 150 ans (6). Cette finalité, qui était à l’origine de subvenir à ses besoins et de produire ses moyens d’existence, s’est vue limitée et mise au service de la valorisation du capital de quelques-un-e-s. « Telle est bien la grande rupture opérée par le capitalisme : pour la première fois dans l’histoire, voilà donc un mode de production qui met au principe de son fonctionnement le fait de déconnecter la production des besoins humains, et qui produit d’autant mieux, d’autant plus et d’autant plus efficacement qu’il échoue à satisfaire les besoins les plus élémentaires du plus grand nombre », nous dit Frank Fischback dans son dernier ouvrage (7). Ce serait entre autres ce caractère illimité de l’accumulation du capital, qui se déploie sur une planète par définition limitée, qui serait à la source des dérèglements environnementaux et de notre sortie de l’Holocène.

Attribuer la crise environnementale actuelle à une certaine conception de la nature humaine reviendrait en ce sens à naturaliser, « déshistoriciser » et dépolitiser un mode de production spécifique à un contexte sociohistorique. Comme l’écrivait si clairement Malm : « Blaming all of humanity for climate change lets capitalism off the hook » (Cool. À l’acceptation de cette idée (lente et laborieuse dans le mouvement écologiste actuel), il devient tortueux d’aborder les causes de la transition géologique sans faire de politique.

Fin du monde ou fin du capitalisme ?

Si nous avons le pouvoir de changer la planète, comme en témoigne notre sortie de l’Holocène, nous avons aussi le devoir de changer de mode de production pour la préserver. Devant les constats qu’implique cette transition, il devient impératif de réfléchir aux portes de sortie de la crise actuelle, car si cette transition n’est pas planifiée et organisée collectivement comme le met de l’avant le mouvement pour la décroissance, il y a fort à douter que l’atterrissage puisse se faire en douceur. Tout comme les forces de l’Histoire n’ont pas laissé la vie sauve au féodalisme, tout laisse croire qu’elles n’épargneront pas non plus le capitalisme. Mais ces forces ne s’engrangent pas d’elles-mêmes et se doivent d’être motorisées par une réponse politique et collective.

Du haut de l’histoire, il nous est aujourd’hui possible de constater l’ampleur des défis qu’ont posées les découvertes scientifiques aux systèmes de croyances en vigueur. Il ne suffit que de penser à la théorie de l’évolution ou encore à l’héliocentrisme, qui ont ébranlé, non sans controverse, les fondements des représentations de notre monde. Ces découvertes se sont par la suite taillé un chemin jusqu’au cœur des connaissances scientifiques contemporaines pour devenir des lieux communs. Ce changement d'ère géologique pourrait engendrer des réactions similaires à celles qui ont suivi les découvertes charnières que nous attribuons à Darwin et à Copernic. Peut-être qu’un jour le capitalisme s’assoira aux côtés du géocentrisme et du créationnisme sur les estrades poussiéreuses de l’Histoire. Nous ne pouvons que l’espérer.

(1) Quelques articles commencent à poindre dans les médias à longue portée, notamment au Devoir (link is external), à Radio-Canada (link is external) et au Monde (link is external).

(2) Pour une définition plus large, voir notamment : Lewis, Simon et Mark Maslin (2015), Defining the Anthropocene, Nature, Vol. 519, pp. 171-180.

(3) Will Steffen, Jacques Grinevald, Paul Crutzen and John McNeill (2011), The Anthropocene : conceptual and historical perspectives, Phil. Trans. R. Soc. A, Vol. 369, pp.842-861.

(4) Will Steffen, Katherine Richardson, Johan Rockström, Sarah E, Cornell, Ingo Fetzer, Elena M. Bennett, Reinette Biggs, Stephen R., Carpenter, Wim de Vries, Cynthia A. de Wit, Carl Folke, Dieter, Gerten, Jens Heinke, Georgina M. Mace, Linn M. Persson, Veerabhadran Ramanathan, Belinda Reyers and Sverker Sörlin (2015), Planetary boundaries: Guiding human development on a changing planet, Science, Vol. 347, No. 6223.

(5) Marx, Karl (1993), Le Capital, Livre premier, trad.  par Jean-Pierre Lefebvre, Paris, PUF, p. 805.

(6) Marx, Karl (2007), Manuscrits économico-philosophiques de 1844, traduit par Franck Fischbach, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 240p.

(7) Fischback, Franck (2012), Sans objet. Capitalisme, subjectivité, aliénation, Librairie philosophique J. Vrin,  pp. 260-261.

(Cool Malm, Andreas (2015), The Anthropocene Myth, The Jacobin, en ligne, https://www.jacobinmag.com/(link is external), consulté le 20 avril 2016.

Climat : Sommes-nous dans le « Capitalocène » ?
Annabelle Laurent, Usbek & Rika, 27 juillet 2019
Cet été, on s’attaque aux mots de l’écologie. Il y a les imprononçables, comme flygksam, la honte de prendre l’avion en suédois, et les néologismes qui nous embrouillent, comme la solastalgie, qui décrit la détresse face à l’effondrement (et à la collapsologie, encore un !). L’écologie a ses mots tout simples, ses mots pompeux, et hélas peu de mots doux, mais une chose est sûre, il suffit parfois d’une seule expression pour expliquer, ou rendre subitement concret(e) un sentiment ou une réalité diffuse. C'est, à l'heure de l'urgence climatique, toujours utile. On vous a parlé d’amnésie environnementale dans un premier épisode. On poursuit avec le concept de Capitalocène, né en réponse à celui d’Anthropocène pour interroger la responsabilité du capitalisme dans la destruction de la planète.
Le changement climatique est-il imputable aux milliards d’êtres humains qui peuplent la planète, ou à une minorité d’entre eux ayant imposé un système politique et économique reposant sur la propriété privée des moyens de production... à savoir le capitalisme ? Voici, grossièrement résumé, le débat qui oppose ceux qui préfèrent parler d’Anthropocène d’un côté et de Capitalocène de l’autre, et qui, loin d’une simple bataille sémantique, permet de mieux questionner les causes historiques du dérèglement climatique.

Dans un article paru en 2002, le Prix Nobel de Chimie Paul Crutzen popularise le concept d’Anthropocène pour désigner une nouvelle période géologique dans laquelle nous serions entrés et qui aurait mis fin à l’Holocène, époque qui s’étendait sur les 10 000 dernières années et caractérisée par une stabilité climatique. Nous serions désormais dans « le nouvel âge des humains » : l’influence de l’être humain serait devenue une « force géologique ». « L’empreinte humaine sur l’environnement planétaire est devenue si vaste et intense qu’elle rivalise avec certaines des grandes forces de la nature », écrit Paul Crutzen (qui lui-même reprenait le mot au biologiste américain Eugene F. Stoermer).

Quinze ans plus tard, le concept fait l’objet d’un consensus de plus en plus fort dans la communauté scientifique, aussi bien en sciences naturelles qu’en sciences humaines et sociales et dans le champ interdisciplinaire nouveau des « sciences du système terre », mais n’est pas officiellement validé par les géologues, et suscite des débats autour de sa datation. Pour l’historien Christophe Bonneuil, auteur avec Jean-Baptiste Fressoz de L’Evénement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, paru au Seuil en 2013 (et dont le documentaire L'homme a mangé la terre est adapté), l’utilisation du terme Anthropocène est « une audace intellectuelle » qui « permet une prise de conscience essentielle : nous ne vivons pas une crise environnementale mais une révolution géologique d’origine humaine », explique-t-il dans une interview à Regards sur la Terre.

Il détaille : « La dernière fois qu’il y a eu autant de carbone dans l’atmosphère qu’aujourd’hui, c’était au Pliocène, il y a 2,6 à 5 millions d’années. Au rythme actuel, la moitié des espèces animales et végétales de l’Holocène aura disparu en 2100. La dernière crise d’extinction d’ampleur comparable remonte à 65 millions d’années, lors de la disparition des trois-quarts des espèces dont les dinosaures, à cause d’une météorite. Homo sapiens a 200 000 ans : nous et nos enfants avons à faire face à des états de la planète auxquels aucun humain n’a jamais été confronté. La sortie de l’Holocène n’est pas qu’un phénomène géologique mais une nouvelle condition humaine. Ce saut vers l’inconnu n’est pas le fait d’une météorite ou d’un autre événement extérieur, mais c’est notre propre modèle de développement qui, ayant prétendu s’arracher aux limites de la planète, les percute brutalement ».

CONTRE L'ANTHROPOCENTRISME... CAPITALISME, HUMANISME, NATURE... Anthropocène vs Capitalocène ? 5d31bf4c81c25
« Habitus », une installation artistique de la Edge Hill University, créée par Robyn Woolston.

L’Anthropocène est-il pour autant le bon « récit » ? Pour les auteurs de L’Evènement Anthropocène, la faille du concept est qu’il donne comme responsable une espèce humaine présentée comme un tout indifférencié, et ne permet pas de cerner l’inégale responsabilité des groupes sociaux qui la composent...  « Il devient possible d’écrire des livres entiers sur la crise écologique, sur les politiques de la nature, sur l’Anthropocène et sur la situation de Gaïa sans parler de capitalisme, de guerre ou des États-Unis et sans mentionner le nom de la moindre grande entreprise », regrettent-ils. Pour les auteurs, il y a le risque d'un géopouvoir qui validerait les pistes de géo-ingénierie en lieu et place de réels changements politiques.

Devrait-on plutôt parler de Capitalocène ? C’est la proposition d’Andreas Malm, professeur d’écologie humaine à l’université de Lund (Suède), et auteur de L’anthropocène contre l’histoire : le réchauffement climatique à l’ère du capital (éd. La Fabrique, mars 2017). « Si l’on veut comprendre le réchauffement climatique, ce ne sont pas les archives de “l’espèce humaine” qu’il faut sonder mais celles de l’Empire britannique, pour commencer » : Andreas Malm raconte de quelle manière la machine à vapeur, qui, pour Paul Crutzen et d'autres, marque en tant que point clé de la révolution industrielle le début de l'Anthropocène, a été aux mains des capitalistes anglais « un outil redoutable pour discipliner la force de travail et une arme de guerre impérialiste », connaissant une progression fulgurante « quand elle supplante en quelques années la force hydraulique – pourtant abondante et moins chère – dans l’industrie textile anglaise. »

Dans un texte écrit pour l’Unesco, Andreas Malm raconte sa visite de l’île de la Dominique, ravagée par un ouragan en septembre 2017, une « merveille de splendeur naturelle, mais pauvre », dont la plupart des 70 000 habitants vivent chichement, ne « produisent que des empreintes carbones négligeables, et n’ont aucun pouvoir sur la fourniture mondiale d'énergie. Or, ce sont précisément eux qui ont péri sous les coups de boutoir de l'hypercyclone.»

Et le chercheur de rappeler qu’ « Homo sapiens est une entité profondément fracturée, et ne l'a jamais été autant que dans ce monde qui se réchauffe à vive allure », citant un chiffre de l’ONG Oxfam (janvier 2017) selon lequel les 8 individus les plus riches possèdent autant (426 milliards de dollars) que la moitié la plus pauvre de la population mondiale (409 milliards de dollars). « C'est en réalité un infime segment de l'espèce humaine qui détient les moyens de production et prend les grandes décisions en matière d'utilisation des sources d'énergie. Ce segment n'a qu'un seul but : devenir encore plus riche. Un processus appelé “accumulation de capital”, qui se poursuit inexorablement, indifférent au sort des Dominiquais et aux signaux toujours plus désespérés de la science climatique ».

La « révolution industrielle » n’a pas été un progrès technique socialement neutre, renchérit l’historien Armel Campagne dans son livre Le Capitalocène. Aux racines historiques du dérèglement climatique (Divergences, 2017). Il propose une histoire de l’industrialisation anglaise comme « restructuration capitaliste du procès de production et comme lutte de classe », laquelle visait à une intensification de l’exploitation et à une destruction de l’organisation artisanale du travail.

Si nous avons choisi de présenter ces quelques références autour du concept de capitalocène, mentionnons l'existence de nombreuses autres alternatives à l'Anthropocène proposées ces dernières années : l'occidentalocène, le thanatocène (qui place la Seconde Guerre mondiale comme pilier central de la destruction), le plantationocène (la destruction « fondée sur le travail des esclaves et sur d’autres formes de travail­ ­exploité, aliéné et généralement spatialement déplacé », proposé par Donna Harraway ou Anna Tsing), sans oublier le chthulucène, « un endroit pour travailler, ralentir et renverser l’anthropocène, le capitalocène et le plantationocène »), et ouvrir une nouvelle ère au nom certes imprononçable mais a priori plus accueillante.
Jérôme Baschet : "Le Covid-19 est une maladie du Capitalocène"
entretien par Marion Rousset, Marianne, 12 mai 2020

Symptôme d’un basculement, le Covid-19 est, selon l’historien Jérôme Baschet, le pur produit du système capitaliste et de son productivisme exacerbé. Selon lui, il est temps d’agir en conséquence.
Historien médiéviste et spécialiste du mouvement zapatiste, Jérôme Baschet est ancien maître de conférences à l’EHESS. Il est l’auteur entre autres de La Civilisation féodale (Aubier, 2004), Adieux au capitalisme (La Découverte, 2014), Défaire la tyrannie du présent (La Découverte, 2018), La Rébellion zapatiste (Flammarion, 2019) et Une juste colère (Divergences, 2019). Il revient avec nous sur la crise engendrée par le coronavirus.

Marianne : Qu’est-ce qui permet d’affirmer que le Covid-19 est une maladie du capitalisme ?

Jérôme Baschet : La transmission à l'espèce humaine d'un virus comme le SARS-CoV-2 est liée aux bouleversements des équilibres du vivant que provoquent l'exploitation et la destruction des milieux naturels. Lesquels sont la conséquence de l'impératif de croissance illimitée et du productivisme compulsif du système capitaliste. C'est ce qui provoque à la fois le dérèglement climatique, l'effondrement de la biodiversité et la multiplication de nouvelles maladies. En ce sens, la pandémie de Covid-19 nous fait entrer avec fracas dans une période au cours de laquelle les humains devront affronter les conséquences des destructions engendrées par la dilatation sans fin de la machinerie capitaliste. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, d'autres pandémies surgiront, avec des virus peut-être beaucoup plus létaux que le SARS-CoV-2. Et ce n'est rien encore à côté de la vraie "seconde vague", celle des effets attendus du dérèglement climatique.

L'hypothèse que le Covid-19 se soit échappé d’un laboratoire de Wuhan n’a pas été totalement écartée. Cela infirmerait-il le lien entre cette pandémie et le capitalisme ?

Le degré de probabilité de cette hypothèse est loin d'être négligeable. Mais, compte tenu des enjeux géopolitiques, il se pourrait qu'on ne dispose jamais de données fiables à ce sujet. En tout état de cause, si l'hypothèse était avérée, l'analyse globale ne serait guère modifiée. Le laboratoire de haute sécurité, dit P4, de l'Institut de virologie de Wuhan est le plus important en son genre en Chine pour l'étude des virus émergents, et notamment des coronavirus des chauve-souris. Si des investissements considérables sont engagés pour monter de tels laboratoires, c'est bien parce qu'il faut faire face à des risques épidémiologiques inédits – lesquels sont l'effet des dérèglements du vivant provoqué par l'activité humaine.

Les maladies infectieuses n'ont pas attendu le capitalisme pour exister, c'est évident

Un certain nombre d’analystes inscrivent l’émergence du nouveau Coronavirus à l’échelle planétaire dans la longue histoire des épidémies qui accompagnent l’humanité depuis ses origines. Que vous inspire cette approche ?

Les maladies infectieuses n'ont pas attendu le capitalisme pour exister, c'est évident, et elles ont fait dans le passé des ravages parfois plus considérables que le Covid-19. Ainsi, la Peste noire, à partir de 1348, a décimé entre le tiers et la moitié de la population des régions européennes touchées. Cependant, il faut récuser l'idée superficielle selon laquelle les épidémies seraient des phénomènes purement naturels qui auraient existé de tout temps, de la même manière : les épidémies ont une histoire ! Elles se développent surtout à certaines époques, avec des causes spécifiques et des formes de diffusion très variables. Les conditions de propagation d'un virus étant décisives, l'apparition des épidémies dépend en grande partie des interactions entre les milieux naturels et les formes d'organisation des sociétés humaines. Il me semble donc très important de proposer une compréhension historique du Covid-19, à l'opposé de la lecture "naturalisante" que diffuse par exemple Yuval Noah Harari, auteur du best-seller mondial Sapiens. Son discours, soucieux d'écarter toute critique de la globalisation, tend aux élites mondialisées le miroir flatteur dans lequel elles se plaisent à se contempler.

Remonter au néolithique permet cependant de pointer le rôle qu’a pu jouer l’activité humaine dans la propagation du choléra, de la variole ou de la rougeole…

Les principales maladies virales comme la variole, la rougeole, la varicelle, les oreillons, la grippe et d'autres n'ont pas existé de tout temps. Elle se sont développées en lien étroit avec l'un des bouleversements les plus importants de l'histoire humaine, au début du néolithique : le passage des sociétés de chasseurs-cueilleurs aux sociétés agraires, fondées sur la culture intensive de certaines espèces végétales et la domestication de certains animaux. Il en a résulté une promiscuité inédite entre les groupes humains, plus sédentaires qu'auparavant, les animaux domestiques vivant près d'eux, ainsi que d'autres animaux comme les rats et les souris, attirés par les stocks alimentaires. C'est ce qui a permis à différents agents infectieux de passer de l'animal à l'humain : de nouvelles maladies d'origine animale qu’on appelle les zoonoses se sont multipliées. On assiste à un enchainement du même type aujourd’hui : la transformation profonde de l'organisation productive et sociale engendre une modification des interactions entre le monde humain et le reste du monde vivant, ce qui provoque l'émergence de nouvelles maladies épidémiques.

Toutes les pandémies sont-elles dues à l’homme ?

On ne peut pas attribuer à l'être humain seul la responsabilité des pandémies. Les virus et les bactéries existent indépendamment de lui et ont leur propre modus operandi. L'agressivité de la bactérie Yersinia pestis, responsable de la peste bubonique, ne doit rien à l'homme, même si sa diffusion au XIVe siècle, a été favorisée par les routes commerciales joignant la Chine à l'Europe.

Qu’est-ce qui justifie de parler de rupture à propos du Coronavirus plutôt que de voir dans cette pandémie l’aboutissement d’un processus au cours duquel l’homme n’a cessé de vouloir se rendre maitre de la nature ?

D'abord, vouloir se rendre "comme maître et possesseur de la nature", comme le dit Descartes en 1637, n'est pas une idée qui aurait toujours existé. Certes, les humains n'ont pas cessé de modifier leur milieu et d'interagir avec lui, mais vouloir dominer et exploiter une entité séparée de l'humain et appelée Nature relève d'une conception du monde qui est propre à la modernité européenne. Aujourd'hui, comme lors de la révolution néolithique, nous sommes confrontés à une multiplication de nouvelles zoonoses. Amorcé dans le dernier quart du siècle passé notamment avec le VIH, le mouvement semble s'être accéléré depuis deux décennies : SARS, grippe aviaire H5N1, grippe H1N1, MERS, Ebola, etc. Le premier facteur est l'essor des immenses élevages industriels de volailles et de porcs, dont les installations concentrationnaires et la logique hyper-productiviste entraînent des conséquences sanitaires souvent désastreuses et favorisent les sauts d'espèce des agents infectieux. Le second est la déforestation au profit des monocultures – comme l'huile de palme ou le soja – qu'affectionne le secteur agro-industriel, mais aussi en raison de l'expansion de l'urbanisation.

Les chasseurs d'animaux sauvages s'aventurent dans des zones jusque-là préservées de l'intervention humaine et les animaux sauvages sont poussés à se rapprocher davantage des zones occupées par les humains. Résultat, le VIH est passé des singes des forêts d'Afrique vers l'homme et Ebola de même à partir de la chauve-souris. A quoi s’ajoute la globalisation des flux économiques qui assure aux nouveaux virus les moyens d'un rapide essor : l'explosion du trafic aérien a été le vecteur d'une diffusion planétaire fulgurante du SARS-CoV-2. Au total, l'expansion démesurée de l'économie mondiale, avec son absence manifeste d’attention aux équilibres du vivant, a bien favorisé la multiplication de nouvelles épidémies.

Pour qualifier l’ère actuelle, vous parlez de "capitalocène". Faut-il opposer ce concept à l’anthropocène ?

La notion d'"Anthropocène" a été proposée en 2000 par le prix Nobel de Chimie Paul Crutzen. Elle désigne une nouvelle période géologique faisant suite à l'Holocène et dont on peut situer le début à la fin du XVIIIe siècle, lorsque l'usage de la machine à vapeur entraîne le décollage de la courbe des émissions de dioxyde de carbone. L'Anthropocène se caractérise par le fait que l'espèce humaine est devenue une force géologique capable de modifier les processus physiques essentiels de la Terre, à une échelle globale. Le dérèglement climatique en est la manifestation la plus évidente. Mais on ne peut pas imputer un tel basculement à l'espèce humaine dans son ensemble. On est face à une causalité historique plus spécifique : le système capitaliste et son productivisme exacerbé. Le terme de "Capitalocène" est donc une dénomination beaucoup plus pertinente pour qualifier la période actuelle.

On ne peut espérer enrayer les menaces qui pèsent sur la planète et sur l'humanité sans rompre avec les logiques consuméristes et productivistes propres à la civilisation capitaliste

Est-ce naïf que de penser que la pandémie actuelle puisse servir de point de départ à une transformation du monde ?

La paralysie de l'économie mondiale entraîne quantité de phénomènes extrêmement surprenants et pourrait être l'occasion de salutaires remises en cause. Mais il serait naïf de croire qu'un vaste examen de conscience puisse suffire à changer le cours des choses. Surtout si on omet de prendre en compte la puissance des forces qui œuvrent à une reprise du business as usual. Mais si le Covid-19 est bien une maladie du Capitalocène, il serait temps d'agir en conséquence ! On ne peut espérer enrayer les menaces qui pèsent sur la planète et sur l'humanité sans rompre avec les logiques consuméristes et productivistes propres à la civilisation capitaliste.

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Message par Invité Dim 24 Mai - 19:46

de la théorie « en bonne et due forme », et bien tournée, Annette aussi, parce que moi, c'est en bourrique, qu'ils me font tourner, les « structuralistes prolétariens »
épure si muove

« pour les communistes
la question de la nature est non pas périphérique, secondaire, ou idéologique,
elle est absolument centrale
»

Annette, dndf 24/05/2020 à 16:17 #33
Comme le disait Marx non pas dans sa jeunesse philosophique mais dans sa maturité scientifique, ce sont les bourgeois qui attribuent au travail “une puissance de création surnaturelle”* parce qu’ils omettent une vérité centrale : le travail n’est rien sans la nature.

Autrement dit, c’est quand on se comporte comme un propriétaire de la nature que l’on peut dire que la nature n’est rien, ou presque rien, ou idéologie, ou réservoir matériel de la production.

Tout devient plus clair si on se place d’un point de vue communiste et que l’on cesse de regarder le monde avec les yeux d’un bourgeois. La nature devient alors ce sans quoi le travail n’est rien, ce sans quoi l’homme – cet animal social – ne peut plus réaliser aucune société et par conséquent n’existerait même pas, puisqu’il ne pourrait pas créer de richesse.

En détruisant la nature, c’est-à-dire en la réduisant à n’être que propriété à disposition des puissants, et plus tard idéologie de réformiste petit-bourgeois, le capitalisme produit donc aussi les conditions de l’aveuglement des communistes, qui n’ayant connu de nature que subsumée, pensent qu’elle a toujours été rien, et rien d’autre que rien. Or c’est à partir du moment où elle devient une catégorie de la pensée bourgeoise qu’elle n’est déjà plus conforme à ce qu’elle voudrait désigner, à savoir comme ce qui échappe à l’emprise de la production.

Mais bien sûr, avant que le MPC ne devienne hégémonique, il existait bien une nature qu’on n’avait pas idée de nommer. C’est après que le crime a été commis qu’elle est revenue, morte-vivante parmi les morts. Alors c’est un vrai problème pour les communistes, parce que si elle ne revient pas à la vie, s’il n’y a plus d’air, plus d’eau potable, plus d’espace vivable, alors il ne pourra pas y avoir non plus de communisme.

Comme telle la question de la nature est non pas périphérique, secondaire, ou idéologique, elle est absolument centrale, tellement centrale qu’elle amène à questionner non pas la vérité de l’humanisme, mais l’usage opportuniste et victorieux que pourraient en faire des anticapitalistes bien décidés à ne pas barboter plus longtemps dans un structuralisme qui commence à mal vieillir.
* « Les bourgeois ont d’excellentes raisons d’attribuer au travail une puissance de création surnaturelle »
Karl Marx, Critique du programme de Gotha, 1875


je ne l'avais pas dit comme ça, en un sens j'aurais préféré,
mais enfin tout y est
contre la bêtise humaine intellectualisée


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Message par Invité Sam 27 Juin - 6:40

pour faire le lien avec les sujets de MUSIQUE, SONS de la NATURE, ET HUMANITÉ

fidèle à ma méthode, je croise et recoupe les sujets selon les points de vue de celle de Marx vue par Bertell Ollman dans « La dialectique mise en oeuvre : le processus d'abstraction dans la méthode de Marx »

si je comprends bien la thématique de ces débats, il s'agirait de prendre au pied de la lettre "les sons de l'anthropocène" comme reflétant dans le domaine musical la séparation d'avec la nature dont parle Jacques Camatte
Le son de l'anthropocène : natures
Ircam, salle Stravinsky, 29-30 mai 2018
Débats en français et en anglais
Pour nombre de géologues, de climatologues, de chercheur-es en sciences sociales d'écologistes, d'ONG(s), notre planète est désormais entrée dans l'ère de l'anthropocène. Quelles que soient les discussions pour situer les débuts de cette séquence, l'idée commune est que l'activité humaine est devenue la principale force géologique. Le recours massif aux énergies fossiles provoque le réchauffement de la planète et ses conséquences, la disparition rapide et croissante d'un nombre considérable d'espèces végétales et animales, la fonte des glaciers et de la banquise, l'élévation du niveau de la mer, des épisodes climatiques extrêmes, la pollution, des crises sociales de grande ampleur. Au moment où la Terre se rebelle, c'est tout autant le fondement matériel des sociétés industrielles que la cosmogonie qui supporte cette façon de penser et d'utiliser le monde qui vacillent, en d'autres mots la modernité.

L'art est l'un des registres essentiels qui a accompagné et soutenu l'essor de ce fait social et  de cette relation au monde. De fait, l'injonction moderne au progrès perpétuel est au cœur de la plupart des pratiques artistiques et façonne notre sensibilité. Cette injonction est particulièrement sensible dans la musique, dans ses théories comme dans ses nombreuses déclinaisons pratiques et matérielles.

Le séminaire international « Le son de l'anthropocène  » réfléchit aux façons dont les mondes musicaux peuvent faire face aux défis écologiques et comment on peut imaginer de nouvelles voies pour la recherche, la consommation et la production musicales, les politiques publiques et l'activisme écologique. Cette réflexion est menée avec des compositeurs/trices, des musicien-n-e-s, des chercheur-es, des acteurs culturels issus de différents mondes musicaux et des arts de la scène mais aussi en compagnie de philosophes et historien-n-e-s de l'écologie ou de personnes ou d'institutions provenant d'autres sphères culturelles ou sociales.

Ce premier séminaire de deux jours s'intéresse aux relations entre la nature et la musique  : comment la nature a t-elle été mobilisée par des mondes musicaux et comment la musique et les arts de la scène ont-elles rendu crédible l'idée de nature.

Organisation
Nicolas Donin (responsable de l'équipe Analyse des pratiques musicales, Ircam-STMS), Isabelle Moindrot, EA  1573, Université Paris 8 et François Ribac, équipe Analyse des pratiques musicales, Ircam-STMS/ Laboratoire Cimeos, Université Paris 8. Projet ASMA (Arts de la Scène et Musique dans l'Anthropocène). [j'ai eu l'occasion de rencontrer François Ribac dans son studio dans les années 1990, une montagne de technologies numériques. Je dois avouer que le résultat musical, pour impressionnant qu'il était, nem'a pas convaincu de son rapport à la nature, càd aux sons naturels, comme d'une façon générale les réalisations de l'Ircam. Il s'agirait donc de prendre au pied de la lettre "les sons de l'anthropocène" comme reflétant dans le domaine musical la séparation d'avec la nature dont parle Jacques Camatte]

Ecomusicologies
Avec Aaron S. Allen, Associate Professor of Music. Environmental & Sustainability Studies, University of Greensboro, USA

Fragments of Extinction – The sonic heritage of ecosystems

Avec David Monacchi, compositeur et chercheur éco-acoustique

Conceptualisation, intégration, environnement  : La nature pour Xenakis et Mâche

Avec Anne Sylvie Barthel-Calvet, maître de conférences à l'université de Lorraine/équipe Analyse des pratiques musicales, Ircam-STMS

Table ronde « Les natures de la musique contemporaine »
Avec Makis Solomos, professeur à l'université Paris 8, Nicolas Donin, responsable de l'Analyse des pratiques musicales, Ircam-STMS, Aaron Allen, Anne Sylvie Barthel-Calvet, Nathalie Blanc et David Monacchi

Quelles natures sur les scènes du grand opéra français au 19e siècle ?
Avec Isabelle Moindrot

Creatures of the Air: Moral Atmospherics and the Enframement of Nature in Mendelssohn's Elijah
Avec James Q. Davies, Associate Professor, University of California, Berkeley

Naturalizing pitch: acoustics, aesthetics, politics
Avec Fanny Gribenski, chargée de recherche, Max Planck Institute for the History of Science, Berlin

Table ronde « Artistes, géographes, philosophes "pré écologistes" au 19e siècle. Quid de la musique ? »
Avec Bertrand Guest, maître de conférences à l'université d'Angers, Nathalie Blanc James Q. Davies, Fanny Gribenski et Isabelle Moindrot

Conclusions collaboratives avec l'ensemble des intervenant-e-s : Les natures de la musique

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CONTRE L'ANTHROPOCENTRISME... CAPITALISME, HUMANISME, NATURE... Anthropocène vs Capitalocène ? Empty Re: CONTRE L'ANTHROPOCENTRISME... CAPITALISME, HUMANISME, NATURE... Anthropocène vs Capitalocène ?

Message par Invité Mer 1 Juil - 13:51


non, les Chinois ne sont pas des Occidentaux

oui, abolir le Capital en termes marxistes
est insuffisant pour la perspective communiste

j'aurais pu placer ailleurs cet entretien avec Aurélien Barrau, qui au-delà de son intérêt, par exemple quand il affirme « Je veux absolument rappeler que dans la crise écologique globale, la crise climatique n’est qu’un élément parmi d’autres et ce n’est peut-être pas le plus grave », me semble poser deux questions :
1)

Je voudrais dire que ce qu’il se passe n’est pas la faute de l’humanité mais de l’Occident au sens large. J’inclus évidemment les États-Unis et même la Chine finalement. Ce n’est pas la faute de la totalité de l’humanité, c’est le mode de vie d’une partie de la population occidentale qui est en train de dévaster la planète.
on a pu se poser la question « Les Japonais sont-ils devenus des Occidentaux ? » mais avec les Chinois c'est un peu dtier par les cheveux, témoignant d'une difficulté à articuler Occident et Capitalisme, souvent rencontrée et encore récemment avec Adé dans Camatte et nous. Didfficulté qui rejoint celle à saisir ce qu'est, ou non complètement, le capitalisme en "subsomption réelle", d'où ce deuxième problème :
2)

Je crois que le mal est très ancien. Dans les milieux de gauche par exemple, beaucoup de gens se disent : « le mal c’est le capitalisme », je crois que c’est faux.  Je pense qu’il y a effectivement un problème avec le capitalisme : il comporte en lui-même sa propre illimitation en quelque sorte, il fait de la croissance une fin en elle-même. Et on voit aujourd’hui aussi les ravages au niveau social. Donc, oui, il y a un problème avec le capitalisme mais ce n’est pas la totalité du problème. L’Homme s’est construit sur des mythes de domination et de prédation, c’est peut-être également là-dessus qu’il faut travailler.
ici, on comprend que l'alternative théorique "anthropocène vs capitalocène" est piégée, sur le terrain même de l'humanisme théorique, qui est presque inhérent au concept d'anthropocène, et se glisse dans celui de capitalocène, car si tout est dû au capitalisme, c'est qu'un sujet révolutionnaire prolétariat, va en sortir l'humanité, mais problème : prolétariat humain trop humain...

là où Barrau n'a pas tort, y compris dans une perspective communiste, c'est que les critères jusque-là posés en marxiste pour abolir le capital (abolir la valeur, l'économie, le salaire, l'État...) sont devenus insuffisants pour construire positivement cette perspective : une "révolution prolétarienne" même victorieuse dans les termes radicaux de la communisation ne résoudra strictement rien des problèmes qu'elle n'aura pas posés, et leur conceptualisation sous le concept de communisation ne résout rien en théorie, même abstraite, de problèmes qu'elle ne sait pas poser en théorie. La théorie de la communisation est devenue aussi fausse qu'inutile

Aurélien Barrau : "Il faut absolument être alarmiste"
Aurélien Barrau, National Geographic, 29 juin 2020
Astrophysicien spécialisé dans la physique des astroparticules, particules du milieu interstellaire et des trous noirs, Aurélien Barrau invite par ses écrits le grand public à prendre conscience de l'urgence écologique.
Aurélien Barrau a accepté de livrer à National Geographic son point de vue sur la crise climatique et sur les défis auxquels font face la faune et la flore. Cet astrophysicien du laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble, auteur de nombreux livres dont « Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité », dénonce l’urgence à laquelle nous devons tous faire face.

Il y a quelques jours, Fatih Birol, le directeur de l’Agence internationale de l'énergie a déclaré à nos confrères du Guardian que le monde disposait de 6 mois pour éviter la crise climatique. Ma question est simple : n’est-il pas déjà trop tard ?

Je pense que cette question, de savoir ou non s’il est trop tard, n’a aucun sens pour la raison suivante : il est trop tard pour quoi ? Si on se demande s’il est trop tard pour éviter tout problème, bien-sûr qu’il est trop tard ! De façon absolument certaine, nous avons déjà tué l’essentiel des populations d’animaux sauvages, nous avons déjà tué l’essentiel des insectes, nous avons déjà ratiboisé l’essentiel des forêts, nous avons déjà vidé une grande partie des océans, déjà un grand nombre de pays sont dans une situation de stress hydrique fort ou extrême et on commence à voir apparaître des réfugiés climatiques et des pandémies.

Si la question est donc « Est-il trop tard pour que tout aille bien ? », la réponse est évidemment oui ! Il n’y a aucun doute là-dessus. Mais si la question est « Est-il trop tard pour que la vie perdure ? », la réponse est évidemment non. La vie va très probablement continuer. Mais dire « Il est trop tard », c’est faire comme si la crise climatique était binaire. Cela ne se passe pas comme ça, il y a une gradation continue entre « Tout va bien » et « Tout s’arrête »... ce qui est peu probable, je ne pense pas que les scorpions ou les araignées vont disparaître par exemple.

Souvent, je crois que ce qui est sous-entendu dans cette question c'est « Est-il trop tard pour que l’Humanité subsiste ? » Si on prend la Seconde guerre mondiale par exemple, elle n’a pas fait disparaître l’humanité et pourtant ce fut une catastrophe sans nom ! Ce fut une des pires choses de l’Histoire bien que l’humanité n’aie pas disparu ! Que l’humanité perdure ou non ne me semble pas être la question cardinale.

Astrophysicien spécialisé dans la physique des astroparticules, particules du milieu interstellaire, et des trous noirs, Aurélien Barrau ...
Astrophysicien spécialisé dans la physique des astroparticules, particules du milieu interstellaire, et des trous noirs, Aurélien Barrau travaille pour le Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble, et enseigne à l'université de Grenoble. Très engagé sur la question écologique, il invite par ses écrits le grand public à prendre conscience de l'urgence écologique.

Selon vous, est-ce que la situation de pandémie que nous connaissons n’a pas permis de mettre en valeur la parole scientifique ? Et est-ce que cela ne va pas permettre à la communauté scientifique et aux climatologues d’un peu plus se faire entendre ?

C’est une question intéressante : dans un premier sens, on pourrait répondre oui, il faudrait s’en inspirer pour d’autres situations car il est vrai que lorsque l’on fait face à une épidémie mondiale, on consulte les médecins et on applique leurs recommandations, sachant qu’ici les recommandations étaient parfois divergentes, il n’y avait pas d’unanimité.

Bien qu’il y ait des avis d’experts extrêmement différents les uns des autres, ils ont été quand même dans une large mesure suivis. Ce qui est très étonnant par rapport à la catastrophe écologique c’est que les analyses sont dans ce cas beaucoup plus unanimes, il y a beaucoup moins de différences et de divergences... et pourtant les recommandations ne sont pas du tout suivis !

Cette constatation est très étrange quant à ces deux crises, sanitaire et écologique. La seconde est bien pire et les experts sont beaucoup plus unanimes. Pourtant, dans le premier cas on suit les recommandations et dans le second cas on ne les suit pas. C’est incompréhensible et très grave…

Le deuxième niveau que je voudrais souligner est qu’il ne faut pas considérer seulement la parole scientifique. Il est vrai que les scientifiques savent projeter les évolutions de températures, de CO2 etc. Il faut donc les écouter, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais il faut bien comprendre que la question à laquelle on fait face n’est pas une question prioritairement scientifique mais une question politique. Il y a ici des gens qui pensent qu’il n’y a aucun problème à avoir 5°C de réchauffement climatique car de toute façon en France on est riche, on mettra l’air conditionné, les forêts on s’en fout, les oiseaux on s’en fout : tant que l’on peut continuer à manger des hamburgers dans des pièces climatisées, il n’y a aucun problème.

Le problème est donc politique et éthique : il s'agit de savoir dans quel monde nous voulons vivre et ça, nous ne pouvons pas le déléguer aux seuls scientifiques.

Le bouleversement que subit la biodiversité est sûrement l’une des plus grandes catastrophes de l’histoire récente de la Terre. Aujourd’hui on sait qu’un million d’espèces sont menacées à très court terme. Selon vous, pourquoi l’Homme n’arrive-t-il pas à concevoir qu’il fait partie d’un tout quand on parle d’environnement, alors que l’urgence sanitaire liée au coronavirus nous a donné un sentiment d’unité globale et a forcé les Etats à trouver des solutions inédites en très peu de temps ?

Je veux absolument rappeler que dans la crise écologique globale, la crise climatique n’est qu’un élément parmi d’autres et ce n’est peut-être pas le plus grave. Quand bien même il n’y aurait pas un seul degré de réchauffement, nous serions tout de même dans la 6e extinction massive. À ce stade, le réchauffement climatique n’a joué aucun rôle majeure. Il va évidemment être important dans le futur mais il est essentiel d’avoir en tête que quand bien même on n'émettrait plus du tout de CO2, on n’aurait absolument pas résolu le problème ! En réalité c’est notre manière d’habiter l’espace, de le coloniser, qui rend cette planète invivable aux autres vivants. Et il se trouve que les vivants sont interconnectés.

Pour revenir à votre question, je dirais que je ne suis pas tout à fait d’accord avec le constat. Il y avait beaucoup d’espoirs sur l’émergence de nouvelles valeurs. En réalité ce n’est pas du tout ce qu’il se passe, on voit un retour à l’état précédent et même dans une large mesure en évolution vers le pire. Je suis extrêmement déçu des leçons qui sont tirées de cette crise : elles sont essentiellement nulles.

Concrètement, l’origine de cette pandémie est probablement la manière dont on traite les animaux : on sait très bien que le fait que les animaux n’aient plus de lieux sauvages pour vivre, conjugué avec l’élevage intensif et les marchés, constitue une cause dominante de l’augmentation des épidémies. Quelle gouvernance d’un grand pays a remis ça en cause ? Aucun ! On ne se pose pas les questions absolument nécessaires.

Je voudrais dire que ce qu’il se passe n’est pas la faute de l’humanité mais de l’Occident au sens large. J’inclus évidemment les États-Unis et même la Chine finalement. Ce n’est pas la faute de la totalité de l’humanité, c’est le mode de vie d’une partie de la population occidentale qui est en train de dévaster la planète. Mais il y a beaucoup d’autres cultures, sous-dominantes en termes de nombre, en termes d’impact, en termes de puissance, qui existent à la surface de la Terre et qui n’ont pas du tout ce rapport au monde. Notre vision relève à mon avis d’une double aliénation. Une première folie est liée à la négation de l’altérité : les autres vivants sont en effet considérés uniquement comme des ressources, tout ce qui n’est pas humain est une ressource : un arbre est une ressource, un poisson est une ressource, le pétrole est une ressource… Et, au-delà de cela, il y a une folie de nature logique car quand bien même on se ficherait des lions ou des oiseaux, tout cela est en fait suicidaire parce que les conditions de stabilité de la planète sont aussi en train d’être mises à mal. Nous allons nous-mêmes en pâtir gravement.

Alors pourquoi n’y arrive-t-on pas ? Je crois que le mal est très ancien. Dans les milieux de gauche par exemple, beaucoup de gens se disent : « le mal c’est le capitalisme », je crois que c’est faux.  Je pense qu’il y a effectivement un problème avec le capitalisme : il comporte en lui-même sa propre illimitation en quelque sorte, il fait de la croissance une fin en elle-même. Et on voit aujourd’hui aussi les ravages au niveau social. Donc, oui, il y a un problème avec le capitalisme mais ce n’est pas la totalité du problème. L’Homme s’est construit sur des mythes de domination et de prédation, c’est peut-être également là-dessus qu’il faut travailler.

Concernant la consommation de viande, nous savons que cette industrie est l'une des plus polluantes aujourd’hui, notamment la viande bovine. Pensez-vous qu’un monde sans viande soit inéluctable ?

Là encore, il ne faut pas prendre une vision anthropo-centrée, en plus de la pollution engendrée par l’industrie de la viande, il faut relever que 100 milliards d’animaux terrestres et 1000 milliards d’animaux marins meurent chaque année dans des conditions épouvantable. Ces êtres vivants ressentent la douleur, la peur, le désir de vivre et on a décidé pour eux que la Terre serait un l’enfer... Le pire n’est pas les abattoirs, le pire est qu’avant les abattages il n’y a pas de vie : c’est en quelque sorte un crime contre l’ontologie de la vie.

Nous faisons parfois en sorte qu’avant même d'être tués, ils ne voient jamais ciel, ils ne puissent même pas déployer leur membres... Nous sommes à un niveau de monstruosité systémique total. Je ne suis pas sûr que les gens comprennent que le monde animal sur Terre est une gigantesque souffrance dans un couloirs de la mort.

Un monde sans viande est-il inéluctable ? Cela dépend comment on prend la question. Cela est-il nécessaire ? La réponse est évidemment oui. Est-ce que cela va avoir lieu ? Je n’en ai aucune idée…

Le végétarisme est plus accepté qu’avant, on peut en parler librement et je pense que beaucoup de gens commencent à comprendre qu’il y a un problème mais pourtant la consommation ne diminue pas… Je ne suis donc pas du tout confiant : nous ne traitons pas les problèmes que nous comprenons. Notre consommation carnée est indéfendable d’un point de vue éthique pour les animaux, d’un point de vue scientifique pour les émissions de gaz à effet de serre et d’un point de vue médical pour les effets sanitaires. C’est indéfendable, quelle que soit la manière de voir les choses

National Geographic a publié au mois de mai dernier une modélisation climatique à l’horizon 2050. On peut voir que si l’Europe sera modérément touchée par le changement climatique, de nombreux pays en Asie, en Afrique du Nord et dans l’hémisphère sud vont devoir faire face à des bouleversements sans précédent, qui donneront sûrement naissance à des conflits. La priorité ne se trouve-t-elle pas là ? Dans les pays où les populations seront les plus fragilisées (et d’ailleurs pas forcément les plus pollueuses) ?

Oui tout à fait, je trouve que c’est vraiment une sorte de monstruosité morale… Les pays pollueurs ne sont pas les plus touchés, ce n’est pas de chance : si les changements climatiques avaient lieu essentiellement aux États-Unis, l’avenir du monde serait sûrement différent, mais ce n’est pas le cas…

Je pense qu’on arrive à un niveau d’obscénité inqualifiable en continuant à développer, pour une partie de la population des pays occidentaux, une richesse inconsidérée. Implicitement, dans ce geste il y a le choix de faire mourir une grande partie du monde... C’est ce que certains libéraux appellent la liberté : être libre d’acheter une Ferrari et de prendre l’avion. Moi j’appelle ça le meurtre. Il faut quand même que l’imaginaire occidental comprenne la chaîne causale impliquée par ces questions.

Je pense que si on se focalise sur l’humanité, la première source de catastrophes seront les très grandes migrations engendrées par le bouleversement climatique. Lorsque l’ONU évoque plusieurs centaines de millions de réfugiés climatiques, en matière de géostratégie, cela signifie la guerre. Donc cela veut dire qu’en s’accrochant à notre confort, nous sommes en train de décider de laisser à nos enfants un monde en guerre, c’est un choix dramatique.

Quand nous avons rencontré Jane Goodall il y a 2 ans, nous lui avons demandé comment faire pour sensibiliser le grand public à l’urgence environnementale. Elle nous avait répondu : « Il faut parler des actions positives, c’est si important. Si vous ne reportez que les mauvaises nouvelles, s'il-vous-plaît, faites-en sorte de mettre aussi en exergue les belles choses. Il y a tant d'actions qui sont menées. » Finalement, est-ce que ce n’est pas par l’espoir que les messages pourront le mieux passer ?

Non pas du tout, je m’inscris totalement en faux par rapport à ça ! Je pense que la grande majorité des habitants de cette planète n’ont absolument pas commencé à comprendre l’ampleur de la catastrophe dans laquelle nous nous trouvons.

Je suis désolé mais quand on découvre un camp de concentration, on ne se dit pas « oh regardez une petite fille est encore vivante dans un coin ! », non, on se dit qu’il y a surtout un tas de cadavres et c’est ça qui doit nous faire agir. Je ne suis pas du tout d’accord avec l’optimisme de principe.

Cela dépend comment on le prend, si c’est « ce n’est pas si grave, il ne faut pas perdre espoir » ce sont des sottises, la situation est dramatique. C’est la plus grande crise de notre histoire, il faut le marteler ! On n’a pas commencé à le comprendre ! Il faut absolument être alarmiste car c’est être réaliste. Il s’agit quand même de la perte d’un million d’espèces dont peut-être la nôtre... Si cela n’est pas alarmant, je ne vois pas ce qui l’est.

Là où je suis peut-être un peu d’accord avec elle c’est sur le fait que ce qu’il faudrait faire pour améliorer la situation n’est pas forcément triste ! Pour moi l’écologie ce n’est pas du tout castratrice, au contraire ! Il s’agit de retrouver de nouvelles libertés et réjouissances, autrement plus fondamentales que la surconsommation. Mais strictement rien ne va en ce sens à l’échelle globale.

Chaque année on pollue de plus en plus, chaque année on tue de plus en plus d'animaux dans des fermes d’usines, il y a quelques bonnes actions mais l’évolution tendancielle est de pire en pire… Notre incapacité à poser les questions de fond et à comprendre que nos construction suicidaires sont réfutables me sidère.

Si beaucoup vous connaissent pour votre engagement écologique, vous êtes avant tout astrophysicien. Votre activité principale repose essentiellement sur des expériences de pensée. Comment votre esprit passe-t-il de ces expériences de pensée aux très concrètes questions écologiques ?

Je crois que le monde est trop beau et trop vaste pour ne l’appréhender que par un unique prisme. J’essaye de pratiquer aussi un peu de philosophie et de poésie. Et cela est vrai pour absolument chacun d’entre nous : nous passons, heureusement, notre temps à jongler avec des systèmes symboliques et cognitifs extrêmement différents. J’aime l’idée de choisir de ne pas choisir.

C’est aussi ce qui me conduit à la conclusion que j’évoquais précédemment : notre pathétique timidité. Qu’il s’agisse de l’écologie mais aussi des innombrables discriminations et injustices, je ne parviens pas à comprendre qu’on remette si peu en cause nos règles et nos valeurs, alors que celles-ci sont totalement arbitraires. Alors que nous les savons intenables et mortifères, nous nous accrochons à nos conventions économiques et nous négligeons les lois de la physique ; c’est gravement inconséquent.

Cet appel à la préservation de notre planète est-il d'autant plus marqué quand on réfléchit à l'échelle de l'univers et qu'on a constaté l'unicité de la Terre parmi les mondes connus ?

Non. Il n’est nul besoin d’être astrophysicien pour se révolter face à la hargne froide et stupide avec laquelle une petite partie de la population mondiale est en train de décider d’un saccage immense et irréversible pour presque tous les autres.  


Cet entretien a été édité pour des questions de longueur et de clarté.

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