célébrations lentes

intégral 32:17

Shirley Horn a écrit:Space is a valuable commodity in music. Too many musicians rush through everything with too many notes. I need time to take the picture. A ballad should be a ballad. It's important to understand what the song is saying, and learn how to tell the story. It takes time. I can't rush it. I really can't rush it.

L'espace est une marchandise de valeur dans la musique. Trop de musiciens se précipitent à travers tout avec trop de notes. J'ai besoin de temps pour prendre la photo. Une ballade devrait être une ballade. Il est important de comprendre ce que la chanson dit, et d'apprendre à raconter l'histoire. Ça prend du temps. Je ne peux pas me précipiter. Je ne peux vraiment pas me précipiter.

Momentum, 1975, est le disque de Jimmy Raney que je préfère, un de mes disques de guitare préféré, un de mes disques préférés, et mon morceau préféré dans ce disque

bien qu'en trio avec le batteur Alan Dawson, "le professeur de Tony Williams", celui-ci n'y fait qu'une fugace et discrète apparition aux balais vers 9:05, comme s'il avait jugé sa présence superflue pour ce merveilleux duo entre le guitariste et le contrebassiste Richard Davis, démontrant que le titre de cette composition de Raney, We'll Be Together,- Nous serons ensemble -, n'est pas un vain mot, même si nous ne connaîtrons jamais les paroles qu'y avait ajoutées le guitariste. C'est un solo de guitare aussi, avec une longue introduction de 1:24 avant l'entrée du contrebassiste, belle démonstration de Chords Melody entièrement au médiator

l'enregistrement et le pressage excellents de la marque allemande MPS permettent d'apprécier pleinement la sonorité lyrique et le romantisme de Jimmy Raney sur les ballades, orfèvre en mélodies ciselées sans un cliché dans ce phrasé tout en liaisons dont il fut un quasi inventeur, virtuose sans esbroufe sachant placer des traits rapides sans saturer l'espace-temps de bavardages, avec ce balayage caractéristique des arpèges d'accords propre aux guitaristes "bebop" comme Barney Kessel et Tal Farlow, eux parfois brouillons, annonçant le sweeping. Un plaisir aussi d'écouter ce disque par les graves, la ligne de Richard Davis étant aussi efficace que retenue et belle comme une chanson, avec ce gros son à la fois dur et chantant qu'abandonneront vite les contrebassistes à partir des années 60, cordes de moindre tirant et plus près du manche. Solo de basse de 5 à 7:00 qui nous rappelle que Richard Davis fut sans doute le contrebassiste le plus proche par le son, la vélocité et le style quasi parlé, de Charlie Mingus

mais ce qui me fait distinguer cet enregistrement parmi la production de Raney entre 1953, Jimmy Raney Plays avec Stan Getz, et 1990, But Beautiful*, avec l'excellent Georges Mraz à la basse, c'est la fonction musicale qu'il donne au silence, à la respiration, et la façon dont le temps y est par moments suspendu, comme pour mieux reprendre son élan : Momentum

* la ballade qui donne son titre à l'album est construite comme Well be together 15 ans plus tôt

j'ai eu l'occasion d'entendre Jimmy Raney à Paris au milieu des années 80. Y était mon professeur de guitare Pierre Cullaz, qui en était un admirateur et un héritier, comme tous les guitaristes alors en France, Sacha Distel, Jimmy Gourley, René Thomas qui dira dans Jazz Magazine n°86 en 1962 : « A Paris, dans les années ’50, pour bien jouer, il fallait jouer comme Jimmy Raney. Raney a innové sur le plan harmonique, c’est incontestable… Il a été très écouté et pas seulement par des guitaristes. »

1954

par Pierre Cullaz j'avais transmis à Jimmy Raney ce poème écrit quelques temps plus tôt dans une série d'hommages à Charlie Christian, Tal Farlow et René Thomas

Comm' toi personn' aux doigts ne sonn' le bois Gibson
du fond il naît si raffiné le son Raney
accords et âme mélodie coule
Body and Soul


Jimmy Raney g, Sonny Clark p, Red Mitchell b, Bobby White dms
Feb.14, 1954